D'enquêtes en tribulations.

Enfin les enfants du Royaume arpentent ce pavé diantrais si cher au cœur des péninsulaires, eux qui étaient restés entendre les témoignages des nains au Zagazorn furent accueillis avec soulagement au sein du Palais. La royauté naine ayant eut le bon geste d’affréter l’un de leur navire, sous la commande de leur roi et de leur émissaire, cette dernière fut immédiatement présentée à sa suite et remerciée de sa présence. Les hommes de mains, traducteurs et gardes royaux qui l’accompagneront et veilleront à sa sécurité nuit et jour et en toutes circonstances saluèrent l'invitée de la Couronne et la mènerent dans ses quartiers.

Louise de Fernel, elle, est reçue par Athanase en personne, qui l'invite et la guide au travers du palais jusque dans une chambrée luxueuse. Car c’est ici que la dame logera les prochains jours, sous la protection de la Couronne. Le Grand Chancelier lui fait part des récents événements concernant Langehack, notamment des hommes de la Couronne qui y furent envoyés, voilà déjà quelques jours, afin d’en faire venir tant des preuves matérielles que des témoins, ainsi que le Marquis en personne. Car en ces jours se joue l’avenir de la paix de deux Royaumes.

Cependant, cette fin de journée est allouée au repos, aux retrouvailles et aux nouvelles venues du Nord. Athanase profite ainsi de la présence de l’Ongrumthrong du clan Barbe-de-Fer.

- Nous espérons le retour des nôtres, des témoins ainsi que de leurs trouvailles, d’ici à une ennéade environ. Confie l’homme, confortablement installé dans l’un des fauteuils près du foyer crépitant et irradiant la chambre d’une douce chaleur en cette soirée automnale. Cette histoire ne saurait durer plus longtemps encore et votre concours au procès qui se tiendra alors sera un poids que nul ne saura honnêtement ignorer. Il s’appuie sur l’accoudoir, se penchant légèrement vers la ferneloise tandis que son regard se fait perçant. Dites-moi, ma dame, qu’avez-vous pensé des témoignages qui vous furent transmis ? Qu’en avez-vous retiré ? Nul doute que mon envoyé me racontera lui aussi ses pensées et déductions, cependant, j’aimerai entendre votre sentiment à ce sujet.

Son regard plongé dans celui de Louise y scrute tout ce qu’il pourrait y être décelé. Bien que de marbre, comme à son habitude, la curiosité du Grand Chancelier, piquée au vif, le pousse au silence alors que son oreille attend des paroles porteuses d’importantes nouvelles, de détails primordiaux et d'arguments dignes d'intérêt.

On aurait pu penser que la nourriture servie au Zagazorn aurait épaissi les courbes de la châtelaine. Force est de constater qu’il n’en est absolument rien, non pas qu’elle ait été privée de nourriture là-bas, très loin de là, mais comme à chaque voyage par la mer, dès que son pied quitte le sol pour un plancher mouvant, ses entrailles se rebiffent et les quelques douceurs acquises à Kirgan ou à Thanor ont bien vite disparu sous le roulis du navire Dawi. Ce n’est donc pas sans soulagement que Louise pose le pied en Péninsule, en se promettant de ne plus prendre le moindre bateau sauf en cas d’absolue nécessité.

Désormais assise dans un confortable siège, face à Athanase, la châtelaine profite quelque peu de la douceur du moment, du calme qui va sans doute précéder la tempête, se perdant quelques instants dans la contemplation de quelques flammes dansant sur les épaisses bûches jetées dans l’âtre. Elle a été avare de paroles à Kirgan, à Thanor et sur le navire Dawi. Elle garde cette attitude, pensive, tout en intégrant peu à peu les nouvelles dont lui fait part le Chancelier.

Il y aura donc un procès et elle sera tenue d’y assister. Première nouvelle. L’œil noisette se détourne des flammes et se pose tranquillement sur Athanase.

- A quel titre dois-je participer à ce…procès ? Je n’étais pas présente à Langehack, je ne suis témoin de rien sauf de ce que vous avez-vous-même aperçu, Chancelier. Les paroles prononcées à Kirgan en votre absence ont toutes été soigneusement retranscrites dans les minutes dont s’est chargé votre émissaire. Les Dawis ont envoyé leur propre porte-parole, donc…je ne vois pas en quoi ma présence serait d’un poids que nul ne saurait ignorer. Pouvez-vous m’éclairer sur ce point ?

Le Chancelier l’observe, il ne verra qu’un visage parfaitement serein et neutre, rien ne vient agiter son visage, son regard, à part une fatigue compréhensible et justifiée par tous les efforts déployés par elle.

- Quant à ce que je ressens face à cela, Chancelier, cela n’entre pas en compte, ni ici, ni à Kirgan ni ailleurs. Vous m’avez demandé de recueillir des témoignages, des faits, c’était ma mission, je l’ai accomplie en écoutant ces précieuses nouvelles dont vous trouverez tous les détails dans les rouleaux envoyés par votre émissaire.

La petite main pâle de la châtelaine cherche sa jumelle et s'y noue, en douceur sur son giron.

- Cela étant, puisque vous souhaitez entendre mon sentiment à ce sujet, je peux vous le donner, oui.

Elle inspire et expire longuement avant de regarder encore les petites flammes dansant dans l’âtre. L’image d’un château perdu dans les montagnes, à cette heure sans doute secoué par les premiers frimas d’un rude hiver nordien, s’impose à son esprit.

- Il se passe des choses extrêmement douteuses à Langehack, à l'instar des autres hautes sphères de Péninsule, Chancelier.  Quand on voit les choses de plus loin, comme moi, peut-être les voit-on un peu mieux. Ou peut-être pas. Quoiqu’il en soit, après avoir entendu les témoignages du Marquis et des Dawis, j’en arrive à deux conclusions. Le Marquis a du faire face à une tentative d’assassinat et s’est trompé de commanditaire. Les Dawis ont payé le prix fort de faits dont ils sont totalement innocents et étrangers, le prix d’une ignorance crasse et d’un mépris de tout ce qui n’est pas Suderon. Un prix que toute la Péninsule peut potentiellement payer.

Elle pose à nouveau son regard sur le Chancelier.

- La seconde est qu’un membre de la Cour langecine a comploté en sous-main afin d’obtenir des secrets dawis. Voilà pour mon sentiment objectif. Je me permets de taire mon avis personnel, si vous le permettez.

Le Grand Chancelier écoute, acquiesce au fur et à mesure, se fend même d’un sourire en coin d’une extrême discrétion par deux fois. Une première ! Et son regard vient se perde à son tour dans les flammes chantantes et chatoyantes de l’âtre. Il observe un silence presque religieux, les doigts de sa main droite viennent frotter sous son menton avec lenteur. Ainsi s’écoulent de longues secondes, trop longues. Et tandis que son front se plisse sous la réflexion, il finit par hausser une épaule alors que ses traits se muent en l’expression d’une vaste lassitude.

- Je puis comprendre qu’il vous soit étrange de devoir participer à ce procès. Il est vrai que, quel que soit le titre, à moins d’être la régence, une duchesse ou une marquise, votre parole ne vaut rien face à celle du langecin. Lui concède Athanase alors qu’il l’observe du coin de l’œil. Cependant, les nains voient en vous un levier politique, et quand bien même votre présence ne puisse servir qu’à cela, l’émissaire ne sera pas désagréablement surprise de savoir l’Ongrumthrong du clan Barbe-de-Fer éloignée de ce procès historique. La tranquillité d’esprit de cette envoyée de la royauté du Zagazorn importe à la Couronne, voilà tout.

Athanase se lève, il fait quelques pas lents jusqu’à la hauteur de Louise toujours assise dans son fauteuil. Il pose sa main sur son épaule, cependant nulle pression dans celle-ci, nulle menace dans son regard, nulle intonation dérangeante dans la voix ne peut lui rappeler ce geste similaire et pourtant si différent qu’il avait eu à son égard après le conseil des pairs.

- Vous êtes conviée demain en fin de matinée à une réunion du Conseil de Régence. Réunion exceptionnelle. Athanase s’écarte de quelques pas puis se dirige vers la porte. Je n’ai pas oublié votre goût pour les voyages marins et j’ai jugé bon de faire décaler cette discussion, originellement de la première heure, pour vous laisser le temps de vous reposer à minima. Lâche-t-il sur un ton presque amical, cependant retenu un bref instant par une question brûlante tandis qu’il s’apprête à refermer derrière lui la porte la porte de la chambre alors franchie. Dame Louise, quelles sont les raisons qui vous poussent à penser qu’une personne autre que le marquis ait manœuvré en sous-main afin d’obtenir des secrets dawis ? Cela sous-entendrait que tout ceci ne serait pas qu'une vaste mascarade de ce suderon mais un jeu plus complexe dans lequel convergent divers objectifs étrangers les uns aux autres. Il s'agit là d'une théorie loin d'être des plus simples et qui pourrait, aux yeux des nains, passer pour une histoire relativement branlante visant à sauver une tête.

Elle est déjà au fait de la valeur de sa parole en ces lieux ou en compagnie d’autres seigneurs mieux nés, aux noms ou charges plus illustres. Elle sait tout cela, d’où la question qu’elle se pose. Et à laquelle elle obtient une réponse. Une réponse à laquelle elle s‘attendait, de toute façon. Elle a très bien servi de meuble à Kirgan, il lui suffira de renouveler l’expérience ici. Louise inspire longuement puis expire doucement, préférant regarder les flammes.

- Je doute sincèrement que ma présence change quoi que ce soit à son bien-être ou sa façon d’appréhender les choses. Son esprit ne sera jamais tranquille, que je sois là ou pas, j’en ai la quasi certitude. Mais soit…S’il le faut absolument, je serai présente.

Inutile de songer à se dérober. Lorsque le Chancelier se lève, elle l’observe toujours aussi tranquillement avant de lui annoncer le conseil de régence du lendemain. Il ne peut le voir mais elle ferme les yeux. Un nouveau conseil extraordinaire. Différent cette fois. Là aussi, elle se demande bien ce que peut lui vouloir ce conseil puisqu’elle a répondu à tout et fait tout ce qu’on attendait d’elle.

- Je vous remercie pour votre aimable sollicitude. Je n’aurai jamais le pied marin, en effet…Je prendrais quelques instants ce soir pour me promener quelque peu dans le palais, Chancelier. J’ai besoin de marcher à l’air libre sur un sol stable et d’avoir quelques minutes de paix.

Une promenade lui fera du bien.

Déjà Athanase s’éloigne, la laissant sur son fauteuil avant de se raviser et de lui poser une question depuis la porte qu’il s’apprêtait à franchir. Louise regarde toujours les flammes, elle sourit. Un peu.

- Peut-être est-ce bel et bien le cas, Chancelier. Une vaste fumisterie afin de dissimuler bien pire encore. Peut-être. Je ne parle après tout qu’en fonction d’un seul élément concret : la tablette. Dissimulée dans les effets de Maître Günjär et porteuse d’un message codé. Cela dit…mon intuition n’est en rien une preuve. Et ce que j’en pense ne regarde que moi.  Quant à la tête du Marquis, Messire de Cley, elle n’a qu’une seule destination possible. Peu importe ce qui découlera de ce procès, si le Marquis n’est pas envoyé au Zagazorn, ce sera la guerre. C’est là le seul élément dont nous pouvons être certains, pour l’heure… Je vous souhaite une bonne soirée et une bonne nuit.

La porte fermée, elle attendra de longues minutes avant de se lever et de sortir à son tour, protégeant ses épaules d’une longue cape fourrée.




Lendemain matin



La nuit a été paisible, le sommeil lourd et profond. Les traits reposés, le teint frais et habillée de sa longue robe de velours bleu, les cheveux soigneusement tressés et ornés de ce bijou qu'elle porte si souvent, elle se présente donc au Conseil.

Louise est calme, son cœur ne bat plus si vite, si fort, elle n’a plus tellement de doutes à propos d’elle-même mais se pose quantité de questions quant au sujet de ce conseil et, surtout, à sa présence en ces lieux. C’est la seconde fois qu’elle est conviée et si la première réunion avait un sens, celle-ci en a, à ses yeux, beaucoup moins. En quoi donc peut-elle être utile au Conseil de régence?

C’est donc un regard curieux qui se pose sur les présents avant qu’elle n’effectue une très élégante révérence de Cour, digne et humble.

- Messeigneurs, vous m’avez fait mander, me voici.

Ces visages qui l’accueillent, elle les a déjà vus quelques ennéades auparavant. Elle reconnaît le Scyléen, di Castigliani, de Montecale, d’Avron ainsi qu’Ascilin et son air toujours aussi enjoué. Le Grand Chancelier l’invite à prendre place au tour de cette table, au cœur de cette pièce beaucoup plus intimiste. Seul le Régent brille par son absence, lui qui, depuis que les Grandes Quêtes furent lancées, passe une grande partie de son temps aux côtés de la Haute-Prêtresse de Néera.

- Le Régent vous transmets ses salutations, je vous prie de bien vouloir pardonner son absence, cependant il avait à faire en compagnie du Clergé Néerite.

Le semi-elfe, dans son sourire habituel, invite la damoiselle d’un simple geste à prendre place sur la chaise à ses côtés. Et si le Grand Argentier semble lui aussi de bonne humeur, il n’en est rien du Grand Amiral et de son Vice-Amiral, quand le Capitaine du Baudrier d’Argent garde un faciès relativement neutre.

- Nous avons discuté longuement hier au soir, en présence de Louis de Saint-Aimé, et la discussion fut mouvementée. Confie Ascilin à l’oreille de sa voisine nordienne, non sans un regard en coin pour les hommes de l’amirauté à l’air mécontent. Plus que de raison.

Le Grand Chancelier s’éclaircit la gorge, coulant regard à son tour… Cependant en direction du Grand-Maître de l’Arcanum, qui comme toujours, ne pouvait s’empêcher de ponctuer leurs réunions de ses remarques taquines ci et là.

- La Couronne a…

- Attendez. L’interrompit le Grand Amiral en claquant machinalement des doigts. Hubert, réfléchissez un instant. Vous hésitiez, vous hésitez encore. Je le sais bien, et c’est tout naturel compte tenu de la… Situation.

- Vous n’allez pas, une fois encore, remettre cela sur la table... Nous en avons déjà longuement discuté hier au soir di Castigliani.

- Je ne suis pas le seul à le penser et vous le savez, rétorque le Grand Amiral en posant les mains sur la table dans un faux sourire, ou le temps s’attaque bien tôt à votre mémoire ?

Athanase s’interrompt un instant et tandis que le Vice-Amiral de Montecale opine du chef, son visage de marbre se fissure pour laisser transparaitre un sourire de défi, évoluant rapidement en un rire moqueur.

- Oh, bien sûr, reprit-il l’air hilare, vous pourriez nous soutenir que le ciel est vert et la mer rouge que votre Vice-Amiral acquiescerait sans broncher. Le seul et unique mystère qu’il me reste à élucider est de savoir si vous êtes un ventriloque né, ou bien un marionnettiste au bras malodorant.

Le Grand Amiral se dresse d’un coup d’un seul faisant sa chaise tomber à la renverse, sa moustache frémit et son regard se durcit plus encore alors qu’il s’enfonce dans les mires du Grand Chancelier. L’homme bout intérieurement et il ne peut le cacher.

- N’oubliez pas une chose, continue un Athanase tout à coup bien sérieux en dressant un index inquisiteur, ce n’est pas la première fois que vous vous complaisez à entériner un nordien. Je le sais, j’en sais d'ailleurs bien plus que vous ne pourriez l’imaginer.

Le Grand Amiral serre si fort le pommeau de son arme à sa ceinture que ses phalanges en blanchissent. Seulement, rien d’autre qu’un silence de plomb ne vient répondre aux menaces du Grand Chancelier. Le suderon tourne les talons, et c’est rageur qu’il emmène son Vice-Amiral pour quitter la pièce en claquant la porte.

- Vous n’y êtes pas allé de main morte, mon ami. Souffle le Grand-Maître de l’Arcanum qui ne peut réprimer un sourire amusé. Je l’ai rarement vu perdre son sang-froid.

- Ce coprolithe m’emmerde depuis bien assez longtemps pour que je lui accorde encore une quelconque sympathie.

Le Grand Chancelier inspire longuement, fermant les yeux un instant et profitant de cette victoire des plus agréables, il finit, en l’espace de quelques secondes, par expirer lentement par les nasaux.

- Revenons-en à nos affaires, intervient le Scyléen en tapotant la table du plat de la main, je vous en prie messires.

- Vous avez raison Hubert. Concède Athanase en se réinstallant confortablement. Ma dame, la Couronne a décidé de vous faire une offre. Le Grand Chancelier marque un temps d’arrêt, ses yeux fondent sur Louise, ses comparses posent à leur tour leurs regards sur elle. Nous souhaiterions vous nommer Émissaire de la Couronne auprès des nains du Zagazorn, vous serez ainsi la gardienne des intérêts du Royaume quant à nos relations avec le Nord. En acceptez-vous la charge ?

Et le silence retomba dans la pièce, alors que les regards scrutateurs des hommes de la régence étaient tournés vers la Dame de Fernel. Tous suspendus à ses lèvres, la discussion bien qu’à nouveau paisible, marquait l’ambiance d’une tension certaine.

L’ambiance est sensiblement différente du précédent conseil, elle perçoit des sourires alors qu’elle avance tranquillement vers le siège indiqué par le Grand-Maître de l’Arcanum et qu’elle s’y installe, non sans se poser soudain une myriade de questions. Que se passe-t-il ici ? Le semi-elfe semble enjoué, le chancelier affiche une belle humeur, il semble que l’heure soit presqu’à la joie, si on excepte la mine de chat fâché du Grand-Amiral ainsi que du Vice-Amiral. Les propos glissés à son oreille par Ascilin apportent un semblant d’éclairage, illustré par les mots soudain échangés devant la châtelaine sans aucune retenue.

Louise ne peut s’empêcher de couler un regard parfaitement perplexe au semi-elfe. Qu’est-ce que cela signifie ? Les propos du Grand Chancelier et de l’Amiral flanqué de son Vice-Amiral sont virulents et ressemblent plus à de polies fourberies qu’à un réel et positif échange. Un malaise l’étreint quelque peu alors que l’Amiral se redresse, le front rouge, la main posée sur son épée. Par réflexe, la main de Louise cherche la sienne également… et ne trouve rien. Une légère grimace de contrariété traverse son visage un bref instant. Sa lame est repartie vers Fernel avec Enguerrand. Et Louise déteste se savoir sans armes…il lui faudra remédier à cela au plus vite. Elle n’a plus d’escorte après tout.

Cela étant, la tension se dissipe en un claquement de porte rageur qui la fait toussoter sur son siège, afin de dissimuler son embarras. Elle sent que cet éclat de voix est dû à sa présence pourtant elle reste parfaitement digne, juste un peu plus rose que lors de son entrée. Quelle mouche pique donc l’Amiral ?

Toutefois, elle n’a pas tellement le loisir de s’interroger à ce sujet. Le Chancelier vient de se rassoir et de l’apostropher directement pour annoncer le but de cette réunion. Tous les regards sont posés sur elle et elle, elle ne quitte pas les yeux d’Athanase, les paupières battant un peu plus vite.

- Émissaire de la Couronne ?

Elle les regarde un à un, avant de regarder un bref instant l’anneau d’or qui brille à son doigt. Un cheval cabré, un chêne y sont gravés. Fernel. Sa main tremble un peu. Elle ferme le poing, pour faire disparaître ce tremblement.

- Votre confiance m’honore mais, sauf votre respect Chancelier, vous me demandez de potentiellement accepter une charge dont j’ignore tout.

Au-delà de l’immense satisfaction qu’elle ressent sans pour autant la manifester pour l’instant, par modestie, elle sait aussi que si elle accepte, les répercussions sur sa vie seront énormes. Elle préfère donc, sagement, avoir toutes les informations possibles afin de prendre une décision éclairée.

- Pouvez-vous me donner des précisions quant à cette charge ? En quoi consiste-t-elle ?

Les hommes de la régence échangent un regard intrigué, cependant tous reviennent à la damoiselle du Nord lorsque le Grand Chancelier s’éclaircit la gorge.

- Et bien… Vous aurez la charge de représenter et défendre les intérêts de la Couronne et, si Néera le veut, de Sa Majesté, lorsque le Royaume se devra de traiter avec les nains du Zagazorn. Qu’ils se présentent à nos portes où qu’il vous faille vous rendre jusqu’en leurs terres. Explicite Athanase dont le regard cherche à plonger dans celui de la dame. Nous aurons très certainement à nous revoir plus régulièrement, car il y a des marges de manœuvres à définir dans les accords que vous aurez à négocier et défendre, et cela demandera l’expertise de certains d’entre nous.

Les hommes de la Régence opinent du chef. Tous ont l’habitude de discuter avec les diplomates et consorts, d’établir des stratégies sur le long terme et d’en discerner les fruits à venir, d’estimer les possibles et envisager l’impossible afin de louvoyer lors des négociations qui se présentent.

- Choisir de devenir émissaire est lourd de responsabilités, nous le comprenons. Il s’agit de la position la plus élevée dans la hiérarchie diplomatique. La Grand Chancelier dresse un index coupant court à toute interrogation. Point d’inquiétude cependant, vous ne serez pas seule et livrée à vous-même. La Couronne mettra à votre service ses diplomates, qui seront à même de vous accompagner et vous seconder dans vos missions selon vos besoins. Soyez-en assurée, ma Dame. En somme, vous aurez le rôle qui m'incomba lors de notre voyage à Kirgan.

Le regard d’Athanase peut bien plonger dans le sien, il n’y trouvera qu’une étendue limpide et claire, parfaitement posée et tranquille. Elle pose des questions parce qu’il lui semble tout à fait pertinent de les exprimer et que ne pas le faire reviendrait à s’engager sans être certaine de pouvoir honorer cette charge. Cela étant, elle est au moins rassurée, légèrement, sur un point : elle demeurera en Péninsule, ce qui est un point plutôt positif, son pendant négatif étant qu’elle devra, sans le moindre doute, prendre à nouveau la mer pour rejoindre le Zagazorn autant de fois que cela sera nécessaire. A cette pensée, son estomac se rebiffe quelque peu alors que son visage demeure impassible.

L’autre nouvelle est que, bien entendu, elle devra venir en la capitale bien plus souvent désormais, ce qui n’est pas sans poser un voile d’inquiétude sur le visage de Louise. Fernel est son bien le plus précieux, sa terre et elle y tient par-dessus tout. Elle gère l’ensemble du domaine toute seule et travaille dur, tous les jours de l’année, pour que tout s’y passe bien et que tout le monde reçoive son pain. Elle s’en est déjà par trop éloignée même si elle sait qu’Elazar fait sans doute de son mieux pour l’instant. Cela étant, il est âgé, n’est pas éternel et il n’a pas cette sensibilité des gens qu’elle déploie quand elle est chez elle. Il est froid et calculateur, elle est l’exact opposé avec ses palefreniers et les paysans. Et il ne sait pas parler aux soldats. Or, le souvenir de ces Drows dans les Monts d’Or est toujours bien présent.

- Fernel est une petite seigneurie mais j’ai toujours eu à cœur de gérer moi-même tout ce qu’il est possible de gérer depuis que mon père a rendu son Souffle. Fernel est chère à mon cœur. Bien plus que vous ne pouvez seulement l’imaginer. Si je dois m’absenter régulièrement, j’aimerais m’assurer qu’elle sera en sécurité, pour ma tranquillité d’esprit.

La châtelaine a – enfin – un léger sourire en accrochant volontairement le regard du Chancelier.

- Cela m’aiderait considérablement à envisager cette charge de manière sereine si je savais que je puis compter sur la Couronne en ce qui concerne la protection de ma seigneurie durant mes absences.

Elle sait très bien que le Duc de Serramire est tenu par son serment de protéger ses vassaux. Cela étant le Duc n’a pas répondu présent lorsqu’elle a eu besoin de lui et elle n’a absolument aucune confiance en Arnaud de Brochant.

Louise a un regard pour chacun des présents et reprend, toujours aussi posément :

- J’entends bien ce que vous m’expliquez, Chancelier. Si la Couronne consent à protéger Fernel lors de mes futures missions, alors je consens à mon tour à veiller sur les intérêts de cette même couronne et du Roi, si la Bienveillante le veut.

Les regards s’entrecroisent brièvement, légèrement surpris quant à la requête de la Dame de Fernel. Athanase lui-même s’interroge quelques secondes sur les motivations, ou tout du moins les pressions pouvant mener la ferneloise à une telle insistance.

- Ma Dame, la Couronne a une confiance pleine et totale en ces vassaux. Vous n’êtes pas sans savoir que là est le devoir de votre suzerain le Duc de Serramire. Son devoir. Insiste le Grand Chancelier en appuyant ces deux mots avec lenteur. D’aucun ne saurait y manquer. Et la Couronne saura s’en assurer, soyez sans crainte quant à ce sujet.

Les deux autres opinèrent du chef, soutenant Athanase dans ses paroles et par là même une position qu’ils se devaient de maintenir.

Louise n’a pas un seul mouvement à cette réponse. Tout au plus ses paupières battent-elles un peu plus vite. Ils sont surpris, et on le serait à moins. Si Louise pose cette demande, c’est parce qu’elle a d’excellentes raisons de le faire. Des raisons qui auraient à tout le moins du susciter un questionnement, un retour autre que celui qu’elle vient d’entendre. Et il n’en est donc rien. Elle les regarde tous, un à un, avant de sourire. Elle trouvera d'autres solutions.

- J’accepte votre proposition.