Panser ses plaies

Seconde ennéade de Verimios,
An 20 du Cycle XI,
Grand-Temple de Daranovar

Même dans l’atmosphère feutrée du Grand-Temple, l’apaisement était difficile à trouver. Les eaux cascadant dans les étroits canaux charriaient appréhensions, égarement et frustration. Mais au panthéon des Chants d’Arcamenel qui jouaient en son Souffle, la colère primait sur tous les autres. Trouver la paix, l’Aigle y avait renoncé il y a bien longtemps, mais le Cœur de la Tourmente n’avait plus été aussi proche depuis la disparition d’Histraxë.

Árólindë passa sa mains sur les racines du Méroca entre lesquels serpentaient les rigoles translucides. Les pieds nus, mouillés jusqu’aux chevilles, il remontait les ruisseaux coulant vers les bassins des prêtres d’I Hall. L’Arbre-Maître de sa terre était son refuge spirituel depuis son retour de la Forêt Viciée. Sous ses branches semblant pleurer des milliers de Lueurs, accrochées au cœur du sanctuaire de La Mère et irradiant le temple leurs mouvances bleutées, il avait déposé ses propres sanglots et y avait trouvé une forme de guérison. Les prêtres d’I Emël avaient soigné son corps, ceux de la Voilée avaient lénifié son Souffle que les stridences d’Aduram avaient entaillé.

La magie avait permis de retirer de ses chairs la plupart des radicules qu’Aduram avait enracinés en lui. Une partie du cristal avait été résorbé, mais il finirait par vaincre. S’il était soutenu par les guérisseurs, le combat serait en suspens plusieurs décennies – quelques siècles, peut-être – mais la mort finirait par sourdre de ses entrailles gangrenées par le spath du Faën Ornë. Cependant, la fatalité de cette perspective ne l’effrayait pas. Au cœur de la Tourmente, il avait beaucoup à retrouver.

Au retour de l’ancien Linoïn, les Televin wyslenans l’avaient pris en charge alors qu’il n’aurait pas survécu plus de quelques jours. Sa cité natale avait été la destination naturelle lorsqu’il avait fallu se rendre à la nécessité de rituels plus complexes pour entraver l’avancée du cristal. Jusque-là, et malgré qu’il ait voyagé dans les monts Norn à de nombreuses reprises, il avait évité les plus grandes artères de Daranovar et les lieux trop chargés de souvenirs. Revoir l’institut militaire, qu’il avait quitté pour se sauvegarder du deuil de son frère, avait été autant douloureux qu’il lui avait prodigué un réconfort familier. Face au Monument des Héros, il s’était effondré mais s’était relevé plus fort dans la détermination qu’il devait à son jumeau défunt. S’il le rejoignait prochainement au royaume de Tari, il ne le ferai pas avant d’avoir honoré son souvenir et son combat.

Lorsqu’il parvint au ressours de l’eau, d’où les ruisseaux s’épanouissaient dans le temple, il dénoua de sa nuque le cordon de cuir auquel pendait la fiole bleue blême à la lueur vigoureuse et l’y plongea.

Le Souffle d’Histraxë brillait toujours.

Il se battrait encore.

Leur expédition n’avaient eu pour effet que de prendre la mesure de l’étendue du territoire et de la perversion de la faune d’Aduram par le Nécromant. Les rapports venant de la frontière indiquaient que l’activité de ses engeances s’étaient accrues au cours des derniers mois, prenant le Souffle de plusieurs soldats. par le Nécromant. Les renforts du Trône Blanc, engagés sur la sécurisation de l’Annon et l’aide apportées aux troupes locales pour contenir les sursauts de la Forêt subséquents à la première Lune de l’An, seraient bénéfiques, moins étaient loin d’être suffisants. La missive du Capitaine des Aigles, arrivée à l’aube, mettait donc fin à plusieurs ennéades de retraite. Alarmé par les rapports, lui se ferait le témoin vindicatif face à la Couronne et Árólindë endosserait la responsabilité de coordonner des troupes des Cités frontalières.

A l’aube du jour suivant, il entamait la Sente descendant sur Linaëh.