Frangine ! Grand Frère est là ! Où est ton fiancé ?! [PV Marc & Alicia]

La nouvelle a eu l'effet d'un ras-de-marée dans mon esprit mais aussi dans le château. J'ai aussitôt donné des ordres pour que les cuisines se tiennent prêtes à accueillir tout le monde. J'ai fait aérer et préparer les chambres de ma famille mais aussi celles d'invités si certains Seigneurs décidaient de rester pour la nuit. Une fois que tout fut lancé, je me suis assurée moi-même de la progression des choses, répondant aux questions de quelques serviteurs en proie aux doutes. Sans m'en rendre compte, je joue le rôle d'une véritable maîtresse de maison, position que j'ai acquise durant ce mois et demi sans autres maîtres que Marc-Aurèle et moi à la citadelle.

Les choses entre nous deux ont évoluées. Cette longue étreinte et la nuit du Seigneur dans ma chambre n'a pas fait progresser notre relation, bien que je les garde précieusement en mémoire. Cependant, mon fiancé agit presque comme si rien ne s'était passé. Il en a ressenti le besoin à un instant T et cela a été fini. Il a l'esprit trop préoccupé, j'imagine... J'essaie depuis de ne pas m'en formaliser et je lui apporte mon aide, comme promis. Nous faisons assez bien équipe, je trouve. Durant les dernières ennéades, j'espère l'avoir soulagé suffisamment pour qu'il parvienne à se reposer. En tout cas, cette fameuse nuit ne s'est pas reproduite.

Une fois que j'en ai fait assez et alors que j'apprends que la troupe est en approche de la citadelle, je me dépêche de rejoindre la cour. Magdeleine descend l'escalier à mes côtés, craignant sans doute que je tombe une nouvelle fois. Tout le monde est d'une grande précaution depuis ma chute mais je ne peux leur dire que leur protection est inutile. Alors je la tolère en silence.
Dehors, beaucoup sont déjà sortis et attendent. On me dégage un passage qui mène droit à Marc-Aurèle qui m'a devancé. Arrivant à sa hauteur, je lui souris, toute à ma joie. Aujourd'hui, je retrouve ma famille et mon fiancé est enfin délivré de ces responsabilités qui lui pèsent tant. Je me poste à ses côtés et laisse mes béquilles à ma suivante, mes cannes prenant la poussière dans un coin de ma chambre. Ainsi droite et digne pour retrouver tout le monde, le temps défile. Rapidement, les bruits de sabots résonnent sur le pavé et je sens l'excitation des retrouvailles monter en moi. Je saisis avec délicatesse la main de Seigneur de Terrefière et la serre, heureuse. Puis des silhouettes passent la grande porte et j'en reconnais quelques unes.

A peine Magnus met-il pieds à terre qu'il me réclame à sa façon. Je lui souris, amusée et folle de joie, puis je libère Marc-Aurèle pour tendre mes bras dans sa direction. Je veux le serrer contre moi pour m'aider à réaliser qu'il est bien là...

Comme tous les jours, Marc-Aurèle était occupé à travailler pour le Comté d’Arétria. Comme d’ordinaire, le Régent était surbooké. Comme d’habitude, il était assis derrière le bureau du Comte, et il lisait, tamponnait, signait, des tonnes de vélins et d’ordres divers. Sous sa régence, on ne pouvait pas dire que les choses allaient franchement mieux… Mais elles n’étaient pas pires qu’au départ de Magnus. Mais seulement quelques ennéades d’exercice n’était pas suffisant pour pouvoir réellement se démarquer. Et, à vrai dire, Marc-Aurèle ne souhaitait pas faire un meilleur travail que Magnus.

Les choses s’accélérèrent soudainement lorsqu’un messager vint indiquer l’arrivée très prochaine du Comte et de tous ceux qui le suivirent dans son aventure Diantraise. En un instant, tout le château se mit sur le pied de guerre : les servants préparèrent la grande tablée, les cuisiniers s’attelèrent à nourrir tout ce petit monde, les écuries furent préparées, les palefreniers lavèrent leurs brosses et leurs outils, les maréchaux-ferrants aiguisèrent leurs couteaux, et chauffèrent leurs forges, et toute la maisonnée s’anima aux rythmes des balais, des ramasses poussières et des éponges plongées dans des bassines d’eaux froides. Les minutes s’égrenèrent à une vitesse impressionnante.

Marc-Aurèle, lui, nettoya le bureau du Comte, et tria les documents. Les affaires récemment terminées étaient d’un côté du bureau, les affaires en cours, d’un autre côté, et les affaires à prendre en charge, d’un autre côté encore. De cette manière, et avec un peu d’explications, le Comte pourrait reprendre le travail du Régent sans que la chaîne décisionnelle ne soit rompue.

Lorsqu’enfin le temps arriva, Marc-Aurèle s’épousseta les habits, et se présenta dans la cour, presque le premier. A l’arrivée d’Alicia, sa promise, Marc-Aurèle lui offrit un sourire fatigué. Lorsque cette dernière lui prend la main, le régent se laisse faire, et offre une très légère étreinte : il était encore inquiet. Magnus avait la fâcheuse manie de donner toujours plus de missions au seigneur de Terrefière, et peut-être que son aventure Diantraise avait pu faire naître d’autres projets épuisants pour le petit seigneur, et actuel régent.

Lorsqu’enfin le Comte descend de son carrosse, lorsqu’enfin sa voix de fait entendre et que sa très haute silhouette est visible de tous, Marc-Aurèle se sent… Soulagé. Les bras de sa promise se tendent vers lui, sa main quittant celle du Régent, et ce dernier fait ce que tout le monde fait lorsqu’un suzerain est de retour : il baisse le visage, et met un genou à terre.

Protocole, protocole, protocole… Celui du régent, qui se retrouve face à son suzerain revenu jusqu’à son trône, et qui, donc, reprend sa place qui lui revient de droit. Celui du vassal, face au seigneur local, celui à qui il doit allégeance. Celui du chevalier, face à celui qui l’a adoubé… Marc-Aurèle, seigneur de Terrefière, vassal des Terresang depuis des lustres, Premier-Conseiller, Régent d’Arétria, Chevalier Arétan… Epuisé par tant de missions relevées et acceptées au nom de l’honneur.

Il n’avait absolument rien vu lorsque, un genou à terre, toutes et tous autour et derrière lui imitèrent le geste. A cet instant, lorsque son visage se tournait vers le sol… Il ferma les yeux. La fatigue manqua de le faire chuter, mais il se devait d’être digne, fort et fier… Alors, il lutta… Jusqu’à-ce que Magnus n’ordonne ce qu’un souverain ordonne : que son vassal ne relève le regard et le genou.

Chose qu’il fit bien rapidement, comme ordonné. Reportant un visage blême et des traits tirés, des cernes sombres et des yeux creusés, ce dernier fut bien rapidement recouvert par la main gantée de l’imposant Comte dont la taille toisait celle de certains Elfes.

En deux ou trois quarts de cercles et demi-cercles, le Comte mit tout le monde au pas : invités, vassaux, serviteurs, servants… Et Marc-Aurèle en dernier lieu. En signe d’accord, le petit seigneur local inclina la tête, indiquant avoir compris sa mission.

Sans se faire prier, le régent fit un demi-tour quasi militaire, et, s’assurant d’être suivi par l’autorité locale tout d’acier vêtu, il le mena… Dans ce château que le Terresang connaissait bien mieux que le Terrefière. Les coursives menaient aux allées, les allées aux couloirs, les couloirs aux vestibules, les vestibules aux bureaux… Et au bureau Comtal, qui, fort heureusement, avait été nettoyé en vitesse « Grand V ». Le bureau était impeccable, les tapisseries également, et la pièce avait été aérée tout le temps de la cérémonie, et refermée juste avant que le duo seigneurial n’entre… Au moins, Marc-Aurèle avait su gérer une organisation quasi militaire de la maisonnée. Laissant entrer le Comte en premier, Marc-Aurèle referma les portes de ce boudoir Comtal derrière lui, et, une fois sûr et certain que le sceau de la confidentialité condamnerait ces discussions feutrées, il débuta.

Il lui parla alors de tout : de Lün, alimentée, sécurisée, purifiée des derniers reliquats de ceux qui en furent une ville de damnés. Il parla des bandits de grands et de petits chemins, notamment de ce Drarik, qui fut prisonnier, torturé, afin qu’il parle des survivants de sa terrible bande. Marc-Aurèle indiqua alors toutes les décisions qu’il avait dû prendre : détruire les lieux, emprisonner, condamner et exécuter. Choses qui furent faite sans pitié, mais, toujours, dans l’analyse des meilleurs bénéfices pour le Comté.

Mais les choses ne s’arrêtaient pas là : Marc-Aurèle parla des récoltes, des stocks de grains, de céréales, de graines pour les récoltes futures, des résultats pour les récoltes et les moissons tardives ; de la pêche et de la chasse, des traques faites aux quelques braconniers qui tentaient encore de se servir dans les forêts et les biomes locaux. Au travers de ce topo, Marc-Aurèle ne cacha rien, absolument rien des mesures prises pour tout le Comté : les régents avaient reçu ordre de ne point festoyer outre mesure, le gâchis avait été sanctionné jusqu’ici par une taxe un peu spéciale assurée par les percepteurs Comtaux, les plats servis au château étaient peu variés, mais surtout, sans aucune opulence.

Enfin, Marc-Aurèle fit un compte-rendu des audiences, des plaintes, des complaintes et des demandes diverses, constructives ou de justices, réalisées par les différentes guildes Arétanes. Les bûcherons, les paysans, les agriculteurs, les éleveurs, les ferronniers, les forgerons, les archeries, les bâtisseurs… Tous les corps de métiers, sans aucune exception, furent reçus à la cour par Marc-Aurèle en personne, afin que tout soit dit, que tout soit entendu, que tout soit analysé… Que tout soit décidé.

Ce topo ne dura pas moins… De trois heures pleines et entières… Mais au moins, tout était connu du Comte, y comprit l’organisation mise en place par son fidèle vassal.

J'embrasse tour à tour mes frères avec bonheur. C'est une joie personnelle pour moi que de les retrouver, même si je pense aussi à Marc-Aurèle et au soulagement qu'il doit ressentir. J'accueille sans plaisir la boutade de Magnus quant à l'état de mon fiancé. Je suis triste et désolée qu'il en soit arrivé là. La plaisanterie n'est pas vraiment drôle à mes yeux car même si je n'ai vécu l'épuisement physique et moral du Régent que par empathie, je ne vois rien d'amusant dans ce qu'il a subit par loyauté envers mon frère. Cela l'a conduit à braver un interdit en me quémandant une étreinte dans un lit pour l'aider à trouver le sommeil. Nous avons évité la honte de justesse à l'aide d'une porte entrouverte et j'ai dû passer la nuit dans un fauteuil...

Mais déjà, Magnus réclame à s'isoler avec mon fiancé et je perçois cela comme un rapt autant que comme une mise à l'écart. Sans doute ignore-t-il que j'ai assisté Marc-Aurèle dans sa tâche ces dernières ennéades et peut-être ne le saura-t-il jamais. Cependant, j'ai une toute autre mission à accomplir, même si le Comte ne m'a pas expressément demandé de m'en charger. Mais si le Seigneur de Terrefière est toujours Régent, alors je suis toujours la maîtresse de maison... Aussi, après avoir retrouvé Thorus et mes sœurs, je convie tout le monde à me suivre dans la grande salle qui a été préparée en hâte pour les recevoir. Le repas est aussi animé que bruyant et j'essaie de jouer mon rôle tout en guettant la porte principale mais aussi les entrées dérobées, espérant le retour des deux hommes les plus importants de la journée.

Au bout de quelques heures, n'en pouvant plus, je demande à mon frère de bien vouloir m'accompagner pour prendre l'air et nous sortons tous deux discrètement. Dans cette petite cour intérieure que j'affectionne tant, nous nous retrouvons soudain isolés du brouhaha dans lequel nous avons baigné tout ce temps. L'air frais sur mon visage me revigore aussitôt et j'en remplis mes poumons.
Je suis peut-être un peu comme Marc-Aurèle au fond... J'aime la quiétude et, maintenant que je peux y goûter, je réalise que la vie mouvementée de la citadelle ne me convient pas forcément. Après quelques instants, je rompt néanmoins le silence.

-Comment était Diantra ?

Le pose sur mon frère un regard assez peu équivoque. Je ne suis pas en train de lui parler des festivités et du décorum. Je veux savoir les grands évènements ainsi que les raisons pour lesquelles notre famille n'est pas au complet en ce jour. Ou toute autre information que je devrais connaître. Je m'apprête à devenir Dame (sous peu je l'espère) et je tiens à me tenir informée dorénavant.

Dans les missives que j'ai traité pour Marc-Aurèle, j'ai appris ce qu'il s'est passé à Langehack et quelle guerre menaçait peut-être mon mariage avec lui. Les noces ne seraient pas repoussées mais je ne l'aurais eu que peu de temps pour moi avant qu'il ne doive partir au front. Fort heureusement, ce projet n'est plus d'actualité pour l'instant mais je redoute les nouvelles qu'apporteront Dame Louise dont je me souviens la visite. Elle semble être une femme forte et indépendante. Je ne sais pas vraiment si je l'admire ou si je suis triste de la savoir seule contre tous en tant que Seigneur de sa propre terre.

La nouvelle du malaise de Magnus me surprend bien davantage et je ne le cache en rien à celui qui a joué le rôle de père pour moi depuis toujours. L'inquiétude marque désormais mes traits. Il reprend son poste à Arétria alors qu'il a traversé une telle affliction et qu'il vient de faire un long voyage ? Thorus me rassure un peu en m'apprenant qu'il va prendre le relais pour lui permettre de se reposer mais je ne suis pas naïve. Je sais que, désormais, il va devoir se montrer plus prudent avec sa santé et je prends le temps de m'asseoir sur le muret qui se trouve près de nous pour accuser le coup après cette nouvelle. Il me demande de garder le secret et je me contente de hocher la tête, le regard ailleurs.
Mon frère m'apprend finalement pourquoi seulement la moitié d'entre eux sont rentrés. Tout le monde est éparpillé à travers le Nord du Royaume... Cela ne nous est jamais arrivé. Que les hommes soient absents, oui. Mais les femmes... Mes sœurs... Mes neveux... Tout change... Je vais me marier et quitter le foyer que j'ai toujours connu, il est vrai, mais il n'y a pas que cela. C'est vraiment la fin d'une époque qui s'annonce. Nous sommes deux à prendre époux, Harven entame son apprentissage en vue de devenir un jour Comte. Valendra entre à son tour dans le monde.

La main de Thorus posée sur moi me fait enfin relever le regard vers lui. Il s'est passé tant de choses pour eux que les nouvelles d'Arétria me semblent bien faibles en comparaison. Cependant, il s'est malgré tout produit certains évènements notables. Alors, je me reprends et entreprend de lui raconter ce qui me vient à l'esprit.

-Eh bien... Marc-Aurèle a rempli sa mission avec brio, mais au prix de sa santé, comme tu as pu le remarquer. Il n'y a que lorsqu'il s'est retrouvé parfaitement épuisé qu'il a daigné me laisser l'aider dans sa tâche. J'ai lu des courriers, préparé des réponses... J'ai tenté de le soulager en lui faisant gagner du temps, en somme. Et puisque la question du mariage est suspend de part votre absence, et la guerre qui menace... Je n'avais plus vraiment de raisons d'y accorder autant d'énergie qu'avant.

J'en viens à me demander s'il aura vraiment lieu un jour... J'ai tût ce désir pour ne pas en encombrer Marc-Aurèle, et ce depuis le début, mais plus encore pendant sa Régence. Je l'ai évidemment entretenu au sujet des préparatifs mais de moins en moins au fil du temps. Puis cela n'a plus été le sujet lorsqu'il est venu me trouver pour réclamer ma tendresse et que j'ai su qu'il était à bout.
Mais certaines pensées m'assaillent soudain. Si Magnus a été si mal en point, lui qui a pourtant participé à nombre de combats, alors comment réagira-t-il s'il apprend ce qu'il s'est passé autour de moi en son absence ?... Mes sentiments à son égard sont ambivalents mais les siens sont clairs et je m'inquiète d'autant plus de sa réaction.

-Thorus, penses-tu parvenir à faire en sorte que notre frère n'apprenne pas certaines choses ? Je craignais sa colère et je m'en serais accommodé mais, à présent, j'ai peur que, s'il le découvre, cela lui fasse surtout du mal... Et c'est la dernière chose que je souhaite.