En route pour la guerre sainte.

6ème jour de la 5ème ennéade de Karfïas – Second mois de l’Hiver.
Année 20 | XI cycle.

Voilà plusieurs ennéades maintenant que l’offensive menée contre un groupe de cultistes draconnique avait été menée. Outre un franc succès qui avait plus couté la vie à plusieurs cultistes tout en épargnant une grande partie des effectifs des Alonnais et des Soltaar, plusieurs prisonniers furent ramenés captifs dans les geôles du palais Ducal. Pour eux, un nouveau monde s’offrait à eux. Un monde froid, humide, fait de rats, de maladies et de violence, où la torture, quotidienne, alternait entre brutalité physique et persécution psychologique. Le supplice de la goutte fut utilisé dès le début, et durant des jours. Outre les dégâts impressionnants que de simples gouttes peuvent faire sur une peau qui ne sèche jamais, et en tombant toujours au même endroit, le caractère insupportable de cette torture où l’on ne dort jamais ferait craquer le plus solide des hommes.

Les informations tombaient au fur et à mesure que les cultistes étaient brisés. Oh, certains moururent sans parler, devenus fous à lier ou succombant aux maladies développées dans ces geôles dignes des enfers. Mais quelques-uns, heureusement, furent plus bavards. Les informations tombèrent, et elles n’étaient pas toutes agréables…

Pour le moment, Adriano ne savait rien de tout cela. Régulièrement, le chef de sa garde l’informait de l’évolution des choses, les futures tactiques employées… Le Duc, homme de terrain, voulait absolument tout savoir, et désirait suivre cela avec le plus grand sérieux. Aujourd’hui devait avoir lieu une importante réunion avec son état-major, et quelques hauts dignitaires de sa cour, ceux en qui il pouvait avoir confiance – jusqu’à preuve du contraire.

Adélina avait été conviée. Puisqu’il s’agissait à la fois de la vie du Duché, mais aussi, des fruits d’une entente conjointe entre le Nord et le Sud dans le but de faire la chasse aux cultistes et de répandre le culte Pantien sur les terres Suderones, la présence de la Baronne apparaissait comme indispensable.

La salle du conseil n’attendait plus qu’eux.

Le médecin ramassa rapidement ses instruments, avant de prendre doucement la main de la baronne avant de la baiser, l’air passablement excité.


« Que la Bienveillante vous protège Ma Dame. Et si je peux vous être de quelconques utilités pendant votre séjour, n’hésitez point à me faire quérir. »


La baronne eut un léger sourire, avant de retirer sa main. « Je vous remercie pour votre temps, Messire Torras. Je suis certaine que la suite se passera bien. »


« Surtout, faites attention lorsque vous voyagerez. Éviter de monter à cheval à partir de maintenant. »


La baronne fit un léger mouvement de tête, lui mentionnant rapidement qu’elle avait compris. Avant de l’accompagner hors de ses quartiers. Une servante entra rapidement dans la pièce, mais avant qu’elle ne puisse ouvrir la porte, la jeune femme l’interrompit. « Oh Messire Torras. » Le médecin s’arrêta net, avant de retourner la tête vers l’alonnaise. « Si vous voulez bien garder cela pour vous. J’aimerais bien pouvoir l’annoncer à mes proches avant que la nouvelle ne s'ébruite. » Ce dernier prit son chapeau, avant de le mettre à son cœur, pour faire une révérence. Une promesse silencieuse, qui lui mentionnait que son secret était bien gardé. Il remit rapidement son chapeau avant de sortir de la pièce. Adélina quant à elle, se dirigea rapidement vers un des fauteuils avant de s’asseoir, un léger sourire aux lèvres. Elle ne pouvait le cacher, c’était une agréable surprise. Inattendue certes, mais une excellente nouvelle. Cela faisait plusieurs ennéades qu’elle souffrait de quelques légers maux. Si au départ elle avait mis cela sur le stress que la quête lui avait causé, les doutes s’étaient de plus en plus confirmé au fur et à mesure que les ennéades avaient passé. Et voilà. La nouvelle était confirmée. Quelques ennéades avec son mari en Alonna avaient finalement porté fruit, et la descendance serait finalement assuré. La jeune femme eut un sourire avant de porter la main à son ventre, trouvant tout cela si surréaliste. Elle fut rapidement sortie de ses pensées par sa servante qui entra prudemment dans le salon.


« Votre Honneur, Son Altesse le Duc vous a mandé à la salle du conseil pour une session exceptionnelle. Devrais-je lui mentionner que vous êtes souffrante et que vous devez vous reposer ? »


Adélina eut un sourire avant de faire non de la tête. « Non. Inutile de rependre des faussetés ou d’inquiéter mon hôte. Je vais parfaitement bien. J’y vais de ce pas. » Après tout, elle ne voulait pas ébruiter quelconque information, ou encore pire, laisser le Duc savoir la nouvelle avant son propre mari ou sa famille. La baronne se leva avant de lisser sa robe du plat de sa main pour suivre l’homme qui lui avait transmis le message. Cela prit bien quelques minutes avant qu’elle n’arrive finalement à la salle du conseil. Les couloirs sinueux du palais Soltarii lui semblaient toujours aussi compliqués, bien que cela faisait déjà plusieurs ennéades qu’elle profitait de l’hospitalité de son hôte. Quoique pour être honnête, elle n’avait pas réellement passé son temps en sa compagnie. En réalité, elle ne l'avait côtoyé que quelques fois. Il faut dire qu’elle avait toujours l’impression d’être une compagnie déplaisante pour ce dernier. S’il n’avait rien dit à ce sujet, elle se disait que cela devait être pour son utilité pour la guerre sainte qu’ils menaient – enfin, c’est ce qu’elle se plaisait à penser. Après tout, le Duc lui aurait demandé de plier bagages si ce n’était pas le cas, non ?


Les portes s’ouvrirent finalement devant elle, alors que plusieurs hommes se trouvaient dans la salle. Tous se tu alors qu’elle entra, allant même jusqu’à se lever pour saluer la baronne qui venait de faire son entrer dans la pièce. « Messires » , commença-t-elle avant que son regard ne balaye l’assemblé qui se trouvait déjà dans la salle. La majorité d’entre eux se levèrent rapidement pour saluer la baronne proprement. Les « Votre Honneur » semblèrent résonner dans la salle, alors que l’un d’eux se sentit particulièrement galant, tirant une des chaises libres pour l’aider à s’asseoir dans les fauteuils qui ornaient la pièce. La jeune femme leur fit rapidement un signe de continuer leur discussion avant que le Duc n’arrive, ce qu’ils semblèrent faire, non sans avoir une petite gêne. Adélina se demanda pendant un moment si cela était dû aux tensions entre le Nord et le Sud ou parce qu’elle était une femme. Ah, c’est suderons! Ils se voulaient progressifs, mais avait du mal à voir une femme dans un conseil de ce genre.

La salle du conseil était plutôt grande, comme toutes les salles du palais Ducal. Mais, plus qu’en largeur ou en longueur, c’était surtout la hauteur sous plafond qui la rendait impressionnante. Les moulures étaient exquises, finement ciselées, et chaque coin de la pièce possédait de très récentes sculptures miniatures, peintes avec finesse, représentant et portant les couleurs de la maison régnante : la maison Di Alcacio.

Dans la pièce, toute la fine fleure de la noblesse Soltaar et des hauts dignitaires. Amiral de la marine, capitaine des gardes, commandant en chef des armées du Sud, Argentier Ducal… Ils étaient quelques-uns à avoir des postes importants dans la vie du Duché. Mais quelques têtes semblaient manquer…

Adriano entra bien rapidement, suivi par celui qui lui servait de Chambellan. Des documents en mains, sa couronne sur le crâne, le Duc semblait aussi apprêté qu’il était soucieux… Ou très sérieux. Lorsqu’il entra dans la pièce, tous se levèrent, lui offrirent quelques « Votre Altesse » de circonstance et autres signes de têtes, qu’Adriano accepta en rendant à son tour un signe de tête global. D’une main ouverte, il invita tout le monde à s’asseoir, chose qu’il fit ensuite très rapidement.

Un silence pesant tomba alors sur l’assemblée. Silence uniquement troublé par le bruit fin du vélin que l’on déroule et que l’on cale à grands renforts d’ustensiles lourds, et du registre ouvert et feuilleté par le doigt humidifié d’un scribe studieux. La pointe fine d’un stylet d’argent terminé par une pointe d’encre défilant sur le vélin signa le début de cette réunion, alors qu’aucune parole ne vint animer la tablée. Finalement, après cette petite préparation, Adriano se posa dans son siège d’un confort royal, ses deux mains se joignant devant son ventre. D’un claquement de doigt soudain, l’on fit entrer des verres en cristal contenant, dans chacun d’entre eux, quelques alcools forts, tourbés, en petite quantité. Les serviteurs, à la fois naïf de par leur rôle, et impressionné par la quantité de personnes importantes présentes autour d’eux, firent leur rôle avant de disparaître par l’une des portes de la salle.

Adriano eut un petit sourire face à la stupeur générale. D’ordinaire, point d’apéritif ne venait orner une réunion du conseil… Ce pouvait-il que le Duc eût quelque chose à fêter ? Ou alors… Devait-il annoncer une nouvelle fortement déplaisante ?

« Messieurs… » Dit-il, regardant tour à tour les êtres autour de lui, s’arrêtant sur Adélina. « Votre Honneur… » Fit-il, en l’honneur de son invité du Nord. « Merci pour votre présence ponctuelle. Si je vous ai fait venir, c’est pour vous annoncer d’importantes choses. De très importantes choses… » Insistait-il. « Prenez un verre, je vous prie. »

Invitant sa tablée à se désaltérer, le Duc scruta les réactions. La surprise était générale, bien évidemment. En signe de bonne foi – car le Duc ne maniait pas l’art du poison, préférant la dague et le carreau – Adriano porta le verre à ses lèvres et bu d’un trait la petite quantité qu’il contenait. Il appréciait ces breuvages, mais préférait les choses plus raffinées. Mais, pour une occasion comme celle-ci, la finesse n’était point à l’ordre du jour.

« Vous avez remarqué l’absence de certains d’entre nous. Et de certaines. » Car oui, dans le palais, quelques courtisanes n’étaient plus présentes non plus. « Son Honneur, la Baronne et moi-même, avons mené une opération militaire contre un regroupement de cultistes, voilà plusieurs ennéades. Outre le piège évident qui nous était tendu, nous avons réussi à sortir sans grands dommages… Et avec beaucoup de prisonniers. Ces derniers se sont montrés… Bavards. Vous identifierez sans mal les membres absents, et les concubines disparues… » Il laisse un temps de silence. « Ces individus étaient aux services des cultistes draconiques. Nous nous demandions comment ces êtres sans honneurs pouvaient être aussi informés ? Nous avons la réponse. Après enquête, leur culpabilité fut prouvée, aussi ai-je décidé de les enfermer dans les geôles. Mais ce n’est pas tout. » Nouvelle pause de circonstance. « Notre enquête nous a également permis d’obtenir l’identité d’une personne hautement impliquée dans cette secte… Du moins une partie de celle-ci. Si, pour l’instant, il reste impossible d’obtenir des informations concrètes quant à l’organisation de ces… Impies… Nous avons toutefois pu obtenir un haut responsable. Il s’agit d’un membre d’une famille noble Mervaloise : la maison Aule. » Indiqua-t-il, lâchant l’information qui, à n’en pas douter, aurait l’effet d’un incendie ravageur. La guerre Merval-Soltariel était encore dans les esprits de tous. « Je compte rendre cela public, en temps et en heure. Aussi vais-je me rendre à Diantra en compagnie de Son Honneur, afin d’assister au mariage du Duc d’Erac, mais aussi, au couronnement de notre Roy. Nous nous lançons dans une guerre, messires… » Lâcha-t-il, avec ferveur. « Une guerre sainte ! »

Une chose était certaine, le Duc savait faire une entrée. Un pas assuré, la tête haute, il n’avait pas à dire, c’était un homme fier qui semblait presque sans peur. Aussitôt qu’il apparut tous se levèrent pour saluer le Duc, tentant d’attirer son attention d’une façon ou d’une autre de leur suzerain. C’était assez intéressant à voir d’un point de vue extérieur. La nordienne, qui croyait fermement ne pas être dans les bonnes grâces de ce dernier, ne manquait guère de voir le nombre de flatterie ou de discussion en tout genre pour tenter d’avoir l’attention du duc. La jeune femme eut un léger sourire avant de baisser légèrement les yeux, se demandant presque si les alonnais avaient la même attitude avec elle que ce dernier. Peut-être était-ce une mentalité différente ? Les nordiens ne faisant pas vraiment dans les frivolités, et se contentait d’être généralement incroyablement directe. Adélina ne laissant guère sa place. Si quelque chose ne faisait pas son affaire, elle ne se gênait guère pour le faire savoir, comme avait pu le remarquer le Duc lors de leur premier et seul dîner ensemble. Cela ne voulait pas autant dire qu’elle le détestait ou ne le respectait point, après tout ce dernier lui avait sauvé la vie, et la jeune femme avait rapidement balayé ses remarques vaines pour ses exploits, se disant que cela était probablement une différence entre le nord et le sud. Adélina se leva à son tour avant de saluer ce dernier d’un mouvement de tête alors qu’il lui rendait la pareille. Soudainement, des serviteurs apparurent pour déposer un breuvage devant les gens attablés. La nordienne ne put s’empêcher de voir la surprise sur les visages des hommes présents. À croire, que cela était une occasion spéciale. Tous, à l’exception de la baronne commencèrent à boire l’alcool qui leur avait été offert.


« Votre Altesse…» commença-t-elle avant que les seigneur soltaar ne tente de s’approprier une nouvelle fois l’attention du Duc. « Pourrais-je avoir une audience ? Si possible en privé.» Dit-elle en balayant la salle de son regard bleutée. Son vœu fut rapidement réalisé et les seigneurs ainsi que le scribe sortirent rapidement de la pièce, non sans saluer leur suzerain et son invité. Cela prit bien quelques minutes avant que le dernier ne sorte de la pièce finement décorée, et une fois que le dernier Seigneur sortit, une servante fit rapidement son entrée avec un paquet dans les mains. Elle le donna à Adélina avant de s’incliner devant les deux nobles, pour ensuite sortir. La jeune femme posa doucement le paquet sur la table, avant de délasser les cordons de cuir qui retenait le tissu et dévoila une magnifique épée dans son fourreau. La nordienne la prit doucement à deux mains avant de se retourner vers le Duc, lui tendant cette dernière de ses deux mains. « Je vous avouerais que cela fait un moment que je cherche quoi vous offrir pour vous remercier. Mais je ne crois pas qu’aucun cadeau ne peut réellement compenser à la vie d’une personne.» Elle eut un léger sourire avant de faire un pas vers le Duc. L’épée longue était de très bonne facture. Le pommeau était magnifiquement orné de fer et de fil doré où l’on pouvait voir les armoiries du Soltaar entrelacées d’un écarlate. « Je vous remercie de m’avoir sauvé durant l’attaque. Je n’ose point imaginer ce qui aurait pu arriver si vous n’étiez pas intervenu.» Une seule chose est sûre, la baronne aurait définitivement tombé dans les mains des cultistes et de leurs plans. Plan d'ailleurs qui n’avait pas été réussi. Adélina se demandait toujours pourquoi ils voulaient absolument sa personne. Dommage que les bourreaux du Duc n’avaient pas récolté une quelconque information à ce sujet. Elle laissa ce dernier prendre la lame avant de reprendre la parole; « J’ose espérer que cela sera un témoin de l’alliance entre nos deux maisons.» dit-elle en désignant doucement les motifs sur le pommeau. Son armoirie et la sienne réunie dans le métal était un témoin silencieux de leur nouvelle alliance.

L’annonce du Duc fit l’effet d’un chamboulement total. Tous les nobles du Sud de la Péninsule avaient été en contact, un jour ou l’autre, avec un cultiste. Le Sud avait toujours été une terre de rébellion, de fierté, d’incartade. Le tempérament sanguin de Suderon s’expliquait autant par leur histoire que par le soleil qui beigne ces terres bien plus ardemment et bien plus souvent que le restant de la Péninsule. Vivre en bord de mer ne devait pas aider non plus… Sans doute. Mais là où la proximité avec les cultistes était devenue commune dans ce paysage, l’impact de ces derniers dans le paysage Suderon était le principal point de dissension, et expliquait presque à lui seul pourquoi tout le Sud n’était point dominé par cette secte. La plupart des Suderon prêtait sa foi à Néera… La violence, des sectes n’attirait finalement que peu de fidèles… Mais ils demeuraient néanmoins encore trop nombreux aux yeux du Duc…

Sa position ferme et définitive eut de quoi choquer également. Adriano, depuis le début de son règne, s’était montré être un souverain qui appréciait mettre ses décisions sur la table des discussions. Mais pas cette fois. Si les nobles burent leur alcool fort avec envie, les visages, ensuite, se fermèrent durement. Adriano savait qu’il venait de montrer un visage fort qui, à n’en pas douter, ferait le tour du Duché en quelques heures. Mais il savait aussi qu’il avait devant lui des nobles dédiés à Néera. Cela le consolait, d’une certaine manière.

L’annonce faite, Adriano accepta l’entrevue particulière avec Adélina. Lorsque cette dernière offrit son présent – une épée longue de bonne facture et agréablement décorée – le Duc n’eut aucun mot, tant la surprise était envahissante. Si le succès de l’alliance avec Alonna n’était plus à démontrer, obtenir un présent de cette jeune femme était… Surprenant, oui. Le premier contact n’avait pas été des plus agréable, mais sauver la vie l’un de l’autre avait sans doute dû remettre les pendules à l’heure.

L’attention portée à la gravure des armoiries de la maison Ducale était tout à fait louable et de bon ton. Une arme de facture Alonnaise, gravée des armoiries du Sud… Oui, décidément, ce rapprochement se faisait sous les meilleurs hospices.

« Votre Honneur, ce cadeau est magnifique. Et est un honneur dont je mesure la portée et la puissance. » Dit Adriano, sans arrières pensées cette fois. Posant ses mains sur la lame, le Duc fut d’abord décontenancé. S’il était effectivement un bretteur qualifié, il appréciait surtout les lames courtes, propices aux combats rapprochés sur mer. Les armes longues étaient finalement l’apanage des soldats d’infanterie. « Vous faites honneur à mon Duché, et à mon peuple, très chère. Car un tel cadeau est assurément historique. Cela prouve sans détour que le Nord et le Sud peuvent s’entendre, sous l’égide de Néera. Sauver votre vie était assurément un grand honneur, mais vous avez aussi sauver la mienne. Sachez que je vous en serais éternellement reconnaissant, et que je ne l’oublierais jamais. »

Le Duc était sincère. Mais il n’avait point pensé à un tel cadeau… Ses cellules grises s’activaient d’ores-et-déjà à rendre la pareille à la jeune femme. Nul doute qu’il passerait bientôt commande à un forgeron de renom, ou à un joaillier qualifié.

Adélina eut un léger sourire avant de baisser le regard, comme gêné. Cela était sans doute la première fois, qu’elle avait l’impression que le Duc était sincère dans ses paroles. C’était comme si sa carapace d’homme calculateur était finalement tombée pour révéler sa vraie nature, et pour être honnête, Adélina trouvait cela rafraîchissant. Pas de faussetés, pas de faux-semblants que son nouvel allié. Cela lui donnait espoir qu’il y avait plus à découvrir sur ce dernier. Et qui sait ? Peut-être qu’il agissait ainsi à cause de la douleur qu’il ressentait d’avoir perdue sa famille. Après tout, la jeune femme ne voulait même pas imaginer ce qu’elle ressentirait si elle perdait Théodoric ou leur enfant à naître. Toutes ses horreurs pouvaient définitivement altérer le cœur et l’esprit de n’importe qui, aussi fort voulait-on paraître. Sans s'en rendre compte, la jeune femme lui pardonna définitivement leurs premières rencontres, mettant cela sur le compte qu’il ne la connaissait point. Semblant retrouver sa contenance, la jeune baronne releva doucement les yeux pour soutenir le regard du Duc. « Je vous avouerez que j’ai longtemps hésité entre une épée longue ou courte. Vous m’excuserez si je n’y ai pas porté attention à vos armes lors de notre mésaventure. Dans tous les cas, je suis certaine que vous lui trouverez un usage digne de ce nom. » Pour être honnête, elle ne s’était pas attendue à ce que ce dernier l’utilise tous les jours. Après tout, le mélange des deux armoiries porterait probablement à confusion, et même son propre mari ne portait pas les couleurs ni l’effigie de sa maison. Elle tendit à nouveau l’épée, attendant patiemment que le Duc prenne son cadeau, une fois débarrasser de l’arme, la nordienne ramena doucement ses mains devant elle, soutenant le regard d’Adriano avant de reprendre la parole ;



« Néanmoins, je vous félicite pour votre discours. Vous savez définitivement comment motiver vos gens et vous êtes un formidable orateur. Je crois que j’ai beaucoup à apprendre de vous. » Ce qui était en soit, pas faux. La jeune femme savait très bien qu’elle avait beaucoup à apprendre et qu’elle avait fait bien des erreurs de diplomatie dans le passé. Son regard se porta vers la fenêtre, là où quelques rayons du soleil hivernal tentaient d’éclairer la pièce. Il n’y avait qu’une heure ou deux avant que la noirceur ne vienne envelopper le ciel. « Je vais profiter de cette magnifique journée d’hiver et allez visiter vos jardins. On m'a vanté les arrangements. Peut-être voudriez-vous m’y accompagner ? » Dit-elle non sans rougir légèrement. Peut-être était-ce le moment de connaître un peu plus cet homme avec qui elle s’était engagée dans une guerre contre les cultistes. Qui plus est, cela lui permettrait d’analyser ce qui se trouvait sous cette carapace. Avec un peu de chance, elle pourrait voir qui il était réellement, enfin, si ce dernier acceptait.

Les excuses de la jeune femme quant à son inattention lors des combats l’empêchant reconnaître l’armement du Duc, firent tout d’abord sourire le Pair du Royaume, avant de le faire très franchement rire, dans un rire plutôt doux et non sournois ou calculateur.

« Cela n’enlève absolument rien à l’attention qui fut vôtre lors de la confection de ce présent. » Dit-il, offrant un énième regard à la lame avant d’abaisser la tête face à Adélina, lui offrant une simili révérence plus amicale que protocolaire. « Sachez, très chère, qu’un marin privilégiera toujours une épée courte, plus maniable, plus facile à dégainer lors des combats de pontons ou dans les cales. » Dit-il, informant alors la jeune – car elle demeurait jeune contrairement aux idées reçues – Baronne avant de reprendre. « Mais un dirigeant, lui, a besoin de force et de symboles incarnant cette force. Pour cela, une épée longue est tout simplement parfaite. »

Il pensait sincèrement ce qu’il venait de dire. Si, en effet, il calculait déjà ce qu’il pouvait faire de cette lame, ce n’était pas le cas de ses propos et de ses remerciements. Adriano appréciait réellement cette offre, et les pensées derrière celles-ci. En son for intérieur, il commençait sérieusement à envisager la suite de son plan quant à la survie de Théodoric de Langehack… Il calculait, finalement.

« N’apprenons-nous point l’un de l’autre, Votre Honneur ? » Dit-il, reprenant un air révérencieux avant de l’abandonner, conscient que ce genre de calculs avait déjà été percé à jour par la jeune femme et qu’il convenait donc d’une autre tactique. « Vous m’avez appris qu’une entente entre le Nord et le Sud était possible, et que la bénédiction de Néera, et l’amour qu’elle nous porte et que nous, ses enfants, lui portons en retour, brisent tous les clichés qui éloignent le Nord et le Sud. Sans vous, je serais mort sur ce champ de bataille, et ma cours n’aurais jamais été aussi sécurisée qu’aujourd’hui… »

Son esprit fit soudainement un écart : ses mots, ses pensées, n’étaient point issues d’un véritable calcul. Se pouvait-il que la jeune Baronne ait réussi à détruire quelques murailles que ce soit ?

Toutefois, la proposition d’aller visiter les jardins réveilla l’instinct chauvin et fier du Duc. Oh, oui, il aimait sincèrement ces lieux-là. Ces vestibules, ces colonnes ouvragées, ces tableaux de maîtres, ces fioritures gravées dans les plafonds, les coins de pièces, ces statues de marbres blancs et roses… Et les fameux jardins présents en quantités, parfois carrément dans les plus hauts étages du palais… Ou tout simplement sur le plancher des vaches.

« Bien évidemment. Quel hôte serais-je si je ne profitais pas de ces instants pour vous faire visiter nos merveilles du Sud ? » Demandait-il dans une question qui ne souffrait en réalité d’aucune réponse. « Après-vous, Votre Honneur. »

Le rire du Duc la fit instantanément détendre, comme si toute la pression qu’elle avait elle-même battit au cours de ces dernières ennéades s’étaient envolés. La jeune femme lui rendit son sourire avant d’écouter attentivement ses paroles. « Je vous remercie pour ces précisions, et je vous garantis qu’elles ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Comme je vous l’ai déjà dit, j’ai loin d’avoir votre expérience stratégique. Je prendrais donc, tous les enseignements que vous daignerait m’accorder. » Déjà, la stratégie d’attaque de ce dernier n’était pas passée inaperçue et Adélina avait définitivement pris en note comment tout s’était déroulé. Quant à ce qu’elle avait fait pour sauver le Duc… La jeune femme baissa soudainement le regard, clairement dérangé. Elle ne regrettait pas d’avoir sauvé Adriano, si tout aurait été à recommencer, elle le ferait de nouveau. Mais elle ne pouvait cacher que tuer cet homme l’avait particulièrement dérangé. Il n’y avait pas une seule nuit qui passait sans que la baronne ne se réveille en sueur. Revoyant le visage déchiré de douleur de cet homme. Elle soupira, tentant de reprendre contenance avant de relever le regard pour croiser celui du Soltarii. « N’en parlons pas. Si cela devait se reproduire, je le referais sans hésiter. »


Lorsque le Duc accepta son invitation, Adélina baissa légèrement la tête, remerciant silencieusement son hôte alors qu’un léger sourire aux lèvres apparu sur ses lèvres rosées. Elle se mit rapidement en marche, s’assurant de laisser assez d’espace à son hôte. Les portes de la salle du conseil s’ouvrirent rapidement devant le duo, et Adélina s’arrêta rapidement près d’une de ses servantes, l’invitant à retourner à son travail vu que son aide ou sa compagnie ne serait pas nécessaire. Ils marchèrent en silence pendant un bon moment, au grand déplaisir de la baronne qui semblait de plus en plus mal à l’aise. Pour être honnête, elle ne s’était guère attendue à ce que ce dernier accepte, mais il fallait croire que ses actions avaient changé la première impression qu’elle avait donnée au Duc. « Je vais être honnête, Votre Altesse. Je ne croyais définitivement pas que vous accepteriez mon invitation. » Elle eut un léger sourire gêné, fixant un point devant elle sans regarder l’homme à ses côtés. « Pendant plusieurs ennéades, j’ai cru que ma présence vous était dérangeante, surtout après notre premier dîner. » En soit, ce n’était pas qu’elle n’aimait pas le Duc, mais Adélina avait toujours été extrêmement honnête et les flatteries du Soltarii lui avait paru particulièrement fausse à l’époque. Deux serviteurs ouvrirent deux portes pour laisser sortir le duo, et la jeune nordienne s’arrêta net, ébahie par le spectacle qui venait de se dévoiler devant elle. Impressionnée, cette dernière entra dans les jardins, avant de toucher délicatement une fleur inconnue du bout des doigts. Les pétales orangés de cette dernière semblaient briller sous les éclats du soleil. « C’est tout simplement magnifique » murmura-t-elle, plus pour elle que pour son hôte. Elle lâcha la fleur avant de se tourner vers le Duc, un sourire aux lèvres. « Avez-vous d’autres secrets de ce genre? »

Une étrange chose se produisit lorsque le Duc, dans sa politesse certes sincère mais tout à fait protocolaire, vit la jeune femme passer devant lui. Ses formes féminines, son déhanché, sa longue robe, et ses longs cheveux aux reflets magnifiques, lui rappelèrent alors… Sa vie d’avant. Sa vie d’homme marié, avec des enfants. Oh, Catarina, sa douce et délicieuse fille, était un astre à elle seul et un ange que le Duc protégerait envers et contre tout. De toutes les manières que ce soit.

Il se souvint également de la magnifique Faustina Orsini, sa première épouse, mariée par amour. Elle était belle, elle était douce… Et Adriano, à l’époque, était loin d’être celui d’aujourd’hui. S’il avait toujours été du genre belliqueux, à apprécier l’art de la guerre maritime, de mener les hommes au combat et de faire face à l’ennemi, son côté calculateur n’était pas aussi… Développé. Oui, il était un autre homme, à sa manière. Ce côté, au départ lattant, se développa grandement avec l’accession de son père au trône ducal de Soltariel. Son second mariage, alors, fut des plus calculé avec Victoria di Maldi, et les enfants qui naquirent, paix à leurs âmes, un moyen politique d’obtenir plus de pouvoir à la génération suivante d’une lignée nommée par l’ancien conseil de régence.

Voir ainsi cette jeune femme gracieuse, gracile, rafraichissante et ô combien parmi les plus belles créatures de ce monde, réveilla les deux aspects de sa personnalité. Pour la première fois depuis le décès tragique de sa famille, l’homme s’autorisa à ouvrir ce que d’aucun nommait alors « le cœur ». Mais, plus que la naïveté de sentiments quelconques, l’esprit fut tout aussi mit en éveil.

Adélina était l’heureuse – espérons-le – élue du cœur d’un certain Théodoric de Langehack, fils du regretté Marquis Griffon de Langehack. Certes, Prudence était la nouvelle Marquise, et donc, l’héritière actuelle de tous les titres de son père… Mais Théodoric était second sur l’arbre de succession. Si Adélina et lui se décidaient à procréer, l’enfant résultant de cette union serait l’héritier de tout le Marquisat, et cela, de manière plutôt rapide sur le fameux arbre de l’héritage… Les choses pouvaient devenir… Intéressantes.

Les paroles de la jeune femme le tirèrent soudainement de sa rêverie contemplative et de ses élucubrations calculatrices. Souriant à nouveau sincèrement – ce qui l’étonna lui-même – le Duc répondit avec un sourire dans la voix.

« J’apprécie votre honnêteté, très chère. » Dit-il, offrant donc un sourire à la jeune femme. « Votre compagnie n’a jamais été désagréable, ni non désirée. En aucune façon. Disons que… Les débuts de notre entente furent entachés par le caractère… Mon caractère. » Dit-il, sans avouer son côté calculateur, mais avouant sans détour le caractère orgueilleux et fier du Suderon qu’il était. « Les Suderons et les Nordiens s’opposent sur bien des points. Nous ne vivons point sous les mêmes climats, ni ne possédons sans doute point les mêmes traits d’histoire et de caractère… Mais je suis heureux que vous et moi, nous ayons pu dépasser tout cela afin de nous investir de la mission divine qui fût notre : chasser les cultistes. Encore une fois, je vous en serai toujours reconnaissant. »

S’avançant aux côtés de la jeune femme, le Duc ne fut point aussi émerveillé qu’elle lorsqu’ils arrivèrent dans un des jardins de l’immense palais. L’art était quelque chose qui l’émerveillait, comme pour presque tous les Suderons… Mais au lieu des pétales et des plantes, les yeux du Duc s’arrêtaient surtout sur les colonnes de marbre et de pierre, et, au loin… Sur l’horizon bleuté de l’océan qui s’étendait à perte de vue. Oui, s’il y’avait bien une seule sincérité dans la vie du Duc, c’était son amour pour la mer, l’océan, et la liberté que cela supposait.

« Le Sud en regorge, Votre Honneur. » Dit-il, un brin de fierté dans la voix. « Les jardins du palais sont magnifiques. Mais il existe plus beau encore… Appréciez-vous la mer ? L’océan ? »

La nordienne haussa les épaules, alors qu’un demi-sourire se glissa sur ses lèvres. « Il faut croire que les différences culturelles existent toujours entre nous.» Elle retourna son regard vers les jardins commençant à marcher tranquillement sur le sentier, espérant que le Duc la suivrait. « Mon père m’a toujours dit de régner avec honnêteté et intégrité. Les mensonges - disait-il - est ce qui détruit l’homme. Qu’après le premier mensonge aussi petit qu’il soit, toute la vérité se transforme en doute et je ne voulais pas de ce doute entre nous. » La nordienne se retourna vers le suderons, tentant de s’expliquer ; « Je n’ai besoin d’aucune flatterie, aucun faux-semblant. Vous avez déjà gagné et je suis ici pour vous aider, Votre Altesse. Sachant d’ores quel type d’ennemis m’attendaient dans ce chemin. » Elle avait dit cela de la façon la plus douce possible, un sourire franc aux lèvres, tentant de se mettre à nu devant Adriano pour qu’il comprenne qui elle était réellement. Adélina eut un air gêné, ses joues semblaient se roser sous les éclats du soleil avant qu’elle ne baisse le regard, se retournant pour continuer son chemin. « Quant à ce qui s’est passé durant cette rencontre fatale…»


Elle soupira un moment avant de fermer les yeux, tentant d’étouffer les images sanglantes qui remontaient à la surface. « Si je suis soulagée, et même ravie, de savoir que votre vie est sauf, je ne peux m’empêcher de m’en vouloir d’avoir donné la mort à un autre. » Ses mains tremblèrent légèrement alors qu’elle ouvrit finalement les yeux, évitant soigneusement le regard du Duc. Oh, elle ne regrettait pas d’avoir sauvé Adriano ! Mais savoir qu’elle avait pris le souffle d’un autre pour le Duc la torturait d’une façon qu’elle aimait guère et qui désormais, hantait ses nuits. Ce n'était pas rare qu'elle se réveille en hurlant, en sueur. Se rappellant du visage de l'homme.


La jeune femme continua son chemin, se doutant que le Duc la suivrait avant d’écouter ce dernier se vanter des beautés du Sud. Ce qui eut l’effet de la faire sourire. « Je n’en doute point. Je crois que ce que j’ai vu n’est qu’une infime partie.» Elle effleura du bout des doigts une rose orangée avant de sourire. « Je suis habitué aux montagnes enneigées et aux champs à perte de vue. Rien de semblable à ce que j’ai vu ici jusqu’à maintenant.» Elle se tourna vers Adriano, un sourire sincère aux lèvres avant d’ajouter ; « Si le temps vous le permet, vous êtes le bienvenu en Alonna pour découvrir les splendeurs de l’Alonnan. Nous n’avons pas de palais, mais nous pouvons nous targuer d’avoir d’autres richesses.» Dit-elle, son regard brillant de fierté. « Quant à l’océan, je dois vous avouer que je n’y ai jamais navigué. Mes voyages m’ont surtout conduit à descendre la Syrilia. Rien de comparable à ce qui se trouve devant nous.» Conclua-t-elle alors que son regard se portait sur l’horizon bleutée au loin.

Le Duc ne pouvait point être plus d’accord avec la jeune Baronne, qu’en cet instant. Oui, il existerait toujours des différences culturelles entre le Nord et le Sud, et donc, entre elle et lui. Non point que cela soi foncièrement mauvais pour l’un ou pour l’autre. Ou que cela soit une malédiction d’aucune sorte. Non. Le Nord et le Sud étaient différents depuis si longtemps, qu’ils parvinrent à se compléter l’un l’autre, et à apporter, du moins théoriquement, une sorte de stabilité à la Péninsule toute entière.

Après tout, la Péninsule et le Roy ne trouvaient-ils point leurs greniers dans le lointain Nord, plus froid, mais ô combien plus propice à la culture diverse et variée grâce à sa population rustre ? Le Nord n’était-il point le vivier militaire du royaume des Hommes ? Leur côté rustre n’expliquait-il point leur résilience et résistance face aux menaces qui se trouvent plus au Nord encore ? Après tout… Ne sont-ce point eux qui font face aux Wandres et aux lointains Nabots ? Et aux longues-oreilles dépourvues d’honneur ?

Après tout, encore, la Péninsule et le Roy ne trouvaient-ils point leur or, leurs taxes et leurs commerces grâce au Sud ? Le vin, délicieux, les mets raffinés, les tissus fins de velours et de satin, ne provenaient-ils point des tanneries du Sud, ou le climat sec et chaud permettait des cultures bien différentes de celles du Nord, et qui, avouons-le, étaient très recherchées par la Haute Noblesse Péninsulaire ? L’armada du Sud n’était-elle point le bouclier maritime qui protégeait les côtes humaines contre les navires Vaanies, pirates, et des courtes-jambes ?

Théoriquement, ceci désignerait sans doute une Péninsule parfaitement équilibrée… Mais en pratique, les choses étaient bien différentes. Malheureusement. En pratique, Nord et Sud ne peuvent se supporter. En pratique, ni l’un ni l’autre n’arrivent à se faire comprendre. En pratique, les seigneurs du Nord se déclarent la guerre à tout rompre, tandis que ceux du Sud s’empoisonnent et fomentent complots et autres plans machiavéliques.

Aussi, les propos de la Nordienne avaient une saveur particulière, et sa façon de parler au Duc incarnait toutes les différences citées ci-dessus.

« Pardonnez-moi si mon comportement vous a fait vous sentir spoliée, ou en plein mensonge. Malheureusement, quelques-unes des différences entre le Nord et le Sud résident dans les faux-semblants. Car, si vous, Nordiens, n’hésitez-point à tirer l’épée pour faire réparer un affront… Ici, les choses sont bien plus… Indirectes. » Partageait-il, avant d’offrir un sourire sincère. « Mais vous avez eu raison de mettre les choses à plat. Et il n’est plus question de vous flatter, ma chère… Mais mes compliments, dorénavant, sont parmi les plus sincères, je le jure sur mon honneur. »

Lorsque la jeune femme mentionne la mort de celui qui, si elle n’avait point agi, aurait été l’illustre assassin d’un Duc, une nouvelle fois en seulement quelques ennéades, le souverain du Sud se referma quelque peu. Soldat depuis des années, l’ancien Amiral de la flotte Soltaar avait occis bien plus d’ennemis qu’il ne saurait l’avouer. A être franc, il ne se souvenait même plus du premier être qu’il avait tué…

« Ce sont les difficiles lois de la guerre. La Mère, bénie soit-elle, nous apprend la miséricorde et le pardon. Et pourtant, nous nous battons… Parfois pour du pouvoir, d’autres fois pour des raisons bien plus futiles encore… Hier, vous vous battiez non point pour ma survie, mais pour défendre la Mère elle-même, et le clergé Pantien. Je suis sûr qu’Elle saura adoucir vos songes. »

Approchant le bord du balcon, posant ses mains sur la pierre froide, le Duc regardait l’océan lointain. S’il se concentrait assez, il pouvait presque entendre le chant des mouettes et le doux bruit des vagues lorsque les vents provenaient des côtes. Depuis les hauteurs du palais, on voyait aussi le bras de la Garnaad et les navires qui y allaient et venaient, depuis les côtes jusqu’à l’intérieur des terres, pour desservir la cité ducale.

« Votre invitation me touche, et je saurais m’en souvenir, soyez en certaine. Les montagnes… Ce doit être très beau également. Toutefois, je dois vous avouer être un homme de la mer. Que diriez-vous de venir sur mon navire, lorsque la chose vous plaira ? Vous verrez… L’océan… Le bruit des vagues… Le chant des oiseaux… »

 

La jeune femme balaya rapidement les paroles du Duc de la main, répondant à son sourire. « Ne vous inquiétez pas, Votre Altesse. Cela est déjà oublié. Je tenais simplement à vous expliquer ma réaction. » Car soyons honnête, ce dernier ne semblait guère apprécier, se faire répondre de la sorte par une jeune femme, qu’elle soit baronne ou non. « J’aimerais vous dire que je m’habituerais à cette façon de faire, mais même mon mari n’est pas de ce genre. » Elle eut un léger rire, avant de reporter son attention vers la mer qui s’offrait à eux. « Bien que ce dernier est un langecin, il agit comme le plus pieux des nordiens. » Son sourire sembla s’obscurcirent pendant un moment, se rendant compte que ce dernier lui manquait terriblement. Tout ce temps loin de son aimé était particulièrement difficile, bien qu’elle n’osât l’avouer. Bien que leur relation fût jeune, cela ne changeait guère la complicité que les deux partageaient. Elle retourna son regard vers le Duc, lui faisant un léger sourire avant de continuer ; « Ne vous inquiétez pas, je tâcherai d’apprendre. »


La baronne ne manqua guère l’expression du Duc alors qu’elle mentionnait ses cauchemars. Il semblait s’être refermé. Son sourire avait disparu et son ton charmeur semblait s’être envolé. À ce moment précis, la jeune femme eut l’impression de voir une nouvelle facette de son hôte. Peut-être que ce dernier ruminait encore la perte de sa famille. Et qui aurait pu le blâmer ? Quelle tragédie horrible ! Juste sa pensée avait pour effet de glacer le sang de la nordienne. Si le Duc avait pris le trône dû à cela, il avait payé un prix excessivement cher pour cela. Néanmoins, ces mots furent rassurants. Oh, Adelina ne se faisait guère d’idée. Elle ne savait que trop bien que ce dernier devait avoir pris le souffle de nombreuses personnes. Juste à pensée que ce dernier avait participer à la guerre de Merval lui donnait une confirmation. Mais il était déjà clair qu’ils n’étaient pas faits de la même étoffe. La jeune femme, n’avait, jusqu’ici jamais prit la vie de quiconque. « Je l’espère. » Murmura-t-elle alors que son regard se retourna devant elle, pensive. Se disant qu’elle retournerait au temple après le dîner pour aller prier une nouvelle fois.


Quant à l’invitation du Duc… « Ce sera avec plaisir » Répondit-elle avant d’avoir un air gêné, soudainement cette conversation la mettait particulièrement mal-à-l’aise. Peut-être était-ce cette proximité avec le Duc, ou la façon qu’il la regardait. Définitivement, elle devrait réellement faire attention à ne pas dépasser cette ligne. Retournant rapidement son regard vers la mer, tentant de fixer un point quelconque, elle ne retourna la tête que lorsqu’un serviteur l’interpella.


« Pardonnez-moi, Votre honneur. Vous avez reçu une missive d’Alonna. »


Le visage de la nordienne sembla s’éclairer pendant un moment avant de se retourner vers le Duc. « Je vous remercie pour cette courte visite. Je sais à quel point votre temps est précieux et ce fut un réel plaisir de vous avoir pour cette promenade. » La jeune femme s’inclina – faisant une révérence à son hôte avant de rejoindre le serviteur qui lui tendit un parchemin finement plié. Elle lança un dernier regard au Duc, ayant un léger sourire aux lèvres, avant de retourner à l’intérieur pour rejoindre ses appartements pour lire la missive en paix. Voilà une promenade qui fut particulièrement intéressante…