Par amour et par peur... | Malgelir & Sirthaliel

Hiver, Karfias 20:XI
Nouvel an

Elle n'a pas attendu une minute de plus que nécessaire. A peine la cérémonie terminée, la désormais dénommée Sirthaliel est rentrée, accompagnée de son père et de son amant du moment. Elle a fait son sac, s'est changée, a serré fort son fils dans ses bras et s'est dirigée vers les portes de la cité. Elle a demandé à emprunter une monture facile à mener, s'est mise en selle et a filé hors des murailles.

Puisqu'elle ne connaît pas la forêt et que son sens de l'orientation laisse à désirer, elle se contente de suivre les panneaux et de rester sur la route. Heureusement pour elle, la région n'est guère touchée par la neige, ou si peu que rien ne lui masque le chemin. Alors, profitant de cette aisance, elle élance son destrier, se remémorant les quelques leçons données par Aegden. Cependant, sans l’œil avisé de son compagnon pour décrypter le comportement de l'animal, l'entreprise est bien moins aisée que dans ses souvenirs. Rapidement, le cheval agite la tête. D'abord doucement, puis de plus en plus. L'équilibre fragile de la jeune femme en est perturbé et elle s'accroche de plus belle à la crinière sous ses doigts. Un peu plus tard, sa monture commence à faire des écarts et la mysticiste éprouve toutes les peines du monde à la ramener dans le droit chemin en l'absence de reines. Elle le fait une fois, deux fois, trois fois... puis cesse de compter.
A la énième reprise, excédée, elle peste à haute fois.

-Facile à mener ? Autant qu'un mulet...

A ces mots, le cheval s'arrête brusquement et se cabre. Sa cavalière a beau tenté de se retenir, elle n'a pas assez de réflexes et chute sur le chemin humide. Un peu sonnée, elle ne se relève pas tout de suite et n'ouvre les yeux qu'après quelques secondes. Le mathandil -car c'en est un- se tient au-dessus d'elle, le nez à quelques centimètres. Il a voulu lui donner une leçon mais ne s'attendait pas à cela...
Un peu surprise, contrariée et étourdie, Sirthaliel le repousse avant de se relever péniblement. Une fois debout, elle constate son état. Elle qui ne supporte pas le froid, elle va bien être obligée de l'endurer avec des vêtements à demi mouillés. Là où sa tenue n'est pas de la couleur du sol, on voir des traces marrons pour preuve de sa chute. Sans parler de ses cheveux, plus en bataille encore qu'ils ne l'étaient avec le galop.

Elle soupire.

-Mais pourquoi ai-je pris un cheval ?... S'interroge-t-elle elle-même. C'est à peine si je parviens à tenir en selle ! Je ne suis vraiment pas douée pour cela. J'ai beau être devenue Anedhelle, je n'arrive pas à communier avec la faune et je crois que j'en serais toujours incapable !

Elle est à peine partie qu'elle n'en peut déjà plus. Ce n'est pas le voyage en lui-même le problème. Elle n'est pas fatiguée, elle est effrayée et triste... En ce jour qui aurait dû être le plus beau de sa vie.
Tandis qu'elle achève d'étudier son état, elle réalise que plusieurs crins de l'animal sont restés entre ses doigts. Elle soupire.

-Je te fais mal... Constate-t-elle après un soupir. Puis elle relève les yeux vers sa monture. Je suis désolée. Je veux bien... me tenir à la selle pour te soulager mais j'ai besoin que tu m'aides. Je n'y arriverai pas toute seule ! D'habitude, j'ai toute la patience du monde mais, même si c'est quelqu'un de très occupé avec de grandes responsabilités, si Aegden n'était pas à notre mariage, cela ne peut signifier qu'une seule chose. J'ignore ce qui le retient mais, cette fois, je ne peux pas me contenter de rester là à attendre patiemment son retour. Ce devait être notre mariage ! Et il a fallu que la Trame s'affole aujourd'hui... ce qui n'est pas non plus fait pour me rassurer alors qu'il manie une arme magique instable...

Le mathandil reste là, à la regarder. Est-ce qu'il est indécis ? Attendri ? impassible ? Sirthaliel ne sait même pas pourquoi elle lui parle... Elle a tant de fois vu les elfes en faire autant, sans doute cherche-t-elle à les imiter ? Dans tous les cas, cela ne semble pas fonctionner. Elle soupire une nouvelle fois, fermant les yeux devant cet aspect de la vie anedhelle qu'elle ne parvient pas à faire sien.
Quelques secondes s'écoulent. Puis la monture se met à bouger. La magicienne rouvre alors les yeux et l'observe. Elle fronce légèrement les sourcils alors qu'elle ne comprend pas ce qu'il lui prend. Elle semble faire volte-face et... s'allonger ? Les genoux posés au sol, elle attend, la tête tournée dans la direction qu'ils étaient en train d'emprunter. Est-ce que cela signifie que... ?

Hésitante, Sirthaliel s'avance lentement. Le cheval ne bouge pas. Elle parvient jusqu'à sa hauteur et s'arrête. Il tourne alors la tête vers elle, comme pour voir ce qu'elle fabrique ou l'inciter à continuer. Alors, elle pose ses mains sur la selle, guettant les réactions de la monture. Il ne bronche toujours pas... Elle l'enjambe. Toujours rien. Elle enfile ses étriers et s'accroche au pommeau, comme promis. Aussitôt, le mathandil se relève et les voilà prêts à repartir.
Cette fois, la jeune femme soupire de soulagement. Elle caresse l'encolure de l'animal pour le remercier et celui-ci se remet en route, au pas pour commencer.

Soudain, quelques minutes à peine après qu’elle ait reprit son chemin, le fracas d’autres sabots équin se faisaient entendre au loin, ralentissant leur rythme au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient.

-Sirthaliel ?Appela finalement une voix familière à la nouvelle anehdelle.

Le mage élémentaire d’habitude si enjoué semblait définitivement inquiet en s’approchant de sa camarade. Très proche ami d’Aegden, il avait forcément eu plusieurs fois l’occasion de rencontrer la jeune femme mais malgré tout, ils avaient eu peu d’occasion de réellement se connaitre. Après tout le lancier était particulièrement prompt à séparer sa vie personnelle de son travail, et Malgelir n’était lui aussi qu’un soldat. Pourtant, à l’instar de quelques autres camarades, Malgelir avait vu la cérémonie du choix à laquelle la jeune femme avait participé et au fond, il avait eu un peu pitié d’elle. Elle était toute seule, sans fiancé à ses côtés. Fiancé qui aurait à l’heure actuelle déjà dû être son mari, mais qui n’était pas là.

Lui aussi, l’élémentaliste était inquiet. Ce genre de chose ne ressemblaient pas à son ami. Et puis…Il y avait la trame autour d’eux qui s’agitait. Malgelir avait pensé à l’arme qu’il avait aidé à construire, un peu malgré lui en un sens. La partie la plus pessimiste de son souffle s’était mis à imaginer les pires catastrophes qui pourrait arriver à son commandant lorsque l’énergie mystérieusement tissée serait confronté à cette instabilité. Alors, sachant que nulles réponses n’étaient venues d’Ardamir et de Quatrième Saison, il s’était mis en tête de rejoindre lui-même l’un des artisans d’Ailagos, afin de savoir un peu mieux ce qu’il c’était passé ce jour-là.

Pourtant, il n’avait pas vraiment eu le temps de préparer son voyage. Avant même qu’il ne demande à Sirthaliel de l’accompagner, celle ci avait disparu et on lui avait dit qu’elle était partie à tout vitesse.
Ni une ni deux, il était parti à son tour, galopant comme les vents qu’il maniait depuis toujours. Et finalement il l’avait rattrapée.

-Tu m’a l’air bien secouée, tout va bien ?

Un petit geste de la main et l’eau qui poissait les vêtements de sa camarade s’évaporait doucement. En revanche pour son air échevelé, il ne pouvait rien faire...

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Sirthaliel ne s'attendait pas à entendre une voix derrière elle. Une voix connue. Et encore moins une voix l'appelant en employant son nouveau nom. Plutôt que de tenter quoi que ce soit pour arrêter sa monture, elle lui demande tout simplement d'attendre et elle lui obéit. Le jeune femme en est surprise, ayant du mal à comprendre comment elle est parvenue à créer ce lien avec le mathandil qui lui permet de le commander à la voix mais qu'importe. Pour l'instant, elle reporte son attention sur le mage qui la rejoint rapidement.
Ses récents déboires ne lui échappent pas et il a tôt fait de la débarrasser de cette humidité qui colle ses habits à sa peau et lui glace le sang. A nouveau sèche, elle en a un frisson qui lui parcourt l'échine tandis que la chaleur se répand en elle. Elle remet derrière une oreille pointue une mèche échappée de sa coiffure.

-Cela se voit tant que ça ?

Son ton humoristique est presque sarcastique. Elle n'a rien contre Malgelir qu'elle sait proche de son fiancé. Il s'inquiète, pour lui comme pour elle, elle ne peut certainement pas le lui reprocher. Mais malgré toute sa bonne volonté et tous ses efforts, oui : Sirthaliel est chamboulée et elle a toutes les raisons de l'être. C'est une femme forte qui se maîtrise car elle ne peut se laisser submerger. Pour Elben mais aussi pour cette magie qu'elle doit pouvoir continuer à manipuler, même en cette période troublée.

-Comment pourrais-je ne pas être secouée ? Aegden a manqué son propre mariage et ne donne plus signe de vie depuis trop longtemps. Mais si tu es là, c'est soit que tu me surveilles, soit que tu es aussi inquiet que moi. Ou bien serait-ce les deux ?

L'œil perspicace et l'air intriguant de la jeune taledhelle le toise alors qu'elle revient -sans le dire- sur sa présence dans ces bois en même temps qu'elle. Elle imagine que les causes de son arrivée sont multiples. L'absence de son ami entourée d'un silence inquiétant, le mariage qui aurait dû avoir lieu, la fiancée délaissée, sans parler de la Trame troublée... Comment pourrait-il ne pas être inquiet ?

Le regard du mage s’attrista une petite seconde tandis qu’il rapprochait habilement sa monture de celle de la jeune femme. Sa main vint d’abord ôter une brindille de ses cheveux autrefois nattés, avant de venir se poser avec bienveillance sur son épaule.

-Crois moi, je rêve probablement autant que toi de retrouver ton idiot de fiancé et lui toucher deux mots quant à ses manières. Lança-t-il de sa voix claire, et ne plaisantant sans doute qu’à moitié. Puis, il se radoucit. Mais…Tu le connais. S’il n’est pas là aujourd’hui, ce n’est pas de son plein grès. Oui, finit-il alors par admettre, je m’inquiète aussi.

Mais Aegden savait se débrouiller. Malgelir ignorait en grande partie ce qui pouvait retenir le mainyth au point de lui faire rater l’un des jours les plus importants de sa vie. Pourtant, l’élémentaliste l’avait déjà vu à l’œuvre. Aegden était un soldat rodé. Il finirait probablement par s’en sortir, et si Kÿria le voulait, sain et sauf.

Malgelir s’inquiétait aussi pour Sirthaliel qu’il avait toujours vu sous un jours bien plus délicat et c’était ce qui l’avait poussé à partir si précipitamment. La jeune femme semblait avoir besoin de soutien et d’au moins une épaule sur laquelle compter tant que celui qui devait jurer de tenir ce rôle pour l’éternité n’était pas là. Et son apparence confirmait à Malgelir que cette intuition n’était pas tout à fait fausse. Il devait ça au couple, et puis…Il avait bien envie de la connaitre, la future femme de son frère d’arme.

-En réalité, j’avais des questions dont les réponses se trouvent à Ardamir et qui concernent aussi ton compagnon. Du moins, l’arme qu’il tient. Un sourire, et sa voix chantonna à nouveau. Que dirait-tu de voyager ensembles ? Ce serait sans doute moins morne et moins angoissant.Une lueur joueuse redonna enfin vie à son regard pétillant. Cela t'évitera peut être de te jeter dans un nouveau buisson, je doute que tu l'y trouve.Tenta-t-il de plaisanter gentiment.

-Autant que moi ? J'en doute. Déclare Sirthaliel, le regard à la fois amusé et extrêmement sérieux.

Après tout, aujourd'hui aurait dû être le jour de leur mariage et, à l'heure qu'il est, ils auraient déjà prêté leur serment éternel si Aegden était là. Ce n'est pas seulement une compagne qui prend la route mais aussi une fiancée délaissée en ce jour qui aurait dû être le plus beau de leur vie de couple. Alors non, personne ne peut vouloir le retrouver plus qu'elle et, sans pour autant prendre ombrage des paroles de Malgelir, elle lui défend gentiment de la contredire sur ce point.
En tout cas, elle le rejoint sur un point : Le Commandant n'a pas choisi d'être absent aujourd'hui. Et c'est bien ce qui lui fait peur...

Sirthaliel le gronde à demi alors qu'il se moque d'elle et de la chute dont il a découvert les preuves sans le moindre mal. D'ici ce soir, cela pourra passer pour les aléas d'un voyage en pleine nature mais elle est trop près de la cité pour que cette hypothèse soit plausible, malheureusement.

-Je n'ai pas l'aisance de mes nouveaux frères avec les animaux. Mais je crois avoir justement trouvé un terrain d'entente avec mon nouvel ami dont j'ai malheureusement pas retenu le nom, dans la précipitation.

D'une caresse sur son encolure, elle s'excuse auprès du Mathandil qui hoche la tête pour toute réponse. Il a beau être une créature particulièrement intelligente, il ne peut pas lui souffler la réponse... Serrant ses jambes sur lui, elle lui demande de reprendre leur marche, invitant Malgelir à les suivre du regard.

-Cette arme m'a toujours inquiétée. Lui confie-t-elle après quelques pas. Je ressens la magie qu'elle renferme. Aussi faible soit-elle, elle représente un risque potentiel. Aegden ne peut pas la sentir et je redoute qu'il en fasse usage en l'état actuel de la Trame...

-J’ignore quel nom lui a été donné mais je peux t’assurer que ton « nouvel ami » à le pied solide une fois qu’il se sent écouté. Malgelir avait étiré un petit rictus amusé en fixant les oreilles dressées de la bête comme si ce dernier épiait ce qu’on disait de lui. Il a son caractère, mais je ne doute pas que vous vous apprivoisiez tous les deux.

Car Malgelir était de ces elfes connaissant l’existence des mathandils et il avait longtemps étudié les hardes qui vivaient autour de la cité blanche. Celui que Sinieth montait ne lui était pas étranger et ça semblait particulièrement l’amuser.

-J’ai tendance à penser que les mathandils ont une façon toute à eux de choisir leur cavalier. Rares sont ceux qui se trompent.

En revanche le sujet de l’arme de son ami l’amusait beaucoup moins et l’espace de quelques foulées des montures, il se tut, cherchant peut être les bons mots face à une compagne déjà bien assez inquiète.

-J’étais avec ton fiancé lorsqu’on a retrouvé la lame, et …hm si les choses s’étaient passé normalement j’aurais dû être l’auteur du seul sort que l’arme complète renfermait. Celui là je suis certain qu’il est sûr et stable. En revanche, le second sort…et bien tu es une mage toi aussi, donc je n’ai pas besoin de te dire que cela n’aurait pas dû être possible et qu’un sort inconnu est toujours dangereux. Je ne l’ai pas senti sur le moment et bien sûr Aegden non plus… Mais quand on s’en est rendu compte, je lui ai forcé à passer tout un tas de tests. Pour être sûr que justement il n’y ait pas d’accident. En des temps normaux il nous semblait que le phénomène tenait bon…

Il pencha la tête sur le côté, comme à nouveau happé par ce mystère. C’était comme un étrange château de carte qui tenait toujours debout malgré les lois de la gravité. Il n'était certes qu'un mage de combat mais cela l'intriguait fortement depuis le moment même où le lancier avait réussi à faire apparait un petit bouclier d'air rageur autour de lui.

-Mais la trame est si perturbée ces temps-ci…A vrai dire s’il y a d’autres mages dans son groupe, eux aussi devraient faire absolument attention à leur sorts, arme magique ou pas…Soupira-t-il. J’ai l’impression que rien qu’un petit sort menace de devenir une véritable tempête. Il illustra le tout en levant la main et créa une petite boule d’eau dans les airs qui vibra un peu avant de s’éclater en milliers de gouttelettes suffisamment à distance pour ne pas les éclabousser. Enfin bref, je pensais essayer de faire quelques recherches en Ardamir en plus de consulter l’un des deux mages qui ont aidé au rituel de l’arme de ton fiancé…Histoire d’au moins savoir pourquoi ils ont tous deux tenté quelque chose d’aussi risqué sans nous prévenir… Si j’obtiens quelques informations je te les transmettrais volontiers Sirthaliel. Il lui offrit un sourire contrit. C’est tout ce que je peux tenter de faire pour apaiser tes craintes.