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| Le Tome des Mille-et-une Infâmies | |
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Inglor Helyanwë
Elfe
Nombre de messages : 43 Âge : 532 Date d'inscription : 23/10/2021
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 594 ans. Taille : 2m02. Niveau Magique : Maître.
| Sujet: Le Tome des Mille-et-une Infâmies Ven 14 Juin 2024 - 9:05 | |
| Troisième ennéade de Verimios, An 21 du Onzième Cycle, Au Quartier Général de l'Ordre du Repos de Tyräl, Holimion.
« – S’il n’en tenait qu’à moi, je le détruirai immédiatement. Mais je me range à ton discernement et à la sagesse du Pergaën. Peut-être y trouverez-vous des ressources qui puisse nous aider… à l’avenir. »
Ces mots, pourtant si lointains, résonnaient dans les entrailles d'Inglor comme s'ils venaient d'être dits. C'est à cet instant que le chef des Berceurs avait reçu, des mains d'Árólindë, le grimoire de Porte-la-Peste, recueil de siècles entiers des expériences macabres qu'il avait mené sur tout ce qui était vivant et dissécable. Nombreux étaient les scientifiques, pétris de curiosité et de leur soif de connaissances, qui auraient ouvert le livre sans même prendre la peine de remercier celui qui le leur donnât. Inglor, lui, était plus mesurée, sinon trop. Lorsque ce tome lui fut confié, il n'avait songé qu'à le détruire, oblitérant ainsi définitivement tout l'héritage du nécromant d'Aduram. Mais, au fil des jours et des nuits, de nombreux doutes hantèrent son esprit. Les derniers mots adressés par le Lieutenant des Aigles à son égard, « trouver des ressources qui puisse nous aider. » Inglor s'était alors interrogé sur le savoir que ce livre pouvait contenir. Pouvait-il seulement endosser seul la responsabilité de la destruction d'un tel potentiel, même aussi immoralement obtenu ?
Il l'avait alors rangé dans un tiroir de son bureau, en attendant de trouver une réponse acceptable à ce tortueux dilemme.
Enfouir ce tome sous une pile de parchemins enfermée à double tour ne suffisait pourtant pas à éloigner les mauvais spectres. A peine s'installait-il sur ce bureau que son regard fixait le tiroir, qu'il ne pouvait s'empêcher d'ouvrir pour s'assurer que le grimoire était toujours soigneusement rangé. Il l'affrontait alors du regard pendant de longues secondes. Ces batailles se répétèrent pendant de longs mois, son esprit rejouant sans cesse les différentes étapes de l'expédition en Aduram, l'affront de la Dissonance, les innombrables vagues de cadavéreux, les infectes créatures, et le Nécromant lui-même, menant au sacrifice de celui qu'aucun Anedhel n'aurait imaginé comme allié, même à cet instant précis. Une bataille qui avait abîmé tant les corps que les esprits, peut-être pour l'éternité.
Une bataille dont il était temps d'écrire la conclusion définitive. Et cette conclusion ne se trouvait que dans ce tome qu'Inglor hésitait tant à ouvrir, ou à détruire. Seuls les Berceurs qui l'avaient accompagné en Aduram connaissaient son existence, et, tout comme Árólindë, ils s'en remettaient à son juste jugement quant au sort du grimoire. Il les avait vaillamment mené jusqu'au bout d'Anaëh, il était donc en droit de décider du sort de ce livre.
Assis sur son fauteuil en cette journée hivernale, Inglor était prêt à reprendre le combat. Son corps guéri et son esprit apaisé était désormais prêt à trancher. Il ouvrit le tiroir, et tira de sous cette pile de parchemins, qui s'était engraissé au fil des mois, comme s'il pensait que noyer ce livre sous le papier déciderait à sa place, le grimoire de Porte-la-Peste. Sans même le poser, le Berceur se mit à observer la couverture du livre, sa tranche, ainsi que sa taille ou encore son poids. Il était lourd et épais, comme de nombreux livres conservés ici, à Holimion, ou ailleurs. De nombreux feuillets annexes étaient entassés à la fin d'un livre dont la taille n'avait pas suffit à survivre à ces siècles d'expérimentations morbides.
Après l'avoir examiné sous tous les angles, Inglor devait décider qu'en faire. Il pouvait le détruire, et ainsi rayer de Miradelphia le nom de Porte-la-Peste. L'autre solution était de le donner au Pergaën, bien que cela lui procurerait la sensation de ne pas se montrer digne de cette mission qu'il avait pourtant accompli auprès de l'armée elfe. Il pouvait enfin choisir de le conserver secrètement, mais si cette solution aurait certainement plus de sens s'il connaissait le contenu de ce tome. Cette fois-ci, il ne s'enfuira pas.
Au bout d'ultimes secondes d'hésitation, Inglor posa son index sous la couverture, et la fit défiler pour mettre à nue la page de garde du grimoire. Cette page qui suivra bientôt ce mouvement...
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| | | Inglor Helyanwë
Elfe
Nombre de messages : 43 Âge : 532 Date d'inscription : 23/10/2021
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 594 ans. Taille : 2m02. Niveau Magique : Maître.
| Sujet: Re: Le Tome des Mille-et-une Infâmies Sam 22 Juin 2024 - 16:51 | |
| En dépit des âges et de son environnement, le grimoire était dans un état plus que convenable. Inglor savait que la conservation d'un livre était un défi, car le savoir ne devait pas se perdre, alors que rien de ce que créait Kÿria n'était impérissable. Le nécromant avait pris soin de son recueil comme s'il s'était agi de son propre enfant, ce qui, avec un certain recul, n'était sûrement pas loin d'une certaine vérité. L'écriture était soignée, même si l'encre avait, par endroit, été altérée. L'éclat des pages avaient été remplacées par le jaune, parfois orangeâtre, du temps. L'humidité avait alourdi les feuilles jusqu'à en coller plusieurs entre elles, mais il était possible de feuilleter ce tome sans craindre qu'il ne se délite sous les doigts du lecteur.
Inglor survolait une première fois les pages, lisant vaguement les textes, simplement pour appréhender ce qu'elles contenaient. Les écrits étaient régulièrement accompagnés de schémas, pouvant rappeler certaines monstruosités que les expéditionnaires avaient affrontés. Porte-la-Peste avait passé tous ces siècles à disséquer les créatures d'Aduram, et à en créer d'autres. Il avait œuvré pour que les rangs de son armée de cadavres soient grossis de monstruosités plus dangereuses encore. Plus le livre défilait, plus les expériences et les travaux étaient aboutis, et ainsi plus les monstres étaient terrifiants et puissants. Les derniers feuillets contenaient des expériences qui n'avaient pas pu aboutir à des résultats tangibles. Porte-la-Peste avait fait de la nécromancie son art. Un art travesti, macabre, que seuls les barbares pouvaient tolérer sans ciller.
La seconde lecture était plus appuyée. Inglor éplucha le contenu avec attention, cherchant un savoir que même la science elfique n'avait pu déceler à travers les Cycles. A travers sa recherche constante de créer un monstre toujours plus puissant, Porte-la-Peste avait analysé avec une très grande précision la moindre créature d'Aduram. Les dermes, les écailles, les fourrures et les plumes, les organes, les dents, les griffes ou les serres : chaque attribut était exploité de la meilleure manière possible. Le grimoire précise également que ce qui n'était pas utilisé par une première expérience avait pu l'être par la suite, et inversement.
L'une des premières créatures sur laquelle se focalisa Inglor n'était autre que le corbeau espion décharné dont Porte-la-Peste se servait comme éclaireur. Au final, cela n'avait rien de techniquement insurmontable. Nul doute même que le Nécromant en avait crée plusieurs afin de garder un œil sur l'ensemble de la forêt, car n'étaient pas ses ennemis seulement les Elfes, bien que ceux-ci étaient les plus résolus à l'idée de le détruire. Ce pourquoi il ne s'était pas contenté de former une armée de cadavres. En effet, Porte-la-Peste n'était pas homme à se contenter du minimum, et son grimoire en était la plus terrible des preuves. Chacune de ses études et chacune de ses expériences trahissaient sa volonté de se constituer roi dans une forêt que personne n'a jamais pu dompter. Si, à l'origine, il avait tenté de constituer des assemblages des diverses créatures des bois pour créer un monstre surpuissant, il s'est rapidement tourné vers des solutions alternatives. Inglor ne saurait dire ce qu'il était advenu de ces premiers. Même au plus près du Nécromant, aucune de ces créatures souvent colossales n'étaient présentes pour le protéger. Le Berceur ne pouvait totalement écarter l'hypothèse qu'elles aient été vaincues par quelqu'un d'autre avant eux, mais cela paraissait fort peu probable. Pourtant, le tome ne mentionnait aucun échec dans le processus, pas même dans cet affreux démon de chair suturé avec les écailles d'un Dragon de Perrelin, doté de défenses de Myynark et des griffes ainsi que des crocs d'un Kerkand. Un monstre que même les armes standards ne parviendraient pas à vaincre aisément. Peut-être ne s'agissait-il ici que d'un projet qu'il n'a jamais pu mettre en œuvre.
A la manière d'un intendant voulant que chacun de ses soldats soient équipés d'une armure et d'une lame, Porte-la-Peste suivit une méthode similaire, quoi que parfois tordue, pour espérer en faire de même pour son armée mort-vivante. Cependant, le fer et le cuir étaient remplacées par ce qu'il pouvait obtenir de la forêt : du bois, les écailles des animaux en disposant, ou encore des os. Mais, cela nécessitait également une maîtrise et une réserve que le Nécromant devait bien admettre ne pas avoir, et c'est pour cela qu'il avait abandonné ce projet.
Cet échec n'avait pas ôté au nécromancien toute sa détermination ni sans ambition. En plus de compenser la qualité par la quantité, il se ré-attela à créer des monstres de chair assemblées, ce qui était plus à la portée d'un scientifique comme lui. Inglor put alors reconnaître certains animaux parcourant Anaëh comme Aduram, disséqués, travestis, décharnés, ou encore recomposés en de véritables infamies. Bien entendu, il y en avait d'autres qu'aucune chronique ne décrivait, faute de témoin pour raconter leurs péripéties. Parmi toutes ces créatures, Inglor reconnut sans peine l'arachnéen qui fût l'un des derniers obstacles séparant les expéditionnaires de Porte-la-Peste. Il se montra étonné, par ailleurs, que cette créature n'avait absolument rien de naturel, y compris son venin. Le tronc appartenait à une espèce, les pattes à une autre, le dard également, le venin étant une savante création dont les composants étaient tant végétaux qu'animaux. Selon les écrits du grimoire, ce poison était suffisamment puissant pour atteindre les organismes parmi les plus immunisés, sûrement faisait-il référence aux Eldéens.
Le Berceur retrouva sur d'autres pages la créature métamorphe, celle qui l'intriguait le plus. Le serpent, comme le Myynark, n'étaient en rien la forme originelle du monstre. Celle-ci n'était en réalité qu'un amas de matière hirsute et irrégulière, que même le grimoire ne nommait pas. Par ailleurs, le spécimen en question, que les elfes avaient donc vaincus, étaient le seul que le Nécromant était parvenu à mettre au point d'une manière aussi convaincante. Selon les écrits, la créature métamorphe avait pour objectif la possibilité de prendre la forme d'une infinité de créatures, y compris humanoïdes et même draconides. Bien évidemment, l'outrecuidant magicien ne put y parvenir.
Feuilletant le reste des pages contenant des expériences et des créations dont il ignorait l'existence, Inglor en vint à s'interroger sur le sort de tous ces travaux. De nombreuses expériences ainsi retranscrites avaient abouti à un résultat notable selon le grimoire, et pourtant, elles ne s'étaient pas dressées entre l'expédition et le nécromant. Avaient-elles seulement pu être vaincues par des aventuriers audacieux, quels qu'ils soient ? Cela paraissait invraisembable tant les Elfes avaient faillis y perdre la vie. Qu'auraient pu accomplir les humains face à un personnage si puissant ? Et les eldéens auraient-ils fomenté pareille opération ? Seuls Elda aurait pu réussir là où Anaëh avait désormais vaincu. Étant donné, néanmoins, qu'il leur aurait fallu être plus d'une centaine de soldats, cela ne serait pas passé inaperçu.
La mort du nécromancien avait certainement abattu toutes ses créations, pour peu que l'Afflux n'obstruait pas le fonctionnement normal de la magie dans la forêt d'Aduram. Cela ne la rendrait pas plus sûre pour autant, d'autant que les derniers feuillets du grimoire évoquait les évènements de l'Afflux, ainsi que ses conséquences. Cependant, Porte-la-Peste n'avait pas eu le temps de s'y atteler dans les moindres détails. La créature arachnéenne précédemment évoquée en était partiellement une, mais il s'agissait la de sa seule réussite. Les autres créatures issues de l'Afflux n'avaient pas toutes pu être disséquées, ni même chassées.
Après cette longue étude, Inglor referma le grimoire, le regard vide. Malgré la cruauté de ses méthodes et son absence d'éthique, Porte-la-Peste avait acquis un savoir incommensurable, dont beaucoup pourraient certainement bénéficier à Anaëh et à ses habitants. Mais la fin justifiait-elle les moyens ? Que devait donc faire Inglor de ces écrits ?
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| | | Inglor Helyanwë
Elfe
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| Sujet: Re: Le Tome des Mille-et-une Infâmies Jeu 11 Juil 2024 - 8:37 | |
| Alors que mille questions assaillirent son esprit, Inglor leva les yeux en repensant à l'une d'elle.
« La fin justifiait-elle les moyens. »
Il répéta cette phrase plusieurs fois, variant les intonations comme si cela réveillerait une mémoire enfouie au plus profond son Souffle. Pourquoi se questionnait-il sur le but de ces expériences, alors même qu'il avait été incapable de saisir le sens de tous ses maléfices, sinon qu'ils étaient tels ? Plus il s'interrogeait, plus il fut épris du doute : avait-il oublié une information importante sur le Nécromant ? Le doute devint rapidement certitude.
C'est alors que l'imperturbable condamnateur se mua en fervent inquisiteur.
C'est alors qu'à la volonté inébranlable de punir les impies s'adjoignit la nécessité de découvrir la vérité.
Non pas que cela pourrait alléger la sentence, Inglor désirait néanmoins connaître l'itinéraire dément poursuivi par l'accusé. Se levant d'un bond de son fauteuil, le chef des Berceurs accourut aux archives à la recherche de toutes les chroniques au sujet de Ceädon. Devant les immenses rayonnages du Haut-Temple de Tari, les souvenirs de son initiation l'éclairèrent. Jadis initié du Culte de Tari, Inglor dévorait tous les livres ainsi rangés. Histoire, arithmétique, arts martiaux, navigation, exploration, archéologie, et surtout : les mythes, contes et autres récits, parfois légendaires, remontant à des temps immémoriaux, mais également les plus récents. Tÿral, Caranthir, Tinuviel, Lyra'Suan, ou encore les Premiers Berceurs mais aussi... Porte-la-Peste. Retrouvant son chemin avec le sourire béat d'un enfant innocent, Inglor retrouva les quelques récits au sujet du Nécromant, puis s'en retourna à ses quartiers.
À peine feuilleta-t-il les premières pages de l'ouvrage qu'il se souvint de son contenu. Porte-la-Peste était présenté comme un homme infiniment tourmenté par le décès de son épouse. Si désespéré qu'il s'était alors missionné de trouver un remède à la mort elle-même. Gardant les archives ouvertes sur le côté, Inglor se replongea dans le grimoire du nécromancien, et notamment les premières pages. Au gré de cette troisième lecture, le Berceur ne put s'empêcher de discerner un certain lyrisme dans sa ferveur, sa quête poursuivant malgré tout une romantique tragédie à laquelle nul ne pouvait remédier. En réalité, il est même possible que Ceädon fut parfaitement lucide lorsqu'ils écrivaient les premières pages de son grimoire, et que les dernières soient le témoignage de sa lente déliquescence mentale.
Jusqu'aux ultimes lignes de son grimoire.
Jusqu'aux ultimes secondes de son existence.
Jusqu'aux confins de son insanité.
Jusqu'aux entrailles de sa macabre démence destructrice.
Son dernier mot avant de disparaître. Un nom. Nora.
Le souvenir du déchaînement de toute puissance de Porte-la-Peste à cet instant précis assaillit son esprit comme s'il y était encore. La démence de ce hurlement avait été précédé d'un scène durant laquelle le Nécromant se montra d'une douceur inattendue. Après des jours d'affrontements dans la Hurlante Aduram, Inglor avait enfoui en un coffre scellé de sa mémoire tout ce qui aurait pu lui faire ressentir de la pitié pour son ennemi. Il oublia alors consciemment que Porte-la-Peste était devenu fou comme beaucoup l'eurent été, le sont, et le seront s'ils subissaient le même sort. Il le savait pertinemment... il avait déjà rencontré de telles personnes.
Or donc, là où d'autres firent le choix de rejoindre l'être aimé dans la Mort, lui voulait que l'être aimé la rejoigne dans la Vie.
La fin justifiait-elle donc les moyens ?
Autrement dit, pouvait-on transgresser les enseignements les plus élémentaires de la société elfique, et offenser les principes les plus sacrés du panthéon ilethien, afin de poursuivre un but, que certains pourraient qualifier de louable, qu'est de tromper la mort, ou rendre la vie ?
Le commandement des Berceurs, raison même de leur existence, s'y refusait catégoriquement.
Certains ne manqueraient pas de relever le paradoxe, car les Berceurs renonçaient eux-mêmes à de nombreux préceptes pour faire réaliser leurs missions. Le premier à punir ceux qui se travestissaient pour des raisons qui leur appartenaient était lui-même travesti.
Un sourire contrit vint alors se dessiner sur les lèvres d'Inglor, au souvenir d'une des leçons les plus mémorables de toute sa vie. Alors qu'il n'était qu'un initié, il reçut une leçon d'un vétéran parmi les Berceurs, un personnage respecté aujourd'hui trépassé, doté d'une grande sagesse. Avec les autres élèves, ils le regardaient, ébahis, s'enivrant de ses leçons et s'en imprégnant, tout au moins pour Inglor, pour le reste de leur existence.
« Notre mission n'est pas facile. » disait-il alors, non sans amertume, presque avec tristesse. « Elle est grevée de sacrifices, et de renoncements. Nous devons faire preuve d'un dévouement infaillible, d'une volonté inébranlable. Certains de nos concitoyens vous craindront, d'autres vous réprouveront, car même si vous protégez l'Œuvre et les enseignements de nos Dieux, pour cela vous renoncez à des piliers de la société elfique. » narrait-il d'une voix fière alors même qu'il évoquait un aspect pourtant triste de sa fonction. « N'est-ce pas étonnant, alors, que ceux à qui revient la mission pourchasser les impies, et autres traîtres à nos préceptes les plus élémentaires, soit également ceux qui peuvent transgresser lesdites lois ? » avait demandé un élève, les sourcils froncés et la tête de biais. « C'est justement pour cette raison que nous sommes les mieux placés pour cette tâche. Nous savons, au plus profond de nous-mêmes, les dégâts que causent ce renoncement à nos chairs et à nos Souffles. Nous savons quels dangers apportent les menaces à l’Équilibre, et, parce que nous le savons, nous devons faire en sorte que cela n'arrive jamais. » L'enseignant souriait, mais cela n'était qu'un masque qu'il abandonna rapidement. « Au gré de vos quêtes, vous côtoierez la folie, la terreur, la rancœur, la colère et le désespoir. Vous observerez de vos yeux les ravages que cela peut infliger aux plus vaillants, aux plus sages ou encore aux plus brillants esprits de notre civilisation. Vous verrez alors ce que vous ne penseriez jamais voir de ceux que vous estimez être des vôtres, et vous devrez faire en sorte qu'aucun autre que vous puisse assister à ces horribles spectacles. Tel est notre fardeau. Tel est notre commandement. » L'instructeur avait regardé ses élèves un à un, la mine triste face à l'inquiétude, pour ne pas dire la peur, que sa leçon inspirait à ses initiés.
Inglor se souvenait de cette leçon comme s'il y assistait quotidiennement. Parfois même la récitait-il aux nouvelles recrues mot pour mot. Devant le grimoire de celui qui illustrait à la perfection ceux que les Berceurs avaient la charge de pourchasser, Inglor sentit son cœur s'alourdir. Leur longue quête, aux côtés du Mainyth Aegden et du Lassörn Arolinde, fut couronnée de succès, mais à quel prix, pour eux, comme pour les soldats et Berceurs avec qui ils avaient brandi leur lame. Au cœur de l'endroit le plus vicié du monde connu, ils avaient affronté un ennemi dont le désespoir l'avait conduit à réaliser d'effroyables vilénies. Revenus victorieux, étaient-ils saufs pour autant ?
La mâchoire contractée, le regard émeraude larmoyant du Berceur fut traversée d'une lueur, presque flamboyante, d'une puissante détermination. Il se leva, sa main attrapant fermement le grimoire de Porte-la-Peste, et quitta ses quartiers pour se rendre dans la cour du Haut-Temple de Tari. Là, flamboyaient de multiples braseros. Inglor observa les flammes crépiter de l'un d'entre eux, ses doigts agrippés au livre des horreurs. Ce n'est qu'après quelques secondes qu'il jeta l'ouvrage aux flammes qui le dévorèrent.
C'est alors que le fervent inquisiteur se mua en implacable bourreau.
C'est alors que la découverte de la vérité n'empêchait pas l'exécution du châtiment.
« Parce que rien ne peut justifier la vilénie. Parce que rien n'excuse l'infamie. Parce que rien ne peut vous absoudre de tant d'horreurs commises. Ceädon, votre sentence est rendue. Seule la Tourmente vous attend. »
Inglor recula de plusieurs pas, comme si Porte-la-Peste brûlait devant lui à travers son livre, son seul et unique héritage. Il observa le livre devenir cendres, et emporter avec lui les expériences d'un homme victime de son désespoir.
C'était là son serment : protéger Anaëh de ceux, à l'instar de Ceädon, qui reniaient les fondements d'Anaëh tout entière. Il n'en soutirait sans doute aucune gloire, mais c'était là son devoir.
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| Sujet: Re: Le Tome des Mille-et-une Infâmies | |
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