Comment vont les enfants [PV Brannor]

Oglicos de la Première ennéade de Verimios
19e année du Onzième Cycle
En direction d’un dispensaire d’Alëandir

- Tigilidënya… un de tes fils dans chaque bras, tu lances à Kaëlistravaë, moitié agacé moitié amusé pourquoi est-ce qu’on s’inflige ça au juste ? On sait tous les deux très bien ce qui va se passer ?

- Alors dis-moi Elnoruì? elle te répond, sur le même ton Qu’est-ce que tu penses qu’il va se passer au juste ?

- On va aller au dispensaire et faire mine d’écouter ce qu’ils nous disent alors que l’on sait déjà que les enfants sont en parfaite santé et c’est avec un peu moins d’entrain que tu rajoutes et probablement devenir tous les deux extrêmement désagréables pour peu qu’ils nous disent quelque chose qu’on ne veut pas entendre.

- Certes. après avoir terminé d’enfiler une robe d’été blanche, Kaëlistravaë prend le temps de taquiner deux petits garçons qui ont l’air de bien trop s’amuser de vos querelles Mais au moins au l’aura entendu.

- Ënya, je pense qu’au point où on en est, tout Anaëh sait que nos enfants ont deux excellents Vitalistes pour parents. Je doute fort que ça contrarie qui que ce soit de ne pas nous voir régulièrement au dispensai...

- Moi ça me contrarie de ne pas y aller. elle rétorque avant de se diriger vers la sortie sans t’offrir d’autre solution que de la suivre On est leurs parents et c’est bien ça le problème. Qu’on le veuille ou non, notre manière de gérer les choses en sera naturellement biaisée.

- Du coup tu préfères aller voir un médecin dont on ne va de toute façon pas suivre les conseils ?

- Oui ! elle lance, exaspérée Comme ça au moins si – même si je doute que ça arrive – on se retrouve avec des observations contradictoires, on a un autre avis sur lequel se baser. On n’a littéralement rien à y perdre, alors je ne vois pas pourquoi tu t’obstines à faire barrage !

- Rien à perdre… tu murmures dans ta barbe …sauf la tête.

- Mamaaan ! Elorëa tire sur la robe de Kaëlistravaë pour attirer son attention Papa il recommence !

Un instant de flottement. Votre fille se met les mains sur la bouche. Vos regards à Kaëlistravaë et toi se croisent. Les pupilles de Salaedhel tentent de fuir le plus loin possible, tandis que celle de Hràvion essaient de se poser sur tout et tout le monde en même temps. Les joues de ta fille se gonflent. Et la maisonnée entière éclate de rire.

Tu avais beau souvent la charrier à ce propos, ton épouse n’avait pas tort. Vous étiez les parents de vos enfants, et à cause de cela, il était de nombreuses choses sur lesquelles vous pourriez ne pas être objectifs, ou ne pas vouloir voir la réalité en face. Et si vous espériez que la santé de vos enfants n’en soit pas une, la possibilité ne pouvait pas être mise de côté. Alors aussi bon médecins que vous étiez vous tous les deux, ravaler votre orgueil et les confier à l’œil de l’un de vos collègues était une nécessité. Heureusement jusque-là aucun de vos petits polissons n’avait eu le moindre réel problème, si ce n’est la légère fièvre qu’avait fait Elorëa durant la rémission d’une plaie qu’elle s’était faite en jouant de manière un peu trop… téméraire. Légère fièvre et plaie que vous aviez tous les deux refusés d’utiliser la magie pour soigner, que le corps de votre fille s’habitue à travailler seul. Une décision que le médecin auprès de qui vous étiez allés demander conseil n’avait pas forcément entièrement compris… ce qui avait tout sauf plu à ton épouse… qui en réalité avait été la seule, ce jour-là, à perdre son calme.

Vous recommenciez tout de même l’expérience aujourd’hui, espérant que les choses se passent pour le mieux. Surtout qu’aujourd’hui, l’humeur n’était pas aussi tendue qu’elle avait pu l’être par le passé. Tu commençais à te faire à la pression sur tes épaules, la routine du rôle d’Aran finissait enfin par s’installer. Et vos enfants eux-mêmes y avaient beaucoup gagné en tranquillité, car aujourd’hui eux avaient beaucoup moins à supporter la pression de deux parents attendant d’eux qu’ils comprennent les sacrifices qu’ils devaient parfois faire.
La situation était-elle parfaite ? Non. En tant qu’Heru Aran et Rîn Berith, vous continuiez – plus souvent que n’importe quel autre couple de parents – d’être sollicités hors de votre foyer. Mais malgré tout, vous trouviez le temps de faire du temps et de leur donner du temps. Du temps et de l’amour. À vos enfants. Comme tout parent aimant, vous restiez convaincus de leur donner plus d’amour que n’importe quel autre parent ne donnait d’amour à ses enfants. Et comme tout parent aimant, vous aviez raison. C’est en grande partie ce qui vous permettait de garder le sourire, alors que – jouant aussi silencieusement que faire se peut avec vos bambins – vous attendiez patiemment que vienne votre tour devant les médecins.

La tenue du jour:

« Nous allons au dispensaire ? Vraiment ? »

Brannor lui jeta un regard de biais.

« Pourquoi cela t’étonne-t-il autant, Gaelen ? Tu m’as demandé de t’enseigner la médecine et c’est exactement ce que je m’apprête à faire. »

Le jeune elfe fronça les sourcils, confus.

« J’ai dit que je voulais être un médecin de guerre, comme vous. Ne devrions-nous pas rester à la caserne… »

Il s’interrompit. Brannor maîtrisait l’art de faire comprendre aux gens simplement en les fixant qu’ils sont en train de dire quelque chose de particulièrement stupide et qu’ils feraient mieux de se taire.

« C’est ce que tu as dit. » Confirma Brannor sans ralentir le pas. Il avançait à grande enjamber et Gaelen devait pratiquement trotter pour rester à ses côtés. « Mais devenir médecin de guerre est une spécialité. Tu dois, avant tout, avoir une vue d’ensemble et maîtriser la base avant d’espérer aller plus loin et atteindre mon niveau. Je ne dis pas cela par arrogance, c’est la vérité et ça s’applique à beaucoup de chose. Tu vas en soigner des maux mineurs et conseiller des toniques pour les afflictions simples de tous les jours. Tu vas nettoyer des éraflures, réduire des fractures et bander des entorses dans un dispensaire avant de te retrouver sur un champ de bataille à faire exactement la même chose, mais dans un contexte qui te demandera un sang-froid extraordinaire. Pour que tu parviennes à faire ces choses sur un champ de bataille sans paniquer, il faut les repérer un nombre incalculable de fois préalablement pour qu’ils deviennent des réflexes. Ne soit pas impatient Gaelen. Tu as encore une longue route devant toi et beaucoup d’études. »

Quelques ennéades plus tôt, Gaelen s’était retrouvé sur le chemin de Brannor alors que celui-ci prodiguait des soins au commandant. Le médecin lui avait demandé de rapporter de l’eau, ce qu’il avait fait avec plaisir. À vrai dire, ça faisait déjà un moment qu’il rassemblait son courage afin de parler à Brannor. Des années plus tôt, il avait sauvé son père pendant une bataille. Il racontait souvent comment le médecin avait défié les ordres et risqué sa propre vie pour lui. Naturellement, ces histoires inspirèrent le jeune elfe qui décida qu’il voulait faire comme lui, mais ses ambitions furent rudement mises à l’épreuve lorsque Brannor se retira, frappé par le mal mystérieux qui emportait parfois les elfes. Il avait toutefois réussi à surmonter ses difficultés et son retour dans l’armée encouragea Gaelen à tenter sa chance pour aussitôt la gâcher par maladresse. Le médecin l’avait mis à la porte de l’infirmerie, furieux, et le jeune soldat cru que c’était la fin de son rêve. Quelle ne fut pas sa surprise quelques heures plus tard de voir Brannor se planter devant lui pour lui présenter ses excuses. La conversation s’était étirée et, à la fin, le médecin avait consenti à le prendre sous son aile. Depuis, Gaelen ne comptait plus les heures passées à étudier sous la tutelle exigeante du vieil elfe.

« Tu vas observer. Il est possible que je te pose des questions sur ce que tu vois, alors reste attentif. »

Brannor n’avait pas posé les pieds au dispensaire depuis un bon moment, mais il savait que sa présence ne dérangerait personne et qu’elle serait même très appréciée. Parmi tous les médecins présents, il était celui qui avait probablement le plus d’expérience et il espérait qu’on n’en profiterait pas pour diriger vers lui tous les cas compliqués.

Il préparait méticuleusement son matériel lorsque le roi de l’Anaëh en personne arriva au dispensaire accompagné de sa famille. Évidemment, ils furent accueillis comme il se devait avant d’être dirigé vers les médecins. Ces derniers, en voyant que toute la famille était là, comprirent rapidement ce qu’il en retournait. L’un d’eux fit signe en direction de Brannor qui, le dos tourné, ne savait rien de ce qui se passait derrière lui.

« Pardonnez-moi, vos premiers patients sont arrivés. »

Brannor et Gaelen se retournèrent d’un même mouvement. Le médecin vit d’abord le roi. Impossible à manquer, il dépassait en taille tout le monde dans la pièce. Son regard alla ensuite à sa femme puis aux enfants. S’il était surpris, rien ne se voyait sur son visage. Apparemment, il en faudra plus pour perturber le vieil elfe. Ce n’était pas le cas de Gaelen qui écarquilla les yeux comme s’ils menaçaient de jaillir de leurs orbites.

« Mon nom est Brannor. Voici Gaelen, mon apprenti. En quoi pouvons-nous vous aider aujourd’hui ? »

Les deux plus petits avaient fini par s’endormir. Vous n’attendiez pas depuis longtemps, mais si les choses étaient vraiment ce dont elles avaient l’air, vous attendiez quelque chose de particulier. Non, votre tour n’était pas encore venu, mais les œillades que vous jetaient les médecins du dispensaire laissaient à penser que là n’était pas la seule raison pour laquelle vous n’étiez pas pris en charge. Peut-être s’occuper de la famille royale était-il soudainement devenu plus intimidant que vous ne l’imaginiez… ou plus probablement, peut-être l’idée d’examiner les enfants de deux Vitalistes – l’une s’étant déjà montré fortement désagréable à cause du stress lié à la situation – ne leur était-elle pas particulièrement enchanteresse.

Parmi tous les guérisseurs présents, seul l’un d’entre eux – et l’elfe qui l’accompagnait – semblait ne pas faire grand cas de vous. Sans grande surprise d’ailleurs, car ni Kaëlistravaë ni toi ne le reconnaissiez de vos habituelles visites. Une « nouvelle » recrue. Un martyr à sacrifier à l’autel de vos exigences. L’idée t’avait arraché un sourire, partagé par ton épouse lorsqu’elle s’était rendu compte de ce à quoi tu pensais. Mais vous n’aviez pas eu le temps de profiter de ce moment de complicité que vous étiez déjà appelés. Les deux bambins endormi dans les bras, et Elorëa trottant joyeusement pour vous ouvrir le passage, vous vous étiez donc présentés à qui-de-droit.

- Visite de contrôle pour les petits. Kaëlistravaë entama sans plus de manières

- Lui c’est Hràvion, tu soulèves légèrement le bras droit et lui Saeledhel. tu répètes la manœuvre à gauche Ils ont fêté leur première année le mois dernier.

Tu baisses les yeux vers tes deux fils, ton visage se peignant du sourire satisfait d’un père bien trop fier de sa descendance, et lentement, les deux rejetons, à cause de l’activité reprenant autour d’eux, s’échappent au sommeil.

- Puis normalement si y’en a un qui est cassé ce sera Hràvion parce que c’est toujours lui qui fait n’importe quoi !

La main de Kaëlistravaë se pose sur le haut du crâne d’Elorëa pour lui chiffonner les cheveux, amusée.

- C’est vrai que Hràvion est un peu plus turbulent que son frère. elle se retourne en direction de sa fille Mais j’en connais une qui est encore pire !

- Non c’est pas vrai moi je suis sage ! Même que je me suis rien cassé ce mois-ci !

- Rëa… le mois a commencé il y a moins d’une ennéade ! tu lances un regard faussement désemparé en direction du médecin et de son apprenti Vous comprenez pourquoi on a besoin d’aide.

Brannor et Gaelen avaient bel et bien reconnu le roi des elfes et son épouse. Le premier ne montrait aucun signe apparent de surprise, le visage figé dans son habituelle expression détachée, presque indifférente. Le second, n’ayant pas du tout la même expérience, ouvrait et fermait la bouche comme un poisson hors de l’eau. Jamais il n’avait imaginé qu’en venant au dispensaire il y croiserait le roi et sa famille et voir que Brannor se montrait aussi indifférent le choquait presque autant.

« Les jeunes enfants peuvent être turbulents parfois. J’étais moi-même très curieux et je posais sans arrêt des questions à mes aînés. »

D’un geste de la main, il invita le roi à poser l’un des garçons sur la table pour qu’il puisse l’examiner. Le bambin, Saeledhel, était tout ce qu’il y a de plus adorable avec ses joues rondes et sa bouche en cœur. Évidemment, comme tous les enfants se retrouvant soudainement devant un étranger, il observait Brannor avec la plus grande méfiance. Le médecin sourit, opérant ainsi une extraordinaire métamorphose de son visage qui le rendait nettement plus sympathique. Avant aujourd’hui, Gaelen ne l’avait jamais vu sourire. Le médecin commença par l’observer. Ses yeux étaient clairs quoiqu’un peu endormis. Rien d’anormal, il dormait dans les bras de son père lors de son arrivée. Son teint ne montrait aucun signe inquiétant. À vrai dire, il paraissait en parfaite santé. Brannor présenta un doigt à l’enfant pour qu’il puisse le serrer et tester sa force. Satisfait, il tourna la tête vers Gaelen.

« Regarde dans le sac. Tu vas trouver une bourse. Donne-là moi, s’il te plaît. »

L’apprenti s’exécuta et donna la bourse au médecin qui en sortit un caillou tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Le jeune elfe cligna des yeux, sans comprendre.

« C’est pour vérifier sa motricité. » Expliqua Brannor, devinant sa surprise sans même voir son visage. Les parents voulaient sans doute savoir ce que le médecin avait en tête. « Pour toi, prendre un caillou c’est la chose la plus simple du monde, mais ce n’est pas le cas d’un jeune enfant. La dextérité se développe avec le temps. En le faisant manipuler de petits objets, je peux voir comment il utilise ses mains. Je fais également passer ce test aux adultes qui ont subi des blessures aux mains. C’est une façon de vérifier que la guérison se fait correctement et que le patient ne restera pas avec des séquelles. Les mains sont d’une extraordinaire complexité. Plusieurs médecins préfèrent se tourner directement vers la magie quand cela est possible plutôt que d’opter pour des méthodes plus traditionnelles. »

Le caillou dans sa paume, il le présenta à l’enfant qui devait le prendre. C’était un test simpliste en apparence, mais qui prenait tout son sens grâce aux explications.

« Il reste une dernière vérification à faire. » Sans prévenir, il attrapa le garçon par les mains et le souleva, l’obligeant à se tenir sur ses pieds. Brannor le laissa trouver son équilibre, puis baissa les mains, le laissant se tenir debout en prenant simplement appui sur lui.

« D’ici peu, tu vas faire courir tes parents dans tous les sens. » Déclara le médecin, satisfait. « La croissance de ce garçon est normale et tout montre qu’il est parfaite santé. »

Sans surprise, l’examen s’était bien passé pour Saeledhel. Kaëlistravaë en fut cependant quelques peu soulagée, plus heureuse que de raison de ne pas avoir découvert à son fils quelque affliction jusque-là dissimulée. C’est elle donc, une fois les vérifications faites, qui reprit le bambin dans ses bras, te laissant l’occasion de soumettre son jumeau à son tour à l’examen.

- Si Saeledhel s’y met aussi on ne va vraiment plus s’en sortir ! tu plaisantes Mais merci, c’est rassurant de savoir que tout va bien.

Que tout allait bien vous vous en doutiez, mais il restait ô combien rassurant de savoir que d’autres ne voyaient pas de souci là où vous n’en aviez pas vu. Rassurant donc autant pour vos enfants que pour votre capacité à vous occuper de vos enfants.

- Par contre… Kaëlis intervient, voyant déjà le second s’agiter à peine réchappé aux bras de son père ...Hràvion est un peu plus capricieux.

Capricieux oui. Le petit garçon s’assura de prouver que ce n’étaient pas là que des élucubrations de sa mère. Ni hurlements ni pleurs. Seulement des sourcils froncés, des poings serrés et des mains et pieds balançant en tous sens en témoignage de son mécontentement. Puis lorsque la simple agitation ne fut pas assez, ce fut le tours des grognements dirigés – pour peu que le regard peu amical de l’enfant en soit une bonne indication – au médecin qu’il ne connaissait pas assez bien à son goût.

- Hràvion ! tu tonnes avec sévérité Du calme voyons !

Ta main vient se déposer autour de la tempe du bambin, lui caressant doucement le crâne pour essayer de le calmer. Ta moue reste dure, mais tes gestes sont doux. Il doit comprendre. Tu ne l’abandonnes pas, tu es là s’il a besoin de toi, mais tu ne peux pas te permettre de céder à tous ses caprices.

- Je suis là d’accord ? ton timbre s’adoucit Mais pour l’instant, c’est Brannor ton regard se tourne vers le médecin et son apprenti et Gaelen qui vont s’occuper de toi. D’accord ?

Les grognements s’arrêtent, et l’enfant se calme quelques peu, cependant les tensions ne l’abandonnent pas complètement. Il reste apparemment énervé, et ses gestes – quoique moins frénétiques – restent témoin d’une agitation toujours présente.

- Il a du mal avec les inconnus.

- Du moins, avec certains inconnus.

- Parfois il décide d’être difficile, c’est sa manière d’attirer l’attention.

- Mais c’est bon signe, ça veut dire que vous l’intéressez.