Boniment, divine nation | Albael

En milieu de première énneade...
Verimios • Été
18° année | XIe Cycle

En ce début d'été, point besoin de trop forcer les choses, mon petit empire tournait désormais sans grand intéressement de ma part. Cela allait pourtant bon train et mes richesses, elles, s'amassaient à une vitesse ahurissante. En effet mon petit peloton de jouvenceaux œuvrait avec une fervente passion, enfin heureux qu'ils étaient de s'en sortir ; c'est que je m'occupais extrêmement bien d'eux, ils avaient tout ce dont il fallait pour être heureux. Je leur avais offert la sécurité et le confort d'un logement des plus spacieux – finies les galères et la rue –, ils avaient aussi le loisir de se reposer périodiquement afin de dépenser une partie de leur conséquent salaire, bref j'avais mis en place un engrenage où l'équilibre et les bonnes conditions de mes consacrés travailleurs rouages fonctionnels et qualitatifs, portaient leurs fruits.

Il y avait un peu de tout dans ma petite organisation de charlatans. Certains de mes lurrons vendaient herbes poudres et orviétans à foison à qui croyait en leurs effets bénéfiques, aphrodisiaques, curatifs et j'en passe, tandis que d'autres spécialisés dans la voyance oeuvraient dans quelques taudis prévus à cet effet, où poires et pigeons aimaient à croire en leur bonne fortune entre cartomancie et divination. D'aucuns, en particulier trois adolescents prodiges qui m'avaient accompagné depuis mes débuts, pouvaient se targuer d'être les meilleurs éléments de notre sympathique association : je les avais formé au travestissement et à l'art du drame et de l'imposture. De facto, nos plus importantes recettes étaient issues de ce leurre, service que nous proposions aux riches vaanis, dans le but de les dépêtrer de quelques situations farfelues ou dangereuses : c'est en effet affublés pour l'occasion en époux jaloux ou en vils tortionnaires, en professionnels ou en domestiques afin de soutirer quelque information, ou encore afin promettre silence ou esclandre, que mes artistes allaient sous un autre jour tromper leur victime. Bref, de quoi combler Arcam autant que nos bourses avides. J'étais aux anges, de ma réussite.

Cependant j'évoquais plus tôt ma participation peu active en ces chaudes ennéades de Verimios, c'est que je supervisais certes le bon déroulement de nôtre lucratif labeur, or, mis à part quelque tromperie délicate que je me donnais le luxe d'accomplir, j'essayais de me focaliser sur ma vie personnelle qui elle était par contre diablement avariée. Pour ce faire, je ne buvais plus. Je ne sortais plus que pour réaliser d'agréables balades en pleine nature et qui me faisaient le plus grand bien. Je tentais de me recentrer, de me ressourcer, de me reconnecter à mon être, d'appréhender mon essence, et de comprendre le pourquoi du comment de mes comportements, souvent auto-destructeurs. Du boulot, il y en avait, or si j'étais encore loin de sortir la tête de l'eau, j'apercevais les rayons de lumière qui en perçaient la surface, m'appelant, Léonie, Léonie !, remonte, reviens, émerge, et tu verras, que la vie est belle, et que l'épanouissement et le bonheur, tu les mérites.

« C't'un noiraud, m'informa Mirèj.
– Ah, je vois... Voilà des êtres enchanteurs, pour sûr, dis-je, sincère dans mon propos.
– Pis c'est qu'y'a du talent, le bougre. 'Sait fichtrement bien manier les cartes, de surenchérir.
– Tu sais où le trouver ? Le profil du bonimenteur commençait en effet à être intéressant.
– Ça oui, possède une boutique, y fait un peu d'propagande l'coquin, v'là son sceaux d'fabrique, l'a l'air d'bien faire les choses çui-là.
– Ils savent toujours faire, les sombres... Bien ou mal, c'est là que le bât blesse, me dis-je pensif. Je repris. Hmm... Je serais tenté de le rencontrer... Par curiosité.
– Me dit pas, Tontinet, ainsi m'appelaient mes acolytes, que tu songes à lui, que que... qu'il fasse partie de nôtre escouade !? Me font peur ces daedhels, pis, l'croirait magicien l'fichu z'oreilles pointues, je l'ai vu œuvrer, m'a vraiment bluffé... Et il en fallait pour surprendre Mirèj, il avait de or dans les mains le petit.
– Il ne fera partie de rien du tout, tant que je ne l'aurai pas vu... Puis fricoter avec un elfe noir, ne me plaît guère, pas plus que d'appréhender une rose, car qui s'y frotte s'y pique... Puis... Je ne crains point la concurrence, chacun chez soi et les moutons seront bien gardés. Philosophe, j'allai vaquer à mes occupations, fruit sur le point de mûrir, l'abstinence semblait me faire le plus grand bien. »

J'allai néanmoins dès le lendemain, rencontrer le curieux personnage dont j'avais eu vent par Mirèj. Par curiosité, et parce qu'une petite sortie en ville, moi qui n'y mettais plus les pieds depuis quelque temps, ne me ferait pas de mal, je me rendis à la boutique en question dont l'enseigne identique à la représentation d'Arcam sur celle du sceau, ballotait au gré du vent. Le premier étage ressortait légèrement par rapport au rez-de-chaussée, ce qui donnait une allure particulière à la devanture, c'était agréable à la vue et bien que l'établissement ne payait pas franchement de mine, j'affectionnais ce genre de façade aux poutres apparentes et à l'allure modeste.

Pour l'occasion, j'étais resté moi-même, point de déguisement, juste une tenue aux tons sobres et aux tissus raffinés puis mes cheveux aux quatre vents, non point de cape en ces jours ensoleillés. J'ouvris la porte avec assurance, délicatement, puis pénétrai la boutique un petit sourire sympathique aux lèvres et une curiosité non feinte dans le regard.

Un doux carillon retentit à l’arrivée d’un nouveau potentiel client. Il fallut une minute, peut être deux avant que le propriétaire des lieux ne se montre dans la petite antichambre qui formais l’entrée du bâtiment. Vêtu d’un savant mélange de soie fine et de métal doré, Albael était aussi élégant qu’à son habitude. Même dans ses journées quotidiennes, il aimait en imposer… Sur son visage noirelfique s’étirait un long sourire surmonté par deux yeux rubis éclatants, une façade qu’il ne quittait que rarement.

-Nous ne nous connaissons pas n’est-ce pas ?

Non. Lui il ne le reconnaissait pas. Comme quoi, ses petits tours en ville marchaient décidément mieux qu’il ne l’aurait pensé… Sans vraiment attendre, il invita l’inconnu à le suivre dans la pièce de laquelle il était apparu.
Si l’entrée n’avait rien de particulièrement notable, le reste ressortait franchement par rapport à l’extérieur. L’endroit était petit mais décoré avec un gout certains. Aux murs s’étendaient des tentures aux divers motifs parfois abstrait, parfois représentant des dieux, souvent riant et jouant des scènes fantasques, burlesques. Jamais outranciers cependant. Au centre de la pièce se trouvait un plateau très bas entouré de divers coussins et autres assises confortables à même le sol. Il flottait une légère odeur d’encens dans l’air. Dans un coin de la pièce se trouvait même un narguilé.

-Quel coup du sort vous amène dites-moi ?

Il lui fallait savoir quels doutes habitaient l’esprit du jeune humain pour pouvoir s’amuser un peu. Sortir les mêmes banalité de vie heureuses et de succès monétaires c’était amusant un temps mais il lui en fallait un peu plus aujourd’hui.

Les vêtements :