Apprendre encore [solo]

Première énnéade de Verimios. 19:XI

Alëandir, terrains d'entrainements

-Comment c’est ?

Il y avait un soldat appuyé près de la rambarde qui délimitait une partie des abords sur terrain d’entrainement lëandrin. Comme fasciné par le spectacle devant lui, il ne s’entrainait pas, laissant sa lourde épée aux côté de son équipement d’entrainement qui semblait tout de même déjà avoir servi toute la matinée.

En face de lui il y avait le lancier auquel il venait de poser une question. Lui en revanche s’entrainait encore face à un mannequin de bois. Ayant compris de quoi le soldat voulait parler, le grand elfe roux prit un instant pour réfléchir. Machinalement il fit tourner le sujet de la discussion du moment dans sa main, comme pour la tester une dernière fois.

-Léger. Aegden sembla hésiter sur ses mots.

D’une seule main, il la fit danser dans l’air qui se fendait en sifflant. Le mannequin pourtant à quelques mètres de lui grinça et protesta, déjà marqué par quelques balafres issues de coups fantomatiques.

Depuis qu’il était revenu en Alëandir, tout de même après avoir pris un temps pour son fils qu’il n’avait que trop peu vu, Aegden n’avait eu de cesse de chercher à compenser la perte de son arme favorite au profit d’une nouvelle. La puissance qui résidait à l’intérieur du bois vivant ne justifiait pas de se reposer sur de quelconques lauriers. Le soldat voulait être capable de maitriser Ailagos à la perfection et non être absolument à la merci de sa magie.

L’arme était littéralement construite à sa mesure. Par conséquent il conservait un net avantage. Pourtant, son équilibre parfait restait différent de celle qu’il avait tenu des années durant. La longue lame d’un blanc bleutée n’était pas tout à fait de la même forme et son talon non plus. Sa qualité meilleure lui donnait aussi une précision plus nette. Même sa prise en main était finalement un brin différente. Bref, Aegden, en excellent lancier qu’il était, en saisissait son potentiel mais devait encore dompter l’objet, comme un mage qui changeait de focaliseur pourraient-on dire. C’était là une question d’habitude que seul le temps et l’effort comblerait.

Un néophyte n’y verrait probablement pas de différence, mais au niveau des soldats d’élite de l’armée elfique, elle était pourtant bel et bien là. En tant que mainyth, il exigeait parfois beaucoup de ses hommes, alors il était naturel qu’il en exige tout autant de son côté. Alors les dernières ennéades l’avaient vu redoubler d’effort encore une fois.

-Je la sent presque…vibrer dans ma main. Une nouvelle passe d’arme fluide fit frémir les alentours d’une brise glacée. C’est un peu étrange.

Il s’agissait là de la principale sensation inconnue pour le lancier et à laquelle il devait apprendre à s’habituer. La puissance brute sous le bois sombre semblait vouloir s’exprimer avec force au fil l’énergie magique qui s’y accumulait et attendait d’enfin être relâchée. Cela demandait au mainyth d’adapter un peu sa façon de tenir l’arme, et de la faire danser. En fonction de ce qu’il cherchait à faire, il devait être plus bref ou plus fluide encore qu’il ne l’était déjà. Plus habile.

-Tu t’en sort plutôt pas mal. Commenta pourtant son camarade. Ça fait combien d’heures que tu martyrise ce pauvre mannequin d’ailleurs?

-Je veux être sûr de ce que je fais. Hors de question d'être dangereux pour vous.

Étant soudain curieux en observant l’air brumeux s’agiter autour de la lame, il eut une idée. La première fois qu’il avait testé Ailagos, cherchant à savoir où elle pouvait aller, Malgelir était présent et avait bien faillit finir à l’infirmerie par un geste maladroit qui l’avait envoyé paitre sèchement. Mais et si ce geste était maitrisé…

Cessant de s’en prendre directement au mannequin, le commandant fit alors virevolter l’arme près de lui entrainant son corps dans la trajectoire élégante de l’arme. La poussière et la brume soulevées autour créèrent quelques arabesques d’air autour du soldat qui fit durer son manège une, deux, peut être trois seconde, avant de laisser l’énergie guider la lame. Une puissante vague rendue tranchante par la pression relâchée projeta le pauvre mannequin en arrière. Celui-ci profondément tranché d’une épaule à la hanche vint éclater contre quelques arbres un peu plus loin. Le soldat situé tout prêt eut le réflexe de lever une main devant lui pour se protéger de la rafale l’autre se tenant à la rambarde pour ne pas basculer.

-D’accord Aegden ! Finit-il par lâcher après un sifflement impressionné. Il frappa dans ses main avec humour. Heureux si je ne suis pas en face de toi la prochaine bataille...

-Toujours à t'en prendre à cette pauvre cible ?

Tandis qu’Aegden s’efforçait de répéter encore et encore les même quelques passes, la voix qui avait résonné dans son dos sembla lui faire reprendre conscience du reste du monde. Surpris, il fit volteface pour accueillir l’élémentaliste à l’air enjoué.

-Non j’ai changé. Le premier à finit contre un arbre. Joua-t-il le jeu en reprenant du début son exercice. Mais celui-là doit s’attendre au même sort j’en ai bien peur.

-Hm je vois… Malgelir vint s’appuyer contre une racine haute. Et tu n’as toujours pas essayé à te mesurer à autre chose que du bois depuis la dernière fois ?

-Elle ne t’as pas suffi cette fameuse dernière fois ? Un rire. J’aimerais savoir jusqu’où elle peut aller avant de risquer d’envoyer quelqu’un aux hospices pour de bon…

-C’est mon sort à l’intérieur de ton arme. Répondit un Malgelir drapé de son orgueil de mage de guerre. J’ai simplement été surpris mais je devrais pouvoir le stopper bien avant qu’il ne m’atteigne. Il ajouta avec une lueur joueuse dans les yeux, sa main d’arme levée et prête à incanter. A moins que tu aies peur de m’affronter une seconde fois pour le prouver, commandant.

Ainsi tout naturellement l’un avait relevé le défi de l’autre. L’échange se fit d’abord mesuré et empreint de retenue mais rapidement les deux elfes avaient su intensifier leur duel. Au fur et à mesure que l’un et l’autre apprenaient à comprendre comment l’arme du lancier réagissait, ils trouvèrent leur marque et poussèrent peut à peut leur limite à bout.

En tout cas c’est ce qu’ils crurent.

Se jouant des constructions glacées que Malgelir érigeait soudain comme une myriade d’épines protectrices, Aegden fit tourner Ailagos dans sa main. Alors, les aiguillons fondirent et le vent qui se leva fut rattrapé in extremis. Pourtant les arcanes vibrèrent encore une fois et l’air dansa soudain d’une toute autre façon. Au lieu d’attaquer, la brume forma une barrière sifflante autour du lancier qui leva ses mains devant lui décontenancé.

-Alors ça c’est pas du jeu…

-c’est nouveau surtout…Ageden haussa un sourcil.Qu’est-ce que tu viens de faire ?

-Je ne sais pas plus que toi. C’est toi qui vient de faire ça. Il désigna la lance dans la main de son ami. Il y a quelque chose d’anormal avec elle.

-Oui j’avais remarqué.

Il n’y connaissait pas grand-chose à la magie. Même s’il avait fait quelques progrès ces dernières années, cela avait toujours été son point faible. Pourtant là même lui comprenait que ce qu’il venait de se passer n’était pas un phénomène attendu. Malgelir lui demanda de répéter ses gestes précédents et il s’exécuta. D’abord la lance fit ce qu’elle était censée : l’air dansa autour du soldat. Puis, un mouvement sec provoqua une nouvelle barrière aerienne.

-Donne moi ta lance.Cette fois, il avait froncé les sourcils. Mes compétences théoriques sont limitées, je ne comprends pas ce que je perçois.

-Et moi alors…Désarmé le soldat croisa ses bras contre son torse.

-J’imagine que tu te passeras sans souci d’un cours sur comment fonctionne la magie. Sans même ôter son regard de l'arme, il sût que son camarade avait acquiescé. Alors contente toi de te dire que tu tiens une sacrée anomalie entre les mains. Il y a comme…deux magies qui coexistent.

-et ça c’est impossible ?

-Si tu comptes rester en un seul morceau oui.

Aegden ne répondit rien, fixant simplement l’étrange lance que son camarade examinait lui aussi sous tous les angles comme s’il s’agissait d’une véritable bombe. Malgelir se mit à tant bien que mal imiter les mouvements du lancier, obtenant un résultat semblable encore une fois.

-Je crois que Cëlebren avait mis la main sur autre chose qu’un bon archemage… C’est la lame l’anomalie. Je la sentais depuis un moment mais c’était faible et je ne suis pas un érudit, ça me semblait normal. Il secoue la tête. Mais il n’y a rien de normal là dedans Aegden.

Le mainyth passa sa main sur son visage.

-Heru Fayendïl nous l’aurait dit non ? Seul un haussement d’épaule lui répondit. Il doit bien y avoir une explication quelque part.