Promesse du mois dernier [PV Ilynora]

2nde ennéade de Karfïas
21e année du Onzième Cycle
Appartements royaux du palais d’Alëandir
Un peu après la tombée de la nuit

Tu humes avec satisfaction le fumet se dégageant de tes fourneaux. Tu n’as définitivement pas perdu la main, ton ragoût de tétras a conservé ses lettres de noblesse, e ttu n’as maintenant plus qu’une hâte, c’est d’être à demain, pour le partager avec le reste de ta famille. Un soupir de contentement t’échappe. La fraîcheur de la nuit, la promesse d’un bon repas, et ton épouse qui...

- Elnoruì ? la voix de Kaëlistravaë t’interpelle depuis la salle d’eau As-tu pensé à raconter une histoire à Elorëa en la mettant au lit ?

Non. Tu avais complètement oublié. À vrai dire, il te semble bien qu’elle l’avait complètement oublié elle aussi. Parce qu’après être rentrés de votre sortie, l’enfant était si épuisée qu’il lui avait suffi d’un repas, d’un bain chaud et d’une bise sur le front pour totalement s’écrouler de sommeil.

- À peine bordée qu’elle s’est endormie, j’ai préféré la laisser tranquille.

Et quelle ne fut pas ton erreur. Si sur beaucoup de choses votre aînée était une enfant facile, lorsque lui venait la lubie d’en apprendre plus sur un quelconque aléatoire sujet, la chose devenait rapidement part indéboulonnable de sa routine. Depuis quelques temps, depuis que la fête que tu avais organisé la lui avait mise en tête en réalité, elle s’intéressait aux héros de légende. Alors le soir pendant qu’elle s’endormait, ton épouse et toi lui contiez les histoires des braves que vous connaissiez, qu’il s’agisse de mythes ou de souvenirs d’un passé proche.

- Tu n’aurais vraiment pas dû. une épouse au visage amusé et à la peau humide vient te poser une bise contre la poitrine Mieux valait la garder éveillée pendant quelques minutes de plus, parce que la connaissant, elle va juste se réveiller, s’en rendre compte, et être plus frustrée que de raison.

Prophétie ou parole créatrice ? Kaëlistravaë avait à peine fermé la bouche qu’à tes yeux, un battement avait résonné, tandis qu’aux siens, une nouvelle couleur était entrée dans la danse. Vous aviez tous les deux tourné vos visages en direction de la chambre des enfants, espérant qu’il s’agisse d’une fausse alerte, mais aucun de vous deux n’avait été étonné d’entendre un nez renifler et annoncer les tonitruants pleurs à venir.

- Vas-y Noruì, je m’occupe de surveiller la fin de la cuisson. elle t’offre un regard complice À moins que tu n’aies peur que mon toucher d’Ardamirie ne contamine ton ragoût ?

- Rah… tu lui poses une bise sur le front Évite juste de laisser trop ramollir la viande. Je vais m’occuper des petits avant que Rhëa ne mette Hràvion de trop mauvaise humeur.

Il avait fallu bien peu de temps pour que les pleurs de l’aînée ne réveillent ses petits frères, et que sans savoir pourquoi elle pleurait, ils ne la rejoignent dans son calvaire. La sanglotante symphonie n’en était heureusement qu’à son premier mouvement lorsqu’en catastrophe, tu étais arrivé auprès d’eux, et qu’à la vue du visage de leur père, ils s’étaient calmés.
Peut-être es-tu trop doux avec eux. Ton oncle Luthanàr s’il avait été à ta place les aurait certainement laissé pleurer jusqu’à ce qu’ils s’épuisent. Qu’ils comprennent que leurs parents ne céderont pas à tous leurs caprices. Mais tes enfants n’étaient pas particulièrement capricieux, et c’est toi qui avait manqué à une promesse. Alors plutôt que trahir ta parole, tu les as tous pris ensemble dans tes bras pour leur offrir un peu de ta chaleur.

- Je suis désolé les petiots. tu leur offres à chacun un bisou Papa a oublié l’histoire de Rhëa, c’est pour ça qu’elle s’est réveillée. Mais ne vous inquiétez pas, tout va bien. Papa est là. D’accord ?

Tu poses les enfants sur le lit de ta fille, et tu t’assieds au sol, gardant un bras toujours lové autour d’eux. Ça y est, les battements de leurs coeurs ont ralenti. Ils sont disposés à t’écouter. Donc calmement, tu reprends.

- Puisque Hràvion et Saeledhel sont réveillés, qu’est-ce que tu dirais de partager ton histoire avec eux Rhëa ? la petite se contente d’un hochement de tête excité Alors, aujourd’hui, quitte à être en famille, je vais vous parler de Faerthurin Hrònmectar, l’une des plus grandes lancières qu’a connu Daranovar…

Délicatement, tu déposes les jumeaux maintenant profondément endormis dans leur couches respectives. Et encore une fois, poses le bout de tes lèvres contre leurs joues. Tu souffles, heureux, en observant tes trois enfants rêver, et puis tu retournes auprès de ton aimée, prenant place à ses côtés sur le canapé de votre salon. Vous soupirez ensemble, et Kaëlistravaë se laisse choir contre toi, trouvant en ton pectoral un confortable oreiller. Tu l’entoures de ton bras, lui caressant la hanche du bout du pouce, et sa main venue se poser contre ton ventre, elle te rend l’attention. Vous échangez un regard langoureux, vos visages se rapprochent… et quelqu’un frappe à la porte.

- Zut ! tu pestes en jetant ta tête en arrière J’avais oublié.

- Qui est-ce ?

- Une alchimiste à qui j’avais promis une audience. Mais vu que tous mes créneaux étaient pris, je lui ai dit de passer directement ici ce soir. tu grognes Je suis désolé Tigilidënya.

- Ne t’en fais pas ! C’est ce qu’il en coûte d’avoir épousé le grand, l’immense, le formidable Heru’Aran. elle pose un court baiser contre tes lèvres et se lève Je vais lui ouvrir.

- Tigilidënya, c’est censé être à moi de…

- Dans cette tenue ? elle rit Moi qui croyais être la seule à avoir droit à mon époux en sous-collants.

- Tu as raison… tu soupires Je me dépêche d’aller passer un pantalon.

Ilynora l’alchimiste. Kaëlistravaë se souvient d’elle. C’est elle qui avait fait une entrée pour le moins fracassante durant votre repas lors de la fête du mois dernier. L’Étoile du Matin se rappelait aussi que déjà ce jour-là, elle avait demandé audience, et qu’elle se l’était vue remettre au lendemain. Alors ainsi en avaient décidé les temps. Entre celle qui n’est que peu souvent entre les murs de la Cité et celui que son travail amène souvent à devoir partir, ils n’avaient pas pu se croiser plus tôt que ce soir.

- Suilad. c’est une reine en robe de chambre qui ouvre la porte à l’alchimiste Ilynora j’imagine. Entre ! Elnoruì ne devrait pas tarder.

Et tu ne tardas pas. Le temps que les deux femmes arrivent à la salle de vie, tu les rejoignais déjà à grands pas, flanqué d’un large pantalon de lin visiblement enfilé à la va-vite, et les cheveux ramenés en un chignon approximatif, mais au moins plus présentable que tu ne l’étais au départ.

- Ah ! Ilynora ! tu poses une main contre l’omoplate de la petite elfe Désolé de t’accueillir dans ces conditions, j’avais complètement oublié que tu devais venir. tu l’invites d’une légère pression dans le dos à te suivre Mais c’est bon, mets-toi à l’aise, assieds toi, je t’écoute.

Puis alors que tu prenais place, ton épouse aura fait son dernier geste, en vous versant à chacun un thé chaud avant de se retirer, et de vous laisser à votre entrevue.

La tenue du jour:

Après avoir toqué à la porte, Illynora fait un pas en arrière. Ses yeux sont clos jusqu'au moment ou la porte ne s'ouvrit. Elle ne fut pas surprise de voir plusieurs souffles dans la pièce, bien qu'elle n'avait pas l'identité de ces derniers jusqu'à ce que sa vision ne lui permette de balayer d'un regard le visage de chacun.

- Suilad, Hiril, vous êtes ravissante comme toujours.

Un sourire a peine dessiné mais honnête s'affiche sur le visage d'Illynora alors qu'elle pénètre dans la pièce. Serait elle plus sincère envers les dames qu'envers ces messieurs ? Une question rhétorique au vu du rapport père-fille qu'elle avait longuement entretenu.

Désormais dans la salle de vie, une petite souris remonte sous les vêtements de l'elfe afin de se poser sur son épaule. Cette dernière se faufile derrière son cou tel un animal maladroit sur un sentier étroit avant de passer de l'autre côté. Le museau soulève brièvement les plis de sa robe à hauteur d'épaule, ses pattes s'étendent de part et d'autre afin de garder l'équilibre, et le rongeur se décide finalement à se positionner au dessus de sa poitrine, alerte, la queue droite.

Recroquevillé, c'était une toute petite boule de poil ressemblant presque à un écureuil ou un chaton, une fois étiré de son long, c'était sans nul doute un gros mulot.

La porte se refermant derrière elle vint faire virevolter le bas de sa longue robe portée pour l'occasion, laissant dévoiler sa tenue habituelle sous cette dernière, qu'elle empressa de masquer d'un revers de main afin de remettre les plis droits. Avait-elle vraiment improvisé jusqu'au bout ? Absolument ; cela n'avait jamais été sa tasse de thé.

- Aucun bâtiment de la cité ne saurait me paraître idéal pour ce genre de rencontre, ne vous faites donc aucun reproche, je suis fautive de par mes exigences hors des normes établies.

Accompagnée par le Roi, elle prit place comme convenu tout en faisant un sourire à la Reine, mais n'attendit pas spécialement que cette dernière ne s'éclipse avant de commencer la conversation. Dès lors qu'elle vint s'asseoir, le petit mulot décida subitement de descendre de son perchoir afin de prendre place sur l'accoudoir aux reflets foncés du meuble ; il se risqua à marcher sur la main fine d'Illynora, qui la releva avec une grande délicatesse, jouant avec le petit rongeur qui passait d'un doigt a l'autre.

- Mon maître me disait jadis que le mal apparaît dans les petites choses, et ce n'est que quand la somme des conséquences de ces petites choses sont finalement inévitables que celui qui ne voit pas voit enfin.

Elle marqua un long silence, car le silence était généralement de mise après une sage tirade, qui pourrait sonner énigmatique pour l'étranger à la cause qu'elle venait plaider, au nom de tous les nomades arpentant les terres d'Alëandir.

- Entendez-vous, Aran, le froissement des feuilles en proie au vent crépusculaire ? demanda t-elle sans attendre de réponse, l'odeur de l'humidité, le bruit de la tige froissée laissant tomber sa rosée dans le sous-bois ?

Alors que le petit mulot dansait encore et toujours sur sa main qu'elle tournait et retournait afin de s'en divertir, ce dernier décida finalement de remonter sans causer plus de peine, et c'est à ce moment là qu'elle ouvrit son autre main d'où apparut un mulot en tout point identique, semblant respirer difficilement ; ses poils ont chuté par endroit, il semble désincarné tant il a perdu du poids. Il est plus proche du squelette que du rongeur.

- Il est trop tard pour celui-ci, car même si mon remède est au point, je ne suis pas faiseuse de miracle.

Illynora déposa le petit animal souffrant sur la table entre eux deux, entre les deux coupelles de thé. De la même main, elle repoussa en arrière une mèche de cheveux rebelle qui s'était échappée de son oreille un peu trop penchée en avant. Elle remonta ses yeux le long du torse d'Artiön, s'arrêtant sur chacun de ses ornements, et fini par devoir se risquer d'un torticolis en cherchant son regard. Elle recula d'ailleurs son assise légèrement afin de pouvoir l'observer dans son entireté.

- Vous prenez du sucre, avec votre thé ? demanda t-elle en plissant les sourcils.

Cette question vis à vis de la situation dénonçait silencieusement, c'était presque une démonstration par l'absurde. Si quelqu'un en ce bas monde espérait que son insolence ait été adoucit par le plein air, c'était raté.

Une fois assis face à elle, le thé fumant un léger filet de vapeur entre vous deux, et le silence retombé sur tes appartements, le poids de la situation s’était rappelé à toi. Pour une quelconque raison, poser les yeux sur la jeune Ilynora t’était source d’anxiété. Les déplacements de l’animal sur sa main te tendaient, et ses mots – bien qu’ils ne fussent pas les premiers proverbes du genre qu’il te fut donnés d’entendre – t’agaçaient. Au lieu de seulement l’écouter, tu étais sur le qui-vive, si bien que parfois tes pupilles allaient chercher de l’assurance auprès de ton focaliseur, posé sur un présentoir dans un coin de la pièce. Et ce n’est qu’alors qu’elle posait sa première question que tu te rendis compte… qu’Ilynora sentait la mort.

Plutôt que d’en dire trop, ou d’aller à des conclusions hâtives tu t’étais enfoncé dans ton assise, la tête légèrement penchée en arrière et le visage assombri, prenant le temps de peser ses poncifs déguisés en questions. Tu reconnais bien là la manière de s’exprimer de ceux qui ont trop fréquenté les guides spirituels Ornedhels. Faites de proverbes voulant à la fois tout et rien dire et applicables quelle que soit la pensée du jour. Une cultivée nébulosité qu’ils appelaient souvent « sagesse ». Mais tu attends. Tu attends qu’elle te dévoile d’elle-même pourquoi cette odeur de mort. Pourquoi ce rythme infernal de fin de vie accrochée au tien. Tu attends, mais tu ne peux empêcher le rose de tes iris de se pailleter d’étoiles d’or, et l’or dans ton dos de légèrement scintiller. Et puis le mort t’avait été dévoilé.

- Non. Je préfère le miel. tu réponds du tac au tac Il s’appaire bien avec les biscuits que prépare Kaëlis.

Sur ces mots tu te lèves, et prends la direction de la cuisine. Avec une apparente nonchalance, tu te saisis d’un bocal de la substance ambrée et d’une boîte des petites gourmandises, que tu ramènes à table avec vous… en plus de ton sceptre. Tu verses une cuillerée du doux magma dans ta tasse, et tu te rassieds.

- Les Chants ne sont plus les mêmes depuis la Lune Rouge. tu confies finalement d’une voix sombre L’Anaëh devient imprévisible, et malheureusement, pour l’heure, tout ce que l’on peut faire, c’est tenter de réagir au mieux. ta poigne se resserre sur ton sceptre Il y a un an, j’ai pourchassé une créature faite d’oiseaux non-morts dont les pas avaient tellement empoisonné le sol d’Ardamir et d’Alëandir que les Ëalas en étaient venus à inverser le cycle des saisons. des volutes iridescentes naissent autour de ton focaliseur, et dansent jusqu’à ta main droite Il y a quelques mois, les pierres des carrières à travers tout l’Anaëh ont soudainement pris vie, se sont attaquées aux mineurs, avant de se rendormir et de ne plus faire parler d’elles. tu tends la main vers le rongeur fébrile, et l’écaille de dragon au bout de ton sceptre s’illumine de concert avec les marques sur ton dos Dans le même temps, il m’a été rapporté que des fleuves sont littéralement sortis de leurs lits, se sont levés et écrasés sur les premiers venus. tu poses ta main sur le museau de l’animal, et les volutes arcaniques viennent tendrement le lécher Depuis quelques mois, les territoires Sud subissent les assauts des engeances de Porte-la-Peste, qui je-ne-sais-comment a réussi à étendre son pouvoir par-delà les frontières d’Aduram. tu fermes les yeux, et caresses le petit infortuné Et il y a quelques ennéades à peine, d’immenses créatures serpentiformes sont apparues de nulle part dans les terres de Quatrième-Saison, y ont ravagé des champs, et y font gronder quelque chose de proche de la Dissonance.

Le poil de l’animal mourant retrouve un peu de son brillant, ses yeux moroses retrouvent leur éclat, et un frisson de vie parcourt son corps émacié. Tu souris, lui tends un gâteau et une coupelle d’eau, et rends ton attention à ton invitée.

- Donc si j’entends les suppliques de la forêt ? Oui, je les entends. tu le dis avec un ton las mais sans sécheresse aucune Malheureusement je ne peux ni être partout, ni offrir de solution à des problèmes qu’on ne comprend encore qu’à peine. tu te redresses dans ton siège, et pose ton sceptre à tes pieds Mais si j'ai bien compris, au moins pour ce mal-là tu parlais d'un remède ?

Illynora reste calme, mais ne peut s'empêcher de trahir une certaine surprise en voyant Artiön se lever de son assise afin d'aller récupérer quelques friandises. Alors que ce dernier revient, elle remonte les yeux au ciel tout en laissant tomber sa tête sur le montant du siège. Silencieusement, car c'est là le respect que l'on devait accepter de donner après avoir fait un tel discours, ses yeux se baladent ci et là, perdus dans le vide alors qu'elle s'égare dans une profonde réflexion, pesant presque chaque mot, chaque souffle de son interlocuteur.

Ses yeux prennent le temps de redescendre dès lors que le meneur des vivants d'Alëandir manipule son sceptre. Ils ne bougent pas, ensorcelés par le spectacle qui s'offre a elle. Si elle avait seulement pu continuer à apprendre les arts, voilà sans doute le niveau auquel elle aurait pu prétendre à terme. Une démonstration rare pour elle qui vivait loin de tout, mais qui ne lui était pas inconnue non plus car elle avait déjà de grandes magies à l'œuvre durant son apprentissage.

C'était une démonstration de force silencieuse, qui lui rappelait qu'elle était inférieur et bien en retard sur certains aspects, un moyen de la remettre à sa place de la même façon qu'elle l'avait fait en déposant le petit être au milieu de la table. Les remèdes alchimiques prenaient du temps pour agir, surtout quand ils étaient improvisés et adaptés à de si petites créatures.

- Depuis quand celui qui siège sur le thrône d'Alëandir est-il si seul ? demanda t-elle d'une voix douce.

Elle tendit la main par politesse afin de prendre l'eau et gâteau tendu, qu'elle coupa en trois. Elle en donna le tiers au petit animal qui s'était caché derrière son cou, ayant visiblement été apeuré par l'iridescente lueur qui avait léchée son compagnon d'infortune. Le petit souffle pris appuie sur la base de la nuque de l'elfe avec sa pate, approcha son museau et se dandina un bref instant, le temps de renifler le biscuit, avant de s'en emparer et de le grignoter avec appétence, faisant tomber quelques miettes sur l'épaule de l'Alchimiste.

- Je n'ai eu vent que de peu de ces évènements, au mieux se sont-ils présentés à moi sous forme de rumeur.

Quand on était perdu en forêt, il ne fallait absolument pas s'étonner que l'information circule moins vite qu'auprès du Roi. Elle avait toujours quelques mois de retard.

- Mais je les ressens depuis un long moment malgré tout, car les horreurs qui sont semées dans le sillage de cette putréfaction galopante affectent la vie de tous ceux qui vivent dans la nature, et les premiers signes sont déjà présents aux portes de la cité. Ce poison affecte les petites créatures mais aussi les enfants, dans une moindre mesure.

Illynora leva sa main et balaya légèrement le vide sur cette fin de phrase, sous-entendant que ce n'était pas mortel envers les elfes même jeunes, même si ca causait vraisemblablement des désagréments certains.

- Pour l'instant du moins.

Illynora déposa silencieusement un petit pot circulaire devant elle sur la table alors que le mulot reprenait vie tout doucement. Elle en profita pour laisser également tomber un autre tiers du gâteau qu'elle avait préalablement émietté.

- Un remède c'est beaucoup dire, signala t-elle enfin, c'est un onguent comestible que les enfants recracheront sans mal tant la texture est désagréable. Il peut à la fois s'appliquer sur les plaies pour en extraire le mal, mais aussi consommé quand le poison circule déjà dans le sang.

Elle tapota de l'index sur la table alors que le petit rongeur reniflait paisiblement le gâteau, encore perdu de ce qui venait lui arriver.

- Cette mixture soigne les symptomes, car la bonne nouvelle est qu'ils sont mortels sur les petites créatures mais que leur organisme se défend de lui même et évacue le mal. Cependant nous ne pouvons pas soigner toute la forêt sans l'aide de la cité, ce qui est de toute façon exclu, nous lutterions contre le mal mais pas contre sa source.

Son regard se fait plus intense, mystique, alors qu'elle observe cette fois-ci le Roi directement dans les yeux.

- Le vivant possède une résilience insoupçonnable en ces lieux, il faut juste l'aider à lutter.

Elle s'interrompit brièvement, tapotant ses doigts en rythme sur la table et sa jambe gauche commençant à bouger régulièrement en signe de nervosité intérieure. Le petit mulot commence finalement à grignoter son repas.

- Les peuples de la forêt ne se laisseront pas mourir sans rien dire, si tu n'es pas en mesure d'apporter une solution à chaque problème, dis moi qui sera capable de m'éclairer sur les évènements en cours et nous trouverons ce qui est responsable de tout cela.

Illynora porta le biscuit à sa bouche, il n'en restait plus grand chose mais cela ne semblait nullement la contrarier.

- Ensemble, dit-elle en insistant, pour une fois.

Il ne fait aucun doute qu'elle parlait de l'ensemble des habitants de ces terres et excluait de base le conflit potentiel entre les citadins et les nomades. Malgré tout, il serait difficile d'imaginer que certaines Noss acceptent de collaborer, mais elle ferait en sorte d'en obtenir à minima des informations.

Seul… pourquoi pense-t-elle que tu es seul ? Te présentes-tu comme étant seul ? Voilà longtemps pourtant que tu ne te sens plus isolé sur le Trône à devoir porter le poids du monde. Si tu en sais autant, c’est parce que les Seigneurs-Protecteurs – aussi réticents puissent-ils être face à ta manière d’agir – te font assez confiance pour se confier à toi. Et si tu as pu pousser le Royaume à tant faire, c’est parce que d’autres Souffles précieux l’ont, parfois plus que toi, porté à bout de bras.

Sans Lómion et les autorités de l’Académie, l’Anaëh serait encore effrayée de ces nouveaux mouvements à travers la Trame.

Sans les prises de décisions tranchantes d’Aegden, vous peineriez encore à organiser votre défense pour ne vous trouver ni écrasés par les dangers de l’intérieur, ni percés par les dangers de l’extérieur.

Sans la voix de Calehmirel et des arpenteurs, les coeurs auraient été moins apaisés.

Sans l’ingéniosité de vos inventeurs et l’imagination de vos artistes, il aurait été bien plus difficile de se projeter dans un quelconque futur.

Et cette fois il faut le dire, sans l’expérience du bois profond des Ornedhels, lutter contre ces nouvelles menaces aurait été bien moins facilement envisageable.

Tu n’es pas seul. Tu as tout un peuple, si ce n’est deux avec toi. Tout un peuple, si ce n’est deux, ainsi que l’amour que L’Aînée porte à chacun de ses Enfants.


- Même avec l’aide de chaque habitant de la Cité, soigner toute la forêt serait impensable. ton pouce et ton index vienne chercher l’arête de ton nez Par contre, les apothicaires et les naturalistes de l’Académie devraient pouvoir t’aider à traquer la source du problème ou au moins à trouver quelqu’un qui puisse t’y aider. tu reposes ta main sur la table et relève légèrement le menton Si tu sais comment les contacter, les elfes de la Peth’Idren connaissent bien les bois d’Alëandir, et sont d’une grande aide face à toute affliction qui les touche. Et si tu ne sais pas comment les contacter, demande Cinnaeth Kielendar auprès de nos diplomates. Avec un peu de chances, puisqu’ils avaient réussi à les mobiliser pour gérer L’Oiseau-Mort, ils sauront même convaincre les Min’nolwë de prêter main forte. tu prends une gorgée de thé Et si tu as besoin d’une protection, il vaut par contre mieux demander l’aide de la milice locale. L’armée royale est malheureusement déjà éparpillée à l’extrême.

Ensemble lorsqu’il le faut., envers et contre tout et malgré les dissensions, n’étais-ce pas toujours ainsi que vous aviez oeuvré depuis la nuit des temps ? Tu reprends une gorgée de thé et avales un biscuit. Non, tu n’es pas seul. Si ton rôle en tant qu’Aran est si difficile, ce n’est pas à cause de la solitude, mais parce que tu es l’une des pièces centrale d’un immense puzzle, et qu’il n’est parfois rien de plus ardu que de relier les faces opposées d’un même monde.

Illynora resta silencieuse le temps de la réflexion, son regard toujours plongé sur le visage du Roi alors que sa main avança délicatement afin de laisser l'opportunité à son index de caresser le petit rongeur qui émit un petit chicotement régulier. Son autre main vint cette fois-ci soutenir son menton à l'aide de deux doigts avec une certaine grâce alors qu'Artiön reprit la parole.

Elle le laissa entièrement finir son explication avant de prendre une profonde inspiration, laissant tomber sa tête en arrière afin qu'elle s'appuie sur le dossier de la chaise.

- Les naturalistes de l'Académie devront se contenter d'échantillons et d'informations de seconde main si ils souhaitent se garder des dangers de la forêt profonde, mais si tu connais quelqu'un qui se laisserait convaincre de se priver des murs de la cité et assez téméraire pour venir m'assister, je n'y verrai aucun inconvénient.

Elle pencha très légèrement la tête sur le côté. Pour une raison abstraite, elle ne tenait pas spécialement l'académie en haute estime ; elle avait toujours été têtue sur le sujet et c'était là l'une de ses plus grandes faiblesses. Malgré tout, pour le bien être de leur vie et des leurs, elle faisait un effort non négligeable afin de passer outre sa personne.

- Je ne suis pas sûre de parvenir à les contacter, généralement les nomades viennent à moi et non l'inverse et comme bien des nôtres je ne suis nullement assez indispensable pour avoir de telles relations avec eux.

C'était l'une des Noss avec laquelle Illynora avait le moins de contact, juste après les elfes de Iarnin'Dath.

- Je pourrai sans doute les atteindre de fil en aiguille, mais je n'ai guère le temps pour la couture.

Une boutade dites d'une voix légère et sans l'ombre d'un amusement sur son visage, mais au moins avait-elle tenté de paraître plus détendue. Le fait que ce soit eux qui aient prêté main forte concernant L’Oiseau-Mort expliquait pourquoi elle n'avait eu que des bribes d'informations à ce sujet.

- Je demanderai auprès des diplomates une manière effective de les entrevoir, car même si je ne suis pas en relation régulière, je ne suis pas une inconnue.

Illynora pour conclure se contente de sourire alors que le sujet de la protection allait être abordé, et entama une gorgée de thé pour la première fois depuis le début de la conversation. Elle reposa délicatement la tasse et y trempa l'ongle de son index à l'envers afin de récolter une petite quantité du liquide sucré qu'elle mis à disposition du petit mulot qui venait d'achever de grignoter son met et avait décidé sans aucun accord de renifler tout ce qui lui était étranger sur la table.

- Il n'y a aucune raison de mobiliser la garde afin de prendre soin d'une naturaliste recluse telle que moi, qu'elle soit royale ou locale. Par contre, libre à ceux souhaitant être rassurés de se déplacer avec une escorte, mais plus nous seront nombreux, moins nous passerons inaperçus et je n'ai aucune envie que quiconque ait à affronter les créatures nocturnes rodant dans la densité de la forêt profonde.

Militaires ou pas, elle ne prendrait nullement le risque de perdre un souffle par égoïsme, bien que sa liberté s'arrête là ou commence celle de ses congénères.

- Je laisserai la recette du baume à l'académie pour reproduction ou amélioration dans l'attente, il serait intéressant que les alchimistes de la cité soient mis au courant afin d'éviter aux plus petits d'entre nous de mettre n'importe quoi à la bouche, et ils devraient aussi sensibilisés aux symptômes au cas ou des nomades se présenteraient avec.

En l'état, Illynora n'avait aucune autre requête à ajouter, et même si elle aurait aimé s'enquérir de la situation dans la cité et des connaissances qu'elle y avait, elle patientait afin que l'objet majeur de leur rendez-vous ne soit traité correctement.

Tu écoutes l’alchimiste dénouer ses réflexions à haute voix, sirotant lentement ta tasse de thé en attendant qu’elle en arrive à bout. Et petit à petit, tu formules et accumules de ton côté aussi des constats qui risqueraient d’être importants pour la suite des événements.

• L’expertise de tous les elfes ayant l’habitude de prélever ou de manipuler substances et textiles collectés au sein de l’Œuvre serait utile… ce qui voudrait dire énormément d’elfes à essayer de coordonner pour familiariser votre peuple aux bienfaits venant avec les dangers de votre nouvelle situation.

• Le contact avec les Ornedhels risque de devenir de plus en plus précieux, parce qu’ils représentent un œil ouvert en permanence jusqu’au plus profond de la forêt. Réciproquement, le contact avec les Taledhels risque de devenir de plus en plus précieux pour les Noss, à qui il manque votre capacité d’échanger, compiler et faire fructifier les informations, et votre habileté à répondre – à défaut de rapidement – efficacement aux menaces.

• Quatrième Saison t’aura forcé à constater que les tensions entre les deux faces de votre peuple pourraient vite devenir un enjeu mortel. Non plus parce que vos armes s’entrechoquent, mais parce que choisir de s’engoncer dans cette opposition millénaire pourrait coûter aux deux faces des outils nécessaires à la gestion de dangers qu’aucune ne saurait régler seule.

• Jusqu’à ce que vous arriviez à poser un schéma identifiable sur les étranges événements qui déferlaient sur Anaëh, décider des déplacements qui mériteraient ou pas une escorte armée deviendrait de plus en plus difficile. Limiter la taille des convois pour ne pas trop attirer l’attention des bêtes sauvages avait jusqu’ici été votre fonctionnement habituel, seulement certaines de vos petites formations pourraient très vite se retrouver désemparées face à l’apparition d’une énième créature aux étranges pouvoirs. Vos mages ne pouvaient pas être partout à la fois, alors certainement faudrait-il que vos alchimistes artificiers soient plus souvent de la partie. Autant en personne qu’à travers ce qu’ils sont capables d’apporter à l’artisanat guerrier.

Mais effectivement, en attendant que les méthodes et processus généraux se lissent, et en attendant que le mouvement ne soit véritablement lancé pour gérer le mal qui rongeait la part de forêt dont vient Ilynora, la priorité allait à la protection – à la hauteur de vos capacités actuelles – des plus fragiles d’entre vous.

- Je m’occuperai de faire passer l’information à qui-de-droit. Toute la Cité devrait être au courant des précautions à prendre d’ici demain soir. tu lances un rapide regard en direction de là où s’est absentée ton épouse Je pense aussi faire part du problème au Protecteur d’Ardamir s’il n’est pas déjà au courant. Avec un peu de chance, l’aide de nos voisins pourrait nous être utile. et espérons-le ne pas coûter la vie à quelqu’un comme ce fut le cas avec les Lam’Nir lors de la maladie du Grand-Chêne Quelque chose à ajouter ? Une requête particulière ? Une question ?

Tu regardes la petite elfe, les sourcils levés, alors que tu te sers une nouvelle tasse de boisson chaude.