Recherches | Le vaisseau d'Elenmàr [PV Radwëdh]

Kÿrianos de la 1ère ennéade de Verimios
18ème année du Onzième Cycle
Relicarium de l’Académie d’Alëandir
Début de l’après-midi

Voilà des heures déjà que tes yeux se refusaient à quitter les textes et images décorant l’ouvrage de légende. Mais dans quel but ? Voilà des heures déjà que tu lisais, relisais et analysais, encore et encore, les mêmes extraits, les mêmes portraits, les mêmes couleurs, les mêmes symboles. Et dans quel but ? Tu voulais comprendre. Tu espérais, naïvement, qu’avec le temps viendrait l’illumination. Que quelque chose de plus se dévoilerait à toi force de chercher. Comme si tes yeux avaient pu manquer un détail. Comme si la vue perçante que vous avait offerte La Mère avait pu, ne serait-ce qu’un instant, un fortuit instant, te trahir. Seulement il t’avait fallu te résigner. Continuer comme tu le faisais ne changerait rien. D’autres en avaient fait de même pendant des siècles avant de pouvoir poser la moindre conjecture. Si tu devais comprendre, tu comprendrais autrement. Le monde est magie, alors c’est en cherchant dans le monde que tu trouverais ce que tu cherches.

Peut-être

- Le seul vaisseau capable de traverser la tempête est sa direction…

Tu murmures à mi-voix, entre deux bouchées de pain, l’énigmatique citation servant de conclusion aux pages que tu avais feuilleté. Une citation bien nébuleuse lorsque les pages qui le précédaient n’étaient que conseils de navigation, primitives explorations de la facture de vos bateaux, descriptions du grand large et de l’infinité de la mer.
Où pouvait donc bien être la métaphore ? Y avait-il un quelconque rapport à Tari ? À la mort ? Aux Royaumes souterrains ? Ou alors fallait-il percevoir la mer comme l’éther, et le mage comme le navigateur… ou bien comme le vaisseau lui-même ? Pouvait-on véritablement comparer l’expérience d’un mage voguant à travers les flux à celle d’un marin luttant contre les flots ? Ou bien tout cela était-il plus complexe, dissimulé derrière des concepts plus ésotériques encore que ceux que tu maîtrisais pour l’heure ?

Tu refusais de te penser loin de la vérité, quelle qu’elle puisse être. Tu ne voulais pas chercher trop loin. Tout ce qu’il avait été découvert du Livre d’Elenmàr avait jusque-là une fois révélé tenu de l’évidence même. Les vérités dévoilées par l’Ëala avaient jusque-là tant tenu du bon sens qu’elles étaient restées cachées juste sous vos nez, juste au-dessus de vos lèvres. Là où ni la langue ni les yeux ne sauraient s’en saisir.

Une clef. Une clef pour s’assurer de comprendre ce que tu avais lu. Il te fallait trouver une clef. Et si la clef n’était pas dans les mots, peut-être était-elle dans l’image. Ce vaisseau aux voiles noires glissant sur une mer sombre par un ciel sans étoiles, menacé par des nuages prêts à le foudroyer. L’image par-dessus laquelle tout ce passage était écrit. En comprendre les codes pourrait être juste ce qu’il te faut pour t’aiguiller dans le bon sens… sauf que tu n’avais aucune idée de par où commencer. L’ésotérisme était ton fort. Les formes et les symboles, tu savais les analyser dans le contexte des arcanes, de la physique, et de la physique derrière les arcanes, mais pour ce qu’il s’agissait de leur symbolique d’un point de vue plus… esthétique ?

Ta langue nettoie tes lèvres des dernières gouttes de miel et des quelques miettes de méroca laissées par ton goûter. Tes pas eux t’éloignent des locaux de l’Académie en direction du Teluïme. Tu connaissais un endroit là-bas où tu aurais tes chances d’obtenir des réponses à tes questions.

L’odeur des huiles, des teintures et des cires chaudes était presque aussi étouffante que celle des laboratoires d’alchimie de l’Académie. Nul doute qu’au moins une poignée des elfes maniant les pigments distribués ici les avaient d’ailleurs fréquentés durant quelques années au moins. Seulement, ici, il n’était nullement question de mettre la chimie des matériaux au service de l’exploration des arcanes et du monde invisible qui t’intéressait toi. C’est à un autre univers parallèle que ceux-là s’attaquaient. Celui du sensible.

Ton regard se perd sur les encres et pigments sombres, comme s’il pouvait déjà y avoir une réponse dans leur simple existence.  Une seconde fois tu te perdais dans tes réflexions. Quelques secondes devinrent une minute. Une minute en devint cinq. Cinq en devinrent dix. Et finalement, ton immobilité face à une huile noire que ton regard vitreux ne distinguait en réalité plus du tout finit par devenir presque inquiétante.

Radwëdh discute avec une ancienne compagne d’études qui, tout comme elle, est venu demander l’aide de leurs anciens Maîtres pour parfaire un de leur pigment. Les deux Taledhelles ont jadis foulé les dalles de cette école où les Maîtres peintres leur ont partagé leurs connaissances sur les techniques d’art. Si Radwëdh a su aiguiser son sens de l’esthétisme et de la symbolique au courant de ses études ici et plus tard, en expérimentant elle-même avec son propre style, l’Épervier revient parfois entre ces murs pour qu’on la guide sur quelques procédés concernant la fabrication de ses propres pigments, chose qu’elle n’a point encore maîtrisé tout à fait. Enfin, pour certaines couleurs.

Elle finit par saluer son amie, sourire aux lèvres et pénètre dans la pièce avec excitation, consciente qu’elle a besoin de faire vite si elle veut pouvoir avancer la commande sur laquelle elle se concentre en ce moment. L’elfe ne peut s’empêcher de s’arrêter et de fermer les yeux un instant, s’imprégnant des odeurs qui ravivent d’heureux souvenirs dans sa longue mémoire. Un des Maîtres l’accoste alors, la faisant rouvrir les yeux. Ce dernier reconnaît d’emblée son ancienne élève et la salue avec chaleur, visiblement heureux de revoir sa pupille. Après quelques nouvelles échangés, la peintre fouille sa besace et sort une fiole contenant un pourpre qu’elle trouve trop terne, mais dont elle n’arrive pas du tout à rendre plus lumineux. Habituellement, ce n’est point dans sa palette de couleur, préférant des teintes plus automnales dans ses propres peintures. Seulement, Radwëdh a envie de plonger dans des eaux plus inconnues et d’expérimenter.
Elle tend donc la fiole à son Maître peintre, en lui expliquant ce qu’elle recherche très exactement. Il fronce les sourcils et hoche la tête. Tout en choisissant un rouge très vif et un bleu tout aussi riche, son ancien Maître tente quelque chose, lui narrant en même temps ce qu’il mélange et le type de pierre desquelles il a pu retirer cette teinte de vermillon et de bleu. Radwëdh le regarde attentivement, prenant mentalement des notes, jusqu’à ce qu’il atteigne le pourpre parfait. Elle s’exclame alors de satisfaction, arrachant un sourire satisfait au Maître peintre. L’ancienne élève s’incline légèrement pour le remercier et se retourne, prête à partir.

Une silhouette à la chevelure de feu attire son regard et la peintre s’arrête. Droit comme un piquet devant un pigment noir d’encre et le regard vide, le Taledhel semble prit dans les tréfonds de ses pensées. L’elfe penche la tête sur le côté, observant l’inconnu et se demandant s’il est lui-même peintre. Elle ne l’a jamais vu ici et bien qu’elle ne vient pas aussi souvent que cela demander conseil, elle l’aurait sans doute déjà croisé. Et puis, peu d’artistes usent de cette teinte aussi foncée...Enfin, tout dépendant de leur technique utilisée et de l’effet qu’ils recherchent, mais comme beaucoup d’autres peintres comme elle, elle a tendance à commencer par un fond de couleur plutôt qu’avec du blanc ou du noir. Elle ose s’approcher ; peut-être a-t-il besoin d’aide pour quelque chose ? Bien qu’elle n’ose pas s’imposer...Elle piétine sa gêne et arrivée près de lui, elle s’annonce doucement :

-Aia Heru. Loin de moi l’idée de m’imposer, mais avez-vous besoin d’aide pour quelque chose? Ce noir d’encre semble avoir attiré vos yeux.

Arraché à ton monde de réflexions, tu sursautes légèrement, te retournant vers l’elfe t’ayant interpelé, un air moitié perdu moitié pensif encore solidement accroché à ton visage.

- Ithìliur. un hochement de tête se voulant cérémonieux te donne juste l’air plus ridicule que tu ne l’es déjà Enchant...

Et là seulement tes pensées rattrapent tes mots, et tu te rends compte de l’absurdité de ton réflexe. À aucun moment il ne t’a été demandé de te présenter. Il t’a juste été posé une simple question. Une simple et innocente question de routine comme en posent souvent ceux qui s’occupent de guider les Souffles perdus comme toi à la recherche de leur bonheur. Tes yeux s’ouvrent grand, ton buste recule un peu, ta poitrine s’élargit alors que tu inspires en préparation d’une phrase qui ne vient pas. Et finalement ton visage se détend, tes épaules retombent, ton regard se baisse vers le sol, et l’une de tes mains vient chercher l’arrière de ton crâne, trahissant la honte s’étant soudainement abattue sur toi.

- Désolé. tu te redresses, prenant une posture plus nonchalante J’ai passé le gros de la journée à essayer de comprendre une page du livre d’Elenmàr, sans succès. tes pupilles fuient un court instant en direction du sombre pigment Tout le texte est écrit par-dessus une peinture d’un bateau dans la tempête. Je me disais qu’en comprenant la symbolique derrière la peinture, tout deviendrait probablement un peu plus logique. ton regard fait le tour des lieux J’espérais trouver quelqu’un qui puisse m’aider ici.

Et à la place, tu t’étais laissé aller à fantasmer des solutions à tes questionnements dès lors que ce que l’on aurait pu appeler un indice était entré dans ton champ de vision. Et qui sait ? Peut-être étais-tu plus proche que tu ne le pensais. Peut-être cette réaction viscérale était-elle le but derrière la peinture. Peut-être étais-ce en cela sa complexe simplicité. Un jour tu finirais bien par le découvrir, mais ce jour, tu aimerais qu’il vienne vite. Car tu le pressentais, il y avait quelque chose d’important derrière ces pages. Quelque chose qui si tu arrivais à le comprendre, se révélerait certainement précieux dans votre étude de la Mare Noire…

Affirmation bien facile à faire, quand le moindre secret de magie se prouverait certainement extrêmement précieux dans l’étude d’un ancien artefact.

Radwëdh le toise d’un air inquiet puisque l’elfe paraît fort gêné tout d’un coup. La musicienne et artiste fronce très brièvement les sourcils, mais reprends un air affable, n’ayant nullement eu l’intention de le mettre mal à l’aise. Après tout, elle-même s’évade souvent dans ses propres pensées. Voir très souvent même. Elle n’en tient donc pas du tout rigueur à l’elfe. Un léger sourire se peint sur ses lèvres et elle se présente à son tour, posant une main près de son cœur.

-Radwëdh. Je suis enchantée aussi de faire votre connaissance, lance-t-elle de son ton cristallin et enjoué, tentant de le rendre le plus confortable possible.

Le pauvre s’excuse et elle finit par comprendre qu’elle a peut-être un étudiant de l’Académie devant elle lorsqu’il lui explique que ses études l’ont submergée quelques heures plus tôt. Elle plante un regard compréhensif dans le siens ; lorsqu’elle peint ou joue de sa musique, le temps défile sans qu’elle n’en ait conscience, tellement qu’elle oublie parfois de se nourrir, expliquant sa frêle carrure d’ailleurs. Il n’est pas rare non plus que la nuit fasse place au jour avant qu’elle ne s’arrête pour de bon. Elle croise les mains derrière son dos, laissant l’elfe lui narrer la raison qui l’a poussé à demander de l’aide ici. Ainsi l’œuvre est narrative et visuelle? Intriguée, Radwëdh reporte son regard sur le noir d’encre, curieuse d’étudier l’utilisation de cette teinte dans la dite peinture. Seulement, l’elfe pourrait sans aucun doute trouver plus expert qu’elle ici.

-Vous êtes à la bonne place Heru Ithìliur. J’ai été étudiante ici avant d’être peintre professionnelle et artiste, mais peut-être cherchez vous plutôt l’aide de quelqu’un avec plus d’expertise que la mienne ? Je connais de nombreux Maîtres qui pourraient vous trouver du temps pour vous épauler dans votre étude de cette œuvre si c’est ce que vous cherchez.

Elle doit toutefois avouer que sa curiosité est maintenant piquée ; il y a longtemps qu’elle ne s’est pas exercé à l’étude de la symbolique d’une œuvre. Spécialement une œuvre mélangeant le narratif aux images. Certes, elle a parcouru de nombreux livres avec des gravures, mais rarement une seule peinture où le texte est transcrit par-dessus l'image. Elle préfère toutefois laisser le choix à l’elfe.

L’attitude de la dénommée Radwëdh termine de te rendre ton calme. Tu étais au bon endroit, face à quelqu’un qui pourrait t’aider – ou au moins te guider vers quelqu’un qui pourrait t’aider – et cela comptait bien plus qu’un léger embarras. Tes mains se posent sur tes hanches, et tu souris victorieusement, heureux de voir se dessiner la promesse de quelque progrès dans tes projets.

- Honnêtement l’une de tes mains quitte sa place pour s’ouvrir devant toi Toute aide est bonne à prendre. Le livre d’Elenmàr est le genre à laisser beaucoup de marge d’interprétation. Un peu trop même.

Tu ris doucement, cherchant au passage du coin des yeux à identifier – comme si cela était possible – quels pourraient bien être ceux parmi les quelques elfes présents qui accepteraient de vous prêter main forte. Après tout, si le livre tient une importance tout particulière dans votre monde à vous, mages, il n’en restait pas moins un artefact de légende connue de tous les elfes. Un artefact qui vaudrait à n’importe qui à participé à en arracher le moindre savoir pratique une immense renommée, ne serait-ce qu’au sein des sphères des érudits. S’il n’y avait pas la passion, il y aurait la curiosité. Et s’il n’y avait pas la curiosité, il y aurait au moins l’égo pour en motiver quelques-uns. Ou du moins tu l’espères.

- Une idée de quand vous seriez disponible ? tu tournes rapidement la tête en direction de passants Ou de quand d’autres seraient disponibles ?

Tu rêverais d’obtenir un tout de suite pour réponse. Seulement tu te doutes que les autres elfes en présence avaient leurs propres obligations, et surtout leurs propres passions à poursuivre. Après tout, ton premier réflexe après avoir quitté cet endroit serait certainement de retourner au travail que tu t’es imposé devant le Grimoire. Du moins, après avoir pris le temps de faire un repas digne de ce nom… à moins que tu ne veuilles priver ton esprit de l’énergie nécessaire à son correct fonctionnement.

Elle peut sentir l’elfe se détendre et son sourire lui en arrache un à elle aussi. Le livre d’Elenmär...Comme tout elfe, cela lui dit quelque chose bien sûr, mais jamais elle n’a eu la chance de le feuilleter et de l’étudier plus en profondeur. Serait-elle à la hauteur pour interpréter la signification de l’image et des couleurs utilisées ? Elle peut toujours tenter le coup et demander ensuite à quelqu’un de plus expérimenté si jamais elle ne parvient pas à déchiffrer ce mythique livre. Après tout, elle a du temps devant elle puisqu’elle a pris de l’avance sur la commande sur laquelle elle travaille en ce moment et doit avouer que sa curiosité est piquée. Ithilìur semble aussi bien excité à l’idée de déchiffrer ce mystère et Radwëdh ne compte pas le faire attendre plus longtemps. Elle sert la bandoulière de son sac et baisse les yeux, à son tour d’être un peu gênée, mais trop curieuse pour ne pas sauter sur l’occasion.

-Je suis disponible dès maintenant si vous le voulez. Avez-vous le livre avec vous ou dois-je vous suivre jusqu’à l’Académie ?

Cela ne lui dérange pas du tout de se déplacer puisqu’elle n’a pas de plan pour le reste de la journée, si ce n’est d’aller dans les jardins publiques plus tard pour pouvoir crayonner un peu en solitaire. En fait, de nature déjà solitaire, Radwëdh est souvent seule avec elle-même. C’est très rare qu’elle interagît avec des inconnus et pourtant, la voilà qui se propose pour tendre la main à ce chercheur inconnu. 

Dès maintenant. À l’entendre, ton visage s’illumine, seulement l’élan de motivation n’est que de courte durée. Ta bonne humeur est vite rattrapée par les grognements de ton ventre, qui lui n’a pas oublié que cette pause déjà trop tardive est censée être ta pause déjeûner. Tu soupires, baisses la tête, et poses tes mains sur tes hanches, avant de te redresser en direction de ton interlocutrice, l’espace d’un instant dépité toi-même par ta condition d’être de chair.

- Le livre ne quitte jamais le relicarium de l’Académie. Il est bien trop précieux pour. l’un de tes sourcils se lève, cet état de fait te paraissant comme de la plus grande évidence Par contre, si je peux me permettre d’allonger le créneau de disponibilité, je ne serais pas contre reporter à légèrement plus tard. tu penches la tête sur le côté, et passe une main derrière ton crâne Il faut vraiment que j’aille manger un bout.

Machinalement, tu secoues la main dans ta crinière, puis glisses tes doigts vers le bas pour y remettre un peu d’ordre, et déjà tu fais un premier pas en arrière en direction de la sortie. Une fois assez de distance creusée entre ton interlocutrice et toi, tu te penches en une courte révérence, puis la salue de la main.

- Je serai au relicarium d’ici une heure, donc si tu n’as pas eu de contretemps, quoi qu’il arrive, on devrait se retrouver là-bas. tu te retournes d’un bloc, seul ton visage restant dans la direction de l’elfe blonde Peut-être à plus tard !

Et sur ces mots, tu t’apprêtais à entamer une empressée marche en direction de la première taverne venue, pour manger le premier plat venu, et retourner aussi vite que possible à tes premières préoccupations.