Trouver intérêts communs [solo]

2ièeme énnéade de Verimios 20:XI
Alentours de Thaar

Le sable se soulevait en d’épais nuages de poussière sous les roues d’une épaisse carriole parcourant les chemins. Quatre hommes entouraient une épaisse cage de fer, dans lequel un cinquième se trouvait, enchainé. Pourtant loin d’être inquiet, ce dernier sifflotait tranquillement un air populaire. Derrière, un autre chariot supportait une malle lourde, au cadenas aussi épais que le métal dont elle était composée.

Soudain, son sifflement presque trop joyeux vacilla un instant. N’avait-il pas vu une ombre se glisser entre deux arbres... ? L’homme se tourna vers ses geôliers, mais ces derniers continuaient leur route sans soucis. Bon…ça ne devait être que son imagination. De toute façon il avait pas grand-chose à foutre dans sa cage.
Il se remit à siffler, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que quelqu’un d’autre aussi, sifflait.
Sans prévenir, le chariot freina brusquement, l’homme manqua d’être projeté contre les barreaux de sa cage.

-Hééé ! Protestât-il.

Mais les soldats ne firent pas attention à lui. Dos à lui ils scrutaient les alentours dont la végétation dense rendait l’exercice difficile. Ils semblaient inquiets, aux aguets de quelque chose que lui ne voyait pas. Il y avait des arbres couchés devant les montures qui devenaient nerveuse de ce contretemps.
Une seconde à peine, il aperçut un homme perché sur une branche. Leurs regards se croisèrent brièvement. Celui en face avait l’air d’avoir trente ans peut être, difficile de le dire car il portait un foulard blanc sur son nez. L’instant d’après il avait de nouveau disparu entre les branches.

Il n'eut même pas le temps d'intégrer ce qui se passait que dans son dos, face aux mercenaires, retentit le bruit lourd d’un autre homme qui atterrit sur les branchages qui ne pouvaient définitivement pas être tombés là de façon fortuit.

-Tient ! Lança ce dernier d’un ton ironique. Yamim Natiya, qu’elle surprise !

C’était le nom du chef du convoi, se rappela le prisonnier, surpris que ce nom soit lancé par un inconnu. Se contorsionnant un peu il chercha à observer la scène. Son geôlier semblait terriblement agacé par ce contretemps, mais il y avait une nervosité certaines chez ses compagnons qui serraient leurs armes.

-Vous êtes qui, vous voulez quoi ?

L’homme en face était vêtu d’une armure aussi blanche que le foulard qui cachait certainement un air narquois. Sur l’une de ses épaules, le cuir était surmonté de petites plumes d’un cuir plus fin, ressemblant à celle d’un oiseau.

-On sait tous les deux comment ça va finir alors ne perdons pas de temps tu veux ? Descend de ton cheval, reste sur le côté et tout ira bien. On récupère juste ce qui t’appartient pas.

Mais évidemment, la troupe ne l’entendait pas de cette façon. L’un des mercenaires attrapa son arbalète prête à tirer. Immédiatement un sifflement retentit et il se retrouva abattu par quelqu’un dans les arbres, peut être l’homme que le prisonnier avait aperçu plus tôt.

-Deuxième sommation. Gronda le bandit.
-D’accord d’accord

Le geôlier leva les mains au ciel et descendit de son cheval. Un mouvement de tête et il ordonna à ses hommes de faire de même. Il s’avança pour faire face à son assaillant. Lorsque celui sauta a son tour de son perchoir, l’éclat d’une lame brilla. Le prisonnier ouvrit la bouche pour crier mais le coup partit trop vite. L’autre eut visiblement la chance et l’habileté de parer le coup traitre. D’un mouvement sec il arracha le couteau des mains du mercenaire et lui faucha les pieds. L’homme chuta brutalement au sol et se retrouva instantanément une rapière sur la gorge.

-Vous êtes tous les mêmes. Intimider des paysans très bien, mais se battre à la loyale y a pas grand monde.

Son regard alla vers les autres hommes qui levèrent immédiatement les mains. Il siffla et des ombres apparurent alors ses camarades qui ne se firent pas attendre pour débarrasser leurs victimes de toute armes…Non sans récupérer aussi leur or tant qu’à faire. Étrangement, l’un d’eux se permit même de relever celui qui avait été abattu, visiblement blessé mais en vie et de le redresser contre un arbre, avec même une petite tape sur l’épaule. Un bruit de métal força le prisonnier à regarder devant lui à nouveau. Le bandit blond dont il avait croisé le regard quelques instant plus tôt avait sauté sur l’arrière du chariot, et toquait à la porte de la cage.

-Et toi t’es qui ?

Ren s’était baissé et fixait le cadenas de la cage, l’examinant avec attention tout en adressant la parole au prisonnier qui le toisait en retour. Autour, les autres bandits achevaient de nouer des cordes autour des poignets de leurs adversaires vaincu, les rassemblant sur le coté de la route.

-Si vous me sortiez de là avant qu’on discute ? Le prisonnier tendit ses poignets toujours reliés par des fers.

Alors, le blond siffla. Derrière eux, Clarisse venait juste de finir de s'attaquer au coffre de métal épais. Elle releva la tête et de quelques bond souples finit par s’approcher, laissant à ses camarades le soin de récupérer les pièces brillantes à l'intérieur. Douée, il ne lui fallut pas plus de quelques minutes avant que les cliquetis ne cessent et l’homme soit à nouveau libre de ses mouvements.

Il frotta ses poignets un instant et ouvrit la bouche pour parler et probablement remercier ses étranges sauveurs...si vraiment ils en étaient mais au loin un nouveau sifflement retentit  et tout ceux qui portaient un foulard blanc semblèrent instantanément en comprendre le code: d’autres voyageurs arrivaient et il fallait repartir. Ni une ni deux, Ren saisit le poignet de l’étranger et l’entraina avec lui sans autre forme de procès.

-Monte ! Lui fit il alors qu’il grimpait sur l’un des chevaux de somme dont il fit sauter les sangles le reliant à la charrette.

Bizarrement l'étranger obtempéra et sauta sur le second cheval qui piaffa avant qu'ils ne partent au galop loin de la scène de chaos qu'ils avaient laissé. Devant les quatres pauvres hommes ficelés aux arbres, le bois de ce qui avait été leur carriole et dont on avait brisé les roues avant était gravé d'une aile d'oiseau prêt à s'envoler.

La nuit commençait à tomber lorsque les montures cessèrent enfin d’arpenter la campagne de Thaar. Le petit groupe de voleurs s’était posés bien à l’abri derrière quelques roches. Après quelques sifflements, lorsqu'on avait vérifé que personne ne les suivait l’on s’était décidé de laisser le nouveau fugitif les accompagner jusqu'à leur cachette, à condition que ce dernier se laisse être aveuglé l’espace de quelques instants, chose qu’il accepta avec nonchalance.

Alors, réunis à l’extérieur de la Plaine,sous la lumière des astres, on alluma un petit feu autour duquel ils furent une dizaine à se rassembler. Le coffre volé avait disparu, à l’abri dans l'un des bâtiments. On amena aussi des plats pour les pauvres bougre de garde cette fois là. Il régnait une profonde atmosphère de camaraderie dans l'endroit et l’étranger ne sembla pas les déranger et il fut d'ailleurs traité de la même façon, c’est-à-dire qu’on l’invita à prendre place et on lui offrit un morceau de pain et de fromage.

Finalement Viliam qui s’était assis en face de lui, finit par sembler se souvenir qu’il n’était pas des leurs et lui adressa la parole.

-Raconte nous ton histoire l’ami. Fit-il, en lui tendant une outre dont l’odeur ne laissait nul doute : il s’agissait d’alcool fort.

-Elle n’a rien d’extraordinaire. L’homme secoua la tête et avala une grande gorgée. Autrefois j’étais prêtre.
-Et tu ne l’es plus ?
-Non.
-Pourquoi ?

Une nouvelle rasade d’alcool, obligea la petit troupe à attendre la réponse. D'ailleurs, Viliam avait cru remarquer une légère pointe d'accent étranger, et cela l'avait d'autant plus intrigué.

-Avez-vous déjà observé un culte prônant le choix sans vous en donner aucun ? Je suis partit par foi. Un sourire. Pour certains je ne reste qu'un apostat. Alors je me suis caché et j'ai refait ma vie mais, il leva le récipient, les dettes ont finie par me rattraper. Et vous ? Il rit et enchaina pourtant seul, désignant le foulard blanc que Viliam portait encore. Inutile en fait, vous faites déjà assez parler de vous. Il parait que l’Aile blanche est pas mal remontée en ce moment d'ailleurs.

-A ce point ? Le bandit sembla partager l'humeur légère du gaillard et joua son jeu.

-Pour le guet, vous êtes les emmerdeurs numéro un du moment. Il pencha la tête. Pour les autres, j’imagine que ça dépend. Y a des gosses qui vous admirent, je sais pas si c'est bien ou mal.

-Et pour toi ? Demanda Ren.

-Ah.Il s’enfila une nouvelle rasade, visiblement pas dérangé par ce rythme,pas plus que les questions qu'on lui posait. Ça ça reste à voir.

Le  lendemain

-Tu lui fait confiance ?

La soirée avait duré un certain moment avant que l’épuisement n’alourdisse trop les épaules des quelques bandits et qu’ils ne décident d’en rester là. Au moins eurent-ils l’occasion d’apprendre à connaitre le mystérieux Aubin qui s’avéra être un joyeux luron à sa manière. Il n'en révéla pas beaucoup sur lui, comme l'on pouvait s'y attendre, mais suffisamment pour ne pas se rendre inutilement inquiétant. Bien vite on eut dit qu'il faisait partie de l'étrange famille.

Mais le lendemain, la liesse était retombée, et les doutes avaient doucement refait surface. Ren avait profité de l’accalmie de la matinée pour toucher deux mots à son chef. Il profita d’être l’un des très rares à pouvoir le retrouver dans sa chambre sans que cela ne le dérange pour s’y glisser après avoir doucement toqué.
D’ailleurs, Viliam était si peu inquiété par la présence de son meilleur ami qu’il lui tournait le dos et continuait sa routine. Il terminait de passer une lame sur ses joues alors que d’un œil il observait le grand blond le fixer à travers le miroir devant lui.Ce dernier avait pris place sur la seule chaise de la petite pièce et jouait à la faire grincer un peu depuis bien quelques minutes.

-Et toi Ren ?
-Il m’a l’air correct. Et…On a vraiment besoin de bras supplémentaires. La porte dans les galeries est à peine terminée, on a à peine de quoi excaver les couloirs secondaires, la grange j’en parle même pas c'est au point mort depuis que le bâtiment principal s'est à moitié effondré.
-hm…
-Putain Vil'! Ren grogna, changeant brutalement de sujet, manquant presque de faire se couper l’intéressé qui sursauta. J’avais oublié à qu’elle point elle t’avais pas raté. Ce que c’est moche.

Le bandit savait de quoi il parlait sans même suivre son regard qui se posait dans son dos. En travers de son épaule il portait toujours une méchante cicatrice, souvenir d’une rencontre bien malheureuse face à une puysarde il y avait presque un an maintenant. Soigné tant bien que mal, mais tard, la blessure lui avait valu une longue ennéade de fièvre intense, et il savait que pour Ren qui l’avait retrouvé encore une fois entre la vie et la mort ça avait été une sacrée frayeur. Une de plus.

Plus qu'une simple remarque physique, le bandit savait donc qu'il s'agissait là d'une manière pour son ami d'exprimer son inquiétude, mine de rien. Caché derrière sa grandiloquence, et ses manières joyeuses, Ren s'efforçait de ne pas le laisser paraitre, probablement par crainte que têtu comme une mule l'ancien esclave ne cherche à se renfermer d'avantage au risque d'en devenir hors de portée ,mais il veillait constamment sur lui, à sa propre façon. Parfois Viliam captait un regard inquiet qui s'effaçait aussitôt. Parfois il y avait des mots plus direct. Parfois ils suffisaient qu'il n'échangent que quelques seconde de silence. Il y avait entre eux une part de non dit, donc chacun mesurait discrètement l'étendue. Cette blessure était pour Ren aussi, un rappel douloureux d'un instant où il n' était pas parvenu à aider son compagnon.

-Ça t’arrive souvent de dire à tes camarades qu’ils ressemblent plus à rien ? Loin de ces pensées amères, Viliam s’était retourné pour fixer directement l’importun, poings sur les hanches et malgré sa moue désapprobatrice, Ren savait qu'il plaisantait. Tu m’étonne que ta dernière conquête t’ai encore largué.

L’autre ne répondit rien et se contenta de lui tendre une chemise. Après avoir enfilé l'habit, Viliam vint s’asseoir à ses côtés et laissa finalement échapper un soupir. Il joua un instant avec le foulard blanc qui se trouvait posé non loin, sans le nouer à son cou.

-Puisque t’en parle. Fit-il d’un ton plus sérieux. Je pense aussi que c’est justement pour ça qu’on aurait tout intérêt à se faire de ce gars un allié. S’il a été prêtre, il saurait probablement mieux s’y prendre qu’Esgalön. Je l'aime bien, mais soigner autre chose que des rhumes des foins c'est pas son fort. C’est pas comme si notre liste d’ami nous donnait beaucoup de choix et je veux pas à avoir à revivre ce qu’il s’est passé le mois dernier… Pas sans essayer d'y faire quelque chose.

-Tu fait une fixette sur ça. J'ai l'impression qu'autre chose t'inquiète Viliam. Le ton de l'ancien marchand s'était fait plus doux alors que son camarade fixait le sol d'un air bien moins joyeux. Tu m'a jamais vraiment expliqué ce qu'il s'est passé d'ailleurs l'autre soir.

-La soirée ne s’est juste pas spécialement bien passé même avant le dernier incident. Il leva le regard vers le plafond, puis machinalement, se releva, tourna le dos à son ami et fixa l’extérieur à travers la fenêtre. Les vieux démons ne semblent juste jamais loin.

Dehors, leurs camarades commençaient déjà un peu à s’afférer sur les différents chantiers de leur havre de paix. D’ailleurs, Viliam remarqua que leur nouveau protégé s’y était mis aussi, désignant diverses plantes au jeune elfe auto proclamé guérisseur du groupe. Plus loin, deux jeunes gens, sauvés de la dernière catastrophe, semblaient occupé à rafistoler un grand pan de tissus. Mais à leurs gestes maladroits, l'ouvrage ne leur était pas familier...Heureusement pour eux, un troisième vint finalement les aider.

-Mais laissons ça de côté s’il te plait.
-Promet moi au moins que tu vas bien.

-Je vais bien je t'assure. Pour preuve il lui offrit un sourire en se détournant de ce qu'il observait distraitement. Merci Ren.

Finalement il s’approcha, et finit par lui prendre un poignet.

-Viens. Ne restons pas là à discuter, on a besoin de nous dehors.

Dans un même temps ,il attrapa son sempiternel foulard qu’il noua d’une seule main autour de son cou avant d’entrainer Ren au dehors. A peine avait-il mis les pieds hors de la petite pièce, que le bandit avait semblé légèrement changer, souriant d’avantage. D'un air plus assuré il reprenait son rôle de chef de la bande de gamin et de voyous aux grand cœur qu’ils étaient tous.

Finalement, lorsqu’ils retrouvèrent l’étranger, il était toujours affairé à désigner à son apprenti du moment quelques ficelles de ce qui avait été son métier autrefois. A son épaule, Viliam tenait un très lourd sac de toile dans lequel ils avaient transféré une partie du butin de la veille.

-Aubin !

L’intéressé releva soudain la tête, alors que son compagnon elfe avait déjà largement entendu ses deux camarades arriver.

-Tu à l’air de prendre tes marques on dirait.
-Oh. Il sembla mal à l’aise en se relevant pour faire face au demi elfe, mine de rien légèrement plus grand que lui. Si j’ai dépassé des limites…Je m’en excuse. Leva-t-il les mains.
-Aucun soucis ne t’inquiète pas comme ça. Viliam se mit à rire. Mais je me disais que t’aurais peut-être envie de voir à quoi on ressemble derrière ce que t’as pu entendre.

-Ah ! Voilà qui m’intrigue.


-Viens.Il lui fit un geste de la main et tourna les talons tandis que l'ancien religieux se mit à le suivre.Nous n’avons pas eu beaucoup d’occasion de parler sérieusement, hier l’alcool n’aidait pas tellement. Nous prenons un immense risque en te laissant te balader parmi nous librement j’espère que tu en est conscient.
-J’en suis conscient, mais j’imagine que peu de choses pourraient te prouver mes bonnes intentions.
-Non. Mais maintenant que tu es là, les dés sont jetés. Quitte à faire ce pari risqué, je tiens à ce que tu en mesure au moins tous les enjeux.

Tout en parlant, ils s’étaient dirigé vers le semblant d’étable dont le toit n’était encore largement pas terminé. Là étaient parqué les quatre chevaux volés la veille. Viliam noua son sac à la selle de l'un d'eux, désignant un autre à son désormais compagnon de route.

-Où va-t-on ?

Mais à la grimace que lui adressa le bandit, l’étranger compris qu’il n’aurait pas de réponse. D’ailleurs après qu’il soit grimpé sur sa monture, on lui banda à nouveau les yeux, sans surprise. Après ça, il ne put que sentir son cheval trottiner alors qu’il se tenait tant bien que mal à sa bride.

Finalement, quelques minutes de trot puis un petit gallo plus tard, Aubin sentit à nouveau son cheval s’arrêter. Une ombre passa dans son dos tandis qu’il sentais la présence du bandit derrière lui, puis, le tissu qui lui cachait les yeux tomba enfin.
Viliam retrouva alors sa propre monture et le chemin repris tranquillement à travers la campagne de Thaar.

-Sacrés précautions. Ne put s’empêcher de commenter l’ancien prêtre.
-C’est bien peu comparé l’enjeu.

Le voyage continuant, un silence s'installa l'espace de quelques minutes. Ils étaient tranquillement en train de se rapprocher de l’immense Thaar dont ils voyaient déjà les murs.

-Dit moi…Visiblement l’homme était d’un tempérament curieux. Tu es néérite n’est-ce pas ?
-Oui. Mais avant que tu le demande, l’Aile Blanche ne se veut pas être une quelconque organisation religieuse. Certains prient d’autres dieux, voir aucun. Peut m’importe. Nous suivons simplement nos préceptes qui résonnent avec ma façon de comprendre le culte de Nééra parce que j’ai grandi comme ça rien de plus.

-N’a tu pas peur d’enfreindre ses enseignements parfois ?

-ça m’arrive. Viliam jeta un coup d’œil un peu surpris à son compagnon. Je suis forcé de tuer, parfois. Il haussa les épaules. Mais on fait ça pour une raison. Tu nous l’as dit toi-même hier, tu supportais pas de pas avoir le choix là d’où tu viens. Ben nous non plus, alors ont fait ce qu’on peut pour aider. Il soupira. On est pas des saints, Aubin, on le sait. Y a des choses qu’on fait mal. Y a des gens qui seront tués sans le mériter. Les soldats du guet aussi ont une famille à nourrir, des rêves, une vie. Mais Thaar veut notre peau, on fait que chèrement la défendre.

-Tu sais, t’es plus admiré que tu veux bien l’admettre. Aubin se mit à sourire. Si tu voyais la passion avec lequel tes hommes parlent de toi et de ton bras droit… T’es une espèce de héro pour eux. Sa main vint lisser sa barbe tandis qu’il adoptait un air pensif. Pourtant y en a pas eut un pour m’expliquer d’où tu peux venir.

-Ils ont pas de quoi vraiment. Viliam s’était rembruni. Mes compagnons ne connaissent pas mon histoire et c’est très bien comme ça.

-Pourquoi ?

-Parce que c’est la même que la leur. Répondit-il en plantant son regard dans celui du prêtre. Ces gosses ont besoin d’espoir, pas d’un énième motif de vengeance.

-ça m’a l’air bien léger si tu veux mon avis.

Mais Viliam ne répondit pas et fixa le lointain devant lui. Aubin l’apprendrait à ses dépens aujourd’hui. Si le chef de l’Aile Blanche paraissait un homme bon, prompt à la légèreté et pas dérangé d’expliquer sa vision du monde, lorsque le sujet en venait à sa propre histoire, il changeait du tout au tout et refusait soudain tout dialogue. Même les plus anciennes recrues de la bande n’étaient jamais parvenues à lui tirer plus de quelques mots et il n’y avait que le tatouage dans son cou et quelques cicatrices çà et là pour les laisser supposer de sa vie d’avant. La vérité ne se trouvait pas entièrement dans l’explication donné à son compagnon de route d'ailleurs, mais à nouveau, ce secret resterait tel quel.

A la place, le bandit fixa l’étendard de la ville de Thaar qui flottait dans une brise en face d’eux. Les trois yeux du chacal semblaient les fixer, inquisiteur.

-On est presque arrivés.

Les deux hommes avaient fini par mettre pied à terre, confiant leurs montures à un relais quelque peu miteux -quoi que possédant des bêtes en bonne forme- mais dont les propriétaires ne semblaient pas des plus bavards. Ensuite, ils s’étaient glissés entre quelques ruelles jusqu’à atteindre une petite place serrée par quelques bâtiments mal entretenu. Il était évident que ce quartier-là n’avait que bien peu de moyens.

Alors qu’ils arpentaient les pavés défoncés, ils pouvaient capter çà et là quelques paires d’yeux au fenêtres qui les regardaient aller, curieux, scrutant leurs gestes et leurs intentions. Quelques enfants moins soucieux jouaient avec une balle de peau de chèvre sous les yeux peu attentifs de leurs mères plus loin. Leurs habits simples étaient çà et là rapiécés et tous étaient usés. L’un portait même une manche grossièrement dépareillée du reste de son ensemble.

Lorsque les gamins virent les deux intrus à leur petit monde, certains s’enfuirent en toute hâte, rattrapés ou non par leurs mères – du moins ceux qui en avaient une-. Mais quelques-uns, plus hardis s’approchèrent. L’un osa même se planter devant le semi elfe, point sur les hanches. Ses manières gaillardes juraient avec son visage juvénile surmonté par des mèches de cheveux blond toutes emmêlées et qui se dressaient presque sur son crâne. Viliam le toisa avec un air faussement réprobateur.

-Eh ben "brin d’paille" ?
-T’es en retard !
-Je ne suis pas en retard. Joua-t-il son jeu. Je t’ai dit que je reviendrais, je t’ai pas dit quand.
-Y a quoi dans ton sac ?

-Des trucs. Il savait pertinemment que cela ne ferait qu’exciter la curiosité du gamin, aussi en joua encore d’avantage en accompagnant le tout d’une moue nonchalante.

-Quels trucs ?
-Tu verra. Il répondit avec le même air. Mais pour ça il faut que tu me laisses passer.

Il plia pourtant les genoux pour se mettre à son niveau et lui cala deux petites pièces dorées dans sa pogne. Ensuite il lui ébouriffa les cheveux et le gamin s'écarta non sans suivre malgré tout ses pas.

-Il est où Mousse tiens?
-Chépa. Marmonna le gamin.
-Bon, bah il aura sa part plus tard alors.
-Et lui c'est qui?

Il désignait Aubin qui marchait derrière eux, silencieux mais observant avec un discret mélange de circonspection et d'amusement l'improbable scène.

-Un ami. Répondit Viliam avec un bref regard vers l'intéressé.
-Il est comme toi?
-Ça reste à voir. Tiens arrêtons nous là.

Viliam s'installa finalement sur le rebord d'une toute petite fontaine. Composée de bris et de broc, elle était bien abimée et ne déversait presque plus rien. Évidement, personne n'était venu la réparer puisqu'elle se situait dans un quartier oublié des puissants. Elle ne parut que d'autant plus chétive lorsque l'épais semi elfe s'y adossa. Finalement avant qu'il ne fasse plus de geste vers son paquetage une femme s'approcha, l'air suspicieux. Elle avait un fort accent que Viliam n'arrivait pas tout à fait à identifier. Zurthan peut être... Elle sifflait presque en prononçant des mots amères.

-Que viens tu faire ici? J'ai entendu les rumeurs. Les gens d'en haut t'en veulent et te cherchent.

-Hm? Avec toujours le même flegme, le bandit alluma un fin rouleau d'herbes sèches tiré d'une de ses poches qu’il cala ensuite à un coin de ses lèvres. Il haussa ensuite les épaules.A qui il n'en veulent pas ici?

-On ne veux pas de problème. Renchaîna la femme.

Mais d'autres habitants s'approchaient. Si certain partageaient visiblement l'expression et les pensées de cette femme, la plupart semblaient surtout curieux et attentifs. Les gamins notamment, semblaient attendre d'enfin voir le mystérieux contenu du sac de toile.

-Laisse le Virma.

Celui qui avait lancé cela était un autre homme d'âge avancé et à la peau tannée par le soleil mais dont les yeux étaient si pâles qu'on les aurait presque dit translucides. D'expérience, Viliam savait que cet homme là faisait quelque peu office de doyen et de ''chef'' de ce petit quartier pauvre.

-Il est pas là pour ça.

-Effectivement.

Viliam coupa cours à tout début de dispute entre les deux autres. D'une main il désigna le sac à ses cotés. Il y plongea la mains et en sortit quelques pièces qui firent briller les yeux des quelques curieux ça et là.

-Je suis simplement venu vous rendre ça.