S'assurer de la foi

La demeure des serviteurs du Vengeur était nimbée d'un silence avilissant qui n'attendit pas plus de quelques pas avant de se faire remarquer, pesant lourdement sur l’ouïe perçante de la drow massive pénétrant tout juste l'enceinte du temple. Ses oreilles se dressèrent d'elles mêmes, comme à l'affût du moindre bruit à même de briser cette irrégularité inquiétante. Car si les prêtres au service de Meingal n'étaient pas les plus exubérants, un temple de cette taille se devait d’exsuder une activité suffisante pour qu'elle soit perceptible même en dehors de ses murs.

Avançant donc désormais précautionneusement, la guerrière plaça l'une de ses mains près de la poigne de sa dague accrochée à ses hanches. Une claymore bien plus imposante somnolait dans son dos, mais elle s’avérerait inutile dans l'étroitesse d'un intérieur. Et il y avait en réalité bien peu de chances que sa vie soit en danger dans un tel endroit, mais son voyage solitaire lui avait appris à traiter les irrégularités comme des possibilités et non comme des coïncidences.

Les couloirs s'enfonçaient dans le dédale de pierre de part et d'autre du chemin principal qui lui en revanche ne déviait jamais de son orientation initiale, menant sans grande surprise à l'endroit le plus utilisé par les étrangers du temple. Une arène de sable fin surplombée par la représentation sculptée du Vengeur, un lieu où les méritants étaient choisis et où la justice divine s'abattait sur les perdants.

L'imposante ilythiiri observa ses bottes qui s'enfonçaient légèrement dans le sable, constatant à quel point son ordalie avait été effectuée dans des conditions rudimentaires, une affaire à l'issu déterminée bien avant qu'elle ne commence et qui avait été jugée sans importance même pour la basse prêtrise de Sol'Dorn. Ce qu'elle avait perçu comme étant le tournant de toute une vie, balayé d'un revers de la main, réduit à l'état de quelques flaques de sang sur les pavés poisseux qu'arpentaient quotidiennement les humains.

Son regard écarlate se leva alors pour croiser celui figé à jamais de la sculpture du vengeur. Cet œil divin qui semblait flotter en permanence au dessus d'elle, particulièrement au contact de Kiel Elamshinae. C'était presque comme si elle se  en cage.

Car jamais n'avait-elle été plus libre de toute sa vie que lors de sa traversée du désert. Exilée, meurtrie et aux portes de la mort, mais jouissant d'une liberté qui lui était impossible d’accès sous le Vatna. L'ordalie lui avait permis de laver son nom, mais à quelle fin ? N'avait-elle pas simplement tendu son cou en attendant que des chaînes ne viennent l'enserrer, suppliant la queue entre les jambes que le Puy ne la reprenne en son sein ? Qu'avait-elle à prouver aux yeux de ceux qui ne lui avaient jamais laissé la moindre chance ?

Elle se répétait que tout ceci n'était que partie remise, que viendrait le jour où elle ferait couler le sang Ilythiiri à flot et où l'indifférence s'effacerait au profit de la peur. Mais elle ne pouvait parfois s'empêcher de penser que tout ceci n'était qu'une justification pour l'inaction, une excuse créée de toute pièce pour lui éviter d'affronter la vérité, celle que son existence n'avait aucune valeur aux yeux du Puy et qu'elle n'avait pas le courage de s'y opposer.

La seule grâce que cette ville damnée engoncée dans l'inaction lui avait apporté n'était nulle autre que Kiel Elamshinae. Une braise entachée par une douleur faisant si effroyablement écho à la sienne, une créature magnifique, intouchable, imperturbable, bénie des dieux eux même, une véritable Ilythiiri méritante. Elle était sans doute la raison pour laquelle la rage et la haine n'avaient pas encore pris totalement le contrôle. Mais le brouillard était si épais, l'avenir si incertain.

Des bruits de pas soudains. L'une des bottes d'Azralith s'enfonça dans le sable avant d'en projeter une gerbe dans la direction du bruit, la guerrière dégainant son arme et faisant volte face. Elle se figea rapidement en reconnaissant la tenue d'un prêtre, prenant de longues secondes pour contrôler sa respiration et calmer cette ébullition qui était lentement montée en elle sans qu'elle ne s'en rende compte.

Le prêtre portait une longue tenue cérémonielle, le tissu épousant parfaitement son corps par endroit avant de retomber en longues cascades recouvrant totalement ses hanches et ses jambes. Son torse lui était partiellement découvert, révélant versets et jalons s'étendant en étoile sur ses pectoraux, un réseau de prières et de traces de ferveurs se mêlant aux cicatrices, un réseau sanguin ayant élu domicile à même son derme. Son visage à la mâchoire carrée ne laissait apparaître aucune malice, aucun rictus autre que celui d'un homme fier et appliqué, le tout recouvert d'une longue toison d'ivoire.

La chair d'Azralith s'éveilla soudainement sous les vagues envahissantes d'un frisson, une réaction qui la fit se crisper, un grognement sourd s'échappant lentement de sa gorge. D'un même geste, elle rangea la dague et attrapa fermement le poignet du prêtre pour immobiliser son mouvement.

« Ou peut être une dangereuse menace que tu serais bien inconscient de sous estimer ? » grogna-t-elle soudainement, son regard fixé dans le sien. Comme la plupart des autres mâles, il était plus petit mais assez large d'épaules, la peau mise à nue révélant avec aisance une musculature fine et travaillée. Elle aimait ce point de vue, elle aimait les contempler de haut, qu'importe leur statut, qu'importe leur force, sa chair se faisait un plaisir de lui apporter ce léger ascendant.

Son ouïe se focalisa sur un bruit particulier que leur proximité lui permettait de très clairement percevoir, un tempo régulier qui jamais ne faiblissait.

♫ ~ ♫

Là, sous cette peau cendrée, la vie coulait et battait à un rythme dont elle se savait être devenue maîtresse. Les oreilles de l'Ilythiiri se dressèrent alors, laissant les battements de ce cœur envahir l'intégralité du champ de leur perception. A tel point que la salle entière sembla soudainement en être remplie, les murs et les parois centenaires vibrant d'un même accord au rythme du sang, le temple prenant soudainement vie du plus profond de ses entrailles.

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♫ ~ ♫

Envahissante et suprême, la chair exsudait et transpirait, mais surtout elle appelait. Y répondant sans plus attendre, sa main vint se poser sur le torse du prêtre, derme contre derme, ses doigts parcourant les tracés à l'encre, l'ongle s'enfonçant parfois légèrement dans la peau, creusant comme pour se rapprocher de cette source qui avait fait sienne ces fresques insipides, pâle copie de la réelle ferveur présente au sein du Vatna.

Une prison à l'aspect imperméable, il suffisait d'appuyer légèrement pour sentir cette solidité délicieuse, ces courbes formés par les muscles, les tendons, cette chair qui n'attendait que d'être exploitée, dénichée, sublimée. Elle voulait le mordre, ses crocs brisant ses barrières et lui faisant goûter à cette énergie volcanique, à ces percussions qui s'intensifiaient tant qu'elles lui vrillaient le crâne.

♫ ~ ♫

Il avait parlé, peut être même avait-il ordonné, mais tout ceci devrait attendre. Tirant d'un coup sec sur le tissu recouvrant l'épaule droite du prêtre, Azralith s'en rapprocha, ouvrant en grand ses mâchoires et dévoilant ses crocs.

Mais elle n'atteignit jamais la chair de ses crocs. Une main vint soudainement la saisir à la gorge, stoppant son mouvement. Elle put sentir la morsure du sable sur ses genoux alors que la prise se raffermissait. Il ordonnait, de doutes il n'y en avait cette fois ci plus une once. Le regard d'Azralith se fixa un instant sur les mains tranchées que portait la statut du Vengeur avant de glisser jusqu'au visage du prêtre. Elle montra les crocs.

Faible ? FAIBLE ? Avait-il saigné comme elle l'avait fait ? Avait-il sentit la morsure d'une dague maniée par un être de confiance ? Avait-il enduré supplices et tourments physiques allant jusqu'à la caresse du Visage Hurlant elle même ?

Il parlait d'arrogance, lui, prêtre servant dans un temple de Sol'Dorn, affecté si loin de la lumière étincelante du Vatna. Se pensait-il tout puissant et intouchable dans la demeure de Meingal ? Comment osait-il ordonner ainsi, se comparant à l'instigatrice de l'Orthae Dek'za alors qu'il ne possédait pas un seul fragment de son incandescence ? Une braise insipide, assoupie, ternie par la décadence de la stagnation, engoncée dans des habitudes favorisant l'incompétence et oubliant le conflit, la recherche d'évolution desquelles exsudait la force.

Elle en avait connu, elle en connaîtrait d'autre. Elle se ferait un plaisir de le réveiller.

La poigne sur sa gorge était solide, peut être aurait-elle pu forcer quelques mots si elle l'avait vraiment souhaitée. Mais sa seule réponse immédiate fut le contact de son poing droit juste sous la mâchoire du prêtre, un coup puissant qui fit claquer ses dents entre elles et désserra sa prise juste assez pour qu'elle puisse s'en extirper.

Mais il s'en remis bien plus rapidement qu'elle ne l'aurait pensée, son coude percutant violemment le visage de la guerrière. Elle profita de l'inertie de son mouvement pour se replacer quelques mètres plus loin, prostrée au sol, les jambes fléchies, prête à bondir à tout instant. Elle toisa le prêtre en demeurant immobile, observant le moindre de ses mouvements.

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Le rythme s'accéléra en un tempo qui fit vriller son crâne, lui arrachant un frisson. L'agonisante attente au sein de la cité noire avait menacé de la rendre folle, ô combien de temps avait-elle attendu ce moment, une excuse, une étincelle, une justification quelconque pour pouvoir se plonger à nouveau dans ce monde où tout était blanc, ce monde qui était le sien. A la haine se succéderait la douleur, une ode à Mirshann, la récompense du Créateur, l'exaltation du Visage Hurlant, la punition du Vengeur.

« Je l'implorerai lorsque mon offrande sera faite. » Grogna-t-elle avant de pointer du doigt le sol. « Gorger ce sable putride de ton sang. »

Comment était-ce possible ?

Un seul instant aurait du suffire, un mouvement bref, une inattention bien trop longue pour ne pas se voir sanctionnée, le crâne du prêtre se brisant au contact de la pierre centenaire, sa braise rejoignant celui qu'il servait avec tant de dévotion. Jamais la poigne de la guerrière n'aurait dû éprouver tant de difficulté à affaiblir sa cible.

Et pourtant.

Ses déplacements, ses coups parant les siens, ses mouvements fluides suivant de près son adversaire sans jamais laisser de faiblesses apparentes. C'était un guerrier expérimenté qui se trouvait désormais en lieu et place du minable serviteur du Vengeur, offrant une flamme nouvelle à son arrogance si cette dernière n'était pas déjà exaltée par la posture et l'expression qu'il arborait.

La peau éraflée, les muscles et les tendons hurlant de douleur tandis que les os encaissaient chaque impact avec plus de difficulté que le dernier. La guerrière drow perdit même l'équilibre, le sable accueillant sa chute et expulsant de ses poumons cet air dont elle avait terriblement besoin.

Sentant poindre la défaite, la violence qui bouillonnait dans son épiderme se transforma en une rage féroce, accueillant le prêtre avec un puissant hurlement. Elle ne perdrait pas ici, pas en cet instant, pas face à lui, pas après tout ce qu'elle avait pu encaisser. Qu'importe les blessures, qu'importe la méthode, il n'y avait qu'une seule et unique issue, l’alternative n'avait jamais existé.

Attrapant l'un des poignets du prêtre, Azralith tenta d'atteindre son crâne mais son adversaire parvint à se protéger et à se couvrir avec cette même efficacité qui le caractérisait depuis le début du combat, profitant également de sa position dominante face à l'Ilythiiri couchée sur le sol. Sanctionnant la tentative, son poing s'écrasa sur son plexus puis sur sa gorge, provoquant un arrêt immédiat de sa respiration et paralysant quelques uns de ses muscles sous la puissance du coup. Mais l'éclat écarlate brillant dans les yeux de la drow trahissait une transe surpassant de loin les incapacités passagères.

Les ongles d'Azralith s'enfoncèrent dans la peau du visage du prêtre alors qu'elle tentait de trouver une prise suffisante pour lui crever les yeux. Son adversaire s'écarta rapidement après avoir senti le danger, lui laissant juste assez de temps pour se relever et repartir à l'attaque. Elle chargea son adversaire, une attaque puissante et frénétique qui ne laissait pas la moindre place à une quelconque garde, ce que le serviteur de Meingal remarqua rapidement, appliquant une force si puissante sur son thorax qu'elle pu entendre un craquement.

Mais la charge toucha sa cible, le propulsant de toutes ses forces contre le mur pour le fracasser, l'écraser, broyer tout signe de résistance et anéantir son orgueil dans un soupe humide d'os et de muscles déchirés. Une fois encore, le prêtre conserva sa position, ne répondant que par un simple contre connectant avec son visage.

Un craquement sonore, la mâchoire d'Azralith se brisa sur le coup, la douleur aiguë l'accompagnant plongeant sa braise dans l'inconscience tandis que son corps massif s'écroula sur le sol, instaurant un silence soudain à peine dérangé par la respiration rapide du vainqueur.

Quelques clignements. Le brouillard se dissipa sur un visage qui éveilla rapidement une haine encore léthargique. Ses muscles se contractèrent au souvenir douloureux de ses derniers instants de conscience et la guerrière tenta de se redresser mais ses membres tétanisés et à bout de force refusèrent de lui répondre. Bougeant sa mâchoire de droite à gauche et constatant son bon fonctionnement, elle comprit qu'il s'agissait là des conséquences d'une guérison accélérée.

La honte succéda alors rapidement à une colère pas tout à fait évaporée lorsqu'elle réalisa la situation dans laquelle elle se trouvait. Elle était encore en vie et son adversaire s'était même occupé de ses blessures. Mais pire que tout, elle avait perdu. Perdu contre un rat des temples, elle qui avait pourtant reçu la bénédiction de la Voilée, elle qui avait pourtant vaincu un serviteur du Père des Batailles.

Comment était-ce possible ? Avait-elle fait preuve d'inattention ? Avait-elle laissé la fierté et la suffisance parler à la place de l'expérience ? Passant sa main droite à travers ses mèches d'ivoires, elle tenta de reprendre pied dans la réalité car rien de tout ceci ne faisait sens. Élue des dieux, bénie par le vaisseau du Visage Hurlant, jamais elle n'aurait dû en arriver là.

Son regard écarlate se posa alors à nouveau sur le visage du prêtre qui lui faisait face. Des traits sévères, une expression imperturbable, un roc solide et indifférent mais pourtant bien tangible, rappelant à une réalité douloureuse par bien des aspects. Une vérité qui s'imposait d'une manière presque assourdissante en cet instant, un rêve coloré s'évaporant pour laisser place au gris morne sale et putride.

Elle n'avait rien de spécial.

Azralith attrapa le godet et hésita presque un instant à ne pas révéler son véritable nom. Même en ces lieux, si loin de la lumière du Puy et de sa famille qui ne se souciait guère de son sort, elle ne souhaitait ternir ce nom en le révélant après une défaite aussi cuisante. Mais elle n'avait jamais dérogé à cette règle et même alors que la tête lui tournait tant par sa condition physique que par la lente réalisation de ce qui lui été arrivée, elle ne pouvait renier qui elle était.

« Azralith Zaurahel. » Lâcha-t-elle d'une voix rauque. « Un acte généreux que celui de m'avoir épargnée, je n'en aurais pas fait autant. » Un goût amer se répandit dans sa gorge lorsqu'elle bu le contenu du godet, un inconfort lui donnant un regain d'énergie. La guerrière se leva doucement et détourna le regard. Sa tête lui tournait de plus en plus, sa respiration s’accélérait. Elle avait besoin de réfléchir, besoin de faire le point, besoin de s'éloigner de cet endroit et surtout de l'Ilythiiri au visage de marbre.

A ces derniers mots, elle s'immobilisa.

Une braise perdue ? L'indignation alluma une flamme que la raison vint étouffer presque aussitôt. Car tout aussi difficile à admettre ce concept pouvait-il s'avérer, il n'en représentait pas moins la vérité. De repères il ne restait plus que des espoirs perdus, un lit de cendres tapissant une voie autrefois auréolée de puissance et de gloire. Une confusion envahissante face à des signes terriblement mal interprétés, une arme défectueuse incapable de remplir le seul et unique but de son existence.

Tournant la tête vers celui qui se présentait désormais, le visage de la guerrière laissa apparaître la surprise l'espace d'un instant. De rat, il n'en avait rien. Pour se hisser si haut, un Ilythiiri ne pouvait se permettre d'aspirer à nulle autre ambition que l'excellence.

Et c'était une main ouverte qu'il tendait vers elle désormais, une proposition d'assistance, une aide qui fit grimacer celle qui avait appris à les haïr et à ne compter que sur elle même. La fierté se permit également d'intervenir, joignant sa voix au consensus, refusant de s'abaisser à ce qui semblait être un acte de soumission, une acceptation de son autorité et de sa supériorité.

Et pourtant, conséquence éventuelle de la fatigue, de l'épuisement, de la confusion mentale dans laquelle elle se trouvait, toutes ces émotions vives s'évaporèrent ne laissant dans leur sillage qu'une légère lassitude. Elle avait déjà commis maintes erreurs sous l'effet d'une colère aveugle et d'une fierté bien trop enflée et celle ci pouvait en être une de plus si elle refusait de courber l'échine.

Elle aurait pu lui cracher au visage ou partir sans un mot, mais c'est bien cette sensation qui la forçait à rester, observant un silence qui camouflait bon nombre de réflexions.

Passé quelques instants et suite à un gros effort de volonté, elle finit par briser le silence.

« J'ai toujours combattu pour ne pas dévier de la voie, j'ai sacrifié chair et possessions en leur nom, j'ai étouffé la seule braise qui ait jamais réellement considéré mon existence. » Elle se retourna complètement, faisant face au prêtre. « Et pourtant, la lumière des dieux me paraît tout aussi lointaine que lorsque mon souffle respira l'air du Vatna pour la première fois. » Son regard glissa lentement vers la chaise sur laquelle son corps inconscient avait été placé. Il était étrange de parler ainsi, d'évoquer ses pensées si ouvertement à une autre entité. Elle en ressentait presque une légère euphorie.

Était-ce réellement si absolu ? Elle pouvait se remémorer aisément toutes les fois où elle avait senti l'étau des doutes se resserrer autour d'elle, l'enfermant dans une cage d'épines et de ronces dont elle ne pouvait s'extraire sans perdre, sans sacrifier. Aucune réponse ne semblait jamais réellement la bonne, aucune voie ne demeurait éternellement juste et trouver une morale ainsi qu'une place équilibrée semblait exercice fatalement voué à l'échec.

Mais se pouvait-il qu'elle se soit trompée si flagramment d'ennemi ? Le Créateur avait-il considéré ne serait-ce qu'une étincelle de sa braise combative au sein de la fange vaanie, là où elle se pensait éloignée et abandonnée des dieux ? Serait-il pour toujours à ses côtés tant qu'elle maintiendrait éveillée cette fureur ardente qui l'habitait ?

« Chaque ennemi vaincu ».

Des lavascars suceurs de sang au prêtre du Père des Batailles, en passant par les esclavagistes vaanis, elle était entourée d'ennemis, d'adversaires redoutables cherchant à lui causer milles tourments. Elle avait appris à grandir avec la solitude, à se battre et survivre sans avoir à reposer sur son prochain, à manger, dormir et vivre toute son existence sans la chaleur d'autres braises autour de la sienne. L'Elda était une constellation de flammes, des plus petites aux plus grandes et la sienne voguait à l'écart, peinant à suivre le mouvement et à agir de concert avec eux alors qu'ils formaient un gigantesque brasier unique et incandescent.

« Chaque faiblesse terrassée ».

Ces doutes, ces questions qui ne cessaient d'envahir son esprit, est ce que le Créateur y voyait là une faiblesse ? Elle espérait sincèrement que non. Ce désir malsain emprunt de jalousie lorsqu'elle observait les liens forts qui unissaient les hommes de l'Aile Blanche, cette peur qui l'envahissait lorsqu'elle sentait la mort approcher, cette naïveté qui l'avait fait bien trop s'attacher à Ssussun, cette rage indisciplinée qui l’envahissait lorsque les grands prêtres ordonnaient. Une part d'elle semblait y voir là faiblesses, là où l'autre se nourrissait de ces pulsions ardentes, quelles que soient leur nature.

La main droite de la drow vint alors se saisir soudainement du poignet de Pyor'h, stoppant son mouvement et le serrant fortement. Un fin sourire et une question dont la réponse se voulait évidente, il s'agissait là d'une provocation.

Qu'importent les questions, qu'importe la sempiternelle lutte pour trouver et comprendre ce qui se devait d'être juste, elle ne tournait jamais le dos et elle affrontait jusqu'à ce qu'elle ou l'obstacle ne cède, l’alternative ne devait pas exister.

Sa poigne se désserra cependant rapidement. De fierté, elle n'en avait plus grand chose d'intact, pas assez pour souhaiter le défendre si ardemment.

« L'Orthae Dek'za apportera assurément la réponse à cette question. » Déclara-t-elle soudainement. « Si la lâcheté se trouve dans l'abandon ou la fuite de l'adversité, j'ose penser que je n'en ai été que peu ternie. Si elle se trouve dans l'indécision ou la crainte en revanche... » Un silence lourd de sens s'ensuivit.

Elle ne parvenait pas encore à saisir pleinement les mots du Drada, mais en attendant que leur compréhension ne lui soit complète, répondre aux simples battements de son cœur lui semblait être la meilleure voie à suivre.

Elle s'arrêta à nouveau, ses narines s’étrécissant pour laisser passer un souffle bruyant. La nouvelle de la mort de son frère leur était sans nulle doute parvenue, une affaire qui devait déplaire au plus haut point le manoir Zaurahel. L'exilée n'était pas morte mais ils pouvaient au moins nier le lien entre elle et cette rumeur fort fâcheuse de jeune femelle indigne accusée d'hérésie.

Bien sûr, Azralith n'avait aucun moyen d'en être certaine, mais elle connaissait suffisamment sa famille et son fonctionnement. On lui aurait inculqué de ne pas mentionner son exil, d'en conserver le secret, de flouter les informations à ce sujet autant que possible. Une tâche sombre dans son existence que l'élite du Puy ne pouvait se permettre de voir recouvrir leur blason immaculé.

Elle était déboussolée, perdue, imparfaite, bien trop faible pour espérer vaincre les plus grands guerriers du Puy. Mais en cet exil, elle n'y voyait pas là honte. Un sacrifice, une épreuve qu'elle avait surmonté en tuant son instigateur, une leçon qui l'avait endurcie.

« Oui... Elle a fui à travers le désert. » Lâcha-t-elle soudainement. « Elle s'est réfugiée dans la fange vaanie avant de trouver en l'ordalie le moyen de revenir parmi les siens. » Un léger mouvement de tête, l'écarlate se posa sur le Grand Prêtre. « Elle s'est vue alors recouvrir d'ivoire, pensant naïvement qu'il s'agissait là d'un signe des dieux. »

Elle se détourna alors une dernière fois, le bruit de ses pas faiblissant tandis qu'elle quittait définitivement la petite cellule.