Sa première traversée [PV Viliam]

Début de la 3e ennéade de Bàrkios
20e année du Onzième Cycle
Au départ de Naélis

Tu rattrapes un soupir avant que ton agacement ne soit trop perceptible. D’entre tous les collègues possibles, pourquoi est-ce qu’il fallait que ce soit eux qui se soient désignés ? Le souffle finit par t’échapper des nasaux. Tu aurais dû t’y attendre. Voilà au moins qui expliquait l’intérêt qu’ils portaient à l’intérêt que tu avais porté à l’offre.
Tu cèdes à l’envie de réarranger ton chapeau. Si tu t’étais écouté, tu aurais probablement répété le geste plusieurs fois déjà. Tu te refuses à le montrer, mais tu es anxieux. Tu n’as pas exactement peur de ce qui t’attend, car rien à tes yeux ne pourrait jamais être pire que la constante menace d’un plan d’existence protéiforme cherchant par nature à éliminer ce qui lui est étranger. Tu n’as pas peur, mais tu n’aimes pas ne pas savoir ce qui t’attend. Tu ne connais de l’Ithri’Vaan que les contrées que tu as traversé en trombe avec T’sisra alors que ton esprit était encore embrumé par les séquelles de votre échappée des Ombres. Tu ne sais rien des motivations de celui dont tu es l’un des gardiens, alors que tu sais le prix qu’il paie pour ce service étrangement haut pour les apparences qu’il se donne. Tu ne sais rien non plus de la manière dont tes collègues choisiront d’interagir avec toi une fois qu’il n’y aura plus ta compagne pour te chaperonner. Et tu n’as pas envie d’avoir à blesser qui que ce soit pour des raisons aussi insignifiantes. Encore moins de tuer. Mais quelque chose te dit que les Vaanis ne seraient pas opposés à l’idée de placer leur fierté plus haut que leur vie…

- Allez, on démarre !

Le bruit des sabots de cheval s’empare de l’espace. Vous êtes partis. Plus possible de faire demi-tour. Ça y est. Tu t’éloignes. Tu découvrirais cette part du monde pour toi-même. À l’ombre de ton large couvre chef, ton visage se pare d’un fin sourire à l’idée de voir venir l’aube d’une nouvelle aventure… jusqu’à ce que l’aventure devienne ennui.
La grande route reliant Thaar et Naélis est bien moins fréquentée que tu ne l’imaginais. Certainement n’en aurais-tu pas été étonné si tu avais su la politique pratiquée par Glinaina durant son temps aux commandes du Royaume, mais faute de cela, le vide te pesait. Votre employeur, à quelques sifflements distraits près, était silencieux. Tes collègues, en dehors de quelques mots échangés de-ci de-là, étaient silencieux. Tu étais silencieux. La lande autour de vous était s’était vite tue. Au point de ne plus laisser votre procession rythmée que par le lointain clapotis de l’Olienne, les claquements des sabots de cheval, le bourdonnement du vent, et les occasionnels cris d’oiseaux.

Même jour,
le soir venu

- Alors ? le barbu s’assied à côté de toi sans autre forme de procès Tu nous viens d’où toi ?

- Aren ! l’un de ses comparses vous rejoint, sa flasque déjà moitié vide en main T’es con eh ! M’enfin raconte-lui notre histoire avant d’lui d’mander la sienne eh !

Tu soulèves ton chapeau, autorisant ton regard à trouver les leurs, et tu signes d’un sourire que tu es effectivement curieux de savoir comment eux aussi étaient arrivés à Naélis.

- Mes camarades et moi on vient des Wandres. il grogne machinalement On était encore tout jeunots qu’un des chefs de clans de là-bas s’est décidé à rassembler des guerriers pour virer les Péninsulaires qui s’installaient chez nous. il lève les yeux et pince les lèvres, presque honteux On aurait dû rejoindre les nôtres normalement. On était largement en âge de se battre. Mais on voulait pas risquer nos vies dans un combat perdu d’avance. Les Péninsulaires avaient le nombre, le matos, et puis l’autre avait pas réussi à convaincre les sorciers des Hortles, alors qu’on sait tous qu’on fait difficilement plus dangereux qu’les sorciers des Hortles. il peste rapidement avant de reprendre Bref, on voulait pas perdre nos derrières pour si peu alors on a fui. Puis t’imagines la fuite oh ! Pas possible de partir vers le Nord, parce que les p’tites jambes y nous aiment pas. Bon, les Péninsulois y nous aiment pas non plus mais au moins, là-bas y suffisait de piquer quelques frippes au premier venu et on pouvait passer plus ou moins inaperçus. Puis on a eu la « chance » de tomber sur des gens pas très réglo qui nous ont proposé de les suivre si on voulait de quoi être pépères.

- Pépères tu parles ! il engloutit une grande rasade de boisson À cause de son commerce à l’autre on a fini dans l’bois maudit ! On fait mieux niveau tranquille !

- Tout ça pour dire que pour joindre les deux bouts on a suivi des bandits jusqu’à finir à La Dross. Et crois-moi, la vie à la Dross c’est vraiment pas le pied. il rit Mais pour une raison qui m’échappe encore, les Naélisiens sont tout le temps dans les pattes des Ladrosiens, alors on a saisi notre chance et on a rejoint la ville. Puis vu qu’on est débrouillards, depuis, c’est du travail de ce genre qui mets d’la soupe dans nos bols.

- Du coup et toi alors ? Comment t’en es arrivé là ?

Tu inspires longuement. Tu penses avoir compris la grande majorité du récit du bonhomme, et cela te rassure. Seulement, les mots te manquent déjà dans ta langue natale pour exprimer ce que tu as vécu, alors en Oliyan…

- Je viens d’Anaëh.

- Ah bon ?! ton interlocuteur ouvre de grands yeux Pas que tu ressembles pas à quelqu’un de là-bas, mais y paraît qu’il fait plutôt bon vivre chez vous non ? Pourquoi t’es parti ?

Ton regard s’éteint un instant. C’est vrai qu’avant tout ça, tu ne t’étais jamais plaint de ta vie au sein de l’Œuvre. Là-bas tout était simple. Tout allait de soi. Et quoi que tu en dises, tu étais heureux.

- Ce n’était pas volontaire. tu plisses le front, à la recherche d’une manière simple d’expliquer la situation Un accident de magie. Je me suis retrouvé coincé dans les Ombres. C’est là que j’ai rencontré T’sisra. Elle était coincée aussi. J’ai réussi à nous sortir de là, mais ça a été difficile, alors T’sisra m’a ramené à Naélis pour s’occuper de moi le temps que j’aille mieux. tu souris, content de toi Je suis redevable.

- C’est que vous avez l’air plus « redevables » tous les deux ! il rit grassement Vous allez vite en besogne pour des Eternels dis-donc non ?

- Pas de temps dans les Ombres. tu plisses à nouveau les sourcils et lui intime d'un signe de la main d'attendre que tu reformules Le temps ne passe pas dans les Ombres. Pour nous ça avait l’air très long. On a eu le temps de se rapprocher.

- Chanceux va ! Pas tout le monde qui tape dans l’œil d’une célébrité locale ! J’espère que tu nous porteras chance à nous aussi du coup. il te tend un morceau de chair Calmar ? Avec les autres on en a acheté un paquet avant de partir pensant qu’on mangerait tout mais au final on en a pris de trop. Si tu nous aides pas, garanti que ça nous pourrit entre les mains.

- Ce serait dommage de gaspiller.

- Ah bah on parle la même langue finalement ! J’espère que t’as faim !

- Plutôt oui.

Et certes, il vous fallut l’aide de votre employeur, mais avant que ne vienne l’heure de fermer les yeux, votre dernier souper frais de l’ennéade avait été entièrement englouti.

Début de la 3e ennéade de Bàrkios
20e année du Onzième Cycle
Territoires d’Hanning

Depuis la première nuit, l’ambiance avait profondément changé. Liés par les fruits de mer dira-t-on, les membres du convoi avaient percé le silence. Les discussions allaient aussi bon train que vous l’autorisait votre travail de surveillance, et ton Oliyan s’en était trouvé enrichi – s’il on veut bien le voir comme tel – d’une flopée d’expressions adaptées de leur dialecte natal. En retour, tu leur avais enseigné quelques métaphores parmi les plus colorées de la langue elfique, ce qui n’avait pas manqué de causer l’hilarité générale, les Wandrais réalisant petit à petit que le si terrible peuple des forêts n’était finalement pas bien moins loufoque que le leur.

- T’as l’air bien tendu d’un coup. Quelque chose qui va pas ?

Le fait qu’il l’ait remarqué était témoignage de la perspicacité du Wandrais. En effet, depuis quelques minutes, tes oreilles s’agitaient sous ton chapeau à la recherches de sons étrangers. Le silence du premier jour t’avait rendu plus attentif au moindre timbre étranger, et cela faisait quelques minutes déjà que l’un d’entre eux avait capturé ton intérêt.

- Il y a quelque chose d’étrange pas loin. Je ne comprends pas ce que c’est.

- Comment ça ? À part un ou deux autres convois, y’a pas l’air d’avoir quoi que ce soit à des lieues à la ronde.

- Je sais pas. J’entends un truc étrange.

- Ce serait pas la première fois qu’on croise des trucs étranges par ici. l’un des camarades d’Aren se rapproche de vous Hanning c’est probablement la plus traîtresse des Principautés. Mais c’est pas si étonnant quand on sait qui est… était (?) aux commandes.

Vous continuez votre avancée sourcils froncés et yeux plissés à la recherche de la moindre anomalie dans le paysage. Rien. Seulement dunes et savane à perte de vue. Mais le bruit ne s’arrête pas. Le désagréable chuintement ne fait que gagner en intensité et en clarté. Le bruit sourd devient un souffle. Le souffle devient des mots. Le chuintement devient un chuchotement.

- Faites attention. tu intimes à tes compagnons de voyage Il y a des gens par là. tu pointes les dunes d’un regard Je me méfie des gens hors de la route.

- On ralentit un peu alors. Tenez-vous prêts, au cas où.

Vous retrouvez rapidement votre cadence initiale. Vous faites comme si rien n’avait changé. Mais les épaules sont tendues, les doigts s’agitent, et la trame vibre discrètement. Vous faisiez comme si rien n’avait changé, mais lorsque des sables émerge un étrange groupuscule, aucun d’entre vous n’est surpris. Vous vous arrêtez, prêts à vous battre, seulement, vos « assaillants » ne semblent pas particulièrement décidés à en découdre.

- On vous débarrasse du chariot ! la voix est juvénile, mais rauque, signe que le gamin l’élève plus souvent que de raison. Vous pouvez rentrer chez vous !

Tu lèves un sourcil perplexe en te rendant compte être le seul à trouver la situation… rocambolesque ? Ridicule ? Etiez-vous véritablement en train de vous faire détrousser par un enfant Arïn, ou s’agissait-il là d’une étrange coutume Vaanie dont tu ne connaissais pas l’existence ? Ou alors, là était peut-être l’explication la plus plausible, d’une simple farce ?

- C’est que même jusqu’ici les Péninsulois y ont des rois miniature eh !

- Faf’ c’est pas le moment de plaisanter. il se tourne vers le groupe d’extorqueurs On vous paie le passage si vous voulez, mais on garde la cargaison.

- Non on veut la cargaison. La cargaison ou rien.

- Non. tu te rapproches d’Aren pour faire face à l’adolescent, ta main flottant au-dessus de ta hanche désarmée Vous partez pour nous laisser passer, ou je vous fais partir.

L’hilarité générale gagne le camp des bandits. Pourtant tu ne pourrais avoir été plus sérieux. S’il fallait en arriver là, tu ne serais pas plus clément avec eux que tu n’as pu l’être avec vos proies durant les chasses de ton clan. Ils étaient prévenus. Si leur sang devait être versé, ils ne pourraient plus s’en prendre qu’à eux-mêmes.

Les mains s’approchent des sabres, les sbires du jeune homme se préparent à passer à l’offensive. De vôtre côté, les Wandrais se contentent de se tenir prêts, se refusant – le métier le leur a appris – à être ceux qui feront dégénérer une situation qui pourrait tout aussi bien rapidement retomber comme un soufflé. C’est un des bandits qui craque le premier. Épée en main, il annonce son assaut d’un hurlement. C’est toi le second à réagir. Tu finis par pousser le loquet de la porte que tu avais entrouverte. La Trame se déchire. Une gueule béante s’ouvre sur le néant. Une longue langue jaillit de l’obscurité, attrape l’impatient, et sonne le glas de son existence sur ce plan.

- Attendez ! le gamin lève les mains en l’air, les yeux exorbités D’accord ! D’accord ! Stop pas de bagarre !

Tu soulèves légèrement les abords de ton chapeau, et flanques ton regard dans celui du jeune chef.

- On peut passer maintenant ?

- Je… je… c’est juste que… c’est probablement même pas votre faute après tout… l’adolescent baisse les yeux avant de reprendre, la rage dans la voix Elle est à moi votre cargaison ! C’est de la marchandise volée que vous protégez !

À l’exception de votre employeur, vous tous manquez de tomber de vos chevaux. La déclaration paraît ridicule, mais la conviction avec laquelle elle fut faite avait de quoi désarçonner. S’il mentait, alors c’était un bon menteur, mais maintenant qu’il avait joué carte sur table, la question méritait d’être posée.

- Hey ! J’te permets pas gamin ! le marchand échevelé finit par intervenir J’ai rien à me reprocher je te signale. Puis c’est bien beau comme accusations venant d’un bandit juvénile !

- Faites pas semblant ! Vous savez très bien ce que vous faites ! Vous allez me rendre mes aff…

- Du calme ! Aren intervient, écrasant sans aucun effort les deux autres voix C’est pas contre vous le vieux, mais le gamin a l’air de croire dur comme fer à ce qu’il raconte. Alors peut-être qu’il se trompe, mais en tout cas il m’a tout l’air sincère.

Il soupire lourdement, et s’approche de l’adolescent pour lui chuchoter à l’oreille. Le jeune « bandit » lui répond tout aussi doucement. Le Wandrais se retourne ensuite vers le marchand.

- Le vieux, y’a moyen de jeter un œil à la marchandise ?

- Pourquoi faire ?

- Vérifier si l’histoire du gamin tient debout.

- Normalement j’aurais pas dit non, mais mon client tient à ce que les caisses restent intactes jusqu’au moment de la transaction. Et moi je me suis engagé à respecter la commande de mon client.

- Et bien dans ce cas on fera la vérification au moment de faire le dépôt. Votre client devra bien vérifier l’état de sa marchandise à un moment où à un autre. On sera fixés à ce moment-là.

Ton regard accroche celui du gamin. Sans mots, tu lui intimes de se taire et d’accepter. S’il a obtempéré de grâce ou de peur, tu n’en as aucune idée, mais au moins il n’a rien fait d’autre que demander à ses hommes de le suivre, alors qu’il suivrait votre convoi. Au moins avec une telle escorte, les chances étaient extrêmement basses que d’autres bandits se tentent à vous prendre d’assaut. Par contre, les Wandrais et toi vous retrouveriez forcés de surveiller des bandits qui n’ont probablement pour envie que de mettre leurs mains sur la marchandise.

La nuit venue

Le marchand avait fini par s’endormir. Le moment de vérité était venu.

Aren, l’adolescent et toi vous étiez concertés pour la marche à suivre à partir d’ici. Du moins, concertés était un bien grand mot. Une fois que tu avais compris qu’ils comptaient discrètement inspecter la marchandise, tu leur avais imposé la méthode. Les ombres ont cela de pratique qu’elles savent se faufiler partout. Tu t’occuperais d’inspecter la marchandise, car tu n’avais pas besoin d’ouvrir la moindre caisse pour l’en extirper.

Ta main plonge dans le néant jusqu’à tâter du solide. L’objet est lisse au toucher, mais n’est pas froid. Ce n’est pas du métal. De la pierre. De la pierre taillée. L’enfant n’avait jamais parlé de pierre taillée. Tu te saisis d’une statuette, et la tire à travers le néant jusqu’à vous.

- Ce n’est pas ce dont tu avais parlé.

- Comment tu peux le savoir ?

- C’est un elfe, les grandes oreilles c’est pas pour décorer. Il a probablement entendu quand tu me l’as chuchoté.

Machinalement tu manipules l’objet des mains. Il est léger. Étrangement léger pour une décoration de marbre. Il est creux. Creux ? Pourquoi serait-il creux ? À quoi bon ? Les Vaanis n’étaient pas connus pour faire dans l’économie de matière, et pour un sculpteur, créer une statuette creuse était beaucoup plus d’efforts que de simplement tailler un bloc. Tu continues d’examiner l’étrange objet sous les regards agacés de tes comparses, et tu te rends compte que son poids est inégal. Inégal et inconstant. Changeant au rythme des tintements d’un petit objet.

- C’est creux. Il y a quelque chose dedans.

- Qu’est-ce que t’attends, casse-la pour voir !

- Pas besoin, regarde.

Le bout de tes doigts traverse la statuette et se saisissent du trésor qu’elle renferme. Une bague. Un anneau d’or surmonté d’un rubis et marqué de la devise confiée à Aren par le gamin. La marchandise était effectivement volée. Non seulement volée, mais dissimulée par deux couches de subterfuges.

- Vous voyez ! le gamin s’exclame, avant d’être forcé à reprendre à voix basse Je vous l’avais dit ! Votre marchand est un voleur.

- Possible. Possible que non. Il est p’t’être même pas au courant. Par contre, sûr que son client est douteux.

- Je peux récupérer mes affaires alors ?

- Pas maintenant gamin ! Réfléchis deux secondes ! Aren lui grogne au visage Si on stoppe la commande ici et maintenant, d’abord le marchand aura des problèmes, puis ensuite ce sera nous, et ensuite rien n’nous dit que tu vas pas juste tout te faire revoler. Retour au plan initial. Tu nous suis jusqu’à Thaar, et on attrape le gros poisson.

Le gamin peste en silence, mais faute d’une autre option, se résout à vous faire confiance d’un air abattu. Tu t’approches de lui avec un sourire, et il détourne le regard, visiblement effrayé par toi dès qu’Aren n’est plus là. Et sa légère inquiétude vire au sursaut de panique lorsqu’à nouveau, d’un coup de poignet tu ouvres la gueule du Néant. Cependant les cris difficilement retenus par le gamin s’éteignent immédiatement lorsqu’il se rend compte que plutôt que de l’avaler à son tour, les Ombres venaient de recracher son camarade, entier et surtout, vivant.

Débu tde la 4e ennéade de Bàrkios
20e année du Onzième Cycle
Campagne Thaarie

Heureusement, le reste du voyage s’était fait sans heurts. Vous étiez probablement trop nombreux maintenant à accompagner ce pauvre chariot pour que d’autres tentent leur chance en l’attaquant. Mais à défaut d’exercer vos talents de fine-lame, la route vous aura forcé à jouer de vos talents d’acteurs. Pas de soucis pour toi. Ton chapeau était un masque pratique, parlait peu t’arrangeai, et tu savais te montrer patient lorsqu’il le fallait. La science, la magie et la chasse ont été bonnes écoles. Il en était de même pour Aren et ses camarades Wandrais. Après de longues années à jouer la comédie de la Péninsule à l’Ithri’Vaan, à devoir se réinventer de nouveaux personnages pour ne pas être pris à parti, se contenter de jouer les mercenaires dévoués n’était pas bien ardu. Le gamin par contre peinait. Plusieurs fois la nuit aura été l’occasion de l’inviter à prendre son mal en patience, et à l’empêcher de craquer. Mais durant la journée il restait tendu, s’empêchant visiblement chaque seconde de hurler à l’injustice. Heureusement, vous voyiez enfin venir le bout du tunnel.

- On devrait arriver en ville d’ici quelques heures. Aren descend de son cheval Pour l’instant, autant laisser les montures se reposer en attendant le prochain bateau.

Alors c’était ça Thaar… Tu savais la Cité elle-même hors de vue, et seule la campagne à portée de regard. Pourtant, tu étais déjà déçu. Déçu alors que tu n’attendais même pas grand-chose de cet endroit. Mais au sein d’Ithri’Vaan Thaar avait cette réputation de Cité des Rêves, qu’ils fussent idylles ou cauchemars. On en parlait comme un endroit presque magique, une aventure en elle-même, la félicité des uns et l’épreuve des autres. Pour l’instant, à tes yeux Thaar n’avait l’air que d’une campagne miteuse, dont les champs mal-entretenus n’étaient décorés ni de fleurs ni de fruits en plein milieu du printemps. Une campagne miteuse posée sur une nature défigurée. Des bosquets luxuriants qui se meurent soudainement pour laisser place à ce que tu devines être d’anciens champs devenus bancs de sable à force d’agression sur un sol fragile. Des rives dont les contours ont été maintes fois redessinées de main d’Homme, au point de les transformer par endroits en étranges marécages. Et des habitants épuisés par le travail inefficient qu’ils s’infligent pour un ridicule pécune.

- Le voilà. le Wandrais te fait signe de la main pour t’arracher à tes rêveries Allez, on reprend la marche.

Avancer à travers la campagne Thaarie ne faisait que confirmer tes soupçons. Bien peu de choses ici étaient belles. Peut-être étais-ce ce qui rendait les belles choses d’ici aussi marquantes ? Car tu n’y penses que maintenant, les bâtisses qui ont attiré ton attention ou les parterres sur lesquels ton regard se sera attardé n’avaient finalement rien de bien spécial. Rien d’incroyable. Ils étaient simplement adéquats. Adéquats dans un monde rongé par la misère.

Au-devant du groupe, loin dans leur horizon, avait fini par s’élever un petit nuage de poussière qui grossissait de plus en plus, et s’avança dans leur direction. Une minute ou deux, peut être cinq s’écoulèrent jusqu’à ce que la silhouette d’un cheval lancé au triple galop se fasse apperçevoir de tous tandis que le bruit des sabot résonna sur la terre sèche du chemin.

Penché sur sa selle, le cavalier qui haranguait sa bête avec l'énergie du désespoir jetait de grands coups d’œil par-dessus son épaule. Lancé à vive allure, l'homme ne pouvait qu'avoir vu le convoi en face de lui. Pourtant il ne fit ni mine de s’arrêter et encore moins de ralentir, et en l’espace de quelques secondes il avait fait un écart pour à peine esquiver le convoi et continuer son chemin à toutes allures, sans un mot de lancé à ceux qu'il avait manqué de bousculer.

Au loin, quelque chose ou quelqu’un lança un bref sifflement qui résonna un peu dans la campagne. Puis deux silhouettes elles aussi lancées sur des chevaux au galop apparurent sur le chemin. Seulement eux, ils ralentirent et de trot les chevaux passèrent au pas arrivés au niveau du convoi avant de finir par s’arrêter en piaffant.

-Laissons-le partir, Ren. On fera sans cet abrutit.*

Celui qui avait littéralement sifflé ses mots était un homme de plutôt bonne stature. Grand pour un humain, petit pour un elfe, les oreilles en pointe mais une barbe de trois jours grisant ses joues, il suffisait d'un peu d'attention pour facilement deviner son statut de demi elfe. Il réprima une moue boudeuse alors qu’il abaissait le foulard qui cachait jusqu’ici le bas de son visage pour ne le garder qu’à son cou. Son compagnon avait d’ailleurs fait de même. Le second, lui, était un humain, probablement d’une bonne taille lui aussi, mais plus fin. Il y avait quelque chose de légèrement plus raffiné dans ses traits encadrés par une chevelure dorée. Si l'on pouvait parler de raffiné pour une tenue usée et pleine de poussière... Il toisait le lointain dans lequel l'autre avait fuit, l’air d’hésiter entre rester ou repartir à la charge.

Comme si le duo se rendit soudain compte qu’ils n’étaient pas seuls, le semi elfe fit décaler sa monture du chemin, histoire de ne pas être prit pour une menace.

-Pardonnez-nous pour ce dérangement. Lança-t-il alors à la petite troupe. Cet homme a quelque chose qui nous appartient. Mais il semblerait qu’on doive rentrer chez nous les mains vides. Il siffla son mécontentement entre ses dents, regard vers l’horizon avant de se reporter sur le chariot. Vous êtes des marchands à ce que je vois ? Malgré son mécontentement évident, le ton de sa voix était tout à fait cordial. En route pour la grande et belle Thaar dans l'espoir de faire fortune… ?

Et vu la protection fournie, ça ne devait pas être que de la camelote dans leurs caisses…Et…Est-ce qu’il y avait un…gosse avec eux ?

*Paroles en italique+Serif en langage sifflé

Face à l’échappée du pauvre hère ayant manqué de vous rentrer dedans, tu étais resté de marbre. Tout le contraire des Wandrais qui eux ne tarissaient plus de jurons dans leur dialecte natal depuis maintenant quelques dizaines de secondes. À vrai dire, le côté rocambolesque de la situation t’amusait presque, mais ce qui t’amusait encore plus, c’était d’imaginer les dizaines de scénarii ayant pu – dans ce monde de brutes – pousser l’étrange personnage à ainsi fuir. A-t-il rencontré des bandits ? Failli à un contrat ? Fuit-il un méprisable maître ? Ou n’est-il qu’un escroc en cavale lui-même ? Tout était possible ici, et il était souvent moins déprimant d’imaginer une multitude de possibles contes de fée que de se retrouver mis face à la – souvent triste – réalité.

Tu n’aurais malheureusement pas le luxe de laisser ton esprit divaguer bien longtemps. Rien ne garantissait qu’ils disent vrai. Du peu que tu aies pu observer de la culture Vaanie, peu de gens étaient honnêtes ici, mais au moins étais-ce là un début d’histoire. Le naturel avec lequel ils vous avaient accostés par contre… cela ne te disait rien qui vaille.

- Non, on est des aventuriers. Aren répond, visiblement agacé par le contretemps On sert de main d’œuvre pas cher pour le seul marchand du convoi.

- Et pas de rêve de fortune pour moi malheureusement. le marchand intervient avec bonhomie Juste une commande à remplir.

- Et moi je… le gamin se ravise avant de trop en dire ...je donne un coup de main.

- Bref, on est en train de prendre du retard, donc si vous voulez bien nous excuser.

Aren donne un coup de poignet aux brides de son cheval, et à son rythme, votre procession repart… agrandie de deux personnes apparemment, puisque probablement las de poursuivre le fuyard, les derniers arrivés rentreraient certainement aussi à Thaar.

Les deux bandits se lancèrent un regard entendu. Les gens de ce convoi n’avaient pas confiance. Mais qui pourraient leur en vouloir…Si ces mercenaires-là avaient eu le malheur de suivre un plus gros poisson, la situation qu’ils craignaient se serait peut-être produite et plutôt que des politesses, sans doute auraient-ils étés a croiser le fer en ce moment même…

Mais aujourd’hui, l’instant n’était pas aux conflits et ce chariot, quoi qu’il puisse bien transporter, n’avait aucune valeur aux yeux des chefs de l’Aile blanche. Alors sans insister, ils laissèrent les étrangers reprendre leur chemin, restant volontairement un peu en retrait. Après tout, cette rencontre n'était qu'un accident un peu étrange et ils n'allaient pas se mêler de ce qui ne les concernaient pas...

Enfin… Ils restèrent en retrait jusqu’à ce que Ren n’y tienne plus et que sa curiosité naturelle ne le pousse à se rapprocher et tenter d’en savoir un peu plus. Tranquillement, il s’avança près de celui qui semblait être le commanditaire de tout cela.

-C’est pas si courant des aventuriers dans ce genre de mission. Vous allez jusqu’où comme ça ?
-Vous êtes du genre droit au but vous non ?

-Un peu. Le blond sourit. Pardonnez-moi si c’était indiscret.

-ça pourrait vous jouer des tours l’ami. S’amusa le marchand. M’enfin, y a rien de secret. On se rend à la « Perle Rare ». Il secoua la main. Une petite boutique de babiole sans importance. L’histoire d’un aller-retour et on rentre.

Pourtant le vaani afficha soudain un air surpris, presque méfiant. Son compagnon qui suivait la discussion mine de rien, en arrière de convois avait aussi brusquement relevé la tête.

-Eh bah dis donc…ça explique l’escorte. Enfin on va pas vous chercher des noises hein, chacun ses affaires et les ibaks sont bien gardés comme on dit. On fait que partager un bout de chemin ensembles.

Il y eut quelques instant de silence, le naelisen n'ayant pas l'air de comprendre ce que l'autre lui disait malgré les sous-entendu évidents. Le bruit des sabots résonna, accompagné du grincement du bois qui travaillait, avant que Viliam n'intervienne à son tour.

-Dit gamin…Il s’adressait au plus jeune, perturbé par son attitude de l’instant précédent. Il n’avait pas semblé très…enthousiaste à l’idée d’être là. Ça t’arrive souvent de donner ce genre de…heu coup de main ? T’as l’air un peu jeune pour ce genre de sale boulot sans vouloir te vexer.

-C’est quoi le souci ? Coupa le marchand qui voyait bien que ce qu’il venait de dire posait problème à ce duo bizarre. Il n’y a pas de sale boulot ici. Si c’est une blague elle est de mauvais goût.S’agaça-t-il légèrement.

-Attend…Me dites pas que vous savez même pas où vous mettez les pieds…Ren semblait partagé entre rire et consternation. Remarque, j’en ai pas vu beaucoup des gens qui crient haut et fort qu’ils se rendent là bas… Vous venez pas d’ici j’imagine.

-La Perle Rare, c’est un des plus important point de recel de son secteur. Finit par expliquer Viliam voyant bien que l’humeur générale était à l’incompréhension totale. Je serais vous, une fois rentré j’irais dire deux mots à votre employeur parce qu'on n'oublie pas de préciser ce genre de trucs…

- Aren ! tu murmures au Wandrais de derrière ton écharpe C’est quoi un poing de reselle ?

- Un point de recel. sur le même ton, il répond prenant le temps d’articuler Un endroit où on échange de la marchandise volée.

- D’accord. Logique, donc.

Vos regards mornes se veulent dissimuler vos confidences, mais intérieurement, tu es heureux d’avoir pu mettre au jour le pot aux roses, tandis que le Wandrais est fier d’avoir suivi son instinct. S’il y avait la moindre authenticité dans les dernières interactions auxquelles il avait pu assister, alors non seulement le marchand n’avait pas lui non plus aucune idée de ce dans quoi il mettait les pieds, mais il y avait effectivement un plus gros poisson à ferrer. Et un plus gros poisson à ferrer, c’était à la fois potentiellement une rançon, de la notoriété et une bonne action de faite. Gagnant-Gagnant.

- Ecoutez les gars, c’est gentil de vous inquiéter pour nous, mais la vérité c’est qu’être aventurier ça beau être épanouissant, ça paie pas toujours le couvert. une vérité pour cacher un mensonge Alors oui, parfois nous aussi on est bien obligés de prendre des risques. Faut bien survivre après tout.

Pendant qu’Aren prend en charge la communication, tu te rapproches du « chef » de votre première fournée de nouveaux accompagnateurs. Le gamin essaie de tenir bon, mais à qui se donne vraiment la peine de l’observer, il devient apparent qu’il ne va pas bien. Il a peur. Jouer les bandits de grands chemins et s’attaquer à une caravane défendue par quelques pégus était une chose, mais avoir à faire face à la face cachée de Thaar… ses instincts lui hurlaient de parler. D’avouer qu’il savait ses possessions dans ce chariot, ou au moins une part. Peut-être que les derniers arrivés seraient gentils. Peut-être qu’ils se rangeraient de son côté. Peut-être qu’il pourrait fuir et rentrer sur ses terres natales et utiliser le peu de sa fortune perdue qu’il aura recouvré pour reconstruire son nom.
Pour l’heure, la seule chose qui l’en empêchait, c’était ta main. Ta main sur son épaule. Aussi réconfortante qu’autoritaire et pesante. Ta main et les paroles d’Aren. Car oui. Peut-être qu’il pourrait fuir. Mais tenter de fuir quand on a été la proie de Thaar une fois, c’était être condamné à être la proie de Thaar à vie. Il le sait, parce qu’il s’était promis de passer le restant de ses jours à pourchasser un voleur. Nul doute que s’il se prouvait être une petite frappe, ses adversaires lui rendraient dix fois la pareille.

- On sait qui la gère, « La Perle Rare » ?

Tu risques, on ne sait jamais. Aren doit feindre l’assurance. Toi tu n’as pas à t’en embarrasser. Pour cette fois tu embrasseras pleinement le rôle de l’étranger du groupe. Avec un peu de chance, ton étrange accent à couper au couteau jouera en ta faveur. Te fera paraître assez inoffensif pour rendre acceptable de trop t’en dire.

-Un type appelé Ismaad.

Une main appuyée sur le pommeau de sa selle, Viliam fixa celui qui avait posé sa question, intrigué. Lui était différent des autres. Par son attitude mais surtout, il n’arrivait pas à situer la provenance de son accent. Les autres parlaient suffisamment bien Oliyan pour que leur accent tirant parfois sur le péninsulaire ne les désigne pas plus étrangers que Naëlis au maximum. Mais lui, il était évident qu’il peinait encore à prononcer certains sons communs. Et puis en prêtant un peu plus d’attention, le bandit remarqua l’évidence même. Celui-ci était un elfe. Venait-il de la grande forêt ? L’on en disait pourtant les habitant si attachés à leur royaume qu’ils n’en sortaient quasiment jamais. Au moins cela expliquait son ignorance à défaut de donner sens à sa présence ici…

Entre le gamin qui semblait vouloir partir à toutes jambes à la moindre occasion, cet étrange elfe, et le marchand qui les envoyait tous tremper dans les bas-fonds de Thaar sans s’en rendre compte, ils formaient décidément une sacré bande…

-Mais ce gars-là pourrait tout aussi bien n’être qu’un pion comme le grand patron j’en ai pas la moindre idée et je pense pas être le seul. Continua-t-il mine de rien, gardant tout de même en tête qu’il était étrange que les uns et les autres soient autant dans l’ignorance de leur mission alors que l'aventurier au ton plus belliqueux affirmait qu'ils le faisaient en toute conscience. A mon avis, il gère probablement pas tout ça tout seul mais c’est pas des infos qui circulent facilement. Tout ce qu’on en sait, c’est que c’est le genre bien installé, pas mal protégé et sans doute payant grassement quelques connexions pour éviter d’être trop embêté par le guet. Il ajouta avec un léger ton sarcastique. Bienvenus à Thaar.