Erreur de jeunesse - Aegden, Artiön

Fin deuxième ennéade de Favrius
An 20 du 11ème cycle

Duinor leva les yeux vers la canopée et les fragments de ciel au travers du feuillage des arbres. Il estimait à environ deux heures avant que le soleil ne se couche, mais au niveau du sol, il ferait sombre bien avant ça.

« Depuis combien de temps ont-ils disparu ? »

« Nous avons remarqué leur absence aux environs de midi. Nous avons immédiatement cherché aux endroits habituels, mais sans succès. »

Il n’était pas rare que de jeunes elfes bravent l’autorité et s’éloignent de la cité pour quelques heures. Lui-même l’avait fait à plusieurs reprises dans sa jeunesse et il était convaincu que le soldat en face de lui aussi. Au fil du temps, certains endroits étaient devenus plus populaires et c’est pourquoi la recherche avait commencé par là. Si les jeunes délinquants ne s’y trouvaient pas, ça signifiait peut-être que leur curiosité avait eu le meilleur d’eux et qu’ils étaient trop loin pour revenir par eux-mêmes. C’était ennuyeux, car du temps sera perdu pour aller les chercher, mais plus important encore, la forêt se comportait étrangement depuis quelque temps et rendait les déplacements périlleux. Normalement, ils le savaient très bien, mais ils avaient quand même décidé d’en faire qu’à leur tête. La correction promettait d’être sévère, mais le plus important, c’était de les retrouver sains et saufs.

« Nous allons les chercher. Il ne nous reste pas beaucoup de temps avant la tombée du jour, mais j’en prends le risque. Juste au cas, préparez le nécessaire pour passer la nuit dehors. » L’idée de passer la nuit en pleine forêt ne l’enchantait pas vraiment, mais en tant que soldat, il y était habitué et le ferait sans hésiter.

Quelques minutes plus tard, il y avait une certaine agitation en périphérie de la ville alors qu’une douzaine de soldats sous les ordres de Duinor se préparaient à partir. Il envisageait toutes les possibilités, mais espérait qu’aucun problème sérieux ne leur soit arrivé. Il espérait aussi que, réalisant qu’ils étaient perdus, les jeunes aient décidé de rester au même endroit dans l’attente des secours, au risque de s’enfoncer plus profondément dans la forêt sinon. Duinor avait demandé son frère de les accompagner, mais le médecin était occupé et ne pouvait pas laisser ses patients. Il lui avait donné le nécessaire pour administrer les premiers soins et se préparait à les recevoir si cela s’avérait nécessaire.

Quelque chose n’allait pas ce soir-là. Aegden avait presque l’impression de le sentir dans l’air épais qui marquait la fin de l’hiver. Les visages qu’il croisaient lui semblaient inquiet, tendus. Les entrainements étaient presque mous et sans entrains. Et a vrai dire il n’eut pas spécialement besoin de chercher loin pour comprendre ce qu’il se passait.

Dans la cours de la caserne royale, une rixe venait soudain d’éclater entre un soldat et une jeune femme qu’Aegden ne reconnaissait pas comme l’une de ses soldates. Elle lui criait dessus tandis que l’autre reculait complètement désemparé. Alors, le lancier s’était approché, remarquant les larmes de la jeune femme. A peine avait-il mis un pied à l’extérieur qu’elle s’était effondrée à genoux.

-Luinë ? Demanda-t-il au soldat mal à l’aise d’avoir été pris à partit. Je peux savoir ce qu'il se passe ?

-Maintyh. Salua-t-il nerveusement. Elle dit avoir perdu ses enfants. Je lui ai dit que la milice devait déjà s’en occuper. Mais elle n’a pas voulu m’écouter… Je suis désolé…

-ça va. Rentre chez toi. Je m’en occupe.

Doucement, il s’agenouilla devant la jeune femme, prenant sa main pour attirer son attention. Cela sembla marcher car son regard terrifié se fixa soudain au sien.

-Heri, j’ai besoin que vous me donniez des détails sur ce qu'il se passe.

-Je ne sais pas…Commença-t-elle tremblante. Un de leur ami parlait de la forêt…Qu’ils étaient partis là-bas pour un jeu…Mais qu’ils ne sont pas revenus. Elle serra fortement sa main. Ils n’ont jamais fait ça Commandant. Et je sais ce qui est arrivé…l’autre jour… Je vous en supplie. Pas mes enfants… Pas mes garçons. Faites quelque chose.

-Luinë me disait que la milice locale devait déjà s’en charger, vous leur avez parlé ? Continua-t-il avec le même calme.

-Ils n’ont rien trouvé depuis des heures. Intervint un autre soldat, non loin.

-Où est-ce qu’ils cherchent ?

-Vers le Nord. Ils voulaient voir la clairière aux rochers fendus dont tous les jeunes elfes parlent… C'est...une sorte de défis qu'ils se lancent parfois.

-Bien. Il posa sa main sur son épaule et lui offrit un sourire rassurant. On va les ramener c’est promis. Relevant le regard vers les deux autres hommes qui observaient la scène. Occupez-vous d’elle, qu’elle rentre en sécurité. Il fit mine de se relever en entrainant délicatement la jeune femme désorientée dans le mouvement. Je vais essayer de rejoindre les hommes déja sur le coup.

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Ni une ni deux, quelques messages furent envoyés à qui de droit. Le mainyth avait ensuite repris arme et armures et avait bondit sur le dos de son mathandil, galopant à travers la cité blanche, espérant trouver à temps les miliciens lëandrins.

Il ne l’avait pas dit à la pauvre mère déjà assez abattue par la peur, mais lui aussi était inquiet et c’était pour ça qu’il s’en mêlait personnellement. Comme elle, il avait de suite pensé à ce qui était arrivé à un petit groupes de soldats lëandrins, dont son propre ami quelques temps plus tôt. Depuis l’étrange lune qui avait disaient-on brillé une ennéade entière, les phénomènes et les accidents malheureux ne s’accentuaient que trop. Kÿria fasse que ça ne se reproduise pas aujourd’hui.

Le début du printemps. Le retour des « beaux » jours. À tes yeux un compte à rebours avant l’arrivée des insupportables chaleurs d’été. Aux yeux de tes enfants cependant – eux qui étaient nés ici – la promesse de pouvoir batifoler sous le soleil dans les parterres de fleurs qui commenceraient à recouvrir les clairières de la forêt Lëandrine. Et cette fois-ci vous ne seriez pas trop de trois, ton épouse, toi, et Forvenion – l’Arpenteur qui les avait tous les trois accouché – pour les surveiller. Hràvion et Salaedhel étaient encore à l’âge où les petits grandissent comme de mauvaises herbes… et se comportent comme de mauvaises herbes ! Quant à leur grande sœur, si elle mettait un point d’honneur à vous aider à les discipliner tant que vous étiez entre les murs du palais, elle devenait l’instigatrice de la majorité de leurs bêtises une fois dehors.

- Ata ! Ata!

Hràvion gloussait à s’en exploser les poumons, t’incitant par ses hurlements de rire à le lancer chaque fois un peu plus haut. Plutôt que cela, tu préférais simplement plier les genoux et faire le mouvement partir d’un peu plus bas. Appelons cela tromperie, car ce que l’enfant demandait, c’était à plus s’éloigner du sol, mais c’était pour le mieux. Hràvion pouvait parcourir un peu plus de chemin à travers les airs sans que tu n’aies à prendre plus le risque de le blesser. Se blesser, Elorëa et Salaedhel était déjà assez doués pour le faire eux-mêmes.

- Tu m’attraperas pas !

- Si aton ! Si aton !

- Si tu m’attrapes pas c’est maman qui te lit ton histoire ce soir !

- Noooon !

Kaëlistravaë soupire et te regarde, l’air presque désolé. Parfois les enfants ne se rendent pas compte à quel point leur mots peuvent être vexants.

- Il faut croire qu’il a déjà passé l’âge de se faire border par sa vieille maman.

Tu ris avec ton épouse, et poses au sol un Hràvion qui désespère finalement d’échapper à tes bras.

- Depuis qu’Elorëa a commencé à lire tout seule, il faut croire que son petit frère n’en a plus que pour elle… tu regardes le plus jeune de la paire de jumeaux se ruer vers la jambe de sa mère Mais au moins on dirait que celui-là est content de t’avoir pour lui tout seul.

- On verra ce que tu en dis quand l’un d’entre eux t’aura remplacé, monsieur le favori. Forvenion rit à son tour Tu n’imagines pas à quel point c’est difficile de les faire manger quand tu dois t’absenter !

- Je te l’ai déjà dit. De bons petits Daranovans dans le Souffle mes enfants. Alors il faut les nourrir comme des Daranovans ! Ce n’est pas ma faute si tu refuses d’utiliser les recettes que je t’ai donné. tu lances un regard complice à Kaëlistravaë S’ils ont réussi à faire céder Tigilidënya, ce n’est qu’une question de temps avant que ce soit ton tour.

Forvenion acquiesce avec une dramatisée réluctance, seulement pour se rendre compte que tu ne le regardais plus. Ton attention, comme celle de Kaëlistravaë était toute entière à Elorëa et Salaedhel, courant vers vous comme pris d’une intense panique. Comme saisi d’un vent de doutes et de froid, tu prends instinctivement tes deux enfants contre toi, et eux, comme à la recherche de chaleur, se blotissent dans le creux de ton cou. L’Arpenteur, ton épouse et toi restez interdits quelques instants, et voyant votre incompréhension, la petite se décide enfin à briser le silence.

- L’armée est là-bas.

Vos oreilles se dressent. Le vent vous porte des mots perdus par des soldats organisant la battue. Des phrases incomplètes dont les quelques morceaux vous étant parvenus sont suffisants à vous inquiéter. Tu déglutis, et fronces les sourcils, l’air de demander à ton épouse que faire.

- Ramenez les enfants en ville. Je vais essayer de comprendre ce qui se passe.

- D’accord.

Forvenion prit Hràvion contre lui, et à grands pas, laissant ton épouse derrière vous à contrecœur, vous aviez obéi. Kaëlistravaë quant à elle remercia la Mère de l’avoir convaincue que porter le pantalon serait plus adapté à poursuivre ses enfants à travers les bois, car il semblerait qu’aujourd’hui, elle aurait plus encore à faire. S’enfonçant vers le Nord à ce que – force de côtoyer son époux – elle sait être un point de ralliement de la milice locale, elle pensait à Halyalindë. À ce moment elle aurait aimé être sa cousine, être plus à l’aise hors de la ville. Mais qu’y pouvait-elle ? Quoi que ce ne fut pas le cas, elle restait la Reine de ce peuple. Reine consort, mais Reine tout de même. Et en tant que reine il était de son devoir d’aider lorsqu’elle le pouvait, surtout lorsqu’il s’agissait…

- ...d’enfants. le soldat répond avec un air contrit Ils ont été déclarés disparus il y a quelques heures et impossible de mettre la main sur eux.

- Vous avez essayé la clairière aux rochers fendus ? Tous les enfants depuis l’arrivée du printemps ne parlent que d’y aller.

- Vous savez où elle est ?

- Oui. Suivez-moi.

Duinor et ses hommes rassemblaient tentes, équipements et nourritures avec l’efficacité de ceux qui avaient fait ça des centaines de fois. Ils travaillaient rapidement, car chaque minute comptait et que personne ne voulait passer la nuit en forêt. Ils savaient tous ce qui était arrivé à un petit groupe de soldat récemment. Duinor lui-même en avait été témoin et il craignait, avec raison, ce que pouvaient cacher les ombres de la forêt.

« Narmondil, as-tu l’eau que je t’ai demandée ? » Il passa un sac sur ses épaules. Ils iraient à pied. Bien que les montures soient plus rapides, elles étaient peu efficaces en dehors des routes.

« Oui, caporal. »

« Très bien, nous sommes prêts à partir. » Il éleva la voix afin de se faire entendre au-dessus des autres. « Rassemblez-vous ! » Mais alors qu’il parlait, un mathandil et son cavalier fonçaient sur eux. Duinor le reconnut aussitôt, Aegden Orian, le commandant de l’armée royale en personne et accessoirement l’elfe qui lui avait sauvé la vie des années plus tôt s’arrêta devant eux, l’air concerné. Ils s’étaient revus depuis, évidemment, et avait travaillé ensemble, le commandant étant reconnu pour être proche de ses hommes même si Duinor n'était qu'un caporal qui ne faisait que relayer les ordres. Il leur donnait l'impression d'être important et pour ça, il l'aimait bien. En revanche, en tant que commandant de l'armée royal, il était chef de toutes les armées et pouvait prendre le contrôle si nécessaire. S'il donnait des ordres, Duinor et ses hommes devront obéir au même titre que s'ils étaient eux-même dans l'armée royale.

« Mainyth. » Il inclina respectueusement la tête. « Nous nous apprêtions à partir. Trois jeunes ont été portés disparus et nous pensons que… » Il s’interrompit, la bouche ouverte. Une femme venait de se joindre à eux et s’adressait à l’un de ses miliciens, tout aussi étonnée que lui en réalisant l’identité de son interlocutrice. La reine venait de les retrouver, probablement elle aussi attiré par l’agitation. Évidemment, le milicien lui expliqua rapidement la situation ainsi que la piste qu’ils s’apprêtaient à suivre avant son arrivée. Par chance, elle connaissait l’endroit et les invitait maintenant à la suivre.

Ce serait mentir que de dire qu’à cet instant, Duinor ne ressentit pas une pointe d’amertume. Il était un vétéran de nombreuses guerres et bien qu'il ne soit qu'un caporal, il n’en était pas à sa première mission de sauvetage. Il avait une confiance absolue envers ses hommes en particulier Narmondil avec qui il avait fait l’Académie. Il avait la situation bien en main, mais voilà qu’elle lui échappait alors qu'il rêvait de faire ses preuves et de devenir lieutenant. Ses oreilles se rabattirent contre sa tête, signe manifeste de son agacement. Évidemment, c’était stupide et il le savait. Le plus important était de retrouver les disparus. Il ravala donc sa fierté meurtrie et, d’un signe de tête, indiqua à ses hommes de se mettre en marche.

« Ça risque de leur faire tout un choc. » Souffla Narmondil aux côtés de Duinor. « D’abord le commandant et maintenant la reine, ils n’oseront plus jamais désobéir aux ordres ! » La remarque fit sourire Duinor, qui était encore honteux de sa propre réaction. « C’est de leur propre mère qu’ils devraient avoir peur, mais oui, si ça peut les faire réfléchir un peu avant d’agir. »

-Duinor.

Poing frappé contre sa poitrine, Aegden avait rapidement salué le soldat une fois qu’il eut mis pied à terre. Point de ronds de jambe ni de détours, il ne voulait pas perdre plus de temps. D’autant que la nuit viendrait rapidement à tomber et les quelques lueurs que les soldats portaient çà et là leur serait de bien dérisoires alliés.

Arriva la reine, qui les entraina rapidement vers la direction que la mère des enfants disparues avait-elle-même indiquée.

-Leur mère suppose qu’ils sont effectivement partit là-bas par jeu. Intervint-il.  En tout cas c’est ce que les derniers témoins s’accordent à dire. Allons-y et on avisera à partir de ça.

Elle n’était pas bien loin de leur point de départ, lieu fréquenté par les jeunes oblige, et se détachait légèrement du paysage lëandrin typique. A flanc d’un gros escarpement rocheux, les immenses arbres s’espaçaient plus que d’habitude, laissant la pierre prendre le pas sur la végétation. Au beau milieu, comme abandonné la par une quelconque gigantesque créature, il y avait un immense roc, fendu en deux et entourés de nombreux autres, plus petits et tout aussi fissurés.

-Regardez là bas.

Un soldat interpella soudain le lancier, et lui désigna un objet un peu plus loin, a demi caché dans les herbes folles et les galets. C’était un long bâton de bois, vaguement pointu et dont une partie semblait plus large que l’autre. Avec une ficelle maladroite, on avait tenté de fixer une garde à l’épée de fortune qui avait certainement fait la joie d’un petit garçon quelques temps plus tôt.

Mais à part l’objet abandonné là, rien. Ni à même la clairière, ni dans les arbres, ni caché au creux du rocher ni…Il fallait l’admettre, le commandant ferma les yeux et laissa échapper un soupir de soulagement  ainsi qu'une prière à Kÿria lorsqu’un regard dans le contrebas du précipice fit s’envoler la crainte d’y retrouver un enfant. Alors le reste du groupe d’elfe désemparé retrouva son attention.

-Séparons nous en petit groupe. On couvrira plus de distance de cette manière.

Les choses auraient été trop faciles s’ils s’étaient simplement trouvés là où tous les attendaient. L’apparent soulagement des soldats trouva un écho en l’anxiété grandissante de Rîn Berith. Pour ce qu’elle en savait, ils n’avaient plus d’indices, plus d’hypothèses sur lesquelles se baser, plus rien sinon la forêt à perte de vue et une terrible question…

Et si un jour cela devait arriver à ses enfants ?

Kaëlistravaë souffla et se ressaisit, glanant ça et là les informations qu’elle pouvait. Qu’elle seule ici pouvait. Personne ne voit le monde dans les mêmes couleurs qu’elle. Personne ne perçoit la couleur de la Vie. Et peut-être, peut-être, même si ce n’est pas un exercice auquel elle est habituée, peut-elle abuser de ce don pour voir ce que d’autres ne pourront pas et trouver le chemin des perdus.

- Entendu.

Instinctivement, la Dame se rapproche du Commandant. Car il est – bien qu’elle ne sache en réalité que trop peu – celui ici qu’elle connaît le mieux. Voir les autres groupes se former l’inquiète cependant, car elle sait aussi que depuis le jour fatidique où la Silène a frappé l’éther, l’Anaëh semble retrouver ses forces d’antan. Pour le meilleur et pour le pire. Se retrouver en petit comité était aujourd’hui bien plus dangereux que cela ne l’aurait été hier. Seulement il le fallait bien. Couvrir le plus de terrain possible était la meilleure chose à faire s’ils voulaient avoir une chance de retrouver les petits aventuriers avant qu’il ne leur arrive quelque chose.

- À cette période de l’année les enfants aiment bien partir à la recherche des dernières baies d’hiver. Peut-être qu’en suivant la trace des buissons à baies les plus proches on finira par les retrouver.

Une proposition perdue que Kaëlistravaë se trouvait bien en peine de faire, n’en ayant pour l’instant malheureusement pas d’autre. Mais elle était une jeune mère. Elle connaissait ses enfants. Elle connaissait les enfants du voisinage. Elle connaissait aussi les enfants des – bien trop nombreux – elfes qui venaient la consulter chaque jour. Et cela, quelque part, la rassurait.

Il suffisait de mettre les pieds dans la clairière pour comprendre pourquoi elle attirait autant les jeunes. En soi, ce n’était qu’une série de rochers fendus, dont l’un plus large que les autres dominait l’endroit et en faisait un point de repère facile à identifier. Un gamin n’avait qu’à dire à un autre de le rejoindre au rocher fendu pour qu’il sache exactement où aller.

L’équipe de recherche se dispersa rapidement à la recherche d’indices sur la présence des gamins, mais à l’exception d’une épée de fortune, rien n’indiquait qu’ils soient passés par là. Pourtant, c’était forcément le cas. Duinor était un assez bon traqueur. Il n’était peut-être pas le meilleur de l’armée, mais il avait l’expérience. Il tourna lentement sur lui-même, examinant le paysage et les traces infimes qui indiqueraient la direction prise par les enfants. Malheureusement, ils étaient tout un groupe à piétiner les herbes et à briser les branches, brouillant ainsi les pistes.

La théorie sur les baies n’était pas mauvaise. Quelque chose les avait poussés à s’éloigner de la ville. Duinor acquiesça d’un lent signe de tête alors qu’il réfléchissait toujours quand une aventure de sa propre enfance lui revint en mémoire.

« Ils pourraient aussi avoir vu une créature, quelque chose d’inoffensif et de mignon comme un groupe de Valao ou de Nolwëdil. Lorsque j’étais jeune, j’ai essayé d’en attraper et je me suis retrouvé en mauvaise posture. »

Duinor fit signe à Narmondil et aux autres soldats de s’approcher. Il les divisa en petits groupes et les envoya dans différentes directions avec pour instruction de revenir à la cité dès qu’il ferait noir. Personne n’avait envie de lancer une seconde équipe de recherche pour retrouver la première. Duinor se retrouva avec Aegden, la reine et deux autres soldats. Bientôt, il ne resta plus qu’eux dans la clairière et la forêt autour d’eux semblait soudainement bien silencieuse. Le caporal se dirigea vers la lisière de la clairière, le regard toujours tourné vers le sol à la recherche d’un signe qui indiquerait qu’ils étaient sur la bonne voie. Enfin, il le vit. Là, entre les brindilles et les feuilles mortes, gisait un bouton presque invisible dans la pénombre. Il se pencha pour le prendre et se tourna vers le groupe, sa précieuse trouvaille au creux de la main.

« Ça appartient probablement à l’un d’eux. »

Ce n’était pas grand-chose, mais son apparence quasi neuve indiquait qu’il était là depuis peu. Il sourit, encouragé et son regard revint vers la forêt. Entre les buissons, un espace s’ouvrait, assez large pour laisser passer un enfant.

« Allons par-là. »

Après avoir calée l’épée de fortune dans sa ceinture, Aegden avait remarqué l’inquiétude de la Rin Berith lorsqu’elle s’approcha de lui. Difficile de ne pas saisir au moins une infime partie de ce qui devait occuper les pensées d’une jeune mère dans cette triste situation. A vrai dire, les pensées du mainyth n’étaient pas très loin. Évidemment, lorsque la mère des enfants perdus avait expliqué le problème, un coin de l’esprit du soldat avait eu une pensée pour son propre fils. Devrait-il un jour suivre sur ce même chemin les traces de son propre enfant sans aucun moyen de savoir ce qui lui était arrivé ? L’idée avait quelque chose de proprement terrifiant.

-Ayez foi Heri, on les retrouvera. Lui adressa-t-il alors, en guise de tentative de la rassurer.

Duinor trouva un bouton de vêtement, ultime témoin de leur présence ici et à nouveau l’on suivit l’idée de la reine. Comme pour la clairière de laquelle l'expédition s'était lancée, cela s'avéra être une bonne piste de nouveau.

-Vous aviez raison.Commenta finalement l’un des pisteurs accroupit près d’un buisson quelques peu malmené… Sa main soutint une branche abimée de l’arbuste.

-Les jeunes ne peuvent pas résister à la gourmandise…S’amusa le dernier membre du groupe. Cependant son compagnon ne partageait pas le même enthousiasme.

-Ils ont effectivement dû venir chercher les baies. Continua celui-ci. Mais quelque chose les a effrayés. Du bout de la main il désigna une autre grappe à moitié cueillie. Quelques baies reposaient au sol, comme laissées tombées. 

Dans un même temps, Aegden siffla et adressa un geste au mathandil qui rodait près d’eux. Alors l’animal s’ébroua et réduisit la distance entre eux. S’il y avait des prédateurs dans les environs, cela pourrait devenir dangereux pour l’équidé. Ce geste eut au moins le mérite d'attirer l’attention sur une autre partie du chemin.

-D'autres traces de fuites. Reconnu le lancier en désignant d’autres branchages abimés. Par contre… Quelques mètres plus loin, au sol…ça ce sont les pas d’un elfe adulte...

Par plusieurs fois Kaëlistravaë retrouva son calme pour mieux le perdre. Chaque indice était à la fois source d’un immense soulagement et de nouvelles inquiétudes. Au moins les recherches avançaient-elles, cela était bon, mais aimerait-elle la direction dans laquelle ils seraient menés en continuant de suivre la piste des enfants ?

Pas le moins du monde.

Il était finalement bien peu de choses qui mettaient l’Etoile du Matin hors de ses gonds. Même lorsque la tension était forte, elle savait se tenir. Elle y avait été soigneusement éduquée. Son coeur pouvait battre la chamade, les larmes s’agglutiner au coin de ses yeux, et son sang se faire chaud comme les entrailles des Anciens Handil ou froid comme les eaux d’Holimion qu’elle savait garder le port digne et le visage droit. Mais eux… ces…

- Si des sauvages sont responsables de la disparition des enfants, j’espère pour eux qu’ils ont une bonne raison.

Son ton est plus froid qu’elle ne l’aurait voulu. Elle qui s’imaginait se lâcher dans un éclat d’une flamboyante colère, se rendait compte à quel point les rayons de l’Etoile du Matin ne s’étaient jamais faits voir qu’à travers la Lune. Elle souffle, reprends le calme qu’elle réalise n’avoir finalement jamais véritablement perdu et continue de tisser son fil de pensée.

- À moins que vous ne vous souveniez d’un adulte parti des Cités avec les enfants, j’ai une vague idée de là où se rejoignent les Ornedhels de ce côté de la forêt. elle claque de la langue Au moins le fait qu’Artiön traite bien trop souvent avec eux à mon goût aura eu ça de bon.

Elle le pense sans le penser en réalité. Avec le temps le rapport de Kaëlistravaë aux Ornedhels s’est adouci. Quelque part – chose étrange pour une elfe ayant quitté une Ardamir où elle les a côtoyé plus souvent qu’ailleurs – elle les comprend mieux maintenant. Force d’y être confrontée en tant que l’une des porte-paroles, oreilles et épaules de la Cité, elle a fini par entendre leur histoire et les raisons de leurs agissements si souvent hautement étranges. Aujourd’hui, elle est à nouveau capable de les voir comme les elfes qu’il sont eux aussi… des elfes dont elle craint toujours les frasques.

À chaque indice trouvé, le mystère s’épaississait un peu plus et soulevait de nouvelles questions. Ils avaient néanmoins réussi à reconstituer les circonstances de départ avec certitude : les jeunes s’étaient éloignés de la citée à la recherche de baies quand leurs jeux furent brusquement interrompus. Ce que Duinor imagina être une créature semblait plutôt être un elfe adulte à en juger par les traces au sol. Tout le monde s’accordait sur un point : ça ne pouvait pas être un elfe des cités. Duinor savait que le roi faisait régulièrement affaire avec eux, mais que ferait un Ornedhel dans les environs d’Alëandir aujourd’hui et pourquoi s’en prendrait-il à des enfants ? Les relations étaient-elles tendues à ce point ? Duinor ne les appréciait pas particulièrement, mais il ne leur vouait pas une haine farouche non plus. C’était plutôt un différend de mentalité et il était heureux de les laisser en paix s’ils ne cherchaient pas les problèmes. Il espérait que cet incident ne marquerait pas le début de nouveaux affrontements. Après tout, il était possible que les gamins aient eu un problème et que l’elfe passant par là soit venu à leur secours. Plutôt que de les ramener à la cité, il les aura plutôt amenés… ailleurs. Ça n’avait aucun sens, mais il préférait éviter de penser au pire pour l’instant. Rien n’indiquait que les enfants aient été blessés.

« Non, les enfants sont partis seuls, c’est confirmé. » Duinor regarda les traces sur le sol, puis leva les yeux vers la reine. « C’est notre meilleure piste, allons s’y. »