De retour des sables mais non des abysses | Solo

8ère Ennéade de Verimios de l'An 20 du XIème Cycle
Sol'Dorn, Itri'Vaan, au beau milieu de la nuit.

À travers les plus sombres ruelles de Sol'Dorn, une silhouette noire semblait vagabonder. Au dessus d'elle, le ciel nocturne plongeait Miradelphia dans les ténèbres, son par-terre d'étoile et d'astres occultés par les nuages invisibles à cette heure de la nuit. La silhouette toute vêtue de noire dans ces rues pas même dotées d'une seule lanterne marchait irrégulièrement, presque titubante. Prenant l'apparence d'un vagabond, sinon d'une ombre, ce curieux personnage connaissait pourtant très bien son chemin… et ce malgré l'obscurité. Ses sens en éveil lui permettaient de s'assurer de ne pas être suivi, et sa nonchalance œuvrait pour que personne n'ait le sentiment de devoir y prêter attention.

Soudainement, il s'arrêta et, après un bref coup d'œil aux alentours, bifurqua nettement pour s'engouffrer encore plus profond dans les ténèbres. Un petit escalier sur le côté la menait tout droit à une discrète porte. Elle tambourina à rythme minutieusement récité, comme s'il s'agissait d'un code secret pour passer. Au bout de quelques secondes, la porte s'ouvrit dans un léger grincement, menant à une pièce non moins obscure que Sol'Dorn sous la nuit. Cette pièce sombre primitivement meublée ne disposait que d'un vasistas crasseux donnant sur la ruelle sale d'où venait le vagabond. Il prit ses aises rapidement, retirant sa capuche et soupirant comme s'il rentrait d'une longue journée de travail.

« J'ai failli attendre. » fit une voix féminine depuis la pénombre, lui arrachant immédiatement un sourire.
« Tu sais bien que j'aime me faire désirer. »
« Helmaad… tu devrais savoir que ce n'est pas toujours une qualité. »

Le Drow gloussa, hochant du chef sans pour autant perdre son sourire. Il fit quelques pas dans la pénombre jusqu'à localiser celle qui lui parlait… et l'attendait. Celle-ci était avachie sur un fauteuil, ses longues jambes posées sur un accoudoir, le dos appuyé contre l'autre. Sa tête basculée vers l'arrière fixait le plafond comme si elle y lisait une énigme. De sa bouche émanait sans cesse les insupportables bruits de la mastication, ses dents s'écrasant toujours plus fort sur son morceau de réglisse. Du Eiriztraena tout crachée.

« Et on dit que le désert vous change un homme. » railla l'homme toujours son foutu sourire fiché aux lèvres.
« Je n'en suis pas un, ça tombe bien. » répondit la femme. « En parlant de cela, tu risques de m'en vouloir, parce que les autres n'arriveront pas avant un bon moment. »
« Comme d'habitude j'imagine ? Tu as prévu dix minutes d'écart entre chaque invité. »
« Ha ! Que tu crois ! Plutôt vingt ! Et trente pour le dernier. Vues les informations qui circuleront, j'ai pris toutes mes précautions, tu te doutes bien. »
« Toujours plus. »
« J'ai toute la nuit devant moi ! »

Eiriz' ne se contenta que de claquer de la mâchoire d'un air espiègle. Sa quête vaanie approchait du but, et elle avait désormais ses yeux rivés vers ses deux prochains objectifs qui allaient de pair. Pour s'élever, il fallait parfois accepter de faire la basse besogne soi-même. Helmaad en était la preuve. Ce bougre oeuvrait pour elle dans le désert Zuurthan, mais s'était fait attraper comme un couillon. Fort heureusement, elle était parvenu à le retrouver à temps et à le sauver… en espérant que cela en ait valu la peine.

Comme convenu, vingt minutes après l'arrivée du premier Drow, le suivant arriva. Salz'Dern était également l'un de ses agents, tout comme celui, ou plutôt celle, qui arriva vingt minutes plus tard, la “troublante” Zdaessryn. Seul le dernier “invité” ne l'était pas, ou du moins pas vraiment. Pour ainsi dire, Eiriztraena n'aurait pas sélectionné ces agents sans lui. Moins gradé peut-être, mais le Gardien des Secrets était somme toute un personnage méritant le respect. Elle reprit aussitôt son sérieux lorsqu'il arriva, se levant de son fauteuil pour adopter une posture plus conventionnelle bien que toujours décontractée à son image.

« Bien ! Maintenant que tout le monde est là, je ne vais pas y aller par quatre chemins. » fit la garde silencieuse, tapant dans ses mains, étonnamment solennelle. « Cela fait des mois que vous êtes sur sa piste. Où est-il ? » Tout le monde présent se mura dans le silence, s'échangeant des regards comme s'il s'agissait d'une épreuve et que tout le monde craignait de donner la mauvaise réponse par peur de la sanction. Sourcils arqués, Eiriz' tapa une seconde fois dans ses mains, plus fort cette fois-c afin de les stimuler. « Au rapport. » lâcha-t-elle froidement.
« J'ai sillonné le désert sans le trouver, et même après ma capture, j'étais visiblement parmi les seuls drows que ces sauvages aient vu errer dans le sable depuis un moment. » répondit Helmaad, haussant les épaules. « Il y a trop de nomades pour qu'il songe à se planquer chez les Zurthans… et ils sont trop proches du Puy. N'oublions pas que notre ami n'a pas une carrure facile à cacher. »
« C'est bien pour ca qu'il n'est pas dans les cités, pas même les plus éloignées de Thaar. Où qu'il soit, il est seul, ou entouré de très peu d'hommes de confiance bien que cela m'étonnerait. » renchérit Salz'Dern. « Aucun de nos informateurs n'a fait état de quelqu'un correspondant aux caractéristiques, de Méthylène jusqu'à Eofel sans omettre une seule cité. »
« Perdre une telle bataille l'a privé de tous ses alliés. Et il n'a malheureusement plus les moyens de les retrouver ou de se faire de nouveaux amis. » fit le Gardien des Secrets, en retrait. Sa voix rauque résonnait presque dans cette salle vide. « Il n'a que deux solutions. Soit il se cache là où l'on ne pensera pas à le trouver… soit il se cache là où l'on n'osera pas le chercher. »
« Je ne suis pas une amatrice. J'ai déjà anticipé ces possibilités. » rétorqua dédaigneusement Eiriz', un sourire narquois fiché aux lèvres. « Zdaessryn. Qu'ont donné les “témoignages” des anciens Gardes Draconiques ? »

Ces immondes parvenus étaient proches du Karliik Glenn, suffisamment pour tendre l'oreille à des moments opportuns. Parmi tous ces glandus, il y en avait forcément un qui savait quelque chose de plus que le reste de l'armée. Bien que Naélis ait rapidement tourné au fiasco, le chef des armées savait qu'il jouait sa tête sur cette bataille. Tout bon chef de guerre, et même tout type songeant à sa survie, anticipait forcément une solution de repli… que ce soit pour limiter les pertes ou pour sauver sa vie. Eiriztraena n'avait pas besoin d'être une soldate pour le savoir.

« Seuls quelques “élus” avaient des choses à dire, mais très intéressantes. Aucun n'a vu Kerath après la bataille. Ce qui veut dire que, contrairement à l'armée, il n'a pas rebroussé chemin pour rentrer au Puy… à minima. »
« Il savait que cette alliance bâtarde n'aurait amorcé aucune contre-attaque. Et nos soldats étaient trop occupés à battre en retraite pour s'assurer que leur chef était avec eux, ou du moins pour savoir quand il ne l'était plus. » Eiriz' gloussa. Un incapable jusqu'au bout, celui-là. « Il a donc probablement déserté pendant la bataille et non pas après. »
« Exactement. Et comme il ne pouvait pas se cacher à Naélis… il est allé plus loin. Suffisamment pour s'éloigner de la surveillance d'Elda, pas trop pour éviter la Péninsule et un autre danger. Et cela est corroboré par ceux qui étaient le plus proche du Karliik Glenn. »
« Affronter les amis des arbres pour finalement se retrouver dans les bois. Quelle cruelle ironie. »
« Il existe ce repaire de bandits par là-bas… La Dross. Mais il n'y sera sûrement pas… ou du moins trop ponctuellement pour l'y attraper. Nul doute néanmoins qu'il se terre dans ces bois. En tout cas, nous n'y avons aucun contact actif. »
« Je ne comptais pas déléguer cette mission à qui que ce soit, de toute façon. Beau travail. Reprenez vos couvertures dès que possible. Je prends la relève. »

La Garde Silencieuse s'étira avant de se diriger vers un bureau miteux, sur lequel deux parchemins de bonne qualité se tenaient l'un à coté de l'autre. Elle les donna au Gardien des Secrets qui ne pipa mot, alors que les agents quittaient un à un la pièce pour prendre des chemins différents.

« Tu sais à qui donner ces lettres. Pour ma part, je ne peux pas me permettre d'attendre trop longtemps, surtout maintenant que je connais ma destination. »