Trimard basaltique

« Foutu touffeur, on n’y renifle moins bien que devant l’âtre d’un chaudier débridé, passe donc l’outre et soit véloce, j’ai le glissoir sec et boire la ale fiévreuse ne m’enchante qu’à moitié. Et que personne point ne jacte au sujet d’allumer un feu, grillez donc la barbaque directement sur les puits à fumerolles. J’en viendrais presque à espérer que la Tourmenteuse nous tourmente en cet instant. Et puis, quoi ? Ne me reluquez pas comme cela les coquins, vous avez tous choisis de me suivre, c’est ainsi, pas un moufflet de trop, j’en suis leste pour tous, allez du nerf, moi aussi, les boyaux me manquent, mais pas de trousse-pet dans ma troupe, je vous le dis et puis… »

Sur la question des railleries, il existait peu de cognard pouvant concurrencer Sognir – et bien que ce dernier se considère comme étant un hôte de voyage tout à fait acceptable, préférant imputer sa frustre aux « mauvaises conditions réunis » ; aucuns des nains de l’expédition qui avait quitté Almis voici quatre ennéade maintenant, n’iraient dire le contraire.

Sous l’appel du Narundi, ils s’étaient réunis dans les boyaux de la Perle du Nord et on y avait tendu moult débat sur le quoi faire et le comment. Si un temps une proposition de partir sans le vénérable avait semblé faire bonne mine, le Racleur l’avait balayé d’un coup de pioche : il lui fallait voir de son œil vu. Alors, avant son départ, Sognir avait fait nommer Dagoran au poste d’Ongaraz de la cité, afin que le Porteur de Bouclier des Vieilles-Veines puisse disposer de quelques largesses d’action pour maintenir la cohérence et l’ordre dans la cité. Pour sûr, qu’il ne fut pas aisé de le convaincre de ne point participer à cette expédition, on vit même le bougre changer d’expression, ce qui était un miracle en soit ; mais il finit par se ranger aux avis et accepta son sort.

En suite vint le temps de la préparation : vivres, intendances et surtout tracé. Douze se mirent donc en route, parmi eux une majorité du clan et quelques loyaux liés, notamment des manieurs de haches qui ne faisaient point dans la dentelle. Toujours utile. Ils partirent aux aurores, empruntant les sentes secrètes qui débouchaient du Kirgion directement sur le Septentrion. Après quelques jours, ils raccordèrent le chemin des expéditions, puis firent à la sauce de l’instant.

Quelques fois durant le trajet, Sognir du user de son art pour éviter les ennuies. Ainsi ils restèrent trois jours dans une gangue de pierre invoqué pour l’occasion, afin de s’abriter et de se dissimuler aux yeux d’une horde de berserker en maraude. Ce fut la situation la plus dangereuse, mais elle se répéta plusieurs fois à moindre échelle ; a contrario des expéditions royales, il était impossible pour sa troupe de soutenir la moindre confrontation trop violente.

Cela fait, l’Orsirzdin s’offrit alors à eux. Sognir en perdit un moment la chique, frappé par la chaleur et la situation des lieux. En lui, s’éveillaient d’antique crainte mais le Racleur ne pouvait se laisser aller à la peur. C’est ainsi que, dans le marasme ambiant, les nains patientaient maintenant. Sans savoir trop quoi faire, le Narundi jugeait bon de ne point trop s’aventurer au loin, si le fameux Zhaarzubad souhaitait envoyer quelques émissaires, mieux valait-il les recevoir que d’entreprendre une action mal comprise qui serait prompt à récolter courroux.

Aussi froids puissent-ils être, ces vents s’évanouissent aux abords de l’Orsirzdin. Ils laissent place à la chaleur étouffante que recrache sans cesse cette terre noircie et parcourue de filets de laves. De leur perchoir, aux abords de la vallée, les voyageurs peuvent observer la vie qui y fourmille. Des holwerms et des créatures informes que leurs yeux ne reconnaissent point. C’est un nouveau monde qui se dévoile sous leurs yeux ébahis, un monde de flammes et de souffrance insupportables pour leurs corps.

Et leur arrivée en ces lieux n’est pas passée inaperçue. Au deuxième jour, les autochtones daignent se dévoiler depuis le creux du vallon. Ils observent et étudient ces nouveaux intrigants venus explorer leur territoire. Encore. Mais au moins, cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une armée.
Quelques heures de grimpe suffisent à une poignée de ces nains à la peau de cendre et au regard de braise pour rejoindre la troupaille massée dans les hauteurs. Aux abords de leur camp de fortune, ils s’arrêtent et seul l’un d’entre eux s’avance. Il toise ces étrangers menés ici par leur soif de curiosité… À moins qu’il s’agisse d’autre chose ?

Nulrir approche, il dresse sa main, dévoilant des veines pulsant d’une couleur semblable aux entrailles de la terre. Un salut, simple et sans ambiguïté, sans menace ni agressivité.

- Quelle folie poussent tant des vôtres à s’aventurer là où aucun d’entre vous ne saurait survivre ? Qui s’avance aux abords des terres du Zhaaruzbad ? Qu’il clame ses intentions sans attendre.

Patience était un mot à consonance souffreteuse pour Sognir ; le temps était devenu une ressource rare, jours après jours, le moment fatidique de retrouver ses aïeux approchait. Un instant qu’il ne craignait pas, mais laisser le Zagazorn dans la tourmente et le brouillard, créait en lui un fort sentiment de malaise. Il se sentait dans le besoin d’agir, de faire encore quelque chose : c’était ce même sentiment qui l’avait poussé à s’opposer à Harald durant l’Althinkalan ; ce même sentiment qui l’avait poussé à porter une esgourde aux dires de Bräam, ce même sentiment encore qui l’avait poussé à sortir de sa torpeur pour essayer de reprendre les rennes de la Perle du Nord. Selon lui, le Grand Royaume souffrait d’une insidieuse gangrène ; il n’aurait sut dire quoi, ni comment, mais ses trippes  et son instinct lui dictait vigilance. Une multitude d’évènements, plus ou moins insignifiants, s’amoncelaient pour devenir un terril instable qui, mal coffret, deviendrait une véritable menace pour l’ensemble du peuple élu.

Ainsi, c’est avec gratitude, que le Racleur accueillit enfin la venue des nains de feu. Ils encaissèrent tous la surprise: il ne restait de nanesque, que l’apparence. Cette vision magmatique avait de quoi dérouté les moins aguerris, mais Sognir n’avait une nouvelle fois, plus le temps pour l’étonnement.

« Salut à toi Nulrir, si tu es bien ce nain, nous partageons point commun et avons foulé le même sol par le passé. Je suis Sognir du clan Vieille-Veine de l’Almion, Gardien de l’Est de la Cité d’Almis. On m’a raconté beaucoup de choses sur cet endroit, mais je suis bien trop vieux pour croire les rumeurs, il me fallait voir. Tu connais donc là, mes intentions, qu’elle soit teintée par la folie ou non. Je viens avec des questions, qui nécessitent des réponses. »

Il s’était avancé seul, suant à grosses gouttes sous l’impulsion de l’air sec et de l’aura du nain. En toisant de son unique œil le lointain, il distinguait le ballet mirifique des Holwerms, une vision apocalyptique qui le retranchait néanmoins  dans un pan ancien de sa conscience et de celle commune à tous les nains.

« Ta rencontre avec le Grand-Roi,  à soulever questionnement et peur parmi le peuple. On y parle de lever les boucliers et préparer les haches, la menace bien que lointaine, semble sérieuse. Mais, je me présente devant toi sans partager cet état d’esprit. Toi et les tiens survivaient la ou la vie est impossible, toi et les tiens, vénèrent un être qui dépassent nos plus anciennes croyances et en cela je m’interroge, quel voix le Zhaaruzbad t-a-t-il ouvert ? »
Sognir avait longuement maturé ses premiers mots et le sous entendu était plus que palpable : les dieux avaient abandonné les nains depuis la Malenuit, le Béhémot était-il celui vers lequel ils devaient maintenant se tourner ? Le nain de feu laisse alors échapper un rire gras, graillant, grésillant.

Ils viennent tous avec des questions et en cela, je les comprends. Vois par toi-même, le chemin qu'Il offre.
Le bougre se désigna alors lui et toute sa cohorte fantasque aux mains littéralement armée.  Le spectacle, impressionnant laisse un instant Sognir sans mots, ce qui était chose plutôt rare.  Par sa simple existence, Il contredit déjà les haut-fait du Père. Le Feu Primordial n'a pas été anéanti. Alors parle sans détour et nous verrons si tes questions auront droit à des réponses.

Appréciant l’honnêteté du nain, il décida de faire de même, les choses seraient en suite plus clair, du moins l’espérait-il.

«Notre Royaume, s’affaiblit. Malgré les phares et les coquetteries, le peuple nain s’entredéchire sinueusement entre lui, tiraillé dans tellement de direction qu’il vient à en oublier l’essentiel. Les évènements qui se sont déroulés ici même le prouve. Je cherche à  préserver les miens et pour préserver mon peuple, il faudra peut être le garder de lui-même. Quels sont les intentions du Feu Primordial sur le Zagazorn ? Harald ne fût pas très loquace à se sujet. Vous contenterez vous des terres qui sont celle-ci ? Ne croit pas que je cherche un quelconque faux fuyant ou travers, ma réflexion est simple : Si le sort du Grand Royaume vous atteint, alors vous me compterez dans vos rangs. »

Nombreux sont ceux qui estiment savoir mieux pour autrui, c'est là le nœud des conflits. Pourquoi en serait-il autrement pour ton cas ? Quant aux passions et désirs crépitant sous les montagnes, ils n'appartiennent qu'à Lui. Et à ceux avec qui Il juge digne de les partager. Nous sommes désormais sous son égide, nous ne voulions pas de l'ingérence du Grand-Roi, nous ne voulons pas plus de la tienne ni de celle d'un autre. Alors dis-moi ce que tu es venu faire ici, si loin de chez toi.

Le regard du nain de braise se fait plus intense et Sognir comprit d'instinct derrière la cendre et le feu, qu'il avait retenu son attention.

« Ne te méprend pas Nulrir des Main-Brisée, je ne cherche à  interférer avec aucune volontés présente en ces lieux, je n'en ai tout simplement pas la force. Je suis vieux,  mes Ancêtres se languissent de ma compagnie, mais je ne peux me résoudre à les  rejoindre sans avoir essayé de lutter pour maintenir l'unité de mon peuple.  A dire vrai, je ne sais pas pourquoi mes pas mon conduit ici, peut être était ce la, la volonté du Feu Primordiale lui même, qui sait ? Quand la nouvelle de votre existence vint à mes esgourdes, ma braise fut secoué, assez pour que ma vieille carcasse finisse en cet endroit, loin de mon foyer et de ma cité, il doit bien avoir une raison à cela. Je l'ignore donc et pensais la trouver ici même. Si le Zhaaruzbad vous a sauvé,  alors peut être est il celui d'on le Zagazorn à besoin aujourd'hui.»

Si cela avait été sa volonté, tu l'aurais su. Crois-moi.Le Main-Brisé avait répondu rapidement avant de marquer une pause. Même dénué d'expression, il semblait méditer derrière son visage sombre. Suivre le Zhaaruzbad c'est plonger au sein du Feu Éternel. C'est devenir ce que nous sommes. Crois-tu sincèrement que là est le salut du grand Royaume ?

Un instant, Sognir semble perdu dans le déluge de flamme et de braise qui s'étend au loin ; bien sûr il avait théorisé ce type de réponse, mais aucunes ne lui étaient parvenus dans sa maraude jusqu'au Terre de Feu. Il ne pouvait donc jouer que la carte de la franchise une nouvelle fois, sous peine d'être prit pour un louvoyeur, chose qu'il abhorrait.

« Une nouvelle fois, il m'est impossible de le dire. Peut être que oui, peut être que non. Mais proposer une alternative d'unité au peuple nain, me semble, judicieux. Nombreux seront ceux à penser que le sacrifice n'en vaut pas le rubis, mais, nous pouvons peut être les convaincre...Je parle en réalité sans savoir, mais il m'est clair que ta présence et celle des tiens, relève d'une puissance qui me dépasse et nous dépasse sûrement tous. Je ne peux donc me ranger que derrière ton avis Nulrir. Si ton Maître juges bon d'acquérir de nouveaux adeptes parmi les miens, j'embraserais alors Sa cause, et Almis sera son premier point de chute dans le Grand Royaume nain.»

Sognir avait lâché cette dernière phrase avec gravité, pleinement conscient du risque et des sous entendues.

Et ceux que tu ne pourras convaincre ? Que se passera-t-il pour eux ? Certains embrasseront le Flamme Éternelle, quand les autres s'y refuseront, je n'y vois point d'unité. Seulement une partition. Alors que veux-tu faire d'Almis exactement ?

« Un Bastion. Un Symbole .»  répondit le Racleur du tac au tac. « De tout temps, elle fût le fanal de la gloire du Père jusqu'à qu'elle sombre dans le néant. Aujourd'hui on la craint, on la redoute, on la dénigre même, trop peu nombreux sont les Almiens de souche à être encore en vie pour simplement défendre sa prestance en dehors de toutes idéologies.  Si le Feu Éternel rougeoit en Zagazorn et prouve son attrait, alors peut être en convainquerons nous d'avantages que tu ne le crois,  Almis serait alors la première pierre d'un édifice qui perdurera bien après que ma braise ou...ma lave ne se soient éteinte.»

Cette fois si le masque de lave de Nulrir c'était fendu d'une expression de surprise faisant
rougeoyer les veines sous son cuir rocheux. Sognir n'en tira aucune gloire, conscient de ses paroles.

Tu... Souhaites qu'Almis revienne au fils et filles de la Flamme ?

Le Narundi laisse alors un long temps de réfléxion s'écouler, il toise les nains qui l'on suivit jusqu'ici pour obtenir leurs validations. Bien qu'il n'en est pas besoin, il avait longuement discuté avec ses fidèles sur ses réflexions et pensées : le moment n'était plus à la reculade.

« Aye. J'en suis le Gardien et connais ses sentes et ses tunnels, il sera possible pour nous de pénétrer dans la cité, sans faire du mal, une fois à l'intérieur, alors, viendra le temps du débat et des choix pour ses habitants. J'ai conscience que pour atteindre l'unité que je souhaites, s'ouvre avant un temps de désordre et de chaos, mais tout changement amène avec lui ce lot de désagrément. La période que les nains traversent actuellement, n'est pas bien différente selon mon unique point de vue.»

De désordre et de chaos ? Tu parles de convaincre et d'unir, mais tu estimes devoir protéger le peuple de lui-même et ainsi lui imposer une vision, qu'il la partage ou non. Nous savons comment ces choses-là se terminent. Tu parles d'unité, mais tu veux que nous fassions notre la Perle du Nord. C'est la guerre et la mort des nôtres comme des tiens que tu me proposes. Pas la stabilité, ni l'union. Aux yeux du Grand Royaume, cela ne sera que traîtrise et agression. D'un tel acte, nos montagnes en souffriront des années durant...

« Je souhaites lui offrir un choix, un choix qui me semble juste avant que cela ne dégénère. Bientôt, quand la peur aura épris les cœurs, alors la guerre éclatera, ce n'est qu'une question de temps. Aujourd'hui le Grand Roi parle de défense, mais jusqu'à quand ? Si nous dévoilons la réalité au yeux du peuple, les ont-dit sur la menace que vous ne représentez en réalité pas, s'estomperont. Nous nains, avons toujours été réticent face à l'étranger, mais, toi et tout les suivants du Zhaarzubad, n'ont d'étrange que l'apparence, vous faites parties du même peuple. Avant que les haches ne soient tirés contre vos poings marteaux, avant que des vies soient inutilement brisés pour une cause fantoche, voila ce que j'espère. Un choix. Mon sentiment est juste, mon offre tout autant, mon engagement autant, mais je ne me vantes pas de déternir l'omniscience des chemins qui arrivent. Si tu juges cela contraire aux enseignements du Feu Éternel, alors j'accepterais ce choix Nulrir des Main-Brisée. »

Ce que nous sommes devenus est un choix, un vœux fait sans l'ombre d'un doute. Ceux qui n'ont pu y parvenir ne sont plus, ils furent rongés et détruits par le Feu Éternel. Le choix nous importe grandement à nous autres. Alors, nous nous refusons à prendre d'abord pour proposer ensuite. Nous nous refusons à agir dans l'ombre. Nous ne voulons pas faire couler de sang, trop des nôtres ont été perdus lors de la Malenuit. Si tu souhaites unir et sauver, ne soit ni retors ni traître. Oublie tes tunnels ou que sais-je... Incarne ce choix, devient le symbole de ce que tu souhaites et soumets-toi au Feu Éternel. Si ta conviction est faussée par tes ambitions, tu seras détruit. Si elle est sincère et juste, ta peau deviendra cendre et ton regard braise.

« Aye, ainsi, je me soumettrais au jugement du Zhaarzubad. Que mes cendres reposent en ces lieux si jamais ma parole est fausse. »

En disant cela, il ne pouvait s'empêcher de penser aux dépouilles de Bräahm et Ararun qui reposaient à jamais en ces lieux. S'il ne savait dans quoi il s'engageait exactement, au moins avait-il la satisfaction de se savoir en bonne compagnie pour l'éternité si les choses tournaient mal.