Au fond d'une chope

Les rayons du Soleil faiblissaient déjà, leur teinte venant sublimer cet éclat ambré si caractéristique de Thaar. Les nuances colorées vives et étourdissantes des draps suspendus dans les ruelles commençaient à s'évaporer, ne laissant que des ombres sans émotions et sans vie, planant au dessus de la tête des habitants.

L'endroit n'était d'ailleurs guère peuplé, contrastant avec la fourmilière que représentaient les soieries et les bazars. Ici, il n'était pas rare de voir des ordures s'entasser sur le bas côté, des bâtiments délabrés qui ne semblaient pourtant pas à l'abandon, des rats qui allaient et venaient, à la recherche de tous ce que la population pouvait rejeter.

La citée dorée aimait se parer de joyau et montrer sa luxure dégoulinante, mais elle n'était finalement pas si différente de ses sœurs, ne faisant que repousser la crasse vers l'extérieur pour afficher une beauté factice. Enivrante et aguichante, nombre d'âmes avaient dû se perdre dans son dédale, les yeux pleins d'étoiles et l'esprit débordant de rêves, avant qu'une ombre dans une ruelle ne mette brutalement fin à leur euphorie.

Azralith en savait quelque chose car même si cette terre n'était aucunement synonyme de gloire ou de promesses à ses yeux, sa beauté exotique avait néanmoins réussi à toucher son cœur d'eldéenne, son esprit voguait encore par moment au milieu des soieries. Et si aucune cité ne pouvait rivaliser avec la beauté volcanique et vénéneuse du Puy, il fallait bien reconnaître que Thaar méritait sa réputation.

La dame noire entendit un profond soupir et avisa un jeune garçon humain qui tirait sur l'une de ses jambes. Son visage rond marqué de coups était surplombé d'une paille blonde, le reste de son corps recouvert de vêtements sombres qui n'étaient pourtant pas particulièrement sales.

« J'sais que c'était pas bien c'que j'ai fais mais ils le méritaient. » rétorqua-t-il de sa voix fluette, ses yeux bleus plongés dans ceux de l'imposante drow qui ne semblait pas l'effrayer plus que ça. Cette dernière ne sembla en revanche guère apprécier cette proximité, grognant et montrant les crocs.

« Je t'ai déjà dit de pas me toucher morveux. » Elle secoua sa jambe pour qu'il s'en détache avant de croiser les bras en lui rendant son regard. « L'adversité permet de se forger, tu ne dois jamais dévier de cette voie si tu souhaites poursuivre l'excellence. »

Le visage de l'enfant sembla s'éclairer, une lueur d'excitation envahissant son regard.

« J'pourrais devenir aussi fort que vous un jour, j'pourrais devenir un prince ! » S'exclama-t-il soudainement.

Un rictus s'afficha sur le visage d'Azralith.

« Faudrait déjà que tu pousses un peu gamin. »

Elle l'avait croisé au détour d'une ruelle, aux prises avec deux forbans qui s'en donnaient à cœur joie. Un jeune vide gousset qui avait été pris la main dans le sac, la dame noire aurait volontiers ignoré la situation si les deux crapules ne l'avaient pas cherchée. Une violente correction plus tard, la voilà qui se retrouvait avec un morveux qui la suivait malgré ses avertissements.

Elle aurait pu s'en débarrasser avec aisance mais, sans trop savoir pourquoi, elle le tolérait, cherchant à le ramener de là où il venait. Son comportement enfantin hyperactif et capricieux lui rappelait peut être un peu trop Ssussun, cette pensée la fit rire intérieurement.

« Là, ici ! » Et le voilà qui partait à nouveau en courant dans une direction aléatoire. « C'est là où on se retrouve parfois avec Mousse ! Si on grimpe sur le mur on peut atteindre le toit et après on... » Il fut coupé soudainement dans son élan narratif, Azralith l'attrapant et le soulevant par sa tunique, observant les environs en ignorant ses protestations.

Il y avait bien une enseigne dans le coin, mais il n'y avait pas de nom, pas d'écriteau, rein qui de l'extérieur ne laissait penser à un lieu public si ce n'étaient ces grandes portes et le bruit venant de l'intérieur. Ce n'était sans doute pas le meilleur endroit dans lequel traîner, mais elle pouvait toujours y trouver un début de piste.

L'imposante drow pénétra alors dans ce qui s'avéra être une taverne. Immédiatement, plusieurs têtes se tournèrent vers elle, leur regard bien peu accueillant. Les drows n'étaient pas rares à Thaar mais ici, on avait tendance à ne pas aimer les étrangers, surtout lorsqu'ils avaient une corpulence comme celle d'Azralith et qu'ils pouvaient causer facilement du soucis.

Sans perdre de temps, la dame noire se racla la gorge avant de soulever le gamin dans les airs.

« Messieurs. Est ce que par hasard l'un d'entre vous aurait égaré ceci ? »

Lorsque l’immense drow avait franchi le pas de la taverne, quelques un des habitués à l’intérieur avait tiqué, certain froncé les sourcils, d’autres suivit la grande silhouette du regard. Pourtant personne n’était intervenu.

Dans un coin des coins de la salle, un homme aux cheveux blonds sembla prêt à se lever mais son camarade l’en empêcha d’une simple main posée sur son coude. Lui sembla plutôt amusé…et d’avoir envie de s’amuser aussi. Il se tenait nonchalamment, ses pieds croisés sur la table qu’il occupait, quelques herbes séchées fumant dans sa main.

-Oh je crois qu’il n’est pas tant égaré que ça. Finit-il par répondre. Doucement le semi elfe reposa pied à terre, puis, il décida de se lever et de s’approcher de l’improbable duo. Dis donc’ Brin de Paille, où t’es encore allé trainer ?

Lorsque la grande femme fit mine de le reposer par terre, le bandit s’agenouilla une seconde examinant les taches violacées sur son visage encore juvénile.

-Tu t’es battu ?
-P’têtre… ?

Le bandit retint un soupir. Pourtant au lieu de réprimander le gamin, il lui offrit un petit air malicieux.

-J’espère que t’as gagné cette fois au moins…

Mais le gamin sembla hésiter entre baisser le nez plus bas que terre et lever les yeux vers la grande femme. Son air coupable voulait tout dire alors Viliam n’insista pas. Se contentant de se redresser, il lui confia quelques pièces avant de passer une main dans ses cheveux déjà bien en bataille.

-Je crois que Mousse te cherchait près de la fontaine. Vas-y avant qu’il ne s’impatiente.

Et le gamin de ne pas se le faire prier deux fois. Un marmonnement que l’habitude du bandit faisait traduire par un ‘’merci’’ plus tard, le petit s’enfuyait à toute hâte. Il n’y avait aucun doute que dès son ami retrouvé, le petit voyou recommencerait aussi sec à chercher les ennuis…

Quoi qu’il en soit, lorsqu’il disparut Viliam releva son regard vers l’inconnue.  Elle était immense, même pour une drow… Il était déjà grand lui-même et elle faisait bien une demie tête de plus que lui… Quoi que ses cheveux noirs la disait plutôt sang-mêlé que drow au sang pure.

-Merci. Lui lança-t-il en s’appuyant le dos contre le comptoir. Il fit un petit geste au supposément propriétaire de l’établissement et, quelques autres pièces plus tard, il obtint une chope d’alcool amère. Je ne sais pas de quel mauvais pas vous l’avez tiré mais ces petits vauriens passent leur temps à se jeter dans les problèmes ces derniers temps…Le retour des beaux jours j’imagine…

Le seul homme qui lui répondit fut un vaani à la dégaine sensiblement similaire à celle de ses congénères. Il était cependant légèrement plus grand que ses camarades, assez large d'épaule, son visage recouvert d'une barbe qui ne semblait pas particulièrement bien entretenue. Et il fallait croire qu'elle avait eu une sacrée chance pour tomber aussi rapidement sur un type qui connaissait le gamin. Ce dernier ne se fit d'ailleurs pas prier, repartant avec cette énergie propre à l'enfance non sans une dernière grimace à la dame noire. Ah ! Morveux...

Azralith reporta alors son attention sur le vaani, l'observant commander silencieusement une choppe d'un alcool inconnu. Le regard de la drow suivit les mouvements du tenancier presque par instinct, vérifiant si le liquide venait des mêmes fûts sur le comptoir et s'il ne rajoutait pas quoi que ce soit à l'intérieur. Un effort sans doute inutile pensa-t-elle, il y avait tant de façons différentes d'empoisonner sans que ce soit visible.

Le vaani qui lui faisait face semblait accueillant, mais elle n'avait pas oublié les regards à son entrée, ni le fait qu'il n'y avait pas la moindre enseigne à l'extérieur. Il y avait de fortes chances pour que cette taverne ne soit rien d'autre qu'une planque, un repaire à malfrats et à voyous, surtout quand on voyait l'état de leurs gosses...

Sans doute espéraient-ils attirer cette proie qui semblait étrangère dans leur filet, sans compter que la tenue de la dame noire pouvait facilement laisser imaginer une large bourse. Cette pensée lui arracha un sourire. Ils allaient être sacrément déçus. Qu'ils viennent, elle espérait sincèrement qu'ils seraient un peu plus résistants que les deux larves qu'elle avait croisé un peu plus tôt.

Elle décida donc de jouer le jeu, curieuse de voir jusqu'où cela pourrait l'amener. Sans un mot, elle s'empara de la chope et porta son contenu à ses lèvres, vidant une bonne moitié du liquide avant de reprendre sa respiration, essuyant avec son pouce un filet d'alcool sur ses babines.

C'était plus ou moins ce à quoi elle s'était attendu.

« J'ignorais que la pisse coûtait aussi cher dans le coin. Enfin, j'aurai pas dû m'attendre à autre chose pour une taverne dénuée d'enseigne. Sans vouloir vous offenser hein. » Rajouta-t-elle en faisant un signe de la main vers le tenancier. Les deux rubis se fixèrent alors à nouveau sur le vaani. « Et toi t'es un habitué ? Pourquoi celle là et pas une autre ? Il n'y a même pas de bardes, pourtant c'est pas ça qui manque dans les rues. »

La dame noire appréciait fortement les représentations musicales et il fallait dire que les instruments utilisés à Thaar avaient un certain cachet.

D'un mouvement du poignet, elle fit glisser la chope le long du comptoir vers son interlocuteur, affichant un large sourire qui laissait apparaître ses canines.

« Te prive surtout pas bonhomme, je voudrais pas passer pour une opportuniste et encore moins pour une ingrate. »

Il leva un sourcil devant le vol éhonté de sa chope semblant hésiter sur la manière adéquate de réagir. Pourtant, son léger sourire vacilla mais ne disparut pas. Aujourd’hui il n’avait pas envie de s’agacer de si peu. D'ailleurs, autour d'eux l'atmosphère semblait peut à peu se détendre au fur et à mesure qu'il semblait que l'inconnue n'avait pas pour but immédiat de tous les massacrer. Il n'y avait que le précédent compagnon de son présent interlocuteur qui ruminait un peu dans son coin. Viliam ne pouvait lui en vouloir. Ren avait peur que le cauchemars recommence une troisième fois.

-Tu sais quoi garde la…Répondit-il en la repoussant du bout des doigts, une brève grimace face au désormais bien faible contenu. T’as qu’à te dire que c’est pour avoir ramené le gamin en un seul morceau.

Malgré le flot de critique que l’immense femme balança, le bandit avait l’air de vouloir maintenir la conversation. Quelque part, ça l’amusait. Il s’en fichait un peu d’attirer du monde après tout… Et le pauvre homme qui lui tendit discrètement une autre pinte se contenta aussi d’un haussement d’épaule avant de s'occuper d'autres personnes.

-Les propriétaire de l’endroit sont simplement de bonnes connaissances. Répondit-il. Ils tolèrent pas mal de choses tant qu’on fout pas trop le bordel. Alors je me contente de venir ici...Et de pas foutre le bordel. Il leva son nouveau verre comme pour trinquer, mais se garda tout de même de trop l’approcher des grandes paluches noirelfes. Ce n'était peut être pas un alcool incroyable mais dans la basse ville on ne faisait pas les difficiles et il avait soif à force... Enfin, tu me dira dans une taverne "foutre le bordel" c’est un peu flou. Après pour les bardes, si ça te manque tant que ça d’avoir de la musique… Va y je ne te retiens pas. Il rit devant l'image qui lui vint à l'esprit. Je suis curieux de savoir ce que ça donne une noirelfe qui chante.

Ah ! Qu'entendait-elle donc ? Était-ce là une forme de défi ? La dame noire avait un esprit bien trop compétitif pour laisser passer une telle remarque sans sauter à pieds joints dedans. Le vaani n'y avait sans doute pas réfléchi plus que nécessaire mais, à l'image du gamin qu'elle avait sauvé un peu plus tôt, Azralith était de bonne humeur et elle n'avait pas oublié sa promesse faite à la Sulfureuse. Elle vivrait chaque instant avec une telle intensité et une telle passion que même la mort ne serait pas suffisante pour lui infliger le moindre regret.

Elle s'empara à nouveau de la chope et termina son contenu rapidement avant de la lancer dans son dos, sans se soucier de là où elle pourrait atterrir. Depuis combien de temps n'avait-elle pas chanté déjà ? Sa voix ne s'y prêtait pas particulièrement, étant légèrement plus grave que celle de ses collègues féminines. Mais elle avait assisté à suffisamment de représentations de bardes pour s'imprégner ne serait-ce qu'un minimum de leur talent.

Elle se remémora les paroles d'un hymne drow avant de se racler la gorge et de se lancer, écartant les bras.

Ô noirceur sachez,
Que le temps s'est figé,
Le courroux du dragon ne sera jamais apaisé ♫

S'éloignant de son interlocuteur, elle s'approcha d'une table où trois vaanis étaient assis, tendant un bras en avant comme si elle s'adressait à eux.

Point ne faut doutez,
De notre loyauté,
Nous repousserons l'ennemi loin d'ici,
Sans relâche ♫

Elle s'éloigna à nouveau, s'emparant d'une chaise et la faisant tournoyer autour de son bras.

Ô noirceur c'est l'heure,
De surmonter nos peurs !
De nous libérez des chaînes,
De nous délivrer de nos peines ♫

Posant son regard sur celui qui avait initié cette mascarade, la dame noire s'approcha du comptoir pour retourner à son point de départ.

Ô noirceur c'est l'heure,
De faire renaître enfin,
Notre peuple qui vit en votre sein ♫

Elle posa la chaise au sol et s'assit dessus, croisant les jambes et observant toujours le vaani.

« Satisfait ? » Un large sourire envahit à nouveau son visage. « A ton tour maintenant. Certes j'ai déjà entendu des humains chanter mais je m'en voudrais de te priver de ce plaisir. » Elle s'affala sur la chaise en bois qui grinçait de mécontentement, peu habituée à un tel poids. « Je suis toute ouïe. »

Viliam avait éclaté de rire à la fin de la chanson de la noiraude. Eh bien ça il ne s’y attendait pas. Elle s’était pris au jeu d’une façon…Particulièrement flamboyante. Tous les regards s’étaient tournés vers elle, de craintifs ils étaient devenus curieux voir même intéressés. En tous les cas, personne n’avait été en mesure d’ignorer la grande drow chantant et dansant presque dans la salle. On pouvait en voir des choses par ici, mais ça...C'était nouveau.

-Ah non…Renchérit-il en retenant un nouveau rire. Non moi je chante pas c’était pas le deal !

Autour d’autres chalands commençaient eux aussi à rire et à s’amuser de la scène impromptue. Il y en eut même un qui, avide d'entendre son chef pousser la chansonnette, vint pousser l’épaule du semi elfe pour le provoquer mais sans succès. En bref, l'atmosphère avait retrouvé sa joyeuseté habituelle, au plus grand plaisir du bandit.

-Et puis je crois que je ne ferais pas meilleur spectacle même avec toute la volonté du monde. Il leva sa chope. A notre…étrange barde du jour ! lança-t-il, et quelques-uns des hommes l’imitèrent plus ou moins bruyamment.

Ne changeant pas de position, nonchalamment appuyé contre le bar, c’était pourtant toute à elle qu’il lui offrit un nouveau sourire amusé.

-Quand je disais que foutre le bordel était une notion floue... Il but avant d'ajouter. Elle a un nom d’ailleurs notre barde?

Une offre que le vaani s'empressa de refuser, offrant l'ascendant à son interlocutrice dont le sourire sembla s'élargir. Sa performance avait semble-t-il réveillé cette taverne morne qui n'avait visiblement attendu qu'une simple excuse avant de pouvoir s'enflammer et se noyer dans le brouhaha et l'alcool.

Voilà qui faisait plaisir à voir, les gens du coin n'étaient peut être pas si hermétiques aux étrangers finalement. Ou peut être que la perspective de se frotter à l'imposante drow avait facilité l'ouverture d'esprit ? Dans tous les cas, lorsque les humains avaient une chope d'alcool et des frères avec qui discutailler, tout devenait soudainement prétexte à faire la fête. Une façon de faire qu'Azralith pouvait difficilement condamner.

Elle se leva alors, entendant presque le soupir de soulagement de la chaise en bois derrière elle, et s'approcha de son interlocuteur. La dame noire le scruta un instant, ses deux braises s’imprégnant de chaque détail avant qu'elle ne prenne la parole.

« Azralith. Et comment se nomme notre beau parleur mais malheureusement bien peu chanteur ? » Son regard glissa sur sa chope et elle vit le bras du Vaani se crisper, ce qui lui arracha un sourire. « T'en fais pas, j'ai pas l'intention de m'infliger ça encore une fois. Sauf si le tenancier a quelque chose de plus fort et de plus épicé... »

Il était fortement agréable de laisser sa paranoïa s'endormir ne serait-ce qu'un instant et de prendre les choses telles qu'elle les voyait sans chercher à leur donner un sens. La dame noire se sentait de bonne humeur et elle avait de l'énergie à revendre. Si cette taverne devait devenir son nouveau terrain de jeu, ainsi soit-il.

Elle observa rapidement son environnement avant de s'élancer vers la chaise abandonnée, prenant appuis d'une seule jambe dessus et sautant dans les airs pour atteindre le lustre central de la salle et s'y agripper à deux mains. Les chaînes crissèrent face à ce poids soudain mais offrirent tout de même un mouvement de balancier suffisant à la drow pour qu'elle atterrisse avec fracas sur une table occupée, renversant un peu d'alcool sur son passage.

« Messieurs ! Est ce qu'il y a quelqu'un dans votre troupe de gamines prépubères qui oserait me défier au bras de fer ? Si je perds, j'offre une choppe au vainqueur. » Avisant une place libre, l'imposante drow s'y vautra avant de placer son coude sur la table, sa main ouverte. « Si je gagne, et bien... » Elle passa sa langue sur ses lèvres, un sourire carnassier envahissant son visage. « Vous verrez bien. »

-Viliam.

Il avait répondu avec la même nonchalance amusée. Il ne semblait pas se préoccuper de donner son nom à une inconnue. De toute façon elle se détourna bien vite, continuant son spectacle à travers toute la salle devenue son terrain de jeu.

Quelques dents grincèrent en la voyant forcer sur le malheureux chandelier et un soupir de soulagement général s’éleva lorsqu’il fit mine de tenir le coup en protestant un peu. Bien vite, ce furent les rires et les exclamation enivrées qui reprirent le dessus malgré les piques bon enfant.

-Si y a que ça je veux bien le faire moi-même. Le bandit intervint de nouveau à son défit, posant sa chope et se rapprochant de nouveau.

En tant que semi-elfe il avait un peu plus de force que ses camarades strictement humains et il n’allait certainement pas rester regarder de loin. L’espace d’un instant un regard s’échangea avec son précédent compagnon qui, même lui, avait étiré un rictus amusé. Même Ren avait envie de voir ce spectacle.

-Je chante peut-être pas, sourit-il, un air de défit dans le regard alors qu'il prenait une chaise et la posait en face d'elle, mais ça sera pas aussi facile de me battre sur ce terrain là.

Contre toute attente ce fut le vaani originel qui répondit à l'appel, ce dernier venant se placer face à elle, semblant bien déterminé à lui opposer une farouche résistance. Cette réaction enchanta la dame noire car le dénommé Viliam était en effet plus grand et massif que la plupart de ses congénères, et s'il était impossible de voir le fruit de son labeur sous toutes ses couches, il était probable que la masse musculaire suive la corpulence.

La main d'Azralith vint alors enserrer celle de son adversaire, les deux rubis se posant sur un homme éméché qui semblait déterminer à faire office d'arbitre. Tous les regards étaient tournés sur eux, si bien qu'il était déjà possible de ressentir une certaine pression dans l'avant bras des deux opposants. Le signal sembla tarder à venir.

Puis soudain le hurlement.

Quelque chose craqua, les deux poignets subitement soumis à une pression énorme, les veines et les muscles se gonflant tandis que les bras tremblaient déjà, signe de la puissance à laquelle ils étaient exercés. Azralith eut le plaisir de constater que son adversaire avait un répondant correspondant à ses attentes ce qui lui laissa l'opportunité de forcer tout son soul sur son bras, réveillant ses muscles de leur torpeur.

Elle pouvait sentir ce flot sanguin continu juste sous sa peau, son avant bras gonflé qui oscillait de droite à gauche telle une pendule. Le visage de Viliam était déformé par l'effort et les grognements des deux opposants était noyé sous les cris et les encouragements des hommes alentours. La dame noire serra alors les dents et se concentra mentalement pour s'énerver sur son bras, visualisant une scène bien plus dangereuse sous les yeux.

La descente inexorable du bras de son adversaire commença alors jusqu'à finalement toucher la table du dos de la main, provoquant l'hystérie générale tout autour d'eux ainsi que l'éclaboussure d'un filet d'alcool s'étant échappé d'une chope. Viliam possédait une force impressionnante pour un humain, si bien que la dame noire se demanda s'il était également bon combattant. Son crâne pouvait devenir un magnifique trophée si tel était le cas.

« Tu aurais peut être plus de chance avec le chant finalement. » Déclara-t-elle soudainement sur un ton qui se voulait taquin. « J'aurai bien pris ton bras comme tribu, mais je vais me contenter de ce que notre cher tenancier a de plus fort en réserve. »

Le combat s’engagea entre l’immense drow et le semi-elfe. A vrai dire, Viliam avait commencé par fanfaronner, ayant simplement en tête de jouer un peu avec l’inconnue. Pourtant, à peine leurs mains s’étaient serrées l’une sur l’autre, il sembla qu'ils s'étaient tout deuxmis à jouer leur propre vie. Autour d’eux, les cris d’encouragement et de paris en tout genre allèrent bon train tandis qu'ils forçaient autant qu'ils pouvaient.

Elle était forte, extrêmement forte. Si l’espace d’une petite seconde, le bandit eut l’impression de prendre l’avantage en faisant vaciller sa main, cela sembla enrager son adversaire qui redoubla d’encore plus de force. Malgré tous ses efforts, le bras du bandit plia, plia, jusqu’à définitivement toucher la table dans un bruit sourd qui ne laissa aucun doute.

Alors l’ambiance explosa à nouveau, comme un souffle retenu trop longtemps. Viliam lui-même lâcha un juron, non sans garder son attitude bon enfant.

-D’accord d’accord. Rit il en ouvrant et fermant sa main, comme vérifiant qu’elle était toujours là et fonctionnelle. Nééra, quelle force ! On en voit rarement des femmes dans ton genre. ‘Faudra nous dire ton secret.

S’appuyant un peu contre le dossier de la chaise, il interpela d’un geste le pauvre tavernier qui vivait probablement une bien fatigante journée de service. Viliam se promit de lui offrit une récompense à l’occasion.

-La tournée est pour moi ! Lança-t-il à la joie générale. Envoie ce que tu as de plus fort l’ami ! A nouveau il fixa la dénommée Azralith. T’en as d’autre des talents ?  Que j’évite d’y perdre plus qu’un peu de fierté et mon bras au prochain défis que tu pourrais lancer ?

Azralith leva un sourcil en entendant l'étrange apostrophe. Ce nom ne lui disait rien et elle espérait pour Viliam qu'il s'agisse d'une personnalité connue, d'une légende et non d'une quelconque chimère factice pitoyable sur laquelle axer sa foi. A vrai dire, elle n'y avait pas réellement réfléchi jusqu'ici, mais elle ignorait quels mythes et légendes pouvaient peupler les esprits des vaanis. Elle espérait que certains avaient été ouverts à la vérité, que leurs âmes ne se raccrochaient pas à des concepts fugaces sans fondements hérités des mensonges d'anciennes générations.

Mais très peu pour ce genre de considérations en ce jour et en ce lieu.

« Des tas. » répondit-elle alors à son interlocuteur. « Mais il serait fort inconvénient que j'en fasse la démonstration, je ne voudrai pas complètement noyer ton ego déjà entamé. » ajouta-t-elle sur un ton qui se voulait plus amical que réellement méchant. A dire vrai, l'expérience du bras de fer avait bien échauffé ses muscles et elle se sentait âme à prier le créateur en s'engageant dans ces combats à mains nus que les humains appréciaient parfois organiser dans leurs tavernes.

Mais chaque chose en son temps.

La drow s'affala davantage dans son siège, étirant ses longues jambes et posant ses deux bottes pleine de terre sur la table.

« Bon alors, c'est quoi l'histoire ? » Elle s’adressait à nouveau à Viliam, attendant que le tenancier fasse son travail. « Bandit ? Hors la loi ? Ou peut être un ancien prince déchu ? » Avec sa subtilité habituelle, la dame noire sauta à pieds joints dans le plat. « J'ignore ce que tu as pu faire pour chercher à te planquer comme ça, mais ça devait pas être très joli. »

-Ah Prince déchu on me l’avait jamais faite celle-là ! Cela fit visiblement rire quelques un des spectateurs dans la foule.

L’espace d’une seconde il eut l’air de jauger l’idée, tandis que le bonhomme épais servant de tavernier déposait quelques nouvelles chopes sur la table sale. L'alcool jaunâtre tendu à la drow sentait terriblement fort pour les humains.

En tout cas, l’idée d’être repéré ne semblait pas plus le déranger que cela. Après tout, si elle essayait quoi que ce soit, ils étaient nombreux et son incroyable force n’y pourrait pas grand-chose. Si elle voulait vendre ses information…Eh bien qu’elle le fasse. Le Guet offrait déjà une forte somme pour lui. Quitte à ce que ce soit le cas, autant jouer carte sur table et tout donner pour ce qu’il défendait sans honte.

-En tout cas s’il suffisait de faire de pas très jolies choses pour être considéré comme un criminel. Peut-être que ce trou irait mieux.

Un haussement d’épaule et une gorgée d’alcool plus tard il continua.

-Non la vérité c'est que...Disons que j’aime bien donner une chance aux laissés pour comptes. Et ça, ça emmerde bien les petits souliers vernis d'en haut. Ils aiment pas trop quand on commence à renverser la table des privilège. Ça leur fout la trouille. Alors si je veux m'amuser un peu, autant rester loin de leur bouge qu'ils appellent Soieries.

Finalement, il termina par se redresser un peu et se pencher vers elle.

-Mais je suis pas le seul à être "planqué" ici je crois…T'as pas l'air du genre à t'effrayer facilement quoi qu'il en soit. D'où tu viens toi? Tu m'a pas vraiment l'air de sortir d'une école de barde...

C’était donnant donnant, si elle posait des questions, elle en aurait aussi.

La chope qui lui fut tendu avait au moins le mérite de sentir fort, pour une fois. Lorsque la dame noire l'amena proche d'elle et en examina le contenu, elle constata avec déception cette teinte jaunâtre si commune aux boissons humaines. Ce ne fut qu'en portant le liquide à ses lèvres qu'elle ne parvint à en identifier sa véritable nature. La surprise se lut sur son visage alors que la drow reconnut presque immédiatement le goût du Zat'kyr.

La liqueur au goût acide et à la charge très forte d'alcool lui brûla soudainement les papilles et la gorge dans une sensation de douleur si exquise et familière qu'elle en frissonna de plaisir. Et contrairement aux autres boissons dont elle essayait généralement de compenser la fadeur par la quantité, elle posa cette fois ci sa chope après seulement quelques délicieuses gorgées, cherchant à en profiter autant que possible.

Certes, la préparation n'était pas aussi réussie qu'au Puy, mais elle n'en restait pas moins très fidèle pour une taverne humaine et l'attention la toucha particulièrement. La colosse se retrouva à fixer la surface du liquide avec les yeux brillants, se rendant compte que ces quelques gorgées avait fait remonter des souvenirs semblant si lointains mais qui ne dataient pourtant que de quelques ennéades. Très rapidement cependant, l'euphorie laissa place à une émotion plus sombre.

Le Puy lui manquait terriblement.

Et après plusieurs ennéades d'exil, si sa survie était plus ou moins assurée, elle n'avait toujours aucun réel moyen de pouvoir rejoindre les siens. A la place, elle se retrouvait dans une taverne humaine, à vivre, rire et chanter au milieu des vaanis, et même à s’émerveiller face à un peu de Zat'Kyr. Si sa famille avait pu voir la scène, elle l'aurait sans doute encore plus reniée qu'elle ne l'était déjà.

Elle repensa alors à cet étrange prêtre qui l'avait laissée pour morte dans le désert, à Ssussun qui de chaleureuse et enjouée était devenue froide et distante suite à l'incident dans la Grande Bibliothèque. Les coïncidences pouvaient exister, mais bien souvent elles n'étaient que la démonstration bien réelle et tangible d'une constante. Ce pouvait-il que tout ceci soit mérité ? Qu'il y ait réellement quelque chose qui n'allait pas chez elle ? Pourquoi tout ceux qu'elle côtoyait finissaient immanquablement par se retourner contre elle ?

Les deux rubis se posèrent à nouveau sur Viliam alors que ce dernier lui répondait. C'était un vaani, un simple humain qui appréciait visiblement œuvrer au nom de la justice dans un monde qui en avait oublié le sens. Est ce qu'il répondrait à cette constante lui aussi ? Est ce que ce sourire accueillant allait immanquablement se transformer en expression de haine alors qu'il tenterait de lui arracher la tête ?

Lorsqu'il lui renvoya ses questions, la dame noire baissa le regard jusqu'à sa chope. Sa bonne humeur s'était envolée, laissant place aux remords, à la nostalgie et à l'incompréhension qui enserraient son cœur. Elle savait les émotions particulièrement fortes chez les siens, et elle savait également qu'il ne fallait jamais réellement les combattre, mais les embrasser pour alimenter le brasier incandescent de son âme. Mais elle refusait d'accepter ce sort, elle refusait de croire que son exil était mérité, elle refusait de se laisser noyer par de sombres émotions.

Premier réel signe de son déchirement intérieur, Azralith frappa violemment du poing sur la table, provoquant un craquement plaintif du bois et un dérèglement de sa stabilité.

« Je viens du Puy. » Lâcha-t-elle alors qu'elle fixait à nouveau du regard son interlocuteur. « J'y ai été chassée. Je parcours les villes vaanis en tuant des bestioles en tout genre pour pouvoir me nourrir. » Son esprit était en ébullition et elle se fichait de la réaction de Viliam. Si ce dernier était destiné à se retourner contre elle, autant que ce soit dès cet instant. « Alors, bandit au grand cœur ? Tu accueilles et abreuves une eldéenne, ne devrais-tu pas t'en sentir honteux ? »

-Je devrais peut-être. Répondit-il alors que les paroles de l’éldéenne l’avaient forcé à retrouver son sérieux.

Malgré tout, s’il ne riait plus, il restait aussi calme et courtois qu’au début de leur interaction. Il y eut un silence. Le semi-elfe ne quitta pas la drow du regard tandis qu’il goûta une nouvelle gorgée de bière, comme s’il essayait de  silencieusement mesurer la menace qu’elle représentait soudainement. Au fond, il n'était pas certain d'être surpris. Il s'en doutait un peu entre le chant et les interactions à l'accent belliqueux mais avait choisit de mettre ça sur le coté.

-Pour autant ce n’est pas dans mon habitude de refuser l’hospitalité à quelqu’un dont je  connais rien, à part un nom et une origine. Tu viens du puy et je vais pas mentir, j’ai en horreur pas mal de pratiques du coin. L’esclavage et la souffrance sur autrui c’est pas spécialement mon truc tu vois... Mais...à côté de ça j’ai connu des péninsulaires et même des vaanis a qui je ne souhaite rien d’autre que de se faire bouffer par des actels et c'est pas pour ça que je crache à la gueule de chaque humains qui croise ma route. Y a des individus plus recommandables que d'autres. Alors tant que je sais pas ce que tu vaut...Il haussa les épaules sans finir sa phrase.

Il ne lui ferait probablement jamais entièrement confiance, et bien évidement, beaucoup de secrets resteraient muets devant elle, l'étrangère débarquée à l’improviste, mais se contenter de partager un verre et quelque instant loin de leurs préoccupations personnelles ne lui semblait pas difficile. Il était conscient qu’il s’agissait d’un risque, surtout après les soucis que l’autre pyusarde avait causé. Mais il fallait dire que celle-ci semblait tout de même nettement moins agressive malgré ses manières bourrues...

D’autant que…Continua-t-il avec un sourire plein d'ironie.Tu es une exilée toi aussi de tes propres mots. Alors...bienvenu du côté des laissés pour compte. Fit-il en tendant sa chope vers elle, comme pour trinquer.

Laissée pour compte ?

Il n'avait fondamentalement pas tort, sa situation n'était pas particulièrement enviable et rares étaient les eldéens qui auraient été prêts à lui porter une main secourable. Pourquoi le feraient-ils après tout ? A leurs yeux, elle était une abomination aux cheveux noirs qui avait renié les dieux, même la mort était trop douce pour pareil engeance.

Mais il y avait tout de même quelque chose qui l’irritait, sa fierté d'eldéenne certes amoindrie demeurait toujours présente et être mise dans le même panier que les misérables qui subsistaient tout juste à Thaar par ce vaani qui se donnait des airs de justicier, cela ne lui plaisait guère.

Son regard se posa sur cette chope qui était tendue vers elle, sur cette invitation à un geste qui était bien moins anodin qu'il n'y paraissait. C'était une acceptation, d'elle, de sa nature, et de toute les bagages qu'elle pouvait bien garder en elle pour avoir grandi au Puy. Au moins, la dame noire devait bien lui reconnaître cela, il prononçait des mots auxquels il croyait sincèrement, ce geste en était la preuve la plus flagrante.

Un vaani avec des intentions beaucoup trop pures pour son propre bien, il finirait immanquablement par être avalé par cette cité dorée indifférente dès lors qu'il commencerait à poser un véritable problème et il n'y aurait alors plus aucune trace de lui ni de ses actes, un insecte de plus sacrifié et oublié au nom d'une société décadente et sans dieux.

Cette réflexion amena un sentiment nouveau chez la drow, la curiosité. Chose que les humains n'éveillaient pour ainsi dire quasiment jamais à ses yeux. Mais celui ci semblait différent de la plupart, bien que déjà condamné, un peu à l'image d'un troupeau au milieu duquel une créature à la fourrure blanche resplendissante ressortirait, particulièrement intrigante, mais malheureusement bien trop visible pour espérer échapper aux prédateurs toute sa vie.

Empoignant sa chope, Azralith la fit cogner contre celle de Viliam avant de porter à nouveau le liquide à ses lèvres, fermant un instant les yeux pour savourer cette délicieuse brûlure glissant le long de sa gorge.

« Je vois qu'il ne s'agit pas là de paroles sans valeur. » Rétorqua-t-elle alors. « Mais avoir de tels idéaux nécessite forcément de faire tomber quelques têtes. » La fureur d'un peu plus tôt ne l'avait pas entièrement quittée, ses doigts se contractaient d'eux mêmes sur le bois de la chope alors que son regard était plongé dans celui de Viliam, l'impulsivité et l'instabilité émotionnelle presque perceptible derrière ses prunelles écarlates. « Peut être qu'il y a là matière à coopérer? »

-Ah. Ça dépend de quel genre de coopération on parle j’imagine.

Après avoir trinqué, et reposé sa chope sur la table, ce fut à son tour de reprendre ses aises. Il s'appuya d’avantage sur le dossier de sa chaise, non sans une certaine nonchalance qui avait l'air de caractériser le bandit lorsqu'il était détendu. Du fond d’une de ses poches, il tira quelques herbes séchées et roulée de la même manière que celle qu’il fumait lorsqu’elle avait débarqué. Il alluma le tout grâce à une des bougies, présentes en nombre sur les tables malgré la lumière du jour qui traversait doucement les quelques fenêtres. Pourtant il n’était pas particulièrement stressé, mais fumer était devenu comme un réflexe à force même lorsque la situation prêtait plus au jeux et à la détente.

-Parce que ouai, je crache pas sur des bras supplémentaire, Ajoutat-il, surtout ceux comme les tient, mais tu vois faudrait pas non plus que ça se retourne contre moi. On va pas se mentir, j'ai pas que des amis dans la région.

Il silence passa pendant que l'air aux vapeurs d'alcool s'alourdit définitivement d'une odeur de fumée de tabac mélangé à quelques autres senteurs herbacées.

-Et puis tu sais, mes "idéaux" me tiennent particulièrement à cœur. 'Faut se salir les mains je te l’accorde mais ça fait qu'il y a quand même pas mal de mercenaire qui me trouveraient sans doute bien trop chiant et restrictif pour tout l’or que je peux offrir. J'ai des demandes précises et je tient à ce qu'on les respectes avec un minimum de dommage collatéraux.Les chiens de guerre, j'aime pas ça.Un sourire étira tout de même ses lèvres après un souffle enfumé. Mais si ça ça te convient, et que tu me confirme que je peut te faire confiance, oui, il y a peut être matière à coopérer.

« Chien de guerre ». De bien vilains mots provenant d'un individu qui n'avait aucune idée de l'étalage de nuances qui pouvait composer le mérite ou la valeur. La remarque n'avait sans doute pas été spécifiquement dirigée vers moi, mais son écho résonna dans mon crâne et m'arracha un nouveau sourire.

Peut être aurais-je pu lui montrer en cet instant, la véritable signification du mot guerre ? Un carnage assourdissant qui transformait le monde en une infinité de nuances de blanc. Peut être aurais-dû noyer le sol de sa taverne dans le sang, m'abreuvant de leurs corps brisés et envoyant chacune de leur âme dans les brumes éternelles de l'Elghinyrr. Peut être alors aurait-il eu un léger avant-goût de ce que pouvait vraiment être l’œuvre de l'Eda Vengeur et de ce que cela pouvait signifier pour chaque individu prêt à risquer sa vie pour défaire tout ce qui pouvait exister en face.

Fort heureusement pour lui, la curiosité l'emportait sur le reste et mentir à un vaani était une bassesse dans laquelle je ne comptai pas plonger de sitôt.

« La confiance hein... » Je marquais une pause, ma main quittant la choppe pour venir tapoter sur mon menton. « Je ne marche pas à l'or, tu as sans doute bien moins à craindre de moi que de la quasi totalité des mercenaires dans cette ville. » L'idée cependant de pouvoir enfin opérer sous le couvert d'un réseau aussi maigre soit-il me paraissait en cet instant particulièrement alléchante. « Alors si jamais ça te tente, pointe du doigt l'obstacle qui te semble être le plus récalcitrant, je m'en chargerai. Je tenterai de limiter les dégâts collatéraux...» Mes lèvres s'étirèrent, dévoilant mes crocs. « Mais je ne peux rien garantir. »