Sous le regard de l'Ailée [Adelina]

9e ennéade de Karfïas
21e année du Onzième Cycle
Forêt de Terenia, quelques dizaines de km au Sud-Est d’Ydril
Début de matinée

Le soleil se lève entre les branches. Non. Pas l’astre du jour. Pas le Feu Primordial, mais un construct à son image. En réponse à tes prières, les flammes du Coléreux chassent les ombres et la brume obscurcissant la forêt, pour en extraire les fuyards et assassins qui s’y dissimulaient, croyant qu’ils échapperaient à ta lame.

Une voix étranglée par la colère hurle les mots de pouvoir d’une langue morte, conjurant des puissances impies dont elle ne sait pas assez pour s’y être ainsi offerte. Haletante, la jeune femme jette un regard empli de rage et de terreur à ses deux camarades, et les trois s’élancent vers le lointain, une nuée des insectes de ces bois à leur suite, prêts à dévorer quiconque serait assez téméraire pour traverser le nuage.

Qu’ils brûlent

Quelques volutes du faux-soleil viennent se loger au creux de ta main, les flammes embrasent ton poing, et tu les lances, droit vers eux. La forêt fait silence. L’air craquelle. Une étincelle court entre les troncs, et la détonation retentit. La peau rongée par les flammes, et la gorge asséchée par l’étouffante chaleur, les fuyards s’écroulent. L’ombromancien seul survivant.

Dans l’après midi, rues d’Ydril

Juché sur ton Eraçon noir, tu avances à travers la ville, le cimier de ton casque s’allongeant encore en une longue crinière enflammée, signe que ton Souffle est encore au combat, auprès de ton Dieu-Patron. À ta suite, tenus en laisse, trois corps. Deux d’entre eux morts, traînant au sol, laissant dans leur sillage quelque trace de leur peau noircie par les flammes. Le dernier encore debout, claudiquant à ta suite, le souffle court, la mâchoire tremblante et les yeux humides.

- On y est.

Tu descends de ta monture, et t’avances vers l’homme entre deux âges. Tirant sur sa laisse pour l’empêcher de fuir, tu t’approches jusqu’à ce que ta main gantée de fer puisse se saisir de son col, et là, tu soulèves son visage à hauteur du tien. Lui ne sait rien de ton regard, masqué par ton heaume, mais ce qui luit dans le sien t’est clair comme de l’eau de roche. Des trois ce n’était pas lui celui qui dirigeait, et maintenant il était perdu. Sa vie vide de sens, ce pourquoi il s’était dévoyé n’était plus. Tu souris.

- Va. Et prie pour ton salut.

D’un tour de bras, tu jettes le pauvre hère aux pieds du seul lieu en cette ville qui ne saurait tolérer que tu le traites ainsi en son sein. Le Sanctuaire de la Damedieu. À lui maintenant d’essayer de se racheter, et aux Pères la tâche de le juger.

- Tes deux compères méritent une sépulture digne de ce nom. Alors arrange toi pour gagner le droit de poser un nom sur leurs tombes.

Et ainsi, une fois de plus, laissant un autre Souffle aux mains des chevaliers de la Damedieu, tu te détournais de La Mère. Car tel est votre ministère, à vous, choisis d’Othar.

« Ô Grande Mère, Créatrice et Fondatrice, accorde-nous ta pitié et préserve-nous du malheur. Ô Divine Patronne, Vierge Vénérable, apaise nos cœurs et veille sur nos enfants. »



Les mains en coupole, la jeune femme murmurait la même phrase encore et encore, comme une litanie sans fin. Agenouillée devant la statue de la mère, la tête baissée, les yeux fermés. Dans ce lieu, elle n’était plus qu’une personne normale. Dans ce lieu, personne ne la dérangeait, ni attendait de faux-semblants. C’était un lieu paisible, où elle se retrouvait face à ses pensées, à ses souvenirs. Seul lieu qui semblait réellement la faire sentir chez soi. Les minutes se transformèrent en heure, et lorsque la jeune femme eut l’impression d’avoir un semblant de courage pour continuer, elle abaissa finalement ses mains, inclinant la tête de nouveau pour saluer la Damedieu avant de finalement se relever. Ses bijoux dorés cliquetèrent, alors qu’elle se retournait finalement vers la sortie. Son voyage touchait presque à sa fin, et elle ne pouvait qu’avouer qu’il fut bien différent de ce à quoi elle s’attendait. Si le banquet et le couronnement du Comte avaient été un événement heureux, qui resterait gravé dans les mémoires, la nordienne avait rapidement réalisé qu’elle ne se sentait plus à sa place, là où pourtant, elle avait toujours voulu être. Les mois passés hors de la péninsule l’avaient changé… Et elle était incapable de trouver la personne qu’elle aurait dû être. Ses buts semblaient embrumés, ses objectifs inexistants et la noblesse - autrefois intrigante - ne lui laissait qu’un goût amer alors qu’elle contemplait les faussetés des gens.



La jeune femme s’avança doucement vers la sortie, là où une prêtresse l’attendait. Adélina la remercia de nouveau d’un sourire sincère, mais avant qu’elle ne put ouvrir la bouche, des cris attirèrent son attention. Sans attendre les deux femmes sortirent du temple pour voir un homme assez baraqué, jeter trois personnes au sol. Deux d’entre eux étaient au sol, calcinés, comme s’ils étaient tombés entre les pattes d’un dragon. Certains prêtres se dirigèrent rapidement vers le groupe, mais avant que l’immense homme n’ait pu faire un pas dans la direction opposée, la baronne l’arrêta net.



« Arrêtez. »



Sa voix était forte, claire. Si le spectacle dont elle venait d'être témoin l’avait chamboulée, elle ne l’avait guère laissé paraître. Attrapant délicatement la jupe de sa fine robe de soie, relevant l’ourlet pour descendre les quelques marches qui la séparaient de l’étrange individu. La prêtresse la suivit rapidement, et le duo s’approcha de l’homme et de ses - disons - captifs. La nordienne reconnut l’odeur de chair brûlée, alors qu’elle contournait les deux corps tandis que le troisième se jetait au pied de la prêtresse de la bienveillante pour demander son salut. Adélina s’arrêta devant le géant, le fixant pendant quelques secondes, tentant de déchiffrer ce dernier avant de reprendre finalement la parole, sa voix cristalline s'élevant au-dessus des pleurs et des supplications qui résonnait derrière elle; « Qui êtes-vous ? Qui sont ces gens ? »

Que quelqu’un se sente le besoin de t’arrêter dans ton labeur et ose te le faire savoir n’était pas arrivé depuis quelques temps déjà. Le moins que tu puisses faire alors, c’était de t’exécuter. Tu t’arrêtes donc, mais tu ne te retournes pas. Tu profites plutôt, des gémissements de ta proie, et des supplications qu’il tente d’ores et déjà de faire monter auprès du culte de la DameDieu. Comme quoi, tu commences à devenir bon à ce jeu. Les Souffles lâches, ayant pris d’impies chemins à la recherche d’un confort qu’ils n’y auront au bout du compte jamais trouvé te sont de plus en plus faciles à identifier.

C’est les lèvres tirées en un grand sourire, un sourire que ton heaume lui empêchera cruellement d’admirer, que tu accueilles la téméraire demoiselle dans ton champs de vision. Téméraire et plutôt jolie. Le visage bien fait, la chevelure soignée et le regard perçant. Richement apprêtée, de toilettes lui seyant parfaitement. Grande, et le corps bien taillé.

- Vous n’êtes définitivement pas d’ici.

Ta crinière de flammes s’éteint, et tu défais les attaches de ton heaume. Prenant le casque sous ton bras, tu dévoiles finalement ton visage, par politesse, quoi qu’en dise le rictus suffisant qui le décore. Tout le monde ici te connaît. De près ou de loin. Souvent ta silhouette à défaut de ton visage. Au moins tes – si particulières – armes à défaut de ta silhouettes. Sauf ceux qui ne se soucient jamais de rien, ou alors trop d’eux-mêmes. Mais même sans cela, dès lors que l’on avait entendu les « r » de la Dame gratter contre le fond de sa gorge, alors il devenait évident qu’elle venait de loin, au Nord.

- Michail. tu lèves légèrement le menton Celui qui traversât les ténèbres.

À ceux qui ne connaissent ni ton nom, ni ton visage, ni ta silhouette, ni même tes armes, c’est ainsi que tu te présentes. Nombreux sont ceux qui – à défaut de t’avoir jamais vu – ont au moins entendu parler de toi. Au moins entendu raconter ta légende. Celle de l’enfant béni d’Othar qui accompagné de son jeune frère brava la Malenuit pour retrouver son père. Car même là où tu n’as jamais posé le pied, le culte du Père rend grâce à ses Hérault.

- Quant à ceux-là… le coin de ta lèvre se retrousse légèrement en une moue de contenu dégoût alors que tu baisses les yeux vers les cadavres ...des dévots du culte Pharétan qui se sont dit que leurs petites malédictions les sauveraient. tu souffles des nasaux, retenant un rire Malheureusement pour eux, je ne suis pas Mervalois.

Tu ne rajoutes rien. Posant ta main libre sur ta hanche, tu te contentes de la dévisager. Tu lui as fait la politesse de te présenter, maintenant, la courtoisie voudrait qu’elle en fasse de même. Mais ton petit doigt te dit qu’aussi agréable qu’elle soit à regarder, la demoiselle te plaira beaucoup moins une fois son identité déclinée.

C’était un tableau des plus étonnant à observer. La baronne, menue et délicate après son séjour à Méca, se tenait devant l'homme extrêmement grand avec une grâce qui contrastait fortement avec sa taille imposante. Son visage reflétait l'étonnement et peut-être même une certaine admiration pour la stature impressionnante de cet homme. Après tout, ce dernier, qui la dépassait de plusieurs têtes, était une véritable montagne de muscles et de puissance. Sa carrure massive remplissait l'espace autour de lui, créant une présence intimidante. Ses épaules larges semblaient prêtes à soutenir le poids du monde, tandis que l’un de ses bras puissants se tenait nonchalamment sur sa hanche, prêts à agir à la moindre demande. Adélina se sentait presque vulnérable à côté de cet homme géant. Elle releva légèrement la tête pour maintenir un contact visuel malgré le casque qu’il portait, ses yeux exprimant un mélange d'admiration et d'appréhension. Ses vêtements élégants et raffinés contrastaient avec l’armure du géant devant elle qui semblaient à peine en mesure de contenir sa masse musculaire. Mais en dépit de cette différence de taille frappante, la baronne conserva une aura de dignité et de confiance, montrant qu'elle était une femme de grande importance, habituée à se tenir devant des personnalités de toute sorte. Elle dégageait une certaine élégance et une aisance naturelle, qui sembla imposée à sa mesure, car le géant s’arrêta net avant d’enlever son casque pour finalement se présenter.





Restant interdite, la jeune femme écouta ses courtes phrases, non sans tenter de replacer un tel nom. “Celui qui a traversé les ténèbres”? C’était évident que ce dernier était à son tour important, ou avait accompli un acte particulièrement étonnant. Malgré cette évidence, la nordienne ne put se rappeler de quoi que ce soit… Pas de légende, pas de nom. Comme si ce dernier n’existait pas réellement. Alors que ses prunelles azurées scrutent l’homme devant elle. Son rictus, sa moue alors qu’il détaillait les crimes de cet homme et ses comparses. « Non, je ne suis pas d’ici. » Commença-t-elle, confirmant les dires de l’homme. « Je suis alonnaise. Mon nom est Adélina de Lourbier. » Inutile d’en dire plus, il saurait à qui il aurait affaire. Le fait que plusieurs soldats s’étaient rapidement rapprochés d’elle ne ferait que confirmer le moindre doute qu’aurait Michail. « Devrais-je vous connaître ? » Un râle suppliant vint la sortir de ses pensées, alors qu’elle jeta un rapide coup d’œil à l’homme en pleurs plus loin. Reprenant son sérieux, Adélina reporta de nouveau son regard vers Michail avant de reprendre; « Quelle preuve avez-vous pour faire de telles allégations ? Et surtout, où les avez-vous trouvés ? » Car oui, une telle rumeur - aussi vraie que fausse était assez pour s’apporter une condamnation de la part des esprits les plus pieux, surtout après les morts qui avaient secoué le duché il y a un peu plus d’un an.

Adélina de Lourbier… à quand remonte la dernière fois que tu as entendu ce nom ? Ton visage se tord en une moue pensive alors que tu remontes les conversations et racontars ayant rythmé tes derniers mois, à la recherche d’une voix en particulier, et des paroles exactes qu’elle avait prononcé. Car tu étais sûr et certain que chez les gens à la recherche de mains armée qu’en tant que mercenaire tu as croisé, il en avait été plusieurs à parler de la jeune « Adélina de Lourbier ».

- De Lourbier… tu claques frénétiquement de tes doigts gantés en signe de réflexion ...Ah ! La promise de Di Alcacio. Celle qui s’est faite enlever ! tu réfrennes encore un rire Heureux soit celui qui vous a ramené. Vu le tapage qu’a provoqué votre disparition, il a dû être grassement payé.

Partir à la recherche d’Adélina de Lourbier. Voilà un contrat dont tu t’étais fait une joie d’ignorer l’existence. Qu’est-ce qu’une noblionne de moins à la surface de cette Terre ? Elle ou une autre, quelle différence ? À ton humble avis, rien qui ne vaille de jeter moults équipages en pâture aux Mecans. Aussi apprécié qu’ait pu être le nom des De Lourbier par le passé, la peste – comme elle le fait si bien – avait emporté avec elle le bon grain. Adélina a grandi avec l’ivraie. Ce n’était probablement que question de temps avant qu’elle ne rejoue l’histoire de la Grande Catin. Le bel héritage Alonnais ! Des femmes folles à lier pourchassant pouvoir et confort.

- Mais oui, si vous vous étiez ne serait-ce qu’un brin intéressée à la gente de votre nouveau fief, ton ton est d’une cassante impassibilité, le coin gauche de tes lèvres toujours relevé vous sauriez qui je suis. Et si vous étiez observatrice…

Tu accroches ton heaume à ta ceinture et t’en vas à nouveau à la rencontre du cultiste. Tu te saisis de lui au col, une fois encore, et le ramènes face à la Dame comme on présenterait un gibier à un compagnon de chasse.

- ...Vous auriez remarqué cela. tu pousses l’oreille de l’ombromancien pour révéler l’étrange glyphe tatoué derrière C’est comme ça qu’ils se reconnaissent. Depuis que la Couronne a fait rentrer Merval dans les rangs ils se sont disséminés un peu partout dans les forêts du Sud. J’ai attrapé ceux-là alors qu’ils traversaient les bois direction Nord-Est. Selon mes indics, probablement en direction de Tylère.

Tu lâches l’homme, qui toujours en proie à la panique, fuit à nouveau vers les jambes de la prêtresse de Néera, ses lèvres prononçant de frénétiques prières à la recherche d’une rédemption représentant son dernier espoir de vivre encore un temps.

- Les cultistes étaient pratique comme prétexte aux nobles pour faire leur petite politique martiale, mais il faut croire que maintenant qu’ils se contentent d’offrir les bêtes et les enfants des villageois à leurs faux dieux, ce n’est plus un problème. tu roules des yeux Peut-être que ça intéressera quelqu’un quand ils nous auront bâti un nouveau Nisétis au coin de la rue.

La jeune femme haussa un sourcil alors que l’homme la replaçait, semblant étouffer un amusement. Il avait dit cela comme si c’était une partie de plaisir. Comme si tout cela n’était pas important. Sans pitié… « C’est le Duc qui m’a retrouvé. Avant de me ramener sur la terre ferme si vous tenez à le savoir. » Son regard s’était obscurci, alors que son nez se plissa pendant une seconde. Comme si une mauvaise odeur venait de lui chatouiller les narines. En réalité, elle tenta tant bien que mal de refouler les souvenirs qui remontaient. Ce n’était pas le moment de montrer un signe de faiblesse. Mais la suite du discours ne fut guère mieux. L’étranger alla même jusqu’à lui dire qu’elle ne se souciait pas du fief de son promis. Étonnée, la jeune femme se contenta de suivre du regard Michail alors qu’il attrapait par la suite le cultiste pour lui montrer sa marque à son coup, continuant son discours sur les cultistes et la chasse constante qu’il semblait faire. Tout cela l’ennuyait, à croire qu’il n’avait pas entendu ce qui s’était passé avec la famille du Duc, où même de la raison qui avait poussé l’alonnaise à faire une alliance avec les soltariis en premier lieu…



Néanmoins, son regard lâche finalement le géant pour regarder le tatouage qui orne l’homme. La jeune femme s’approcha des deux cadavres, avant de s’accroupir près de l’un d’eux. Sa main poussa l’oreille brûlée de l’homme alors que sa tête se pencha légèrement sur le côté regardant le symbole, s'imprégnant du détail. Elle n’avait jamais vu de tel symbole dans toutes ses recherches et il fallait croire que même le Duc n’en avait aucune idée vu qu’il ne lui en avait jamais parlé. Laissant l’homme parler, la jeune femme s’avança vers les victimes brûlées, regardant de nouveau derrière leurs oreilles, voyant que tous avait la même marque. « Oh, ne vous faites pas d’idée… » Commença la jeune femme, alors que son regard se porta sur la deuxième victime, fixant le même symbole qui était toujours visible malgré les brûlures. « Je suis de celles qui préfèrent les faits plutôt que les rumeurs. » Adélina lâcha la chair carbonisée avant de se redresser, se frottant les mains ensemble pour enlever la suie qui s’était déposée sur ses doigts. Son regard se porta sur Michail, l’observant silencieusement pendant quelques secondes. Puis, sortant de ses pensées, elle s’approcha du géant, non sans « Quant à votre dernière remarque, je dois vous avouer que vous avez tort… S’ils ont eu un moment de répit, la donne à changer depuis que j’ai mis les pieds sur cette terre. » La nordienne s’arrêta devant le suderon, non sans le lâcher du regard, pensive. « Vous êtes occupé, Messire Michail? La journée est chaude, et un rafraîchissement ne serait guère un luxe. Qui plus est, vous pourriez m’en dire plus sur ce qui se passe à Tylère. Je crois que l’un et l’autre pourraient profiter de ce partage d’information… » Car si d’autres souffles corrompus prospérait sur cette terre, elle mettrait définitivement fin à leurs activités.

Tu n’en montres rien, mais tu aurais presque préféré que ce ne soit pas le cas. Que ce soit un chaland plutôt que le Duc lui-même qui ait mis la main sur sa dulcinée. Au point où tu en es, tu n’arrives plus à te réjouir des victoires des sang-bleus, même lorsqu’elles bénéficient au reste du Royaume. Mais peut-être dans ta haine te fourvoies-tu. Peut-être te faudrait-il penser à un jour reprendre l’enseignement que te faisaient tes pairs, et t’intéresser à nouveau au monde des dirigeants. Peut-être ceux-là te seront-ils moins répugnants que les meurtriers de Chrystabel.

Ou alors probablement seras-tu encore une fois déçu.

- Il faut que j’enterre ces deux-là. tu pointes les cadavres calcinés du pouce Ensuite je suis tout à vous. tu fais un premier pas vers le cimetière Mais si ça ne vous dérange pas, je peux aussi parler et creuser en même temps. tu marques une pause, et ton ton s’assombrit Et juste « Michail » suffira. Je ne suis pas un messire.

Tu n’attends pas de confirmation verbale avant de relancer ton cheval au pas, et de le lui emboîter. Au regard de la noblionne tu avais compris qu’elle te suivrait. Et si tu aurais certainement préféré ne pas avoir à composer avec un public de gardes réduits au silence, te voilà bien forcé de t’y faire. C’est qu’il faut bien le comprendre, les rues d’Ydril sont tout bonnement impitoyables en cette heure de la journée !

- Sinon, pour en revenir au sujet, à vrai dire, je n’ai aucune idée de ce qu’ils comptaient faire à Tylère. Ou même de s’ils comptaient vraiment aller jusque-là. tu lances par-dessus ton épaule C’était juste le plus probable au vu de leurs derniers mouvements. tu ralentis légèrement la cadence, laissant l’occasion à la Dame de remonter à ton niveau Depuis que le Duc a coupé les têtes de l’hydre, ça fourmille de partout. Si les disparitions en sont une quelconque indication, les cultistes semblent se déplacer par petits groupes tous les deux-trois jours. Et s’ils restent plus longtemps, c’est qu’ils ont des contacts en ville.

À Ydril comme ailleurs, le temple de la Gardienne n’est jamais bien loin de celui de la DameDieu. Et à Ydril comme ailleurs le cimetière n’est jamais bien loin du temple de la Gardienne. Aujourd’hui comme à leur habitude, les chalands s’amoncellent autour des étals déployés entre les sépultures. Les enfants jouent entre les souvenirs de grands-parents. Et ton regard, au milieu de toute cette effervescence, s’éteint à moitié. Au Sud, vous avez la chance d’avoir encore le luxe d’enterrer vos morts. Tous vos morts. Pas juste les plus fortunés.

- Ici c’est mon coin.

Ton regard retrouve sa vigueur habituelle au moment où tu te saisis de la pelle reposant contre le large peuplier surplombant le parterre. Face à toi, plusieurs dizaines de pierres, toutes marquées de la même écriture. La tienne. Ces gens étaient tous morts de ta main. De la même manière que les deux dernières victimes.

- Beaucoup des cultistes, tu expliques en même temps que tu creuses sont juste d’anciens enfants de paysans et d’artisans auxquels on a vendu des rêves de grandeur. Puis une fois qu’ils ont mis le pied dans une kabbale, ce n’est pas évident d’en sortir. Jusque-là, je n’en ai pas croisés beaucoup qui soient vraiment fiers de ce qu’ils font, mais quand on est désespéré, on ravale sa fierté. tu reprends ton souffle puis recommences à creuser Par contre, les quelques-uns qui arrivent à en réchapper, ou alors ceux qui se font courtiser… c’est pratique de les avoir sous la main. C’est ceux-là mes indics. tu te retournes vers Adélina, un air suspicieux au visage Je vous le dis en espérant que vous soyez de la même trempe que vos ancêtres, mais si jamais j’apprends que « le hasard » a fait disparaître mes petits protégés, vous aurez affaire à moi. tu pointes ta pelle vers ses gardes comme s’il s’agissait de l’arme la plus mortelle au monde Et l’Aveugle m’en soit témoin, à ce moment-là, même toute l’armée du Roy ne suffirait pas à vous protéger.

Tu pestes entre tes dents, craches au sol, puis recommences à creuser avec nonchalance.

- Bref, tout ça pour dire qu’ils piochent pas mal de leur piétaille chez de pauvres crédules qu’ils marquent pour pouvoir se reconnaître. Dans ma sacoche j’ai un bouquin où j’ai noté tous les symboles que j’ai croisé jusque-là. Elle est accrochée à l’encolure de Mávros si tu veux.

« J’ai vu pire… » Répondit-elle tout simplement, alors que ses prunelles se retournèrent sur les cadavres. L’odeur de chair calcinée ne la dérangeait plus, la vue de corps non plus. Après avoir survécu de justesse à la peste qui avait ravagé Lodiaker, cela était devenu une vision beaucoup trop familière. Quant à sa remarque sur son nom, la jeune femme inclina légèrement la tête à sa remarque, avant de répondre du tact au tact; « Comme vous le désirez, Michail. » La baronne fit un signe à ses gardes, avant de se mettre à marcher, tentant tant bien que mal de suivre le pas de son interlocuteur. Une tâche qui s’annonça particulièrement difficile, mais l’homme ralentit quelques fois pour la laisser s’approcher de nouveau, lui donnant des informations précieuse. Il semblait que le calme ne fût qu’en surface… Les cultistes profitant de l’accalmie involontairement imposée au Duc par les mécans. Son attention était ailleurs, et ils en avaient profité pour se disperser. Michail s’arrêta soudainement, avant de désigner un endroit et de commencer à creuser. Adélina fit un signe discret à ses hommes de l’attendre un peu plus loin, alors qu’elle restât debout, légèrement en retrait alors que la pelle frappa le sol. Cet effort n’arrêta nullement son interlocuteur, qui continua à lui en révéler de plus en plus. À un moment, on aurait même dit que ce dernier regretta ses dires, ce qui le poussa à la menacer. Menace qui laissa la nordienne de marbre, habitué à se faire traiter ainsi. « Vos menaces sont inutiles, Michail. » Dit-elle en soutenant sans pudeur le regard du géant devant elle. « Je ne peux condamner un souffle qui cherche à revenir dans la bonne voie. Ce n’est point ma décision, mais celle de la Bienveillante. » La nordienne haussa les épaules, avant d'ajouter, comme pour le rassurer ; « Et si ces derniers ont besoin de protections supplémentaires, je leur porterai volontiers en aide. »



Faisant fi de la familiarité qu’il avait faite, la nordienne se releva, tournant le dos à Michail pour rejoindre son étalon. La bête tapa légèrement du sabot alors qu’elle s’approcha. Mais Adélina ne se laissa guère impressionner. Elle s’approcha doucement de ce dernier, ouvrant la paume de sa main devant son museau, avant de caresser doucement son encolure, l'apaisant rapidement. La jeune femme ne put s’empêcher d’avoir un sourire sincère, alors que ses yeux brillaient d’une certaine lueur. Pendant une courte seconde, elle eut l’impression de retrouver la jeune baronne innocente qu’elle était il y a quelques mois. Ses mains se déplacèrent de nouveau sur l’encolure, caressant la crinière de ce dernier, admirant la bête qui sembla s’amadouer. C’était une monture bien impressionnante, un destrier Eracon sans doute… Adélina tapota doucement la monture, avant de tourner son attention vers les sacoches, sans attendre, elle l’ouvrit, avant d’en sortir le recueil. La baronne ouvrit doucement le livre, observant les symboles dessinés avec attention. Si plusieurs étaient relativement semblables aux tatouages qu’elle avait vu, d’autres étaient complètement différents. À les voir, on aurait pas cru qu’ils venaient tous du même culte. L’air sérieuse, Adélina se retourna vers Michail, alors qu’elle observait avec attention les mystérieux symboles. « On dirait que la dernière attaque, et la guerre qu’à déclarer le Duc n’ont fait qu’empirer les choses… » La nordienne releva finalement son regard vers l’homme qui creusait toujours avant de rajouter; « Lorsque nous avons attaqué leurs campements il y a quelques mois, ils avaient en tête de créer un nouveau piège. » Adélina soupira, avant de s’approcher de Michail, le livre toujours ouvert. « Ils me visaient moi, dans l’espoir de créer un nouvel accident diplomatique. Je suppose pour déloger le Duc. Un nouveau conflit entre suderon et nordien… Une façon de prendre un peu plus de territoire après Merval. » Ses doigts pianotèrent sur le cuir de la reliure, avant de retourner aux symboles, l’air pensive. « J’ai l’impression que tout ce que nous avons fait est les disperser et créer de nouveaux groupes qui ont tous un agenda différent. » Une erreur en soit, ils seraient plus difficiles à trouver, plus difficile à mener devant la justice…

- Un nouveau conflit entre Nord et Sud… tu réfléchis à la perspective en arrivant au bout de ton premier caveau … probablement que ça intéresserait les grandes pontes de leur culte. tu commences le second de suite En amincissant assez le pouvoir des familles nobles, à terme ils pourraient prendre tout le Royaume. Comme les Pharétans auraient probablement bien aimé le faire dans le temps.

Les Pairs avaient réussi à écraser jusqu’à l’autorité de la DameDieu, par le passé. Il avait fallu la Malenuit pour que beaucoup des grandes familles, censées devoir leur noblesse à La Bienveillante, recommencent à lui vouer une quelconque forme de respect. Et il avait fallu sa récente apparition, face à tous et à toutes, à travers l’une de ses fidèles, pour que le Roi qu’elle vous a offert, le véritable, soit à nouveau respecté, plutôt qu’un simple jouet entre les mains de Seigneurs avides de pouvoir. Si les Fils de l’Ailée, ceux censés lui vouer adoration, s’étaient fait suppôts d’Arcam, et comme le Fourbe, avaient tenté de la réduire au silence… alors qu’attendre de ceux qui prient aux dragons ?

- Mais autant j’imagine que ces histoires de guerre et de politique vous effraient, autant je pense que ce n’est pas notre plus gros problème.

Tu plantes ta pelle dans le sol et prends une pause, pour aller chercher de quoi te désaltérer. Tu te saisis de ta gourde, et bois l’eau fraîche à grandes lampées, avant de t’en verser un peu sur le haut du crâne, et de passer une main encore gantée de fer dans tes cheveux pour te ragaillardir un peu. Puis une fois fait, tu jettes la gourde d’où elle vient et reprends ton labeur et ta discussion.

- Vous pouvez couper les têtes de l’hydre autant que vous voulez, il en poussera toujours d’autres. tu soupires À moins de savoir exactement qui parmi les sang bleu est un traître, et de se débarrasser d’eux tous en une fois, il en restera toujours assez pour continuer leur œuvre. tu pinces les lèvres Voyez plutôt votre dernière attaque comme un coup de pied dans une fourmilière. Vous les avez désorganisés pour un temps, et peut-être même tué l’ancienne reine au passage. Maintenant il faut prendre le temps de suivre les ouvrières et les soldats jusqu’à ce qu’ils retrouvent leurs galeries. Il faut comprendre comment ils fonctionnent et ce qu’ils cherchent.

Mais après quoi ? Les néo-pharétans sont certainement bien trop nombreux pour que vous vous permettiez d’essayer de les éliminer. Au haut comme au bas de la chaîne, il en serait chaque fois qui réchapperaient à la punition, et qui galvanisés par leur statut de martyrs, reprendraient leurs plans de conquête silencieuse de plus belle.

- Ensuite, ce qu’ils cherchent, il faut trouver un moyen de le leur donner. Mais sous des conditions qui plaisent à La Bienveillante. tu souffles, et chasses quelques gouttes d’eau et de sueur de ton front, admirant tes deux caveaux terminés Le meilleur moyen de les détruire, c’est de les empêcher de convertir. Et pour ça, faut réussir à faire comprendre à ceux qui se convertissent qu’ils perdent au change. Que les Cinq ne les ont pas abandonné. tu te saisis des corps calcinés pour les jeter chacun dans un caveau Personnellement, faire comme ça m’a évité de perdre de bons gars et m’a gagné pas mal d’indics. Puis ensuite pour ceux qui veulent à tout prix attirer l’Ire des dieux… tu recouvres les cadavres Qu’à cela ne tienne, on la leur amènera.

Du coin de l’œil, tu repères une prêtresse de Tyra, que tu salues d’un bras levé. Elle te sourit tristement, sachant les raisons qui t’amènent chaque fois ici, et sans mots, d’un simple regard, te pose une question. Tu fermes le poing, lèves l’index, lèves le majeur. Deux. On viendrait bientôt lui annoncer deux noms.

- Donc ! tu te rapproches de ton cheval, et tapotes contre l’encolure de la bête Un rafraîchissement vous disiez ?

La confirmation de Michail ne rassura guère la baronne. Un nouveau conflit politique - qui pourrait perturber - embourber la péninsule dans un conflit qui n’avait pas lieu d’être. Une paix qui bien que durable - ne semblait guère réellement solide. Les problèmes entre le langecin et les nains ayant détruit une partie de l’union de la péninsule, et s’était sans compter les nombreux conflits entre feu son mari et la marquise de Langehack. Mais curieusement cela ne semblait guère déranger Michail. Penchant légèrement la tête sur le côté, la nordienne se retourna vers l’homme avant de l’inciter à continuer. « Je vous écoute… » Répondit-elle avant de porter son entière attention sur l’homme devant elle qui continuait toujours sa tâche.



La baronne écouta attentivement les paroles du héraut d’Othar. Ne l’interrompant pas une seule fois. Son discours était étonnant, et surtout très révélateur. C’était une façon d’approcher la chose qui ne lui avait guère traversé l’esprit. Tout devait être noir ou blanc pour elle. Il n’y avait que le mal et le bien, aucun mélange des deux et pourtant elle en avait rencontré des gens qui pouvaient faire les deux. Des gens qui l'avaient protégé, fait rire, l'avaient même rendue heureuse - tout en faisant des choses extrêmement barbares. Là était une leçon très particulière. Elle-même n’était pas parfaite, avait prit le souffle de gens, en se convainquant que c'était pour le bien commun, alors qu’elle avait fait cela pour elle. Pour protéger les gens qu’elle appréciait, et pour se venger. Adélina frissonna malgré le chaud rayon du soleil qui caressait sa peau légèrement hâlée. Les sourcils légèrement froncés, l’air fermés, la jeune femme avait porter son entière attention sur l’immense homme qui creusait. Cela ne fût que lorsqu’il se redressa pour faire un signe à une personne derrière elle, que la jeune femme osa finalement l’interrompre. « Vous avez raison. Ce n’est guère un plan auquel j’aurais pensé… » Admetta-t-elle avec une certaine candeur avant d'ajouter ; « Vous ont-ils donné de quelconques indications, voire indice de ce que ces gens cherchent ? » La jeune femme reporta son attention sur le carnet, étudiant le moindre symbole, tentant de se rappeler si elle avait vu un de ses symboles sur ceux qui les avaient attaquées à Soltariel.



Perdue dans ses pensées, elle ne se rendit guère compte que Michail s’était avancé vers elle. S’arrêtant tout près d’elle, avant de tapoter l’encolure de son étalon, la nordienne ne put s’empêcher de sursauter alors que sa question fendit le silence qui s’était imposé. Adélina eut un léger sourire, avant de regarder au sol, gênée par la proximité de l’homme. Elle fit quelques pas de reculons avant de finalement relever son regard vers ce dernier, avant de répondre tout en douceur ; « Oui bien sûr. Je ne connais pas très bien la ville, mais j’ai cru apercevoir une auberge non loin du temple. » Elle tourna la tête vers un de ses gardes qui confirma ses dires d’un rapide signe de tête. L’amener au château lui semblait particulièrement vulgaire, et pour être honnête, l’une des raisons pour laquelle elle s’était réfugiée au temple de Néera était de s’échapper de la cour Ydrilote. Sourire aux lèvres, la jeune femme se déplaça d’un pas vers le côté, laissant assez de place à l’énorme individu pour se mettre en marche avec son étalon. Tenant toujours le livre, la baronne le referma doucement, prenant une attention particulière à ne plier aucune page. « Restez-vous en ville pour un moment, Michail? J’aimerais bien reproduire vos notes. Je crois que ces informations nous seront particulièrement utiles dans les prochains mois. »