Une journée chargée ! | Catarina & Séraphine

4ème jour de la 2ème ennéade de Bàrkios.
Second mois de l’Automne | Année XXI | XI Cycle.
Soltariel-la-Ville | Palais de Soltariel.

Séraphine de Rovière, Vicomtesse d’Aphael, était arrivée depuis la veille au palais de Soltariel pour discuter d’avantages sur les taxes existantes entre les deux cités portuaires. La jeune femme s’était montrée… Exécutive, précise, presque effrayante de par son habileté à prendre le dessus sur certains aspects de la conversation, et sa propension à avoir anticiper une bonne partie des contre-questions que le Duc aurait pu poser, ou avoir. Impressionnant, d’une certaine manière… Et plutôt bien venu, car Adriano n’avait point besoin de devoir se battre en plus contre un ennemi intérieur alors qu’il avait déjà bien des choses à faire au niveau d’ennemis extérieurs…

Néanmoins, la volonté d’Adriano avait toujours été d’améliorer le Duché d’abord, et de penser aux autres territoires ensuite. Le Sud devait être plus fort, plus riche, plus développé et plus sécurisé aussi, que le Nord et le Médian réuni. S’il fallait exonérer les compagnies commerciales Suderonne de toute taxes pour que ces diminutions soient répercutées sur les prix d’achats et de transports par ces mêmes sociétés, de sorte à ce que les prix rendus attractifs et compétitive multiplient les flux commerciaux Suderons, au détriment des flux commerciaux étrangers, la diminution des taxes sera rapidement compensée – sinon oubliée – par les autres impôts sur les revenus, les marchandises et les denrées venues en échoppes. Aussi, cela obligerait les compagnies étrangères à augmenter de manière significative leurs importations et exportations pour pouvoir rester compétitives avec les compagnies Suderonnes… Et là encore, plus de rentrées d’or pour les caisses Ducales.

Cet avenir économique se dessinerait bien rapidement, à n’en point douter. Mais, pour l’heure, Adriano avait invité sa fille Catarina et la Vicomtesse Séraphine à un repas des plus simples, ce midi. Car ensuite, une inauguration aurait lieu. Et quel moment autrement plus agréable qu’une inauguration pour s’afficher aux côtés de son suzerain ?

Il était un peu avant l'heure du repas, moment ou Séraphine se montra en compagnie de sa garde. Ils ne pourraient manger à la même tablée qu'elle en ce midi, et c'est pour cette raison précise qu'elle s'était privée de déjeuner afin de les laisser se rassasier autant que nécessaire.

Naturellement, cela n'était pas officiellement connu mais cependant, l'information que la Vicomtesse D'Aphel avait demandé au petit matin, plus de nourriture que nécessaire pour une personne dont les rondeurs n'étaient nullement affirmées était connue de tout le palais Ducal. Mangeait-elle beaucoup au réveil ? C'était la question sur toutes les lèvres.

La Vicomtesse fît son entrée comme de coutume mais cette fois-ci, elle n'avait guère son éventail sur elle ; c'était un de ses garde qui le tenait. On n'apportait pas ce genre d'accessoire à une tablée de cette importance et elle allait devoir se tenir un peu, ce qui était fort contrariant ; malgré tout, elle était assez satisfaite de la tranquillité qu'elle avait gagné vis à vis du Duché, du Comté, ses promesses tenues au Vicomté, mais également d'une manière générale par ce succès commercial à venir.

Tout coulait comme de l'eau clair, tout était huilé et parfaitement calculé, bien qu'il existait elle le savait, toujours un petit grain de sable quelque part qui menaçait de tout foutre en l'air. Un malheur à sa hauteur était plus malheureux qu'un malheur de gueux. De qui ce malheur viendra t-il ? De ces pirates ? De brigands ? D'un rival inattendu ? Non. Elle ne laisserait pas quelques pouilleux voler son instant de joie et de tranquillité.

- Votre Altesse, déclara t-elle en exécutant une salutation gracieuse et formelle.

Elle n'eut ni besoin de tirer sa chaise lors de l'assise, car si un valet ne l'assistait pas à s'asseoir dignement (selon les protocoles locaux), sa garde le ferait dans tous les cas.

- Je trouve cette idée de repas fort bienheureuse ; une touche positive et quelques festoiements ne font jamais de mal afin de regarder l'avenir d'un œil serein.

Désormais assise, elle balaye la pièce du regard, elle eut vent qu'elle n'allait pas être la seule à manger sur une tablée privée avant l'inauguration prévue.

La jeune fille se sentait très préoccupée. Depuis une ennéade, elle s'était attelée à la mission que lui avait donné son père et dont elle avait eu l'idée elle-même. Elle avait passé plusieurs jours à coucher toutes ses idées sur le vélin, et avait vu l'arrivée de sa chère amie Séraphine de Rovère comme une parenthèse bienvenue.

Dame Catarina di Alcacio avait donc accueilli leur invitée chaleureusement la veille, la conduisant dans un appartement confortable afin de la laisser se rafraichir avant l'entrevue prévue avec son noble père ; et elle se réjouissait de la revoir à midi. Ainsi, habillée d'une robe vaporeuse de soie verte et de baptiste qui laissait ses épaules nues, ses cheveux ceints d'une simple tiare d'argent sans autre ornement précieux, accompagnée de ses deux dames de compagnie, elle fut introduite dans la large pièce, où un majordome poussa sa chaise alors qu'elle s'installait.

L'adolescente salua d'abord son père chaleureusement, en inclinant respectueusement sa tête devant lui ; puis elle offrit un sourire gai et doux à son amie, tandis qu'elle humait les senteurs des vins et des autres boissons mises à disposition par les serviteurs.

- "Bonjour, votre Altesse Ducale... Bonjour, ma chère Séraphine. Vous n'imaginez pas à quel point j'avais hâte de ce repas... Avez-vous bien dormi ? Mon père a prévu quelque chose de très intéressant aujourd'hui.. Nous allons avoir l'occasion d'inaugurer deux nouvelles caraques qu'il avait commandé il y a quelques mois."

Elle garda le silence tandis que les domestiques leur lavaient les mains avec de l'eau parfumée, puis disposaient les entrées - brouet vert d'oeufs et de fromage, potage jaunet au saumon, et crème de carotte - dans de grands plats d'or.

- "J'espère que votre entrevue a été fructueuse ? Je suis bien aise de savoir que nous serons bientôt plus proches, en tout cas, commercialement. Je suis certaine, d'ailleurs, que nous trouverons bientôt d'autres terrains d'entente... après tout, nous ne sommes pas très loin géographiquement. Mais je souhaite vous revoir souvent, ma chère. D'ailleurs, avez-vous des projets en cours pour vos terres ?"

Après la terrible trahison du comte d'Ydril, après la trahison d'Adélina, la jeune fille se trouvait ébranlée dans ses convictions, dans sa propre conception du monde. Mais pouvait-elle envisager que son amie d'enfance se montre déloyale, félonne au pouvoir ducal ?  
En tout cas, elle lui offrit un regard dépourvu de la moindre animosité, tandis que ses yeux clairs brillaient d'une joie naïve. Et alors qu'on les servait, elle se détendit, échangeant un regard aimable à son père tant révéré.

L’arrivée de Séraphine fut plutôt rapide, quoi qu’accompagnée de rumeurs et de petits mots. D’aucun disait d’elle qu’elle mangeait pour deux, ou du moins, que ce fut le cas ce matin. Est-ce que ses… Gardes étaient en réalité plus que de simples soldats destinés à la protéger ? Allez-savoir… Adriano, en tous les cas, n’en avait rien à faire véritablement. Il ordonna néanmoins qu’on la suive et qu’on l’espionne… Car l’attitude de la jeune femme pouvait être… Inquiétante. Ou sujette aux interrogations.

« Votre honneur. » Lui répondit le Duc dans un sourire de circonstance. « Je suis fort aise de vous savoir satisfaite. Installez-vous, ma fille ne devrait pas tarder à nous rejoindre.

Et, en effet, Catarina fit rapidement son entrée. Et, comme à son habitude, la jeune femme fait feu de tout bois, et fait preuve d’une flamboyance qui confine à la sincérité d’un astre solaire qui sans cesse se lève pour réchauffer les Souffles avant de se coucher pour prendre un repos bien mérité. Immédiatement, elle honore l’invitée de l’instant par des paroles amicales. Elle s’enquiert alors de la discussion que Séraphine et Adriano ont eu la veille, et cela arrache un petit sourire au Duc, déjà plongé dans son verre d’apéritif. Il se laisse guider par les plats que l’on amène, et mange, sans rien dire. Il veut écouter ce que sa fille peut dire à une invitée de marque, et la voir ainsi faire preuve d’amitié autant que d’habileté politique. Aussi restait-il… Observateur.

L'entrée de la jeune Di Alcacio ne passa guère inaperçue, et même si il avait été évoqué que ce serait elle qui serait présente, il semblerait que Séraphine l'ait oublié pour quelque raison que ce soit. Ce qui se dégage de la Vicomtesse dès les premières secondes à la tablée est que son savoir vivre est irréprochable, mais aussi que contrairement à la veille - et cela seul le Duc ayant un point de comparaison pourra le soulever - est qu'elle est nettement plus joyeuse. Ses expressions sont plus douces d'apparence comme si on lui avait ôté un poids.

Il semblerait que les satisfactions liées à l'issue des négociations de la veille l'aient affectée en bien, relevant comme l'on le disait à Aphel son caractère un peu lunatique. Elle était après tout une jeune dirigeante, qu'elle prenne pour acquis une parole donnée n'est pas surprenant en soi ; elle n'est après tout guère beaucoup plus âgée que Catarina.

Séraphine rendit à Catarina son sourire, sans toutefois l'appuyer de la même chaleur. Il est difficile de deviner si elle ne souhaite pas briser le protocole lors d'une tablée publique ou si elle est tout simplement incapable de faire une démonstration plus personnelle.

- Bonjour ma chère Catarina, j'ai effectivement ouïe dire qu'un tel évènement est prévu, et si ce n'est pas le hasard qui a guidé mes pas jusqu'ici alors sans doute est-ce la providence, car ces navires vous tombent à point nommé.

Du vin, des oeufs, du saumon, des carottes, des denrées qu'elle connaissait bien car les légumes présents dans les plats poussaient également en sol relativement humide. Cependant, ce n'était pas le cas en toute saison car la température de pousse idéale des carottes était inférieur aux températures présentes plus au sud, quand la mousson ne rendait pas le sol trop argileux. Cela restait un met assez convoité en Aphel. Elle n'ouvrit pas le repas, laissant comme le protocole l'exigeait le Duc en annoncer le début.

Dès lors qu'Adriano commença à manger, Séraphine ne débuta cependant pas de suite le repas pour des raisons d'étiquettes. Elle n'était pas un animal qui se jetait sur les plats, il était de bon ton de patienter un peu et laisser le Duc se servir de ce qu'il souhaitait ; elle ne lorgnait pas non plus sur ces derniers et son regard ne quittait pas Catarina.

- Les quelques mots échangés seront effectivement gage d'un rapprochement et d'une amitié durable. Aphel a longtemps souffert de sa courte indépendance par le passé et est restée exigeante, malgré tout son allégeance est durable quand elle est accordée. Nos gens sont capricieux, mais loyaux.

La loyauté était toute relative au vu des temps troublés que tous traversaient, bien qu'il était de bon ton de noter qu'il fût rare qu'Aphel ne défie ouvertement le pouvoir. Ce ne fût le cas qu'une fois, quand une bâtarde avait prit le pouvoir, mais ils avaient bien fait en cela qu'ils ne s'étaient point laissé duper et d'aucun ne leur porterait préjudice d'avoir refusé une imposteur.

- Connaissez-vous ma chère le secret de la pérennité ? L'absence de projets pour le peuple. Les gens n'aiment guère qu'on leur dise quoi faire ou quoi penser. Si projet il y a, il se doit d'être un bienfait pour l'ensemble de la société sans la perturber, il se doit d'être ouvert et ne guère obliger quiconque.

C'était une mûre réflexion qui la faisait d'ailleurs douter de la manière dont elle allait s'y prendre concernant les maisons de courtisanes. La nuit avait porté conseil et peut-être allait-elle revoir sa copie dès son retour en Aphel sur la stratégie à adopter. Elle allait bien défier ouvertement la tenancière commerciale des maisons de prostitution, mais n'allait peut-être pas s'en prendre aux clients. Il allait falloir procéder autrement et s'en sortir par le haut.

Si Séraphine avait été effectivement suivie, elle ne s'en était point rendu compte mais n'était pas naïve au point de ne pas l'avoir envisagé, raison pour laquelle elle avait conversé bas et dans la confidence dans sa chambrée la veille. Il était connu qu'elle avait ordonné qu'on lui apporta un pigeon. Cela signait le fait qu'elle n'avait pas accordé sa confiance dans l'usage des messagers de Soltariel ou de ses moyens de communication, mais tout le monde en ferait sans doute ainsi. Elle était sortie afin de visiter les lieux desquels elle avait la permission de se rendre, sous escorte conjointe car son status de lui permettait point de se déplacer avec une armée, elle n'était pas "si" importante après tout. Outre ses manières très particulières, quelques changement d'expression à peine discernables car il fût su qu'elle les masquait - l'information n'était qu'un secret de polichinelle - rien n'avait été dégagé d'elle. Une bien étrange Vicomtesse lunatique et changeante, mais aussi s'était-elle présenté capricieuse.

Enfin, il était à dénoter que ses approches étaient matures, car entre la société commerciale qu'elle côtoyait sans être une magnat et son éducation stricte, elle avait été savamment préparée à affronter la grande Aphel. Les dirigeants issus de cette cité n'étaient définitivement pas fait du même bois. Cela trahirait sans doute aux yeux de l'esprit affûté qu'elle n'avait de naïve que l'apparence, mais était-elle mauvaise pour autant ? Rien ne l'indiquait.

- Si d'aventure vous souhaitez ma chère me visiter, sachez que nous organiserons un bal à cette occasion et que la ville est ouverte à accueillir la protection que votre père jugera utile.

Séraphine n'était pas stupide au point d'imaginer qu'un père ayant perdu sa moitié allait risquer sa fille en l'envoyant sans protection. L'empathie n'était pas son fort, mais elle imaginait très bien cela car son père malade et mourant touchait sa propre mère au point qu'elle était devenue plus sensible et exigeante sur la sécurité de l'Hoirie.

En parlant de sécurité, Séraphine s'en voulu intérieurement de ne pas avoir ordonné de gouteur afin de sécuriser les plats en cuisine. Son père l'avait mise en garde que les empoisonnements étaient monnaie courante en temps troublés, mais vu que tout le monde piochait dans le plat, elle pariait sans problème que la nourriture était saine.

- Si son Altesse l'envisage du moins, vous y serez également plus que bienvenu. Je peux ordonner un sauf-conduit spécial doublé d'un détachement en guise d'immunité diplomatique, et par sécurité.

Séraphine n'avait aucun intérêt à s'en prendre au Duché, ce serait suicidaire et contre son crédo. Malgré tout elle comprenait aussi que cela engageait des imprévus et ainsi, l'accord du Duc serait primordial. Il n'y avait aucun besoin de sauf-conduit car ils n'étaient pas les ennemis d'Aphel, mais ce papier serait une garantie auprès des gardes loin de l'Hoirie que quiconque les toucherait subirait un sort terrible, mais aussi qu'ils devaient être escortés par Aphel en tout temps et d'aucun de sensé n'aurait l'envie de contrarier Séraphine dans le Vicomté. Elle sourit en inclinant la tête face à Adriano après sa proposition.

Elle débuta enfin le repas, sans regarder ce qu'elle prenait. Elle ne prenait pas les meilleurs mets et ne triait pas sa nourriture, comme tout dirigeant ou noble avec du savoir vivre.

Après avoir été servi par les serviteurs par ordre de préséance, la jeune fille attendit patiemment que son père, le Duc commence à se sustenter, puis, d'un geste tranquille, commença à goûter le repas savamment préparé par l'excellent cuisinier du palais. Elle se sentait paisible et tranquille, car elle savait que les mets étaient toujours goûtés par un serviteur avant que les plats soient déposés sur la table ; mais également parce qu'elle continuait de donner à son père, chaque jour, les remèdes qui protégeaient le corps du poison - ou du moins, qui en diminuaient les effets.

A dire vrai, elle était un peu déçue de retrouver son amie d'enfance si distante ; mais après tout, elle était vicomtesse régnante d'Aphel, ce qui signifiait que ses responsabilités se trouvaient très importantes, et qu'elle devait se comporter en conséquence : mais sa réponse léniante, sous forme de "leçons de vie" contraria la jeune héritière.
Elles n'avaient que quatre ans de différence, et elle se comportait comme une préceptrice : tout cela pour éluder des détails que Séraphine n'avait clairement pas l'intention d'énoncer à son propre suzerain. Voilà qui semblait intriguant, et piquait la curiosité naturelle - et un peu politique - de Catarina di Alcacio, qui ne se départi pas de son sourire bienveillant. Il était facile de feindre l'intérêt et de hocher la tête avec docilité, bien que l'ébauche d'un soupir naissait instinctivement entre ses lèvres avant de mourir dans une bouchée bienvenue de nourriture.

Il fallait dire qu'elle n'avait que faire d'un bal, qu'elle trouvait futile de prime abord. Bien sûr, cela lui permettrait de mieux connaitre ses futurs vassaux et tout ceux qui entouraient la vicomtesse, ce qui serait intéressant malgré tout - mais la perspective de se retrouver au milieu d'une horde de serpents ne l'enchantait guère.
Clairement, la sécurité ne devait pas être un des points forts d'Aphel, et cela semblait en être à un niveau inquiétant. Le comté d'Ydril semblait connaitre le même problème, et elle songea brièvement qu'il faudrait évoquer le sujet au Conseil Restreint, pour tenter d'y apporter une solution.

Finalement, elle reprit la parole d'une voix enjouée et polie, tandis que des échansons remplissaient les verres d'un vin clair et liquoreux typiquement de Soltariel.

- "Je vous sais gré de nous faire partager vos expériences, Dame Séraphine. Vous avez des avis très arrêtés sur la question, bien que la mienne portait sur des sujets peut-être d'ordre général au sein de vos terres. Il est naturel de vouloir lutter contre la criminalité ou même de projeter quelques vues sur le développement de son commerce."

Cela se trouvait même naturel de désirer affirmer sa puissance et sa détermination face à d'autres seigneurs un peu trop agressifs, car elle n'était, après tout, qu'une jeune femme célibataire dans un monde d'hommes.
Elle avala une petite gorgée de vin, avant de s'essuyer la bouche délicatement, avec une serviette de lin blanc.

- "Mais le peuple a aussi besoin que l'on veille sur eux. Bien sûr, il y a les échevins et les sergents de ville, ainsi que tout l'attirail de protection et de justice que l'on pourrait penser, mais il y a toujours à faire pour l'améliorer. Nous nous mêlons déjà de leur vie à travers les impôts."

N'était-il pas juste de se préoccuper ainsi, en retour, de leur bien-être ? Cela pouvait prendre de nombreuses formes - y compris de celle de participer à un bal, afin de mieux connaitre les amis, mais aussi les ennemis du comté.

- "Je serai curieuse d'assister à vos festivités, ma chère, bien sûr, et de connaitre tout ceux qui vous entoure. Je suis très occupée, mais je serais ravie de cette opportunité. Cependant, j'ai peur de ne pas comprendre votre histoire de "sauf-conduit" ? Auriez-vous peur d'un quelconque attentat ? Dans ce cas, rassurez-vous, mon amie. Nos hommes sont sûrs et bien formés, et je sais que mon père sera partout en sécurité avec eux. Il est vrai, cependant, que sa sécurité est de la plus haute importance, aussi vous suis-je reconnaissance de vos précautions."

Son Altesse Ducale et elle-même, étant sa fille étaient sur leurs propres terres ducales en Aphel ; aussi la mention de délivrer un sauf-conduit à l'intention de leur famille était fort inquiétante. Mais Catarina, sans l'accuser directement, était curieuse de savoir comme son interlocutrice et amie allait réagir.

L’espace de quelques instants, Adriano était trop occupé à manger et profiter de ce qui se trouvait dans son assiette pour réellement faire attention à ce qu’il se passait autour de lui. Ses oreilles entendaient, mais son cerveau ne comprenait point forcément… Ce qui s’exprimait le plus, étaient ses papilles à cet instant présent et les mets exceptionnels que les chefs cuisiniers du palais surent mettre au point. Toutefois, l’ambiance se mit à changer, et, alors qu’il comprit que Catarina et Séraphine commençaient un désaccord au beau milieu de sa tablée, le Duc se rappela de tous les propos échangés.

« Votre Honneur, si je vous rejoins sur votre pensée, je ne partage point sa conclusion. Notre rôle propre est de prendre soin de notre peuple, et s’il est tout à fait normal de lui offrir les outils et les moyens de d’être heureux, nous devons lui imposer un cadre. Et, par définition, un cadre est restreignant. Sans quoi, tout cela ne serait… Qu’anarchie. Je crois que nous nous comprenons, tous les trois : nous souhaitons les mêmes choses pour nos peuples, seulement, nous les formulons et les réalisons différemment. »

Etait-ce une tentative de médiation ? Ou seulement, une parole sincère ? Adriano lui-même se posait la question. Sans doute un peu des deux : une pensée sincère et un moyen d’éviter la colère entre les deux femmes. Car cela pouvait presque se ressentir : quelque chose venait de se produire entre les deux femmes, et la tension ne pouvait faire qu’augmenter si le Duc n’y faisait point quelque chose. D’ailleurs, il s’enquit de répondre à la suite des discussions.

« Il est vrai que la formulation laisse à désirer concernant l’idée d’un… Sauf conduit. Si la sécurité vous incombe autant qu’à moi, m’autoriser à aller et venir sur ces terres qui sont miennes est légitime. Toutefois, je comprends votre idée : de la même manière qu’Ydril devait aussi être une zone sûre, d’horribles choses s’y déroulèrent, au premier lieu desquels, une tentative d’assassinat… Vous indiquez ainsi que vous êtes prête à tout pour ma sécurité, celle de ma fille, et donc, que vous, et votre terre, me sont fidèles. En cela, je vous remercie. » Dit-il, avant de reprendre, aidé d’une fourchette. « Appréciez-vous le plat votre Honneur ? Et vous, ma fille ? »

Alors que Séraphine mangeait tranquillement en écoutant la réponse de Catarina, son regard se durcit et ses paupières se froncèrent l'espace d'une fraction de seconde, sa bouche est légèrement entrouverte. Elle interrompit son geste de prendre quelque nourriture sur la tablée et s'essuya attentivement les mains tout en écoutant l'avis quelque peu tranché de son amie. Plutôt que de répondre petit à petit, elle laissa la jeune femme à la tablée exprimer son avis jusqu'au bout et ce, sans l'interrompre.

Elle réfléchissait intensément - ou se contenait - et cela lui demandait une certaine concentration, son regard est très sérieux en cet instant précis et c'est les premiers mots du Duc - voyant sûrement sa non réponse et ressentant le changement d'atmosphère - qui la tirèrent de sa léthargie afin de lui donner l'oxygène nécessaire de rebondir dans le cadre établi.

Séraphine acheva de s'essuyer, elle y mit un temps plus important qu'a l'accoutumée dans un perfectionnisme de fin de tablée, et, elle préféra faire une réponse aux deux afin de désenliser la situation. Pendant sa réponse, elle tournera tantôt la tête vers Adriano, tantôt vers Catarina afin de stipuler que cette réponse était pour les deux.

- Je vous rejoins partiellement Votre Altesse, elle pencha la tête en guise de politesse tout de même à l'attention de Catarina, même si elle répondait en s'adressant à l'autorité la plus haute dans la pièce, et le cadre établi relève du fait même de la gouvernance d'Aphel et de ma responsabilité, cependant, faire preuve de bonté avec les uns m'oblige parfois à devoir contrebalancer d'avec les autres. L'on est jamais une bonne dirigeante pour tous, c'est ce que m'a appris le temps que mon père passa au pouvoir.

Même si finalement, c'était le Duché qui était responsable de ce que faisait le Comté, et par extension le Vicomté au plus loin. Cependant, ils ne travaillaient pas du tout au même niveau, car comme dans toute organisation pyramidale, plus l'on était haut et plus l'on voyait le bonheur de ses gens dans sa globalité en étant loin d'eux. Faire un cadeau au bas peuple attisait parfois la colère de quelques nobles et l'inverse était tout aussi vrai. Il fallait danser prudemment entre les uns et les autres, entre les bourgeois le peuple et la noblesse afin d'éviter de finir raccourcit par quelque complot.

Cependant le Duc avait raison, il leur fallait un cadre établi afin de prospérer et c'était parfaitement ce qu'avait voulu exprimer Séraphine, comme sans doute l'avait-il compris en fond.

- Veuillez pardonner mon oubli à ce sujet la veille, mais pour faire honneur aux propos de Son Altesse ainsi qu'à ceux de ma chère amie ici présente, elle tourna le regard un bref instant vers Catarina, sachez que pour enrayer la vilainerie de quelques malheureux et les éviter d'alimenter les groupes de brigands grandissants, j'ai commencé les démarches afin de mettre en place des maisons de travail qui garantiront quelque modeste salaire, le gîte et le couvert contre un travail honnête. Si son Altesse bien-sûr m'y autorise, je ferai en sorte de vous faire parvenir les textes de loi promulgués ainsi qu'un descriptif détaillé.

C'était une sorte de réinsertion par le travail mais beaucoup plus rudimentaire, promettre à ceux n'étant pas capables de travailler, ne trouvant nulle issue ou ayant perdu leurs biens des suites de raids ou pour quelque raison que ce soit comme la maladie, de pouvoir à minima subvenir à leurs besoins sans devoir tomber dans le larcin. Le salaire serait inférieur, car ces personnes ne seraient sans doute pas initialement formées aux travaux effectués, mais au moins pouvaient-ils manger, s'en aller dépenser leur salaire frugal en soins, à la taverne ou faire un don aux temples et ainsi ne point être coupés de la vie sociale, extrêmement importante pour garder une vie équilibrée et saine.

Séraphine, comme si tout avait été huilé le temps de sa longue réflexion face à Catarina, rebondit immédiatement.

- En parlant de brigands d'ailleurs, j'ai dénoté qu'il existait une augmentation fort contrariante de leur activité aux frontières et aux lisières des différents bois d'Aphel. Ils s'en prennent majoritairement aux gens bien aises ou à la bourgeoisie. Elle prit une pause, Malheureusement je crains que certains des soldats se soient laissés corrompre ou intimider par quelque façon que ce soit, c'est aussi le rôle de ce document spécifique qui ne sera car je ne me le permettrait pas, un sauf-conduit, mais un équivalent fort bien tourné que je ferai éditer pour l'occasion pour Son Altesse et sa famille. Vous n'aurez nullement à le présenter si votre honneur venait à s'en trouver bafoué, mais je préfère ne rien laisser au bon vouloir des Dieux.

Voilà donc pourquoi elle avait usité le mot "Spécial" après "Sauf-Conduit". Présenter un sauf-conduit pour naviguer dans les terres d'Aphel serait une connerie sans nom dans le sens ou cela traduirait une division plus qu'un rapprochement. Cependant rien ne l'empêchait d'éditer un document tout à fait bien tourné valant sauf-conduit. Un document qui viendrait à rappeler que le Duc était en déplacement spécial ou et que chaque garde lisant le document se devrait d'assurer sa sécurité en priorité par rapport à sa mission première ou conjointement à cette dernière. Nul affront ne serait ainsi fait.

- Je ne vous l'apprend pas Votre Altesse, mais même si vous êtes heureusement bienvenue en vos terres quand cela vous sied, certains hommes sont de vils coquins qui n'hésitent guère à effectuer quelques basses besognes. Cela s'est trop souvent vu dans l'histoire récente des Duchés du Sud, et je serai fort attristée de ne point avoir fait ce qui était en mon pouvoir pour limiter cela a mon niveau. Ceux n'étant guère ralliés à votre cause le seront peut-être à la mienne, et ainsi pourrons-nous faire front commun contre ce qui se passe sur nos terres.

Même si Séraphine avait moins d'autorité sur le papier qu'un Comte ou qu'un Duc, elle était plus proche de ses propres gens que ces derniers, ce qui était somme toute logique. Dans l'histoire, il s'était vu que la garde d'un Vicomté avait refusé d'obéir aux injonctions d'un Duc selon la légitimité de l'ordre employé, cela s'appelait de la contestation, et de cette contestation naissait parfois sur un temps long, ce qu'on appelait une rébellion, et Aphel avait été coutumière de cet état de fait au point d'avoir jadis participé au renversement du duché, duché d'ailleurs duquel Adriano était présentement le Duc.

Finalement, Séraphine se tourne vers Catarina, l'air toujours aussi sérieuse.

- J'espère ainsi ma chère amie que j'ai réussi à vous convaincre du bien fondé de mes initiatives, et que vous me pardonnerez mes approximations, je ne suis point encore tout à fait rompue aux discussions à ce niveau et il m'arrive, contrairement à vous, que mes mots soient maladroits. L'imperfection n'est-elle pas le sel de nos vies ?

La jeune fille picora pensivement dans son assiette, tout en écoutant son père et son amie échanger des propos. Elle se sentait un peu mélancolique, car elle prenait conscience que son amitié avec la vicomtesse ne pourrait guère se dissocier de la politique, et qu'il lui faudrait prendre garde à sa future vassale - si tant était qu'elle devienne duchesse un jour, ce qu'elle ne souhaitait pas véritablement - ce qui la contrariait passablement.
Enfin, elle n'y pouvait rien, et Catarina esquissa un doux sourire aussi compréhensif qu'intéressé face à Séraphine, tandis que cette dernière s'ouvrait un peu plus sur l'état de son territoire et sur les projets qu'elle avait à cœur de mener.

L'idée que les malandrins sévissent eux aussi de manière fort active à Aphel l'inquiétait fortement, et, tout en mastiquant, elle fronça les sourcils dans une moue pensive. Bien loin de se vexer que l'on s'adresse principalement à son père, l'héritière ducale sembla considérablement se dérider alors que les explications, fort rassurantes au demeurant, se faisaient jour de la bouche même de leur invitée du jour.

- "C'est un délicieux repas, Père, je vous remercie. Il est d'autant meilleur que nous le partageons tous ensemble, et que les propos fort sages de notre chère Vicomtesse m'intéressent énormément."

Elle la regarda ensuite directement, désireuse de ne pas lui adresser la parole par l'entremise de son père - ce qui aurait une impolitesse impardonnable - la fixant de ses grands yeux couleur clairs avec innocence.

- "Je dois dire tout d'abord que je vous suis gré des précautions que vous prenez concernant notre sécurité, et que cela me va droit au cœur. Il est affligeant de penser que des hommes de bien se fourvoient et puissent se laisser corrompre, même si nous ne connaissons pas leurs devoirs, ou leurs difficultés. Je serai curieuse de mieux connaitre leurs motivations, même si je les connaitrais probablement jamais. Enfin, il est vrai que nous ne pouvons pas plaire à tout le monde, en tant que dirigeant, et que nous ne pouvons pas distribuer de l'argent à tort et à travers en permanence, mais je trouve que votre projet à la fois intrigant et fascinant dans ce sens... je n'avais jamais entendu parler de "maisons de travail". Voulez-vous m'en parler de manière plus exhaustive ? Quel est le genre d'emplois qui y sont fournis ? En tout cas, je lirai les descriptifs avec une grande curiosité. Je ne pense pas que ce projet puisse avoir son pareil où que ce soit dans le monde... Je pensais moi-même ouvrir des orphelinats ducaux, mais vous remettez ma réflexion en perspective."

Elle reprit une gorgée de vin. Une de ses dames de compagnie était en charge de goûter à tout ce qu'elle ingurgitait, mais officiait derrière un rideau conçu à cet effet, ce qui rendait son action plus discrète et moins gênante que si cela avait été fait en public.

- "En tout cas, je suis pleinement rassurée. Vous semblez à l'aise dans vos nouvelles fonctions... Je suppose que vous devez déjà avoir de nombreuses demandes en mariage ?"

Dans ses propos n'étaient reflété que de l'innocence. Elle-même devrait bientôt convoler - ce ne serait qu'une question d'années - et l'adolescente avait hâte de connaitre les vertiges de l'amour, mais aussi de la maternité. Il faudrait rapidement un héritier mâle au duché ; et si son père n'avait plus envie de trouver épouse, ce qui était compréhensible, il faudrait qu'elle mette au monde elle-même l'enfant mâle tant souhaité. Après tout, elle avait déjà seize ans, ce qui n'était pas trop jeune pour accomplir cette tâche à la fois glorieuse et indispensable.

En son for intérieur, Adriano avait de quoi être fier, et de quoi se venter. Le début du repas semblait prendre une direction des plus désagréables entre les trois protagonistes, et, plus précisément, entre la Princesse et la Vicomtesse. Une tension liée à une différence de points de vue, mais aussi, à une envie de l’héritière de prendre ses marques et sa place dans l’environnement politique du Duché. Depuis le début de ce repas, elle avait été la première à parler et celle à développer le plus ses points de vue et ses envies, ses avis et ses refus, face à une Vicomtesse autrement plus habituée à faire face aux affres du pouvoir, à user de ses charmes et à placer ses pions pour se préparer un terrain où elle serait maîtresse.

Adriano avait de quoi être fier de sa fille. Pour la première fois – ou l’une des premières fois – elle n’avait fait preuve, ni de naïveté, ni de manque de clairvoyance ; elle ne s’était ni aplatie, ni n’avait fait preuve d’enfantillages. Elle était restée digne et, là où son cœur se heurtait à un mur, et à une incompréhension, elle avait détruit ces moments de doutes pour mettre la Vicomtesse face à ses propos. Oh, il avait bien fallu l’intervention d’Adriano pour remettre le tout sur un rail plus constructif et bienveillant. Car après tout… Il n’était point temps pour le Duc de déclarer la guerre à un vassal pour félonie, ou autre motif qu’il aurait jugé bon d’invoquer. La Vicomtesse ne méritait point cela, point pour l’instant.

Le repas avançait alors, à mesure que les deux jeunes femmes discutaient entre elles. Amies d’enfance, force était de constater qu’elles avaient changé en devenant adultes et responsables… Mais qui n’aurait point changé, en réalité ? La vie nobiliaire vous façonne, vous transforme, vous change et fait de vous un être nouveau. S’il n’avait aucun doute qu’aucune des deux enfants n’était capable de mal et de trahison, en devenant adulte, puissantes, et à la tête de leurs empires respectifs… Cela avait bien dû changer.

D’entrée en repas, tous mangèrent avec appétit et dans la dignité des convenances nobiliaires. Lorsqu’arriva le dessert fait d’un laitage glacé saupoudré de fèves de chocolat et d’un coulis de fruits rouges, Adriano comprit qu’il serait bientôt temps de partir pour le chantier naval, et la fameuse inauguration. Mais il laisserait aux deux femmes l’occasion de discuter encore un peu.

Le repas se déroulait dans un calme retrouvé, et, au vu de la mise en retrait volontaire du Duc dans la conversation, Séraphine n'eut d'autres choix que de discuter directement avec Catarina. Elle avait tourné la tête à plusieurs reprises dans sa direction tout en parlant précédemment afin de l'inclure dans la conversation, mais pour l'instant elle ne rendait de comptes qu'au Duc ; cet entretiens était davantage politique que courtois et la venue de son amie n'était guère prévue au programme dans un premier temps, jongler entre une discussion sérieuse tout en montrant une détente certaine n'était pas dans les capacités de Séraphine, c'était indéniable et cela s'était bien vu ; elle ne pouvait être amie et politique à la fois quand il existait un enjeu ou une rivalité quelconque.

Face à la question innocente de Catarina concernant un potentiel mariage, Séraphine souffla en afficha un sourire plutôt sincère, ce qui était presque une grande première. La conversation s'était détendue et son humeur avait changé aussi vite qu'elle avait vacillé tantôt, bien qu'il soit difficile de savoir précisément à quoi elle pensait.

- J'ai bien des demandes mon amie, malheureusement je n'ai ni votre grâce ni votre beauté, vous êtes semblable à une poupée là ou je suis disgracieuse. J'ai bien peur que mes prétendants se marient à mon status plus qu'à moi-même et voilà bien longtemps que mes espoirs se sont envolés ; je n'ai encore guère trouvé de prétendant digne d'intérêt, mais il faudra cependant bien que je m'y attèle avant que mon honneur n'en pâtisse.

C'était là l'essence même du pouvoir, l'on ne se mariait pas par amour mais par intérêt, et dans Aphel pour l'instant Séraphine ne trouvait grâce à ses yeux. A vrai dire, elle n'avait pas envie que quelqu'un proche d'elle ne fourre son nez partout, fouille dans ses petits secrets ou son quotidiens ; ses sautes d'humeur étaient une chose terrible et sa réputation en pâtirait. Elle devait trouver quelqu'un d'idéal, quelqu'un de comme elle, quelqu'un portant les mêmes idéaux qu'elle, et ils étaient rares hors du dogme établi.

Elle rebondit sur les dires de son amie.

- Le bien et le mal diffèrent d'une personne à l'autre. Certains ne pensent pas à mal et souhaitent garnir leur bourse, leur gloire, ils pêchent par égo, par vanité ou par avarice, mais de petites fautes régulières amènent souvent à une catastrophe, c'est ainsi que le malin prend racine.

Séraphine était extrêmement bien placée pour le savoir, elle se reconnaissait presque dans ces paroles. Elle ne toucha pour l'instant guère son dessert, préférant parler ; il était sûr qu'elle ne mourrait pas de faim, il était de toute façon mal vu de manger à outrance.

- En Aphel les servants de l'Hoirie savent lire et écrire un minimum afin de pouvoir retrouver du travail en tout temps. Le commerce est florissant mais la plèbe n'est guère instruite. Ils savent compter pour sûr, mais d'aucun des petites gens ne sait écrire convenablement, cela les laisse la plupart du temps dans une situation ou ils ne peuvent que s'adonner aux travaux des cultures.

Elle prit une courte pause.

- Malheureusement le climat d'Aphel est spécifique et la cité est tournée vers l'extérieur, nos régions boisés et nos climats capricieux rendent la culture moins viable et tous n'ont pas vocation à être marins, sans doute intimidés par les récents raids de pirates au large ; ils ne souhaitent pas laisser femme et enfant sans le sou. Le pivot reste le commerce et l'échange commercial de biens ou encore l'artisanat, mais cela nécessite souvent un savoir théorique minimal que les petites gens n'ont pas, alors ils se sont mis à voler ou à faire quelques rapts ci et là contre rançon, d'autres ont rejoint quelques brigands.

Lentement, elle croisa ses mains contre elle-même en signe de détente.

- Ainsi ces camps de travail ont pour vocation d'offrir aux nécessiteux autant que si ils menaient une vie de vilains, ils serviront de main d’œuvre moins couteuse pour les travaux ne nécessitant pas l'implication de guildes de métiers ou d'artisans, comme des travaux de nettoyage, de déplacement de marchandise ou de services rendus à la communauté. Nos gens afficheront des annonces de demandes, et les travailleurs pourront y répondre ; on leur apprendra également les bases absolus de la lecture et des mathématiques, assez pour pouvoir prétendre à travailler au port ou dans les postes de petite administration. Ils seront nourris, logés et soignés en compensation de leur salaire moins élevé.

Un morceau de pain et un peu de soupe par nécessiteux ne coutait rien au vicomté, leur labeur allait parfois être difficile, ils s'adonneront à des tâches que nul autre ne voudrait réaliser, néanmoins ils gagneront assez pour pouvoir nourrir leur famille.

- En contrepartie nous punirons plus sévèrement les petits crimes incluant le vol, car j'ai bien du mal à tendre la main et que l'on me crache au visage en échange. Tout est déjà stipulé par écrit et ce maigre projet est déjà en cours de discussion.

Tout était dit en l'état, Séraphine hocha la tête une unique fois en direction du Duc pour signaler qu'elle parlait sous son contrôle et par respect pour lui, car elle se doutait qu'il n'avait pas loupé une miette.