Les bidonvilles de Thaar survivaient. Ils ne vivaient pas. Ils survivaient. Difficile de faire mieux la faim et le froid au corps. D’apparence, ces quartiers n’étaient rien de plus que de bancals rassemblement d’indigents, à peine capable de leur propre subsistance. Pourtant, les grands opulents sous estimaient souvent de trop la force qui n’attendait qu’à exploser de ces gens de rien.
Des coups réguliers résonnaient dans la rue. Bruts et sec, c’était le son d’un homme qui de toute sa puissance abattait sa hache. Les quelques brasses de bois ne résistaient pas, et se fendaient, une à une. Malgré la fraicheur de la matinée, et le souffle glacé d’un léger vent, il transpirait à grosse goutes sous l’effort répété.
Des petits pas se firent entendre dans son dos alors qu’une femme s’approcha, un bol fumant dans les mains. L’homme en profita alors pour s’interrompre. Il passa son bras sur son front pour en ôter la sueur.
-Hé t’as vu ça ?
Dans le coin de son regard, il avait cru apercevoir un éclair blanc au-dessus des toits. La femme secoua la tête.
-J’ai dû rêver. Grommela alors le bucheron.
Il reprit sa hache, la leva pour l’abattre encore mais le bruit sourd qui résonna n’était pas de son fait. Quelques mètres plus loin, l’éclair qu’il avait entraperçu se révéla être un homme qui venait de se poser au sol.
Son visage était masqué et difficile à identifier de là où le couple se trouvait, mais l’armure blanche qu’il portait ne fit aucun doute pour eux.
-Les oiseau blancs…Je croyais qu’ils avaient étés pendus. Souffla une autre femme plus loin, spectatrice elle aussi de la scène.
L’homme l’entendit malgré le chuchotement et répondit après avoir abaissé le foulard qui cachait le bas de son visage et sa capuche en arrière.
-Non. Nous ne sommes pas morts malgré ce qu’on voudrait vous faire croire.
Sans doute le reconnu-t-on rapidement ici-bas, sans qu’on ne donne l’alerte à la garde, trop loin de toute façon. Trop imprévisible aussi. Qui savait si les soldats ne profiteraient pas pour faire pendre la moitié du quartier avec l'Oiseau...
On connaissait bien ces bandits dans ces quartiers. Là une petite fille était sans doute en vie grâce à l’intervention de leur médecin. Ici, peut-être une famille avait-elle pu passer l’hiver, autre chose que la terre au fond du ventre. Ici l’Aile blanche avait aidé, et avait été aidée parfois. Mais cela faisait un moment qu’on avait pas entendus de sifflements dans les parages. On les avait cru disparus ou bien morts sans doute. Comme un banc de sable balayé bien vite par le ressac.
Il embrassa du regard la petite foule qui se créa naturellement, par curiosité, probablement aussi par crainte parfois.
-Aucun des miens n’a été pendu par le guet pendant leurs spectacles macabres. Fit-il. C’est un mensonge. Un de plus parmi tout ceux qu’on vous expose en boucle. Je ne les connaissais pas. Asséna-t-il. Innocents en tout point, je l’ignore, mais innocents des crimes dont on les a accusés en tout cas c’est certains. Il leva un peu le menton.En revanche bien des véritables innocents ont étés tués par Thaar ça c’est un fait indéniable. Nous n’oublions pas.
Ces mots, il les avait gravés, peints, et même une fois lancé du haut d’une statue à l’effigie de Thaar elle-même. L’Aile Blanche n’oubliait pas les victimes de cette parodie de justice. Et bien des habitant en avaient été témoins et s'en rappelait encore.
-Et l’Irohivrah, vous l’avez tuée ? Osa un vieillard.
-Non. Il s’approcha un peu de lui et par réflexe l’homme recula un peu, soudain intimidé. Pourtant Viliam ne fit aucun geste menaçant vers lui, se contentant de lui répondre en face. L’Aile Blanche n’est pas responsable de ce meurtre.
-Mais le symbole… fit un autre
-De sang. Il eut un sourire amère. Ceux qui nous connaissent savent. Il reprit sa place et leva son bras ailé, immaculé. Ce genre de mise en scène est une parodie grotesque de ce que nous sommes. Nous ne sommes pas là pour faire couler du sang de cette façon. Si nous l’avions voulu nous l’aurions fait depuis longtemps. Nous l’aurions fait pour les esclaves torturés dans la plus grande impunité. Nous l’aurions fait lorsque certains de mes frères ont étés massacrés dans leur propre maison sans même une chance de se défendre. Il secoua la tête. Nous ne l’avons jamais fait. Notre but n’est pas la vengeance. Notre but c’est de nous battre pour notre dignité. La dignité du peuple de Thaar. La liberté de ses fils, de ses filles. De nos frères et de nos sœurs.
Et personne ne sembla plus vouloir interrompre le bandit.
Cette scène se répéta ailleurs. Dans d’autres quartiers, choisit avec soins parmi leurs alliés, ou bien là où le guet n’allait pas ou était par minutieux hasard détourné à ces instant-là. Mais ce fut parmi les esclaves que le feu pris le mieux.
Perché sur une fenêtre quand les maitres ne regardaient pas. Laissant çà et là une innocente plume blanche à la vue de ceux qui prêtaient attention. Le message passa, de murmure en murmure.
-Oui. Nous sommes des criminels aux yeux de la loi. Continua-t-il devant quelques-uns réunis loin de la surveillance de leur contremaitre. Mais quelle loi ? La même qui fait d'hommes et de femmes, d'enfants, des objets disposable à l'envie? Un bref rire amère. J’entends les rumeurs. Certains prétendent nous connaitre et parlent à notre place. Certains clament notre naïveté ou notre folie. Certains nous reprochent notre combat, nos méthodes. Trop douces, trop violentes…Trop ce que vous voudrez. Mais que font ceux qui prétendent cela ? Rien ou pire. Et Non. Nous ne nous proclamons pas être des héros non plus. Il tira sur son foulard qu’il garda dans son poing serré. Ses cheveux étaient relevés à cet instant là et l’œil expert de ceux qui n’avaient jamais connu que la servitude pouvait sans mal deviner une trace de fer rouge sous la plume d’encre dans son cou. La cruelle marque de la servitude, que la liberté avait arraché du bout des doigts. Il y eut en retour un bref brouahah dans la petite foule. Ne sommes rien d’autres que des enfants de Thaar. Et nous y avons subits les même injustices, les même lois inégales, les même mensonges que tous ici. Il releva aussi ses manches, malgré le froid mordant, révélant les innombrables cicatrices qui tailladaient ses avants bras et les brulures à leur dos. Bien trop de mes frères portent sur eux le témoignage de la cruauté et du goût pour le sang de ceux que rien d’autre que l’or ne désigne comme tout-puissant. Il eut un rictus. Maralina Irohivrah aussi se pensait intouchable il y a quelques ennéades encore.
-Il est temps de se rappeler qui sont les véritables coupables de son meurtre et de la violence qui s’en viendra tôt ou tard dans cette ville. On nous accuse, par peur et par opportunisme de provoquer tout ça. Mais le guet sait très bien de quoi il en retourne. Qui que ce soit qui ait tenu ce couteau cette nuit, les princes eux même ont scellé leur sort de leur propre chef par leur silence et leur indolence. Qui que ce soit qui ait tenu ce couteau, les princes sont ceux qui ont le sang du peuple. Notre sang, sur leurs mains.Dans la foule quelques hochement de tête plus ou moins discrets se firent remarquer. Quelques approbations sonores se levèrent aussi. La violence éclatera, elle à même déjà commencé, par les pendaisons et les arrestations à la volée. Elle continuera et je pleure déjà les fils et les filles qui tomberont. Mais nous ne courberons pas le dos à nouveau, laissant encore les chaines s'abattre sur nos poignets et la peur sur nos nuques.
Il leva le foulard blanc qu'il tenait toujours dans sa main.
Il est temps de se rappeler de notre propre force.