Forger l'Avenir [Artiön]

9ième jour de le première énnéade Verimios - 20:XI
Alëandir - Trône Blanc

Le palais du Trône blanc resplendissait ce jour-là. Le forgeron venu de la cité sans murs n’était pas insensible à sa froide beauté, bien étrange comparé aux racines qui faisaient son chez lui, alors qu’il en parcourait les allées labyrinthiques derrière un jeune elfe préposé à l’accueil des visiteurs. Il levait souvent le nez, là sur une sculpture, ici une fresque gravé en haut d'une porte...Bref l'Ardamiri découvrait presque un nouveau monde tandis qu'ils l'arpentaient tranquillement.

A sa tenue, l’on pouvait difficilement se tromper quant à sa vocation. Sa tunique bleue n’avait pas de manches, laissant ses bras épais nus, et mettant en valeur sa carrure un peu plus épaisse que la plupart des elfes qu'ils pouvaient croiser. C'était une coupe simple, lui laissant tout loisir de se mouvoir. Sa ceinture de cuir et de métal portait quelques sacoches dont le contenu devait sans doute lui servir au quotidien et venait elle aussi trahir –ou plutôt relever- son statut d’artisan. Seul outil visible cependant, à sa hanche, un marteau aux tons sombre piqueté de petites étoiles bleutées sur sa tête.

Pourtant en y prêtant plus qu'un simple coup d’œil, aux broderies fines et discrètes de son veston, ainsi que les fioritures qui ornaient les pans de tissus serrant son buste, aux métaux délicatement sculptés des boucles, et à chaque détail minutieusement choisit, l’on pouvait facilement comprendre qu’il ne s’agissait en réalité là que d’apparat. Faire connaitre la chaleur d’une forge à ces tissus-là aurait été un crime. D’ailleurs, nulle cendre ne venait ternir l’éclat mordorée des bagues à ses doigts, pas plus que sur le bracelet de métal qui venait souligner la courbe du haut de son bras. A son front, un fin cercle d'argent tressé écartait ses cheveux sombres et venait souligner l’éclat de son regard d’or.

Ses lèvres étiraient quant à elles un fin sourire car il était fier de se trouver là, et plein d'espoir devant l'audience qu'il s’apprêtait à solliciter. D'ailleurs, l'une des raison de sa fierté se trouvait dans le petit coffret dans ses mains. C'était une petite boite de bois sombre dont les coins et le loquet était en un métal aux reflet argentés.

Finalement le garçon qui le guidait se stoppa devant une large porte, frappa, puis quelques secondes plus tard, lorsqu'il fut certain qu'il le pouvait, l’ouvrit au forgeron. D’un signe de la main il lui indiqua qu’il pouvait entrer et lorsqu’Hêdirn le remercia, il s’en retourna à d’autres tâches.

Alors, Hêdirn adressa toute son attention à l’elfe qui se présentait devant lui. Il posa sa main libre contre sa poitrine et s’inclinant un peu.

-Heru Aran. Merci d’avoir accepté cette audience. Je suppose que votre temps est précieux alors je vous promets d’être bref.

Il n’avait pas dit grand-chose dans la missive envoyé quelque temps plus tôt au Trône Blanc. Simplement qu’il avait une idée à soumettre au Roi des cités Elfiques. Une idée qui, il en était certain, pouvait influer le cours de l’avenir d’une façon tout à fait positive.

Tes yeux dardent à gauche et à droite à une vitesse folle. Tu lis, enregistres et griffonnes le contenu d’une douzaine de parchemins à la fois. D’un côté, l’ébauche de scénarii de pièces de théâtres proposées par les dramaturges pour l’ennéade prochaine, d’un autre, des croquis de sculptures et de costumes, d’un autre, des plans de la Cités et de divers de ses jardins et bâtiments, tous entourés ça et là de nombreuses notes, soigneusement rassemblées, relatant de récits allant du fait historique à la simple rumeur. Pour ce qu’il s’était agi de compiler des informations et de t’indiquer à qui t’adresser, le Conseil de la Cité t’avait beaucoup aidé, mais maintenant qu’il fallait rassembler les pièces du puzzle, tu les avais volontairement écarté. Tu aimes t’occuper de l’organisation de ce genre d’événements, et si ta presque décennie de règne t’a appris une chose, c’est que les talents des membres de ton conseils étaient mieux mis au service de leurs disciplines respectives que de l’organisation de quoi que ce soit. Ça et le fait qu’aussi sage puisse-t-il être, ton intendant n’était pas l’elfe le plus agréable au monde.

T’occuper de l’organisation des festivités aura en plus été l’occasion pour toi de constater à quel point ces dix années d’existence Lëandrines étaient ridicules, en comparaison des Cycles d’histoire de la Capitale. Plus tu passais en revue les scripts qui t’avaient été fournis et plus tu arrivais à les lier aux racontars – certains plurimillénaires – qui t’étaient remontés, plus tu te sentais – d’une certaine manière – déconnecté des elfes qu’il était devenu ton devoir de guider et de protéger. Pourtant, paradoxalement, plus tu te sentais déconnecté d’eux, et plus quelque chose en toi était satisfait. Non pas que tu n’aies pas voulu être l’un d’eux, mais en creusant les pans de culture qui te séparaient des Lëandrins, tu réalisais enfin à la fois pleinement la bienveillance dont ils avaient fait preuve à ton égard durant cette dernière décennie et la confiance qu’ils avaient mis en toi, pourtant étranger à leur petit monde.

Probablement en avait-il été de même lorsque Dyarque avait occupé ta place.

- Heru Aran? le bruit du heurtoir de la salle du trône résonne Heru Hêdirn est là.

Tu ne réponds pas. Voilà longtemps que le jeune page n’attendait plus que tu lui répondes. Votre danse était rodée maintenant. Il frappait, il annonçait, il te donnait tout juste le temps de reprendre place devant le Trône, de manière à dignement accueillir tes invités, vous vous souriiez, et puis il repartait au reste de ses obligations. Souvent le soir venu il rejoignait ta famille le temps d’une collation, et vous discutiez des affaires du Palais. De l’intimidante figure croisée un soir au détour d’un couloir, tu étais devenu pour lui comme un oncle d’adoption, et grâce à cela le métier d’intendant royal auquel il se destinait lui paraissait de moins en moins inquiétant.

- Heru Hêdirn. tu lui rends ses salutations avec les mêmes marques de politesse J’avoue ta missive m’avoir interloquée. Prends tout le temps qu’il te faut, mon attention est toute à toi.

Depuis que tu avais lu son courrier, tu anticipais ce moment. Une idée qui pourrait altérer le cours de l’avenir… ta curiosité avait été piquée. Comme quoi, La Mère semble avoir définitivement réussi son pari.

La tenue du jour:

-J’ai conscience que ma lettre pouvait paraitre un peu…cavalière. Sourit alors Hêdrin. Mais je n’en étais pas moins sincère.

Il finit par tendre son petit coffret à l’Aran, lui laissant l’opportunité de l’ouvrir lui-même, révélant son précieux contenu. C’était un collier, constitué d’une fine chaine grisée, parsemé çà et là de paillettes d’or. A cette chaine était monté un pendentif composé de sept feuilles argentées délicatement sculptées au point de sembler presque réelles. Elles venaient soutenir en leur centre une pierre de lune laiteuse qui en son sein était piquetée d’autres poussières d’or formant une subtile étoile lorsqu'on l'observait dans le creux de sa main.

-J’espère que cet humble cadeau vous plaira Heru Aran. Désormais les mains libres, il les plaça dans son dos. Je suis contraint de vous avouer cependant que je ne l’ai pas conçu sans les arrières pensées qui m’ont poussées à venir ici. Vous voyez, je suis Tamin Dolan et bien entendu chaque jour que je passe, j’essaie d’en être digne, et de pousser mes capacités à leur maximum. Pourtant, finit-il par ajouter en fronçant un peu les sourcils, j’ai l’impression de pouvoir faire tellement plus. D’en avoir les compétences, si ce n’est les moyens. Depuis des années, notre institution fonctionne, certes, mais se repose sur ses acquis et sur des traditions dont le sens nous échappe. Nous n’avançons plus, et nous nous sommes enfermés derrière notre orgueil et derrière ce que nous savons déjà. Un petit sourire ironique. Savoir dont une partie ne nous ait même plus accessible. L’or de ses yeux s’illumina un peu tandis qu’il continua sa diatribe. Voilà dix ans que vous êtes Aran, Artïon, et qu’on le veuille ou non, sous votre règne nous avons avancé. Vous êtes à mon sens le mieux placé pour comprendre ma pensée. Je désire changer les choses. Aussi voilà ma demande : J’aimerais redonner aux forgerons d’Anaëh leur gloire d’antan et pour se faire, la première étape est à mon sens leur offrir à nouveau la maitrise de la forge vëladrienne qui a autrefois fait notre gloire. Permettez-moi de participer à la prochaine entrevue diplomatique avec le peuple Ondur, Heru Aran, et puisqu'ils sont les seuls a en avoir la capacité, profitons de nos bons termes avec eux pour leur demander de reforger les outils que nous avons perdus. Récupérons ce qui nous appartient et avançons

Le collier (image d'inspiration!) :

Le coffret entre les mains du forgeron t’interloquait au moins autant que la nature de sa demande. Il pouvait s’agir de n’importe quoi, et peut-être même de l’objet de sa demande. C’est donc avec une grande attention, et très précautionneusement qu’une fois la boîte entre tes mains, à la suggestion de ton invité, tu l’auras ouverte. D’abord ton front se sera plissé, et tes sourcils rassemblés en son milieu. La surprise aura eu le meilleur sur toi. Puis une fois la surprise passée, la surprise pris le dessus.

- Il est magnifique.

Les heures passées à regarder travailler Cìryon te reviennent. Ça et les heures passées à l’écouter longuement décrire les nombreuses œuvres qui par la finesse de leur exécution auront attiré son attention. Tu n’as peut-être pas l’oeil aussi éduqué que celui de ton meilleur ami, mais ce que tu es capable de discerner du bijou en disait long sur le talent d’Hêdirn. Tu sais à quel point il peut être éreintant de travailler le métal avec la finesse nécessaire à sculpter quelque chose comme ces feuilles. Tu sais aussi – parce que ton ami tu l’auras bien trop souvent répété – à quel point il est difficile de décorer avec précision la surface d’un élément par un autre sans perdre l’intégrité de l’un des deux composants, alors le fait qu’il ait réussi à faire cohabiter quelque chose d’aussi fragile que l’or avec un minéral aussi coriace que la pierre de Lune sans qu’ils ne se mêlent le moins du monde… effectivement, cet humble cadeau faisait aisément testament des raisons ayant poussé à l’accepter au sein du cercle des Tamin Dolan.

Tu souris, le menton levé, piqué au vif par le discours du forgeron alors qu’il avance ses arguments. Ce cher Hêdirn ne manque pas de cran, et c’est quelque chose qui te fait plaisir à voir. Et ce qu’il dit fait sens, si ce n’est pas même une évidence. Vous êtes sur la même longueur d’onde. Les désirs du forgeron pour le futur du peuple Sylvain te semblent faire profondément écho aux tiens. Il veut avancer. Il veut aller plus loin que ne l’ont fait vos ancêtres. Et pour pouvoir avancer, pour aller plus loin qu’hier, il faut déjà se réapproprier ce qu’entre hier et aujourd’hui vous aviez perdu. Mais désirer est une chose, agir en est une autre. Les choses ne sont malheureusement pas si aisées.

- Crois-moi, je ne demande aussi qu’à voir renaître la forge véladrienne. En vérité, si je m’étais écouté, cela fait probablement déjà longtemps que j’aurais moi-même demandé leur aide aux Ondurs. tu soupires Mais le fait que l’on soit en aussi bons termes avec eux n’est malheureusement peut-être pas à notre avantage sur ce point. tu fermes les yeux un instant Les Ondurs sont un peuple fier et jaloux de leurs savoirs. De leur artisanat en particulier. Ce qu’ils savent faire, ils n’aiment pas le partager. Et je crains bien que dans leur fierté, ils ne se soient convaincus que la forge véladrienne fasse partie de leurs savoirs.

Tu claques la langue, essayant de trouver une solution à une situation à laquelle voilà des années que tu n’as pas su trouver une issue. Comment demander une faveur aux nains sans qu’ils ne se renfrognent ?

- Le Grand-Roi des Ondurs est un ami. Et je crains fort que lui demander ce genre de faveurs ne mette à mal notre amitié. Que les siens ne commencent à penser qu’il y ait eu un quelconque agenda derrière la sympathie que j’ai pu nourrir à son égard, et que ce nouveau lien entre nos peuples n’ait à en souffrir. tu souffles des nasaux Mais je pense qu’effectivement, il commence à être temps pour nous de prendre ce risque.

Tu t’écartes un instant, et poses avec délicatesse le coffret sur une table proche. Dos au forgeron, tu te saisis cependant du collier pour l’enfiler presque cérémonieusement. Tu chasses tes cheveux du chemin, prends un instant pour correctement arranger la chaîne, et tu souris. Le contact frais de la pierre de Lune et de l’acier reposant parfaitement au creux de tes pectoraux t’arrache un souffle satisfait. Si le forgeron n’a demandé d’aide à personne pour tes mesures, c’est qu’il a le compas dans l’oeil. Enfin tu te retournes, et croises les bras sous ta poitrine, mettant ainsi encore un peu plus d’emphase sur le bijou.

- Je m’occupe de prendre contact avec les Ondurs. De ton côté, d’ici à la prochaine entrevue avec eux, sois prêt à les convaincre.

Affichant jusqu’ici une franche assurance, voir l’Aran porter - et porter aussi bien- son œuvre tira un élan de fierté au Tamin Dolan d’Ardamir. Mains dans son dos, il avait relevé le menton et souriait. Ses yeux étincelaient d’autant plus de leur or. Au fond, il était presque ému, car le roi venait de lui accorder le premier pas d'une avancée sans prix pour les elfes. Et ce, sans poser la moindre réticence. Ils étaient à l'aube d'un renouveau qui donnait presque le vertige a l’artisan.

-Merci Aran.

Finalement sa main se détacha de son poignet opposé pour venir se poser sur son cœur en signe de référence.

-La confiance que vous nous accordez me touche et je ferais en sorte d’en être digne. Il alla pour baisser la tête mais avorta brusquement son mouvement comme se rappelant de quelque chose d’important. Oh…J’ai une dernière requête à vous faire parvenir. Rit-il. Je n’aimerais pas être seul à vivre cela, car cette avancée nous appartiendra à tous. J’ai déjà parlé à Heru Gaedrath et d’ici peu j’espère que mon message parviendra aux autre Tamin Dolan. M’autorisez vous à les convier ?

Ce n’était sans doute qu’une formalité, mais c’était bien le moment de s‘en inquiéter…