D'or et de pourpre [Alyna]

4ième énnéade de vérimios 19:XI
Soieries de Thaar, les Balcons Rouges

Le soleil commençait à peine à décliner ce jour-là lorsqu’on se présenta aux portes des Balcons Rouges. L’homme élégant qui se tenait là n’avait envoyé aucune lettre pour prévenir de cette visite inopinée, ni jamais donné aucun signe. Pourtant, seul mais avec l’aplomb de ceux nés puissants et qui le savaient, il demanda à ce qu’on le mène rapidement à la maitresse des lieux lorsqu'il fut devant les gardes qui gardaient l'imposant palais. D'une voix forte et claire, il se présentait comme l’héritier de la maison Ley’alnen, une riche famille de marchands Thaarie dont le patriarche avait la réputation d’avoir les dents particulièrement longues depuis quelques années. L’homme à la porte clamait qu’il avait une offre unique à proposer à la princesse des arts et qu'elle devait l'entendre ce jour même.

D’ailleurs sous son bras et certainement sans coïncidence, il tenait précieusement un épais carnet de cuir remplis de parchemin de différentes tailles et différentes qualités mais dont le contenu n'était pas encore visible.

Mais pendant que le grand blond accaparait l’attention avec talent comme s'il l'avait fait toute sa vie, à l’arrière de la propriété, une petite femme bien plus discrète s’était perchée sur la corniche d’une fenêtre, jouant discrètement avec la serrure jusqu’à entendre le cliquetis salvateur qui lui ouvrirait les portes de ces oasis dorées. Alors, une petite moue amusée sur le visage, elle fit signe a son compagnon plus inquiet en contrebas et entra tranquillement. Tout les regards se tournaient ailleurs que sur le duo et ils comptaient bien en profiter.

Les draps rouges vibrent sous les assauts du vent, se trémoussent, virevoltent. L’étoffe claque, s’enroule et se froisse avant de s’agiter au gré de l’air. Les Balcons rouges demeurent silencieux, comme une bête assoupie, mais dont le souffle chaud fait jaillir les soieries des multiples fenêtres en hauteur, tels les étendards criards de la princesse de l’art.

Devant les portes, les deux gardes observent le nouvel arrivant avec un certain mépris. Puis lorsqu’il se présente, l’un d’entre eux pénètre dans la demeure avant d’en ressortir quelques minutes plus tard. Il adresse à son compère un signe de tête et sans un mot, l’homme est convié à pénétrer dans les lieux, escorté par le plus jeune des deux.

La salle qui se présente est vaste et regorge de soieries et rideaux pourpres qui tombent du haut plafond et des nombreux balcons. Un mobilier luxueux compose l’endroit et de nombreuses peintures ceignent les colonnes de marbres blancs, telles des couronnes brillantes enserrant le front noble des rois. Là où d’ordinaire courtisanes et hommes de peu de vertu festoient avec frivolité, il n’y a que le calme et la tranquillité. Quelques hommes en arme patrouillent, de même que certains serviteurs vaquant à leurs tâches, mais rien ne vient troubler le silence qui semble s’être emparé de ces lieux. Rien, si ce n’était le nouveau venu.

Les regards se tournent vers l’intrus : certains sont froids, d’autres empreint d’une certaine pitié. Avait-il été convoqué par la princesse ? Croyait-il pouvoir se servir d’elle en usant de son nom ? En grimpant les marches qui mènent aux étages supérieurs, l’opulence et le luxe deviennent de plus en plus ostentatoires. L’or côtoie l’argent, et de nombreux bijoux gisent sur les quelques meubles et divans disposés aux quatre coins des pièces. Une tiare de jade trône même sur l’une des tables de marbre sans que personne ne la surveille. Néanmoins le regard du garde qui accompagne l’invité demeure des plus scrutateur.

Au troisième étage, le garde ouvre une large double porte, où plusieurs autres gardes l’attendent. La pièce est garnie d’étoffe de grande qualité et les rideaux cramoisis provenant des différents points de l’endroit claquent au rythme du vent qui souffle des larges fenêtres ouvertes. L’un des gardes l’accompagne sur le balcon où l’attend une femme. Mais ce n’était visiblement pas celle qu’il attendait.

Colosse vêtu de métal de haut en bas, Kalrias, la Bête d’Essalia, observe le nouvel arrivant derrière son heaume qui ne laisse voir que ses prunelles argentées. La drow au service d’Alyna fit quelques pas dans sa direction et lance d’une voix claire.

– Parlez.      

Alors que l’attention des Balcons est tournée autour du nouveau venu, le duo parvient à s’infiltrer dans la demeure de la princesse. Face à eux, un large couloir avec des multiples portes, la plupart étant entrouvertes et occupés par quelques serviteurs qui les nettoient. En y jetant un coup d’œil plus précis, ils s’apercevront qu’il s’agit là de simples chambres pour d’éventuels invités. Quelques pièces d’or peuvent y être trouvées, mais rien de bien satisfaisant pour des voleurs de grandes renommées.

Un escalier peut être visible au fond du couloir, là où un garde semble plus ou moins assoupi. Une ronde passe une fois toutes les dix minutes, ne manquant pas à chaque occasion de réveiller le dormeur. L’évidence semble de mise : pour de plus amples richesses, les voleurs devront monter…

-Hé bien…

Ren était surpris par tout ce manège mais il ne se démonta pas pour autant. Il avait grandi parmi les marchands et leurs excentricités. Il était celui des trois compagnons qui prenait le moins de risques ici. Et il se fichait bien d’attirer les foudres de la princesse marchande sur le nom des Ley’alnen qui n’avait strictement plus aucune valeur à ses yeux depuis plus de quinze ans.

-Drôle d’habitude que de prendre la place de votre maitresse. Commenta-t-il nonchalamment faisant mine d’inspecter de la poussière sur un guéridon. Enfin si elle n’y voit pas d’inconvénient…

Jamais son père n’aurait accepté insulte pareille de son temps. Les conseillers n’étaient jamais rien de plus que des conseillers et ils n’avaient jamais étés autorisés à négocier seuls avec les invités et les partenaires de la famille. Même lui, en tant que premier fils n’y avait jamais eu droit. Enfin…vu comment ça avait terminé ça n’avait probablement pas été une mauvaise décision pour une fois.

-Je suis Renalt Ley’alnen, comme je l’ai déjà dit à vos charmants camarades. Veuillez accepter les sincères salutation de mon père et par ailleurs, avant toute chose il me charge de vous dire qu’il serait honoré de vous voir en tant qu’invitées de marques de la grande réception qu’il prépare en l’honneur de l’anniversaire de sa dernière fille, ma sœur bien aimée. Me feriez-vous l’honneur de le transmettre à votre princesse ?

Il y avait bien une fille cadette au sein de la grande famille des Ley’alnen et elle s’apprêtait tout à fait à atteindre tout juste ses 19 ans. En revanche Ren ne savait rien de plus de sa sœur, même pas son nom. Il n’avait appris sa naissance que par hasard à l’époque où il n’était encore qu’un adolescent fuyant pour un autre garçon. Il avait été surpris, heureux aussi quelque part. Il aurait aimé la rencontrer sur le moment. Mais le garçon qu’il avait suivi avait eu besoin d’aide et d’attention, alors Ren n’avait jamais pris le temps de chercher à connaitre cette étrangère. Les années avaient passés et elle n’était devenu qu’une hypothèse, un fantôme d’une vie que le blond avait abandonné sans regret. Il ignorait pourquoi ces souvenir revenaient maintenant, mais en jouant sur ce passé, il gagnait un peu de temps. Pas grand-chose, quelques minutes grappillées çà et là.

Ces quelques minutes n’en étaient pas moins précieuse pour le duo qui arpentait les couloirs avec une précaution extrême. Sans bruit ils se faufilèrent dans le dos du garde endormit, mais ils s’empressèrent tout de même de grimper les marches de l’escalier dans lequel ils se retrouveraient vite bloqués en cas de problèmes. La première pièces entrouverte et d’apparence vide, ils s’y cachèrent en attendant de repérer le mouvement des quelques gardes de l’étage. Et si au passage il y avait un bijoux ou deux qui trainait...Eh bien ils aideraient les serviteur à faire le ménage.

Les pas de Kalrias frappent le sol dans un cliquetis métallique, tel le craquement de la foudre venant déchirer un ciel d’encre. Elle s’approche lentement de l’homme, faisant grincer ses gantelets sombres alors qu’elle le toise d’un regard brûlant.

— Ma princesse, reprend la Bête d’Essalia d’une voix caverneuse qui résonne un long moment dans son heaume, sera bientôt là. Vous en revanche…

Son ton sec laisse entrevoir une menace à peine voilée. La claymore qu’elle porte sur son dos vibre légèrement lorsqu’elle se penche vers Ren.

— Pensez-vous que l’on rencontre la princesse simplement en agitant un nom à sa porte ?

— Il suffit Kalrias, lance une voix grave et typiquement masculine alors qu’émerge la silhouette d’un homme svelte. Vous offensez l’hospitalité de la princesse.

Le nouvel arrivant affiche un sourire poli et se dirige d’un pas tranquille jusqu’à Ren. Une barbe de plusieurs jours dévore ses jours pâles et ses cheveux sombres tombent négligemment sur son front. Le ton de sa voix est agréable : un ténor vibrant de chaleur qui contraste néanmoins avec la froideur de son regard calculateur.

— Veuillez excuser l’impertinence de la Bête d’Essalia, Renalt Ley’alnen, poursuit-il en désignant l’un des sièges qui parsèment le balcon. Je suis Vah Rohn, je me charge des affaires en l’absence de la princesse. Elle ne tardera pas à nous rejoindre, mais je vous saurais gré de prendre quelques rafraîchissements en attendant.

Il lisse son gilet mauve d’un geste élégant de la main avant de s’asseoir en face de son invité. Son sourire s’élargit lorsque plusieurs mets sont disposés devant eux. Pour ceux qui ne côtoient guère la princesse, le nom de Vah Rohn peut leur paraître étranger voir inconnu. Pourtant, son rôle est de ce qui soutient l’empire commercial d’Alyna Or'Siandbel. Il est son ombre, la dague dissimulée dans sa manche de soie…

— J’ai eu l’occasion d’échanger avec votre père l’ennéade précédente, confie l’homme en s’emparant d’une tasse emplie d’une boisson fruitée. Il m’a fait part de la maladie soudaine qui avait frappé votre sœur. S’est-elle finalement rétablie ?

Derrière eux, le crissement des poings de Kalrias ponctue sa question, comme le dernier glas d'une procession funèbre…

Le groupe qui investit les étages supérieurs tombe sur une nouvelle succession de couloirs avec plusieurs patrouilles d’hommes armés. Les rondes demeurent régulières, mais aisément contournables une fois en avoir pris la mesure et leur fréquence. Quelques bijoux gisent dans les chambres : topazes, bagues rutilantes et chaînes d’or, mais rien des plus satisfaisants pour des voleurs d’un calibre certain.

Au fond du couloir, néanmoins, le groupe tombe sur une conversation intéressante. La chambre où serait entreposé l’ensemble des richesses des Balcons rouges se trouverait dans l’angle de cet étage. Là, une lourde porte verrouillée et deux gardes feraient obstacle aux deux cambrioleurs avides.

-Comme c’est étrange. Ren se saisit d’un tasse emplie du même liquide que son nouvel interlocuteur. Ni père ni elle ne m’ont fait par du moindre mal ces derniers temps. Il sourit avec amusement. Sans doute aura-elle été indisposée sur le moment mais n’aura eu l’impolitesse de vous en faire part… Ma sœur est une fleur si délicate. S’il fait tourner le liquide fumant dans la petite tasse de porcelaine il n’en boit pas une goutte. On essaie de le piéger il en est quasiment sûr. Quoi qu’il en soit, soyez certain que notre invitation reste d’actualité.

Le bandit offre un nouveau sourire charmant à l’assemblée. S’il y a une chose dans lequel il avait toujours été doué c’est jouer de son apparence.

-Mais…Pardonnez mon indiscrétion. Peut être suis en train de déranger votre princesse ? J’en serais navré voyez-vous.  Il n’est pas bon de contrarier son hôte lorsqu’on lui propose une affaire après tout.

Et pendant que le blond battait des cils à n’en plus finir, le duo décida de mettre à profit les compétences de la pie voleuse menant l’expédition. Tranquillement, non  sans avoir au préalable vidé tiroir et coffres à bijoux, elle se décida d’approcher la salle la plus proche de leur nouvel objectif. Là, au lieu de monter un complexe plan visant à distraire les gardes, qui n’aurait mené au final qu’à les trahir, elle ouvrit simplement la fenêtre et se mit à jouer les équilibristes à travers les corniches et les diverses fenêtres. A la hauteur où elle était, il lui suffirait de ne pas trainer trop longtemps pour ne pas être repérée. Une fois certaine d’être au bon endroit, un bref coup d’œil à l’intérieur lui permettrait de vérifier si oui ou non l’endroit était tout aussi vide que le reste de l’étrange maisonnée.

— Comme c’est étrange en effet, reprend Vah Rohn en déposant lentement sa tasse sur la table. Il fait mine de balayer quelque chose de la main. Mais passons, ce n’est pas l’objet de votre visite d’aujourd’hui. Je remercie toutefois votre père pour son invitation. C’est fort aimable de sa part et la princesse saura s’en souvenir.

Un petit sourire étire ses lèvres cendrées et le silence s’installe entre les deux hommes. Il ne cherche pas à le rompre et le laisse courir un long moment, se contentant d’observer son compagnon de ses yeux sombres.

— Le thé ne vous plaît pas ? soulève soudainement Vah Rohn en brisant l’atmosphère inconfortable qui s’était abattue entre eux. Je vous assure qu’il n’est point empoisonné.

Il ponctue sa déclaration d’un rire discret, comme pour souligner sa plaisanterie, mais ses yeux demeurent graves. Ses dents se découvrent et il lève une main en direction de la tasse de son compère.

— Goûtez-le, insiste-t-il d’une voix plus ferme qui sonne davantage comme un ordre que comme une invitation, c’est le parfum préféré de la princesse.

Derrière Ren, le cliquetis de deux bras de métal qui se croisent crisse aux oreilles du jeune voleur, grinçant comme un avertissement face à un éventuel refus.

À l’étage, la pie voleuse parvint à bondir sur la corniche voisine, lui permettant de distinguer ce qui se trouve derrière la fenêtre embuée de la pièce. Et cette dernière manque de tomber dans le vide face au spectacle dont elle est témoin : une pièce gorgée de richesses, montagnes d’or pur et de joyaux étincelants qui semblent vibrer sous la lueur chancelante des braseros allumés. Le loquet qui verrouille l’accès à cette chambre n’est guère complexe et la voleuse parvient aisément à le faire cliqueter avant d’y pénétrer.

Ses pas sont discrets, mais son expression demeure avide à mesure qu’elle détaille les richesses qui composent la pièce. Diadème, bracelets d’émeraudes et coffret rempli de rubis, transporter tout cela à l’extérieur serait un vrai exploit. À mesure qu’elle s’interroge sur la valeur des objets qui capturent son regard, elle sent poindre dans son dos un regard insistant et brûlant.

— Ainsi des rats se sont introduits dans la tanière du dragon, lâche la voix langoureuse d’Alyna Or'Siandbel alors que son corps nu émerge de l’océan d’or dans lequel elle est immergée. Prenez garde mes petits rongeurs, car son souffle peut vous réduire en cendres…

-Vous avez raison ce n’est pas l’objet de ma visite. Un nouveau sourire poli. Ren posa distraitement sa tasse et reprit sur ses genoux son épais carnet. J’ai conscience que cela ne paie pas de mine à première vue mais nous somme certain Père et moi d'avoir décelée une des futures figures centrales du monde des arts de demains. Immédiatement, nous avons pensé à vous en faire part.

Le jacassement d’une pie au loin lui fit tourner la tête un instant avant qu’il ne retrouve le regard dérangeant de l’autre homme. Ren s’efforça de rester nonchalant malgré le profond dérangement qu’il lui inspirait. Heureusement que Viliam n'était pas là, ne pouvait-il s’empêcher de penser, lui qui détestait profondément ce genre de prise au piège mielleuses.

-Nous aurions apprécié si ce n’est la présenter, elle, ne serait-ce que faire part de son talent à votre maitresse puisqu’il s’agit sans aucun doute de la plus fine experte qui soit en ce domaine. D’où ces quelques dessins que nous vous offrons en cadeau. Certes ces supports sont terriblement médiocres mais comme toutes perles, il faut d’abord ouvrir l’huitre qui la renferme pour s’en saisir.

Si l’un des serviteurs se saisissait par chance desdits dessin, il y verrait en effet d’habiles portraits, parfois des corps entiers, dénudés ou non, tracés au fusain et à la mine de plomb. Ren ne mentait pas non plus sur le talent évident de la main qui leur avait délicatement donné vie. Avec quelques moyens et quelques murmures dans les bonnes oreilles, l’artiste aurait surement pu se faire un joli nom dans le monde des artistes bourgeois de Thaar.

-Cette femme est actuellement logée au sein de notre famille, mais j’imagine qu’un arrangement d’ami est possible. Une vente, ou bien un mécénat; en échange de quelques conversations bien placées, vous aurez sous votre aile le dernier joyaux qu'il manque à la couronne de cet empire.

Pendant qu’il parlait, Clarisse n’avait perdu aucune seconde dès lors que la voix trainante s’était faite entendre au milieu du tas d’or. Son petit visage s’était animé d’un air de surprise toute franche tandis que se saisissant d’une petite cassette emplie de rubis, elle sauta à nouveau par la fenêtre. Là, elle souffla dans un petit appeau imitant le bruit d’une pie bavarde, avant d’à toute vitesse rejoindre son point de départ et d’enjoindre son compagnon de fuir sans attendre. Les feuilles d’or venaient de se fendiller pour laisser entrevoir l’horreur tapissée en dessous.

— Intéressant, en effet, commente Vah Rohn en ne jetant toutefois aucun regard en direction des dessins. Ses yeux d’ébènes étincellent brièvement, toujours fixés sur la tasse remplie du thé fumant. C’est une proposition des plus intrigantes que vous nous octroyiez là, Renalt Ley’alnen, soyez en assuré.

Il fait un geste de la main en direction d’un serviteur qui attendait dans l’ombre et un plateau garni de confiseries est déposé entre les deux hommes. Il joint ensuite ses deux mains et dépose son menton sur celles-ci.

— Néanmoins, il convient de prendre en considération plusieurs éléments. Ses lèvres s’étirent en un sourire sinistre. Tout d’abord le nom de votre artiste, que vous ne m’avez pas communiqué, ainsi que ceux de ses éventuels maîtres. Il penche sa tête en avant et croasse sur un ton monocorde. Les noms, à l’instar de l’orfèvre qui façonne ses bijoux, sont essentiels dans le marché de l’art, car ils sont des références qui permettent d’évaluer correctement le prix d’une œuvre.  

Il laisse courir un bref silence avant de reprendre.

— Ne vous méprenez pas, le rôle de la princesse sera bien de jauger la mesure du talent de votre artiste, mais le mien demeure des plus ingrats : il est de rendre son travail des plus lucratifs, et ce, le plus rapidement possible. Les lois du marché sont des plus fluctuantes et elles sont bien souvent impitoyables. Il lève un doigt en l’air et ajoute en reprenant les termes de son interlocuteur. Il est clair qu’un joyau dont l’éclat serait plus terne que les autres affadirez l’ensemble. Nous allons étudier votre dem…

— Pourquoi attendre ? s’élève soudainement une voix claire et suave alors que les rideaux pourpres s’écartent.

D’un pas feutré, Alyna Or'Siandbel glissait sur le marbre blanc, un sourire aux lèvres, ses yeux verts rivés sur Renalt.

Elle observe l’homme qui s’est invité au cœur de sa demeure, détaille ses traits avec attention. Ses lèvres rosées s’écartent davantage, révélant son sourire parfait, figé sur l’expression d’amusement qui pétille au fond de son regard verdâtre. Ses pieds nus frottent le sol à mesure qu’elle rejoint Vah Rohn et l’Invité. L’Invité ? Ou bien l’Intrus ? La nuance renforce l’intensité des flammes qui embrasent ses yeux.

Ses bras dénudés rejettent en arrière ses mèches noires derrière ses oreilles ornées d’émeraude et elle passe ses longs doigts fins parmi sa chevelure, faisant cliqueter les chaînes d’or qui y ruissellent. Un simple drap de soie noire enserre son corps presque nu, épousant érotiquement ses formes alors qu’elle arrive finalement à la rencontre du nouvel arrivant. Elle s’empare du morceau de papier représentant les quelques ébauches de l’artiste et ses yeux papillonnent rapidement le long du document, notant les traits hâtifs, mais également la technicité du maniement du fusain.

Après à peine quelques secondes d’études, elle lâche sans égard les dessins qui volettent un moment avant de tomber au sol.

— La technique reste à parfaire, assène-t-elle en frôlant délicatement sa lèvre supérieure de son index, mais il faudrait être sot pour ne m’emmener que des croquis à la place de l’artiste lui-même. Cette personne n’a-t-elle que peu d’estime envers celle dont elle souhaite convaincre pour se cacher derrière votre présence ?

Ses yeux s’écarquillèrent.

— Ou votre présence ici n’est-elle qu’un prétexte pour dissimuler la présence de ceux qui ont tenté de percer ma salle des coffres ?

À ces mots, sa Bête tira son épée avant de la poser négligemment sur son épaule. Le regard de Vah Rohn s’assombrit et il leva une main, comme pour lancer un ordre silencieux. Tous dévisageaient Renalt avec une visible hostilité…

-Vous m’insultez ma Dame. Ren se leva, fit nonchalamment les cent pas, puis recula tout doucement, discrètement en direction de la sortie. Au nom de l’amitié entre nos maisons, ne réduisez pas ma famille à une bande de voleur à deux sous je vous en prie.

Clarisse devait avoir réussi à s’en sortir à présent. Il n’entendait plus l’appeau de la jeune femme au dehors. Cela voudrait alors dire qu’il était le dernier ici et qu’il n’y avait plus qu’un objectif : partir.

-Mais bien soit. Si tel est votre sentiment, Mathilda restera entre nos murs. Père sera déçu certainement. Ainsi va la vie. Affichant une moue quelque peu vexée, il gardait pourtant le même ton emprunté qu’il avait entendu dans la voix de ses parents des centaines de fois. Mais puisque ma visite tombe en même temps que de fâcheux évènements, le savoir-vivre me dicte de ne pas m’éterniser. Si vous aviez l’obligeance de me raccompagner, je ne vous importunerais pas plus. Évidement je vous souhaite tout de même de mettre la mains sur les fous qui ont osé s'en prendre à vous. Ma famille aussi en a souvent fait les affres quelques années en arrière.

Elle s’esclaffe d’un rire sans joie, mais néanmoins joueur. Elle s’approche de l’Invité qui recule, tel un rongeur s’esquivant à l’arrivée du félin.

— Je ne vous ai pas encore insulté, ô cher Invité, lâche-t-elle en tenant toujours le drap qui couvrait son corps cuivré que d’une main. Il ne s'agit que de simples suppositions. J’aime à croire que vous n’avez aucun lien avec ce malencontreux incident. Cela serait bien dommage...

Ses yeux émeraudes le dévisage, le dévore, comme si son visage était recouvert d’un quelconque met qu’elle raffolait. Sa langue rosée passe sur le devant de ses lèvres, hâtivement, à la manière d’un prédateur se félicitant d’avoir ferré sa proie et à la pensée du futur festin qui en découlerait.

— Restez parmi nous, mon cher, poursuit-elle en s’asseyant sur une chaise. Cet individu pourrait être un redoutable assassin qui vous voudrait du mal ! Je ne peux laisser impuni ce fâcheux événement. Patientons ici un moment et apprenons à faire plus ample connaissance. Au matin, je vous raccompagnerais auprès de votre père…

Elle croisa ses mains et reposa sa tête dessus avant de la pencher légèrement sur le côté. Un nouveau sourire étire son visage espiègle.

— Quelle chance vous avez ! fait-elle tout en affichant une expression de folie pure. Prolongez votre tête-à-tête avec la princesse !

-Oh je crains de devoir décevoir vos attentes une fois de plus. Ren soupire. Mon père attend de mes nouvelles et le contrarier serait fâcheux. Non vraiment ce serait une joie mais je suis contraint de repartir.Je doute que vos canailles aient le courage de revenir puisque vous semblez au courant de leurs méfaits. Et je doute encore plus qu'ils cherchent à s'en prendre à nos vies. La peur de la corde dissuade bien plus que la peur de se voir ôter une main si vous voulez mon avis.

Elle ne va pas le lâcher décidément… Ren se sent pris au piège derrière sa figure calme. Il n’aime pas ça du tout. Pour quelques bijoux…Qu’elle idée à la con il aura encore eut. Mais sans se démonter, il fait un geste vers la porte.

-Mais s’il vous plait, discutons pendant que vos…charmants compagnons me raccompagnent au dehors ? Un sourire étudié fend ses lèvres. Peut-être arriverais-je à vous faire changer d’avis concernant notre Matilda... Ose-t-il plaisanter.