De l'écume sur les bottes (Aegden)

On crie, on braille. On rit, on s’esclaffe. Les mécréants, voleurs et rebelles, s’ils n’ont pas les mêmes buts, n’ont que peu de choix lorsqu’ils doivent recourir aux services des uns et des autres. Cette taverne mal-famée est un parfait exemple des frontières floues entre le bon et mauvais grain pullulant dans les bas-fonds de cette cité tentaculaire. Ici, on boit jusqu’à plus soif, on se saoule à en rouler sous la table, mais on yparle aussi affaires. On se procure ou on vend des objets volés. On prête l'oreille aux rumeurs, on achète des informations cachées derrière des lèvres scellées.
Et c’est, par ailleurs, ce qu’Awa est venue faire ici, dans cet établissement que les bonnes gens évitent. Elle avance entre les tables, une chope remplie dans chaque main, pivote habilement sur la pointe du pied lorsqu’un malfrat ivre lui coupe le chemin et, finalement, rejoint son comparse et dépose sa bière devant lui.

- Merci bien Cap’taine.

- L'équipage ne tire pas trop la tronche ?

- Une capitaine qui essaye de soudoyer le quartier-maître avec de la pisse d'âne ? Plaisante le vieil homme dans un rire rauque. Ils ont bien envie d’aller dépenser leur part. Tu te doutes bien.

Awa affiche une moue contrie avant de porter sa chope à ses lèvres et goûter cette bière hors de prix très certainement coupée à l’eau.

- Pas besoin de t’inquiéter. Pas encore. Mais... Il secoue la tête d'un air sérieux. Faudra penser à mouiller dans un coin tranquille après notre affaire.

- Geresh ? Il paraitrait qu’on y mange très bien.

- Pourquoi pas. Tant que y a des femmes et de l’alcool, ils seront contents. Et puis faudra voir à recruter quelques bras, c’est que ce nouveau navire a fait germer de l’espoir dans le cœur des nôtres et…

- Et ils veulent s’attaquer à plus gros… Soupire la pirate en dégageant une mèche de cheveux rebelle de son visage. Évidemment. C'est toujours casse-tête de recruter des hommes...

Le quartier-maître opine du chef, Awa elle, la secoue lentement. Elle est habituée à voir à quel point l’avidité a tendance à pousser les hommes à prendre des risques trop rapidement. Les visions du monde s’entrechoquent toujours, c’est plus vrai encore sur un navire. Surtout lorsque la loyauté est une denrée rare et que la norme veut qu’elle soit monnayée.

- T’as prévenu le tavernier ?

- Aye. Il a dit qu’il ferait passer le mot.

Une chope après l’autre, des thaaris viennent s’attabler. Ils ne restent que de peu de temps, après quelques paroles et des refus de la part des marins, ceux qui prétendent receler des on-dit retournent vaquer à leurs affaires dans leur coin de l’établissement.

- Pas folichon cette pêche aux informations. Déclare le quartier-maître en frappant le cul de sa chope contre la table. Vraiment pas.

- Pour le moment ! Proteste Awa en dressant l’index. Il faut savoir être patient.

-Y’ a cette fille là bas. Une marchande qu'elle dit.

Le tenancier parlais a mis voix à la silhouette qui s’appuyait nonchalamment contre le comptoir. L’homme semblait avoir l’habitude de ce manège.

-Elle devrait t'interesser. Il ajouta d’un ton encore plus bas. Elle cherche des info’ sur Narko Azeïr.

-Pourquoi ?

Le Tenancier haussa les épaules, comme déçu que sa révélation ne fasse pas plus d’effet que ça à son interlocuteur.

-J’en sais rien. Va lui demander.

Le bandit acquiesça. Il faudrait se contenter du peu. Il n’aimait pas  spécialement avoir affaire a des inconnus ce cette façon. L'endroit, sur les rives du port de Thaar n'était clairement pas des plus famés.  Il y avait de tout ici, des brigand, des voleurs comme des gens de rien cherchant un peu d'argent sans trop se soucier de là où il venait. Il y avait des pirates aussi. Il existait chez ces derniers autant de variantes du sens de l’honneur qu’il n’avaient de matelots sur leurs ponts. Difficile de savoir si un arrangement avec eux finirait accompli…et sous quelle forme. Mais l’opportunité de s’approcher assez de l’homme pour avoir la possibilité de le faire tomber était trop belle. Il verrait bien a qui il aurait affaire.

Il déposa quelques pièces brillantes sur le comptoir. Il connaissait le propriétaire de l’établissement, mais dans ce monde, la confiance devait bien souvent passer par l’or. De la même nonchalance, il se redressa et se dirigea vers la table qu’on lui avait indiquée.

-Vous permettez ?

Mais il était déjà assis sur une chaise avant que l’acquiescement n’arrive.

-‘Parait que vous cherchez quelqu’un. Lança-t-il, histoire de ne pas tourner autours du pot. Ça fait pas mal de temps que je le tient à l’œil votre ami. J'doit pouvoir vous aider mais je suis un peu curieux. Vous lui voulez quoi à votre homme ?[/b]

Awa se penche au-dessus de sa chope et en renifle le contenu alors que s’assoit le nouveau venu à leur table. Elle fronce les sourcils et affiche une moue de dégoût, plus ils en commandent, plus la bière a un goût de flotte. Les fonds de tonneau sans doute. Francis, quant à lui, salue l’homme d’un signe de tête, il passe sa main dans sa barbe grisâtre et coule un regard au capitaine.

- Enchantée ! Fait-elle dans un sourire en délaissant sa boisson. Nous cherchons à acheter des informations et c’est vous qui nous en demandez ? Un gloussement lui échappe tandis qu’elle plonge son regard dans celui du vaani. Nous avons un désaccord commercial, il n’y a pas de mauvais sang entre lui et nous, si c’est ce qui vous intéresse.

- On est pas des assassins, ajoute le quartier-maître en secouant la tête, nous, on veut juste faire tourner notre boutique.

- Exact. Mais si nous trouvons un accord, nul doute que nous pourrons vous en dévoiler un peu plus. En tout cas, assez pour que votre curiosité soit satisfaite. Mais nous avons besoin d’un accord. La parole donnée est bien la seule chose qui ait de la valeur dans ce milieu, vous ne croyez pas ? Il n’y a qu’elle qui soit le témoin de notre crédibilité, qui puisse nous ouvrir ou fermer les portes des eaux troubles dans lesquels nous louvoyons !

Awa brandit sa chope, fière de sa plaidoirie, sous le regard perplexe du quartier-maître. Finissant d’ailleurs par le remarquer, elle se racle la gorge et son sourire s’efface pour un air somme toute un peu plus sérieux. Ses iris rouge d'aniline s’en retournent à l’observation de l’homme attablé à ses côtés.

- Awa, se présente-t-elle en lui tendant la main, je m’appelle Awa. Et voici, Francis. D’un geste de la tête, le capitaine désigne le vieil homme qui l’accompagne. Si vous êtes capables de reconnaître son navire, nous avons un accord et il ne nous restera qu’à discuter du prix de votre service. En partant du principe qu'on vous prend avec nous pour la journée. Qu’en dites-vous ?

-Viliam. Il répondit aux présentations de ses interlocuteurs. Son nom leur dirait peut-être quelque chose, mais c’était le dernier de ses soucis.

-A vrai dire, l’argent ne m’intéresse pas vraiment. De petite rides se creusèrent au coin de ses yeux alors qu’il souriait. Si vous tenez tant à vous en débarrasser, croyez bien que je vous en déleste avec joie bien entendu. Mais disons que j’ai mes propres désaccords avec notre homme. Je ne suis pas un assassin non plus, mais…disons…Disons que nous ne nous apprécions pas tellement.

Tout en s’expliquant, il se balançait légèrement sur sa chaise.

-J’ai besoin d’aide pour monter sur ce rafiot sans me faire avoir, pour remplir quelques affaires. Bien entendu je compte en ressortir. Mentionna-t-il à moitié en plaisantant. Si vous pouvez m’aider à faire ça, sans doute pouvons-nous nous entendre. Termina-t-il en prenant une gorgée de sa propre chope...non sans une grimace au goût particulièrement insipide de cette dernière.

Les regards du quartier-maître et du capitaine se croisent, un léger doute caché au fond de leurs pupilles. Awa reporte à nouveau son attention sur le vaani tout en se tapotant les lèvres de l’index. Quelques secondes de réflexion enjoignent ses mains à croiser les doigts tandis qu’elle descelle à nouveau ses lèvres.

- On ne tient pas particulièrement à s’en débarrasser. Le ton est plus discret. Notre désaccord commercial est lié à une marchandise sur son navire. Nos objectifs peuvent, probablement je l'imagine, converger, mais il va falloir être moins avare en explications.

- C’est que la marchandise dont on parle peut pas être chipée comme ça. Va falloir qu’on discute avec le bonhomme nous, voyez ? Insiste le quartier-maître en faisant glisser son doigt sur le rebord de sa chope. Faut qu’on trouve un terrain d’entente avec le type.

- Et on a de quoi tomber d’accord. Mais si on doit mettre vos objectifs dans la balance, il faut qu’on sache de quoi on parle. Awa dresse l’index et relève le menton. C’est primordial de connaître toutes les revendications avant d'entamer une quelconque négociation.

- Si on discutait de ça sur le chemin ? Intervient Francis en délaissant sa chaise.

- Excellente idée. Accorde le capitaine en se redressant. Viliam ?

Awa désigne la porte de l’établissement dans un geste de la main, son regard se pose sur le voleur aux motivations encore troubles, elle lui accorde un grand sourire. Quelques enjambées plus tard, les trois lascars battent le pavé portuaire sous le soleil vaani.

- Alors, dans son dos, l’une de ses mains attrape le poignet de l’autre, Viliam, quel est votre objectif véritable ? Que nous puissions réfléchir à un moyen de le faire concorder avec le nôtre. Parce que nous… Nous n’avons guère d’autre choix que de négocier, ce que nous cherchons est à la fois impossible à transporter en toute discrétion, incroyablement fragile et indubitablement irréparable.

-Vous êtes aussi avares que moi en explication vous savez.

Il les avait suivis au dehors de l’établissement, sans rechigner pour autant. Cependant il avait rapidement relevé son capuchon, non pas pour se dissimuler à ses compagnons, mais plutôt par inquiétude à l’idée de croiser quelques soldats dans les rues mal famées.

-Mais très bien, si vous voulez carte sur table : la seule marchandise de ce bateau se sont des esclaves. Vous voulez donc probablement récupérer un type, pourquoi j’en sait rien mais ça vous regarde. Moi j’ai tout intérêt à ce que ce bateau ne reparte pas de si tôt. Voir jamais si on veut être ambitieux. Mais j’ai arrêté depuis longtemps de chercher à négocier avec ce genre de type.

Son regard était allé se perdre à l’observation d’un autre bateau et de l’équipage qui y travaillait. Quelques hommes s’échinaient à transporter de lourdes caisses à son bord, sans doute dans l’espoir d’un départ prochain.

-Je ne sais pas combien de…’’marchandises’’ se trouvent à son bord. Ni où et comment. Mais je compte bien la lui confisquer avant qu’il ne reparte en mer. Donc j’ai besoin de pas mal d’info de l’intérieur, avant de pouvoir aviser sur la suite. Il baissa d'un ton, histoire d'éviter quelques indiscrétions alentours. J’ai donc besoin d’arriver à pouvoir atteindre les cales sans me faire prendre. Constater ce que je peux, et trouver un moyen de saboter le navire ou l'équipage pour me donner quelques heures voir quelques jours de répit. Il se retourna vers ses potentiels alliés. Ça vous convient mieux ?

Le capitaine marche au rythme des explications du brigand, et plus il déroule, plus sa confiance s’étiole pour laisser place à un air profondément perplexe. Si profond d’ailleurs qu’elle remarque à peine le badaud qui remonte le port dans leur direction.

- Oh là ! Pardonnez-moi mon brave !

- R’garde où tu vas morue !

Sans s’arrêter de marcher, elle soulève son chapeau et le salue d’un air théâtral avant de se retourner et de plonger à nouveau son regard dans celui de Viliam.

- Ce sont toujours des noms de poissons. Awa hausse les épaules dans un sourire. Enfin… Quand vous me demandez si ça me convient mieux, j’hésite très franchement. D’un côté, j’ai envie de dire oui, puisque désormais, je comprends vos motivations, mais d’un autre côté... Je penche pour un non.

La quartier-maître se racle la gorge et désigne les carrioles bloquant le chemin. Il bifurque et s’engage sur le ponton. Awa lui emboîte le pas en invitant le vaani à la suivre d’un geste de la main.

- Parce que là, ce que je viens d’entendre, c’est le résultat espéré et le comment est particulièrement incertain. Se faire prendre en fond de cale, c’est devoir affronter tous les marins qui s’y trouvent et ceux qui sont sur le pont. En plus du Guet qui risque de rappliquer au premier son de cloche. Et dans ce cas... On peut dire adieu à tout ce qui se trouve sur ce navire.

Awa secoue vigoureusement la tête en s’engageant sur un bras du ponton, les trois bougres marchent désormais le long d’un navire à deux mâts devant lequel se tient une poignée de marin quelque peu curieux de son gréement si particulier.

- Bougez de là tas de fainéants, y a rien à voir ! Proteste Awa en mettant le pied sur le pont du Fortuné tout en agitant les bras, faisant fuir les marins. Aller du vent ! Ses poings rejoignent ses hanches, son attention revient à Viliam. Quand je disais que ce que nous cherchons est aussi fragile qu’irréparable, je ne mentais pas. Elle inspire profondément puis se fend d’un large sourire en dressant l’index. Il y a une vie en particulier qu’il nous faut absolument protéger. Alors, je puis comprendre que vous ne souhaitiez pas, ou « plus » comme vous dites, négocier avec ces gens-là, mais croyez-moi l’ami, nous avons beaucoup d’expérience en matière de tractation avec ces marchands. Et nous avons de quoi faire pencher ladite négociation dans le sens que nous désirons. Dans un geste exagéré, mais pas dénué d’une certaine grâce, elle invite leur compagnon à monter à bord. Si vous en êtes, embarquez et grimpez sur le mât de misaine ! Adewale va vous montrer. Et nous ferons de notre mieux pour négocier le plus de vies possible. Vous avez ma parole.

Le capitaine se tourne vers le reste du port et observe en silence. Les marins vont et viennent, on charge et décharge des marchandises de tout type, même des cargaisons capables de marcher sur deux jambes. Et là, au beau milieu de l’estuaire oliyan sur lequel s’étend probablement le plus grand port de ce monde, il y a un navire parmi tous ces gréements qui les intéressent. Et ce navire, c’est cette galéasse qu’on peut apercevoir là-bas, au loin, à la sortie du port, qui vogue toutes voiles dehors. Mais ça, le capitaine n'en sait rien.

-Ola. Doucement l'amie.

Le bandit rit sans méchanceté et leva ses mains devant lui. Il n’avait pas avancé plus loin que le pont menant à celui du grand navire, laissant les deux autre filer. Il lorgna un instant sur l'eau encore peu profonde en dessous. Il ne risquait pas de s'y noyer mais mieux valait qu'il n'ait pas à y plonger, en cas de gros problème.

-Si mon prix ne vous plait pas, négocions. Lança-t-il, accompagnant le tout d’un haussement d’épaule. Mais vous en conviendrez, tant que nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde, vous et moi, autant rester à terre en terrain neutre.

Il leva une main au-dessus de son front, cachant le soleil pour mieux apercevoir la réaction de la capitaine en amont. Si elle insistait, sans doute devrait-il se détourner de cette opportunité, mais monter sur ce rafiot sans la moindre assurance de pouvoir faire demi-tour était bien trop dangereux. Même pour ce qu'il cherchait à obtenir des prétendus marchands.

Awa met les mains sur les hanches, arque un sourcil et se fend d’un sourire. Elle les hausse les épaules puis lève les mains, avant que ses gestes ne viennent corroborer les propos franchissant ses lèvres.

- Mais c’est ce que nous faisons ! Son index pointe en direction du torse du vaani resté sur les quais. Donc, ça, son index pointe désormais le ponton, c’est ce que vous appelez un terrain neutre ? Elle se tapote à présent ses lèvres et hausse les épaules. Soit. Vous savez, je mets ma réputation en jeu lorsque je viens chercher une information au grand jour ? Elle marque un instant de pause, puis secoue la tête et tapote maintenant sa tempe. Alors, dites-moi l’ami, qu’est-ce qui pourrait vous convaincre ? En plus de la promesse de sauver le plus d’âmes possibles sur ce navire ?

Le capitaine tapote du bout du pied sur le pont de son navire, tout en gardant les yeux rivés dans ceux du bandit. Peut-être avait-il déjà entendu parler d’elle ? Elle fronce les sourcils et plisse les yeux.

- Bon, je l’avoue, ça ne m’arrache pas la gueule comme promesse, c’est peu ou prou ce que nous comptions faire de toute manière. Les Hommes ne sont pas des marchandises. Alors... Que diriez-vous d’une part sur nos dernières recettes ? Awa lui montre tous ses doigts, comme si elle en avait assez pour symboliser ce chiffre trop grand pour son nombre de doigts. Quatre-vingts... Dix. Quatre-vingt-dix souverains ! Sa main vient saisir un cordage tandis qu’elle se hisse sur le bastingage afin de toiser le vaani, parée de son sourire habituel. Qu’est-ce que vous en dites ?

-Les hommes ne sont pas des marchandises.

Il fit un pas, s’approchant un peu de la capitaine. Il avait un peu laissé tomber sa bonhomie et parlait avec sérieux. Il s'accouda au bastingage, mais sans toutefois poser pied sur le navire.

-Nous sommes d’accords sur ce point et il m’est particulièrement cher. Comment comptez-vous sauver ces gens ? Par l’argent vous n’en aurez jamais assez et je doute de doute façon qu’aussi charitable soit votre souffle, vous puissiez vous permettre de dilapider autant dans le vide. Il secoua la tête. Dès qu’il se rendra compte de votre objectif Azeïr en profitera pour ronger jusqu’à la dernière pièce de votre magot. Ce type là n'a de religion et morale que l'or. Moi, l’argent ne m’intéresse pas, je vous l’ai dit. Ce qui m’intéresse ce sont les souffles coincés là-bas. Et ma seule chance de faire qu’il n’y aura pas d’autre au moins pour quelque temps, c’est d’immobiliser ce foutu rafiot. A quais de préférence… Je sais de sources fiables a quel moment il est sensé revenir débarquer dans le port et pour combien de temps.  Il haussa les épaules. De toute façon, je ne peux pas vous accompagner à découvert là comme ça parce que, comme je vous l’ai dit. J’ai mes différents avec votre homme. A peine me verrait-il que s’en serait terminé de ce que vous vouliez lui soutirer. Il eut un sourire. Et malgré les apparences je ne tient pas à foutre le bordel. Pas tant que je suis dans les parages.

Les marins qui se sont approchés écoutent d’une oreille tout préparant le navire pour le départ. Francis se tient toujours aux côtés du capitaine, il observe le « l’informateur » avec une moue dubitative. Quant à Awa, elle arque un sourcil et secoue la tête, visiblement un peu perdue.

- Mais qu’est-ce que vous racontez ? Attendez… Elle lui fait signe de la main d'arrêter là. Faut remettre les choses à plat là.

- Capitaine, ce tocard nous fait perdre not' temps. Déclare Francis en le pointant du doigt. M’est avis qu’on va se débrouiller sans lui.

- Comme vous y allez Francis ! Rétorque Awa dont les yeux s’écarquillent tandis qu’elle coule un regard pour le quartier-maître. Bon... Elle revient à Viliam et prend le temps de se gratter la tempe. C’est la première fois que vous jouez les informateurs, non ? Écoutez, Viliam, vous m'avez l'air d'être un bon gars alors je vais reprendre depuis le début. Nous, on est venus acheter une information. Vous ne voulez pas d’argent, très bien, donc je propose de faire un geste qui concorde avec vos… Valeurs et vos objectifs. Mais votre plan là, à quai, pas à quai, vos trucs sur son navire... Je m’en contrefiche comme des chaussettes de mon arrière-grand-mère. Elle opine du chef en observant le brigand sans ciller. On n'a pas le temps d’attendre le retour de ce navire d’esclaves ou que sais-je encore. Quand il reviendra mouiller ici, ce qu’on cherche sera déjà très loin. Et nous, tout ce qu’on sait, c’est que ce qu’on cherche a été embarqué ce matin même, alors de deux choses l'une, soit on le repère ici et on le suit tranquillement le long du littoral, soit on essaye de le rattraper. Quant à notre argent, ce qu’on en fait et comment on le fait, c’est le dernier de vos soucis. On a besoin de vous pour reconnaître son pavillon, rien de plus. Les négociations et les conditions dans lesquelles elles auront lieu, c’est notre problème.

- J'aurais pas mieux dit. Ajoute le quartier-maître en croisant les bras. On cherche une information, pas un plan à la mords-moi-l’noeud.

- En d’autres termes... Soit, vous acceptez ma dernière offre, c'est-à-dire les souverains et ma promesse d’essayer de libérer le plus d’esclaves possible, contre votre capacité à reconnaître le pavillon et le navire qui nous intéresse. Donc, vous embarquez sur mon navire pour le reste de la journée... Soit vous refusez, et dans ce cas on se passera de vos services l’ami. Mais le temps joue contre nous, alors décidez-vous sans tarder.

- Vous trois, tonne le quartier-maître en désignant des marins sur le pont, arrêtez ce que vous faites et préparez-vous à me suivre. Des fois qu'il nous faille opter pour une autre solution.

Les marins lâchent les cordages et s'en vont descendre en cale chercher leurs bottes sans rechigner. L'un d'entre eux en a presque le sourire aux lèvres. Quant à Awa, elle penche légèrement la tête sur le côté, pendue aux lèvres du vaani, mais le sérieux à chassé son sourire et son brin de folie joyeuse.

- Tu es sûr de ce que tu as vu ? Sûr de sûr ? Du genre, certain de chez certain ?

- Oui m’dame ! Aussi sûr qu’vous avez les yeux comme des rubis !

- Croix de bois, croix de fer ?

- Si je mens, j’irai six pieds sous terre !

- Ou nourrir les poissons dans la mer ! Ajoute Awa tandis que se dessine sur son visage un sourire en coin plein de malice.

- J’ai l’œil m’dame, et comme personne fait attention à moi, à part pour m’donner un sous ou deux pour charger ou décharger les bateaux… J’ai l’oreille qui traîne de partout !

Awa soulève légèrement son tricorne de l’index avant de pousser sur ses jambes et se redresser, elle coule un regard au quartier-maître tout en se pinçant les lèvres.

- Eh… On fait avec les moyens de bord.

- C’est rien de le dire. Si seulement vous faisiez preuve d'un tout petit peu plus de diplomatie Francis, on serait probablement p...

- Pour deux souverains, il est partant. Coupe-t-il en chassant la remarque d'un geste de la main.

- Sérieusement ? Quelle arnaque... Le capitaine baisse les yeux en direction du gamin des rues qui acquiesce dans un large sourire. Elle se racle la gorge et lui tend une main amicale en prenant un ton un peu pompeux. Si, et seulement si vous dites vrai, je vous en donnerai soixante-dix-huit de plus sieur…

- Hafiz ! C’est beaucoup comment ça ?

- Eh bien... Monsieur Hafiz, ça vous fera un souverain par doigt, mais huit fois. Awa allie le geste à la parole, fermant et ouvrant les mains plusieurs fois d’affilée.

- C’est assez pour acheter un âne ?

- Par les esprits, bien assez M’sieur Hafiz !

- Et des moutons ?

- Vous pourriez en acheter vingt qu’il vous resterait encore de quoi acheter un âne et probablement un bœuf !

- C’est qu’elle va sauter de joie ma mère ! Lance-t-il en saisissant la main d’Awa qui le tire à bord du Fortuné. C’est l’travail le plus facile qu’j’ai jamais eu !

- Le plus facile peut-être, mais il faudra garder secret notre accord. C’est pour cela qu’on paye autant. Et qu’on sera ravi de faire affaire à nouveau si la discrétion est de mise !

- Motus et bouche cousue !

Une main au-dessus des yeux, Awa observe la galéasse au-devant. Le fouet a sans doute dû claquer, compte tenu du fait que le rythme semblait avoir augmenté. Un fin sourire se dessine sur le visage du capitaine tandis qu’elle tape joyeusement sur son genou. Le Diligent n’aurait jamais pu tenir la distance, pas contre le Fortuné.

- Chers amis ! On nous a remarqué depuis bien assez longtemps et laissez-moi vous dire qu’ils commencent à avoir les miquettes ! Alors, hissez haut nos couleurs et préparez-vous !

L’équipage ne tarde pas, on s’active en chantant joyeusement, les épées et les haches passent de mains en mains, tandis que le drapeau noir révèle leurs véritables intentions. Leur jeune informateur observe les uns et les autres, le regard tout à coup un peu perdu et empreint d’une pointe de frayeur. Awa se dirige à grands pas vers lui, posant ses avec douceur ses mains sur ses frêles épaules et le pousse délicatement en direction de la cabine.

- Môsieur Hafiz ! Votre aide précieuse trouve ses limites en cet instant ! Alors faites-moi le plaisir de vous abriter dans ma cabine et de ne pas en sortir ! Sous aucun prétexte, sommes-nous bien d’accord ?

Le gamin des rues opine vigoureusement du chef. Il ferme d’ailleurs lui-même la porte de la cabine, au nez et à la barbe d'Awa, ne lui laissant même pas le temps de lui adresser un ultime mot de réconfort.

- Capitaine ! Ils ont pas l’air de vouloir s’arrêter les bougres !

La pirate fait-volte-face et se rapproche du bastingage, là où attendent une caisse remplie de pierre de bonne taille ainsi que le brasero qu’on a embrasé quelques instants auparavant.

- Une démonstration devrait calmer les ardeurs de ce bon Narco Félis et semer le trouble parmi son équipage.

Awa se déleste de sa veste et remontent les manches de sa chemise avant de se saisir d’une pierre et la soupèser machinalement. Elle distingue désormais les quelques marins dont les regards inquiets sont tournés vers le Fortuné. Alors, d’une main qu’elle approche du brasier, le capitaine accueille la flamme et la mêle à la roche qui bientôt rougit au point d’en avoir la couleur de la lave. Sous les encouragements des pirates, le projectile enflammé fuse tout d’un coup en direction du Diligent, perçant un trou sa grand-voile.
Les mains sur les hanches, la pirate patiente. Elle se délecte la réaction des marins et son sourire s’agrandit à mesure qu’elle distingue de plus en plus d’agitation sur le pont. Bientôt, les rames sont relevées et le drapeau qu’ils arborent laisse place au blanc immaculé de la réédition. Les pirates braillent et se félicitent, on prépare déjà les grappins.

- Bord à bord camarades ! Et restez alertes ! S’exclame Awa en renfilant sa veste. Prudence est mère de sureté !

Le propriétaire du Diligent, le cul sur le pont, est surveillés par son propre équipage, l’air penaud et le regard hagard, il balbutie quelques paroles presque inaudibles. Il observe impuissant ses propres hommes et ceux du Fortuné travailler de concert pour transporter ses marchandises d’un navire à l’autre. Awa claque des doigts sous son nez tout en sifflotant vigoureusement.

- Narco. Narco ? Demande-t-elle dans l'espoir de le ramener à la réalité. Êtes-vous toujours parmi nous ?

- Qu-quoi ?

- On à ce qu'il nous faut, alors on vous laisse entre les mains de votre équipages et de vos anciens esclaves. Awa affiche une moue railleuse tout en se redressant. Je crois qu’ils ont dans l’idée d’échouer votre rafiot et rejoindre la terre ferme.

- M-mon bat…

- Eh oui… Un coup dur pour une affaire comme la vôtre, mais ainsi va la vie. Elle soulève son tricorne et s’incline dans une salutation aussi gracieuse qu’exagérée. Si vous voulez un bon conseil, changez de branche. Quelque chose de moins risqué. Ouvrez une boucherie ? Ou une tannerie ?

Le capitaine se détourne du prisonnier, passe devant Samuel occupé à rassurer le jeune homme qu'ils sont venus libérer et rejoint le bastingage de la galéasse sur lequel elle grimpe afin de surplomber la foule amassée sur le pont.

- Chers amis ! Commence-t-elle en brandissant un index. Ce fut un plaisir de faire affaire avec vous, mais il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte ! Cependant ! S’exclame la pirate en brandissant plus haut encore son index. Nous cherchons un charpentier et j'attends de lui qu’il soit très ingénieux, un voilier, un couturier, un médecin et… Nous n’avons rien contre un musicien ou deux !

- Et un tonnelier ?! S’écrie une voix parmi l’équipage du Diligent.

- Tonnelier, on embarque !

Quelques mains se dressent en direction les cieux parmi l’équipage de navire de Narco et les esclaves libérés de leurs chaines. Awa saute sur le pont et traverse la foule, discutant avec les uns et les autres dont l’intérêt est piqué au vif. Quelques minutes plus tard, la voilà qui embarque sur le Fortuné accompagné d'une poignée de nouvelles têtes, visiblement ravie de cette fin de journée, malgré qu'elle n’ait pu dénicher ni médecin, ni couturier, ni musicien.
C'est ainsi que les navires se quittent, sous un soleil déclinant et offrant aux marins un spectacle resplendissant. Si le Diligent part s’échouer dans un coin de plage tranquille, Awa et son équipage, eux, mettent le cap sur Thaar.

- Mon jeune ami, vous retournez auprès de votre père. Confie-t-elle à celui pour qui ils se sont donnés tant de mal. Et vous allez probablement tous deux venir avec nous, compte tenu du danger qui vous guette à Thaar. Alors je vous en prie, prenez vos aises dans mes quartiers, vous tiendrez compagnie à Hafiz !