Solitude...? [Libre]

Nelen, enfin… Depuis le pont, Kay l’avait vue se dessiner au loin, mystérieuse telle une ombre diffuse projetée sur la Lune. En la voyant se rapprocher peu à peu et tout en essayant de faire taire la douleur qui avait pris de plein fouet son bras gauche, le voleur s’était un instant demandé si Diantra allait lui manquer, et s’il allait la revoir bientôt. Après tout, il était né dans cette ville et il y avait passé une grande partie de sa vie. Nelen, Nelen… Cette île ne représentait rien sinon un quartier général à ses yeux, du moins pour le moment. Il n’avait jamais joué à cache-cache à Nelen, il ne s’était jamais perdu dans la forêt de Nelen, il n’avait jamais fait son morveux à Nelen, il ne s’était jamais fait insulter à Nelen, il n’avait pas volé le moindre objet à Nelen… Cette terre n’était imprégnée d’aucun de ses souvenirs, elle était encore bien vide, bien fade pour Kay. Mais au fond, peut-être était-ce mieux ainsi… Peut-être fallait-il qu’il profite de ce nouvel environnement pour songer de manière plus posée à ses plans vengeurs. Sur cette terre qui ne raviverait aucun souvenir à sa mémoire, il se tracerait sans doute un chemin plus clair et précis. Un chemin qui mènerait à la délivrance de son esprit.

Lorsque le bateau arriva à bon port, Kay ne resta pas plus longtemps inactif et alla immédiatement aider au déchargement, ignorant sa peau qui lui brûlait sous son gant de cuir. Il était grand et fort, il allait donc mettre ses capacités physiques au profit de tous. Ainsi, le voleur se saisit des objets trop hauts ou trop lourds pour les autres, les apporta sur l’île et les plaça à aux endroits qu’on lui indiqua. Concentré sur sa tâche, il oublia vite la douleur qui l’avait submergé à bord du navire.

À quelques reprises, Kay-Lahn chercha sa petite tête rousse parmi la foule de Silencieux qui grouillaient sur la plage, mais il ne parvint jamais à l’apercevoir. Les deux raisons expliquant pourquoi il ne distinguait pas Axel au cœur des hommes et des femmes venant de débarquer? Numéro uno : la rouquine était tellement minuscule qu’elle serait même difficile à trouver au beau milieu d’une plaine à découvert. Numéro dos : Axel faisait tout pour l’éviter et ne voulait justement pas qu’il mette la main sur elle. Bon, ces deux options s’avéraient totalement hypothétiques et non-fondées, et le fait qu’il fasse sombre aurait sans doute mieux expliqué pourquoi Kay ne voyait pas Axel, mais bon… Mais s’il ne trouva pas Axel, le voleur vit Daneva, qui se faisait entraîner vers le campement. Elle resta une dizaine de secondes dans son champ de vision avant de disparaître dans une tente que l’on avait visiblement dressée pour les officiers. La jeune femme ne semblait vraiment pas bien, et Kay se demanda si la guérisseuse lui avait administré quelque soin pour la remettre en état… et si sa médicine allait fonctionner sur sa supérieure, qui devait diriger une grosse poignée d’hommes en attendant que ce dénommé Pahe daigne se montrer le bout du nez.

Quand il eût terminé de débarquer tout ce que la Compagnie avait jugé bon d’emmener sur Nelen, leur nouveau quartier général, Kay s’éloigna du brouhaha provoqué par les Silencieux, qui, tout excités ou anxieux qu’ils étaient de se trouver sur une terre inconnue, n’étaient plus vraiment silencieux. Le voleur avait cessé de chercher Axel des yeux, se disant qu’il tomberait bien sur elle un jour ou l’autre. Au fond, elle ne pouvait pas se passer de lui, il le savait. Elle faisait simplement semblant de le détester et de ne pas trouver ses plaisanteries marrantes. Dans son fort intérieur, elle s’esclaffait à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, c’était évident. Et non, si elle riait, ce n’était pas pour rire de lui, mais avec lui. Point barre.

Seul, Kay alla se promener sur le bord de la plage, loin de la cacophonie de ses compères. Il respira l’air de cette île encore inconnue qu’il pourrait sans doute bientôt appeler sa « nouvelle maison »… ou peut-être pas. Il avait passé tant de jours sans foyer, sans toit sur la tête, alors pouvait-il considérer ce simple QG comme une habitation? Non, sans doute pas. De toute façon, il était presque certain qu’il n’allait pas rester là ad vitam aeternam, alors voir cet endroit comme une maison ne servait à rien.
À présent assez éloignés de ses collègues, Kay n’entendait rien d’autre que le sable crisser sous ses bottes et le vent siffler dans ses oreilles. Non, faux ; il entendait également ses veines battre contre son bras gauche, qui, même si la douleur s’était atténuée, brûlait toujours.

-Je déteste quand ça arrive, surtout pour rien, grommela Kay à voix basse.

Le voleur balaya les alentours du regard. Personne en vue. En silence, il retira son gant de cuir, chose qu’il ne faisait pratiquement jamais, du moins lorsqu’il se savait entouré. Mais l’opportunité était trop belle : tout le monde était occupé ailleurs et il se retrouvait complètement seul.

-Allez, on va t’aérer, le monstre, dit-il en levant un peu son bras à la lueur de la lune.

Couvert de cicatrices et déformé par endroits, le membre gauche de Kay avait de quoi repousser de nombreuses personnes. Le cacher était plus une nécessité qu’un choix, car n’importe qui observerait ce bras brûlé avec une grimace de dégoût ou une pitié encore plus dégoûtante.

Le voleur baissa son bras, le laissant à l’air libre, puis s’assit sur le bord de l’eau et ferma les paupières avec soulagement, la brise apaisant grandement la douleur. Il resta assis ainsi longuement, les vagues se brisant sur ses bottes, les rayons de l’astre lunaire se reflétant sur sa chevelure blanche comme neige… lorsqu’il entendit derrière lui un bruit, une voix…

"... Quelle galère..."

Bien que le son provenait d'une jeune femme assez petite qui l'avait prononcé sur un ton monocorde et plutôt débité, il tonna fort dans le silence des environs... Ça paraissait presqu'incongru de dire que des environs pouvaient être silencieux, mais quand on savait qu'Axel marchait depuis plusieurs minutes dans des coins malfamés et occupés par des mendiants à l'air pas très commode... Bref, ça s'expliquait mieux. Il ne semblait avoir personne dans les environs, sinon quelques gens assis de ci de là, dormant n'importe où et n'importe comment sans se soucier qu'ils avaient la bouche grande ouverte et que n'importe quelle mouche pourrait venir se loger dans leur gueule ouverte si elle le voulait. Bref, cet endroit n'était pas très brillant d'éclat... Il faisait plutôt froid dans le dos et rendait gênant le fait que le village un peu plus loin était deux fois plus beau. D'ailleurs, depuis quelques minutes, la druide avait vraiment l'impression qu'on la suivait. C'était pas ça en tant que tel qui l'énervait, mais plutôt le fait que la personne qui la suivait ne semblait pas connaître la règle élémentaire d'un suivage effectif : NE PAS SE FAIRE REMARQUER. Son effet était totalement gâché parce qu'il traînait des pieds, prenait à penne la peine de se cacher dans les ombres quand Axel tournait la tête vers lui et reniflait bruyamment. Vraiment, Axel se demandait parfois où s'en allait le monde si on ne pouvait même plus se faire poursuivre dans des coins malfamés par des pickpockets expérimentés! La jeune rouquine avait la soudaine envie de se retourner et de donner une leçon ou deux à ce débile sur la discrétion, mais elle se retint de justesse. Heureusement d'ailleurs, qui sait ce que ce crétin lui aurait fait? Elle voulait simplement l'aider, mais il avait un si petit cerveau qu'il était difficile de deviner ce qu'il allait faire... Sans doute qu'il n'aurait même pas compris ce qu'elle aurait voulut lui expliquer. Sans se rendre vraiment compte qu'elle venait d'avoir des pensées assez rudes envers un homme qu'elle ne connaissait même pas, Axel continua doucement son chemin avec son air neutre naturel. Le pire, c'est que le découragement et la certaine irritation de la druidesse ne venait pas simplement du fait que le coin était rempli d'incapables. Axel pensait encore à Kay. Et ce fait en lui seul servait à la désespérer au plus haut point. Elle qui n'arrêtait pas d'essayer de se convaincre que ce géant albinos ne faisait que la mettre dans le pétrin et l'entraîner dans ses stupidités, avait grand mal à le sortir de ses pensées depuis quelques temps... Elle ne l'avait pas revut depuis la veille, quand elle était partit pour soigner Daneva. C'est vrai, bon, elle l'avait un peu évité après que ses soins furent donnés... Elle n'avait pas envie de le voir. Et pourquoi le devrait-elle? C'est pour cela qu'elle était en train de quitter le village, elle avait fait sa tâche.

En échange, elle avait ce qu'elle voulait, elle visitait un endroit de la carte qu'elle n'avait encore jamais vraiment prit le temps de visiter. Bien sûr, elle connaissait les elfes. Après avoir passé plusieurs années en leur compagnie pour partager leur savoir des plantes, il fallait bien... Mais les gens de cette contrée éloignée n'étaient définitivement pas des elfes. Alors pourquoi, alors qu'elle avait ce qu'elle voulait, pensait-elle à ce crétin de géant sans cervelle? Pourquoi revoyait-elle ses sourires amusés? Pourquoi pensait-elle à ses yeux pétillants de malice et à leurs échanges d'insultes? Ce pouvait-il qu'elle... S'ennuie de la compagnie de cette plaie vivante? Impossible, ce serait totalement illogique. Et Axel D'Anharan VIVAIT pour la logique. La logique était sa vie, son sanctuaire. Elle ne pouvait pas se mettre à avoir des pensées illogiques, se serait... Illogique. Raaaaaah tous ces illogiques dans une même phrase ne faisaient que la troubler encore plus! Axel s'arrêta de marcher un moment et fermit les yeux pour se calmer, faisant pour la énième fois ces exercices qu'elle connaissait si bien. Quand ses nerfs furent de nouveaux stables et ses émotions sous contrôle, elle soupira et chercha un endroit où elle pourrait s'appuyer et penser. Après tout, elle n'étais pas pressée et lorsqu'elle serait en dehors du village, elle aurait plus de mal à se trouver de la nourriture... Aussi bien en profiter. La jeune druide trouva un coin isolé et pas trop salit par la crasse que les ininérants laissaient sur leur passage et s'y rendit d'un pas neutre. En y arrivant, elle s'appuyant contre le mur pâle d'une petite maison et refermit les yeux avant de se perdre dans ses troubles. Ses pensées revinrent presqu'aussitôt vers la stature d'un géant qu'elle connaissait si bien et elle laissa son esprit les analyser. Cet homme... Elle l'avait rencontré par le passé et avait apprit à mieux le connaître. C'était l'une des rares personnes qui réussissaient à lui faire ressentir de fortes émotions. Il était donc logique qu'elle repense à lui maintenant qu'il n'était plus à ses côtés... Ce qui était illogique, c'était de penser soudainement à ce baiser... Ah ce baiser, comme elle le regrettait aujourd'hui. La druidesse se demandait toujours pour elle avait embrassé ce fichu humain à la con. À ce moment là, ça avait semblé la meilleure chose à faire... Sur le coup, prouver à ce débile qu'elle aussi pouvait le surprendre avait parut plus important que tout le reste, mais maintenant qu'elle était objective... Pourquoi ce mec arrivait-il à la troubler à ce point? Il lui suffisait d'un sourire narquois et d'une phrase bien placée et la voilà qui faisait des conneries sans y penser! Elle qui se croyait maîtresse de ses émotions et de ses réactions instinctives devait refouler sa fierté.

Kay avait le don de la troubler et de lui faire faire des gestes qu'elle ne ferait jamais d'habitude, c'était une certitude. Il arrivait à s'infiltrer dans les pensées de la druidesse sans lui demander son avis, lui faisait ainsi perdre tout contrôle sur ses sentiments illogiques. La seule chose qu'elle arrivait à comparer à cet instant était ce qui s'était produit avec Tristan... Mais cela venait à dire qu'Axel était amoureuse de Kay et cette seule pensée lui donnait la nausée. Il était complètement ridicule et impossible qu'elle soit amoureuse de ce géant sexiste et condescendant, trop imbu de sa personne et trop sûr de lui pour son propre bien! Elle aimerait mieux crever que de croire ce mensonge! Axel fut déconcentrée de ses réflexions en entendant le bruit de pas traînant de son poursuivant stupide. Elle poussa un soupir, puis sans ouvrir les yeux dit simplement d'un ton las, comme si elle parlait à un gamin :

"Je préfèrerais que vous gardiez vos distances, monsieur, si vous ne désirez pas faire la rencontre de mes deux dagues."

Il n'y eut plus de bruit pendant un instant, puis une voix un peu lente et badaude répondit à ses dires.

"Co... Comment est-ce que tu..."

Axel ouvrit les yeux et dévisagea l'individu sans vraiment faire attention. Elle n'aimait pas perdre son temps avec des gens comme cet homme, qui était tellement certains de ses habiletées qu'il n'arrivait même pas à accepter qu'en fait il n'avait aucun fichu talent. Son apparence donnait toutes les impressions d'un homme simple d'esprit et un peu maladroit, exactement le genre d'hommes qui ne devrait JAMAIS devenir un pickpocket.

"Monsieur, vous faisiez tellement de bruit en vous approchant que j'ai cru qu'une troupe d'éléphants allait tenter de me faire les poches. Je vous serais reconnaissante de chercher une autre cible, préférablement quelqu'un de sourd et d'aveugle endormit."

L'individu la fixa un moment en clignant stupidement des yeux, apparemment encore sous le choc d'avoir découvert qu'il n'était pas si intelligent que ça finalement. Il finit par s'en aller, son pas traînant continuant d'agacer Axel qui l'ignora résolument. Ces temps-ci, Axel avait de plus en plus de mal à contrôler ses émotions. Normalement, cet homme ne l'aurait nullement agacée et elle l'aurait même prit un peu en pitié... Mais dès qu'elle pensait à Kay, c'est comme si tous ses murs de logiques tombaient autour d'elle. Avant de le rencontrer, ce grand idiot, la vie d'Axel avait semblé si simple... Elle se croyait invincible, entourée d'un épais mur de glace impénétrable et imperturbable. Maintenant qu'elle ne connaissait, elle doutait des fondations même de sa croyance en la logique. La jeune fille se permit un rare sourire ironique et se pencha en retirant son gant de cuir rougeâtre. Elle posa la main à plat sur la terre et prit une poignée du sol, laissant la terre glisser entre ses doigts. La jeune fille pria la déesse de la sainte nature, Kiria, de lui porter conseil, de lui indiquer de la voie à suivre. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas prié la déesse... Elle qui avant trouvait qu'il était important de donner hommage à la déesse en laquelle on croyait... La druidesse se rendait compte qu'elle était devenue arrogante avec le temps, oubliant ce qui faisait d'elle une humaine. Oh elle avait toujours peur de s'attacher aux gens et désirait toujours se cacher derrière un épais mur de glace... Mais il lui venait soudain à l'esprit la réalisation que quelques sourires ou quelques larmes laissés de temps à autres ne seraient pas nocif. Et tout ça, elle le devait à ce grand géant débile. Axel sourit tristement avant de remettre délicatement la terre qu'elle venait de cueillir à sa place. Elle déposa son sac de voyage sur le sol et retira sa cape rougeâtre ainsi que son autre gant. Elle rangea le tout dans son sac, restant en armure de cuir simple et moulante et observant pendant quelques instants le ciel. Il était rare de voir la jeune femme en simple armure... Surtout que celle-ci était neuve et ne cachait pas grand chose de ses attributs. Mais Axel se fichait de cela pour le moment, elle réfléchissait à sa vie. Elle pensait à son passé et à son futur, à ce qu'elle allait faire et elle remettait en doute ses actions passées. C'était un exercice épuisant...

Soudain, elle réouvrit les yeux et se releva. Ses yeux se posèrent sur la côte, où le bateau de la compagnie qu'elle avait accompné était toujours accosté. Axel poussa un soupir et se saisit de son sac, ne prenant pas la peine de se rhabiller. Elle se mit à marcher d'un pas vif vers la côte avant de pouvoir se retenir. La druidesse se fichait de savoir qu'elle y aller pour revoir le géant... Et alors? Ça pouvait faire quoi? Merde... Pour une fois dans sa vie, elle ignora sa stupide logique et continua à avancer, ne s'arrêtant que quand elle retrouva la plage et le bateau. Elle chercha un moment des yeux, espérant que le géant serait à proximité. Quelques hommes la regardèrent curieusement, mais elle les ignora. Elle vit une tête blanche un peu plus loin sur la plage et poussa un soupir. Ses pieds tournèrent dans cette direction et elle marcha vers le géant, ne sachant pas vraiment ce qu'elle allait lui dire. Quelqu'un l'arrêta pour lui demander si elle avait décidé de rester avec eux finalement et elle se souvint lui avoir dit quelques heures plus tôt qu'elle les quitter. La druidesse acquiesça et fut surprise de voir sur le visage de l'homme, un sourire radieux. Apparemment, la compagnie était en manque cruel de médecins... La rouquine continua son chemin, adaptant une démarche silencieuse comme elle savait si bien le faire. Cependant, rien ne put la préparer au spectacle qui l'accueillit. Elle se figea en voyant Kay retirer doucement son gant de cuir. Et ses yeux se fixèrent sur le bras. Elle s'était souvent vaguement demandé ce que le géant pouvait bien cacher sous ce gant... Mais jamais elle n'avait pu penser que... Axel afficha un air neutre quand Kay parla et continua de fixer le bras, sentant une boule se former dans son coeur. Elle resta immobile un long moment, puis sentit la soudaine impulsion de courir nicher ce mec exaspérant dans ses bras. Elle refoula cette impulsion et à la place déposa silencieusement son sac sur le sol. En fouillant un peu, la rouquine trouva une fiole de lotion qui soulageait les douleurs. Elle s'approcha et s'assit aux côté du grand, se fichant que sa présence était maintenant découverte. La druidesse se saisit délicatement du bras blessé et passa un doigt tendre sur une cicatrice, sa fiole posée sur ses genoux.

"... Tu aurais pu me dire que tu étais blessé... J'aurais essayé de t'aider, grand idiot."

Axel continua de fixer le bras, sentant soudain qu'elle comprenait un peu mieux le géant et qu'elle arrivait moins facilement à le détester. Il y avait si peu de choses qu'elle connaissait sur lui... Pourquoi le jugeait-elle si méchamment? Sans le regarder, elle continua à passer son doigt sur les cicatrices, ignorant la fiole de crème sur ses genoux et oubliant le fait qu'elle n'avait pas sa cape et que ses cheveux roux voguaient librement au grès du vent, s'imprégnant de l'odeur de l'océan.

Des bruits de pas, voilà ce que le Silencieux entendait. Il aurait dû ouvrir les paupières, remettre son gant et se tourner nonchalamment vers la personne qui produisait ce son de crissement contre le sable fin. Car oui, il s’agissait bien d’une personne et non d’un animal ; les pas semblaient trop lourds pour être produits par une petite bête, et si un grizzli malintentionné avait essayé de s’approcher, Kay l’aurait remarqué bien avant. Non, c’était bien un être humain qui s’approchait lentement mais sûrement, et le géant connaissait parfaitement son identité. Il n’avait même pas besoin de se retourner ; il savait que l’intrus était Axel. Il reconnaissait le pas léger qui caractérisait sa démarche, le bruit de son sac dans lequel fioles et autres objets se cognaient les uns contre les autres.

Ouvrant les yeux, Kay vit du coin de l’œil la jeune femme déposer son sac sur le sol. Si elle faisait cela, c’était sans doute parce qu’elle comptait rester un moment. Le géant ne dit rien. Elle pouvait s’asseoir à côté de lui si cela lui disait. Il était pratiquement sûr qu’elle faisait partie des rares personnes ayant pu apercevoir son bras mutilé lorsqu’il habitait au monastère. Sinon, elle avait très certainement dû en entendre parler par Ken. Après tout, ce dernier lui avait probablement tout raconté.

Le géant réagit plus ou moins lorsqu’Axel se saisit de son bras. Elle devait trouver cela étrange, dégoûtant, horrible. Dans tous les cas, elle sortit une fiole remplie d'un liquide d'apparence froid et visqueux. Kay serra un peu les dents. Elle ne comptait tout de même pas appliquer ce machin sur ses cicatrices? Qu'espérait-elle faire avec son remède? Le guérir? Ha! Le Silencieux savait qu’une simple crème faite d’herbes qui empestaient toutes plus les unes que les autres n’allait pas parvenir à rendre son membre normal. L’homme qui lui avait brûlé l’avant-bras avait utilisé la magie pour le blesser. Une lotion ne pouvait pas grand-chose contre la magie.

Kay sentit alors le doigt d’Axel parcourir lentement et doucement l’une de ses cicatrices les plus grandes et douloureuses. Il frissonna, peu habitué à ce genre de contact contre sa peau martyrisée. Il leva son regard clair sur elle, et elle choisit ce moment précis pour prendre la parole. Tandis qu’elle parlait, le Silencieux remarqua que ses cheveux roux voltigeaient, soufflés par l’air de la mer, et qu’elle ne portait ni sa cape rouge, ni ses gants. Elle n’était vêtue que d’une armure qui moulait son petit corps. En homme qu’il était, Kay-Lahn la reluqua un peu avant de poser ses yeux dans les siens et de lui servir l’un de ces sourires en coin dont lui seul connaissait la recette.

Apparemment, Ken ne lui avait rien dit à propos de son bras. Les paroles qu’elle venait de prononcer, ses attentions et son regard le laissaient clairement voir. Eh bien… Que pouvait-il faire maintenant? Lui dire de fermer les yeux, de compter jusqu’à dix et l’assommer jusqu’à ce qu’elle oublie tout ce qu’elle venait de voir? Jouer à l’imbécile et essayer de lui faire croire que tout cela n’était qu’un rêve –plutôt au cauchemar, oui- et qu’elle allait bientôt se réveiller dans un lit bien douillet qui lui ferait oublier cette horreur de la nature? Mais non…

Kay chercha le regard d’Axel, mais celui-ci était complètement fixé sur son bras. Un instant, le Silencieux se demanda ce qu’elle pouvait bien penser à ce moment précis. Le prenait-elle en pitié? Touchait-elle à ses blessures par curiosité, le genre de curiosité que certaines personnes éprouvent en voyant une araignée velue, laquelle on veut simplement caresser parce qu’on en a des frissons tant c’est repoussant? À moins qu’elle tentait subtilement d’étudier son cas. Il la savait curieuse lorsque venait le temps d’observer les blessures des autres. Sans doute espérait-elle trouver un remède en étudiant cet avant-bras monstrueux.

Portant son regard sur les flots, le voleur éloigna tranquillement son bras d’Axel. Un léger sourire vint se peindre sur son visage, un sourire que l’on pouvait deviner quelque peu triste si on le connaissait suffisamment et qu’on savait déchiffrer la lueur attristée dans ses yeux.

-Tu ne devrais pas toucher à ça, lui dit-il simplement, fixant son bras en parlant.

Il leva les yeux vers elle, la regardant droit dans les prunelles.

-Et m’aider…

Son regard clair devint plus perçant, plus intense.

-Je pense que personne ne peut m’aider, termina-t-il.

Il y avait un sous-entendu dans cette phrase, une menace que sans doute seul Kay avait pu comprendre. Peut-être une pointe de menace indescriptible dans son ton l’avait-il trahi, mais c’était peu probable. De toute façon, le voleur afficha un nouveau sourire en coin qui effacerait assurément dans l’esprit d’Axel tout doute sur l’avertissement dissimulé qu’il venait peut-être de donner.

Axel ne pouvait s'empêcher de fixer le bras blessé de Kay. Pour elle, c'était comme si elle tenait entre ses doigts la preuve que le géant était bien humain. Quoi? Comment ça vous comprenez pas ce que je veux dire? Mais pensez un peu! Vous savez ce truc gris et gluant qui nous sert à tous de cervelle? Baaaaah faut s'en servir! Pfff qui m'a fichu des lecteurs pareils... Bref passons à l'explication puisque vous êtes tous trop paresseux pour vous creuser les méninges. Axel a, depuis sa rencontre du grand idiot, considéré celui-ci comme une chose difforme et assez énervante, un insecte si on veut. Elle lui inventa un surnom, comme on le ferait à une nouvelle espèce d'alien un peu bizaroïde qu'on aurait pas trop envie de recroiser à tout hasard... Son nom? Le géant albinos évidemment! Ou encore le-mec-super-chiant-et-laid-et-idiot-et-stupide-qui-me-fait-perdre-mon-précieux-temps-et-qui-m'énerve-avec-ses-stupides-sourires-en-coins. Mais comme le deuxième surnom est un peu long, elle conserva le géant albinos. Bref, tout ça pour dire qu'elle fit tout sauf considérer le fait que Kay était bien vivant et qu'il n'était pas une simple chose. Bon okay, techniquement il était bien une chose puisque tout le monde était en fait une chose et qu'il serait allogique de dire que Kay ne pouvait pas être une chose. Ça reviendrait à dire qu'il était plus intelligent que les autres humains et ça flatterait trop son égo. La druidesse n'avait en gros jamais vraiment mit dans ses calculs que Kay était humain. Elle préférait l'observer comme un sujet de laboratoire particulier et sans sentiments, sauf l'égoïsme, le narcissisme et l'envie d'agacer les pauvres petites rouquines du coin. Alors maintenant qu'elle détenait une preuve indéniable que le géant avait en fait d'autres sentiments et des secrets comme tout être vivant qui se doit, elle se sentait un peu ridicule. Oui, ridicule. Pourquoi? Parce qu'elle se rendait compte que Kay aussi était un humain... Qu'il n'était pas qu'une simple créature sans cervelle. Le géant avait des émotions et bien qu'il les cachait bien souvent sous des façades énervantes, il en avait quand même.

Elle ne fixait pas le bras blessé par dégoût ou fascination. C'était plus pour se rentrer dans le crâne qu'il s'agissait d'une faiblesse au géant, ce qui prouvait d'autant plus qu'elle s'était trompée à son sujet. La situation aurait sans doute pu sembler incongrue des yeux d'un inconnu... Une naine à cheveux roux caressant presque tendrement le bras affreusement amoché d'un géant au regard fuyant. Mais pour Axel, qui s'en voulait de ne pas avoir su déceler en Kay quelqu'un avec des sentiments, cette situation était en fait embarrassante. Elle aurait voulut s'excuser, mais ne savait pas trop comment formuler ses dires... 'Ah Kay, je suis désolé de t'avoir prit pour une créature difforme sans cervelle, je le refrais plus c'est promis!'. N'importe quoi... Elle pouvait pas dire ça, le géant allait encore penser qu'elle se fichait de sa tronche. Non, le seul moyen qu'elle pouvait penser, c'était de trouver un remède à cette blessure. La druidesse n'était pas dupe, elle se doutait bien que si Kay n'était pas guérit, ce n'était pas par choix. IL devait avoir essayé des tas et des tas de solutions sans résultats... Concentrée à observer ce bras qu'elle trouvait soudain si fascinant, la jeune fille ne se rendit pas compte que l'homme la fixait. La rouquine ne pensait même pas une seconde que le bras de Kay était repoussant. Cela pourrait sans doute sembler étrange, voir impensable... Après tout, il fallait l'avouer, c'était pas bien joli. Mais la jeune femme avait ce don pour voir au delà des apparences. C'était une partie de Kay et bien qu'elle n'était pas jolie à regarder, la rouquine savait au fond d'elle-même que sous cette laideur se trouvait une peau parfaite et douce, comme celle qui se trouvait sur le reste du corps de l'homme. Un peu surprise de ses propres pensées, se demandant pourquoi diable elle était en train de penser au corps de Kay comme étant doux et parfait, la druidesse fronça les sourcils et fut heureuse de ne pas rougir facilement.

Ses pensées se déconcentrèrent de leur centre d'intérêt quand elle sentit Kay retirer doucement son bras blessé de ses mains délicates. Elle pensa tout de suite qu'elle devait probablement lui faire mal à toucher ainsi à son bras et s'insulta mentalement en se traitant d'idiote. Comment avait-elle pu être aussi stupide? Si le géant portait un gant, c'était pas pour rien, ça devait faire un mal de chien ce truc! Un peu honteuse et soudain atteinte d'une timiditée qui l'agaçait au plus au point, la rouquine risqua un regard en coin à Kay et observa son visage à la dérobée. Y'a pas à dire... Maintenant qu'elle était consciente qu'ils faisaient partit de la même race, elle le voyait sous un jour tout nouveau. Ce visage qui lui avait semblé avant si démoniaque était presque normal et... Ah tien, il avait pas de cornes et aucun feu ne brûlait dans ses yeux, curieux, elle aurait pourtant pu jurer que... Okay, stop, Axel, cesse de penser à des trucs de gamins. La druidesse fut encore une fois déconcentrée quand un sourire triste vint peindre les traits de l'albinos. Elle fut si surprise par ce sourire venant de Kay qu'elle observa sans retenue le visage de l'homme. Normalement, elle aurait gardé de la discrétion et aurait sans doute caché ses émotions de son visage... Mais la surprise avait ennuyé ses murs de glace. Axel écouta les paroles de Kay et tiqua sur le 'ça'. Elle comprit aussitôt que le géant n'était pas trop friand de son bras. L'humaine secoua doucement la tête et se mit à fixer le sable, réfléchissant doucement. Elle avait encore du mal à se retirer l'image d'un Kay triste de la tête. Après un moment de silence, elle poussa un soupir et répondit d'un ton un peu plus doux que d'habitude :

"Et pourquoi pas? C'est pas comme si c'était un monstre, c'est qu'un bras idiot."

Axel serra les mains dans le sable, se demandant pourquoi elle agissait comme une sage femme parlant à un gamin qui aurait perdu ces satanés parents. Elle était druide, pas psy! La jeune femme poussa un autre soupir. Décidément, passer du temps avec cet humain n'était pas très aisé pour sa santé... À croire qu'il arrivait à changer progressivement toute sa personnalité sans avoir même à lever le petit doigt. Mais une petite minute... Alors est-ce qu'il serait en fait une sorte d'alien aux pouvoirs télépathiques qui pourrait prendre l'apparence d'un bel homme et qui enchanterait les pauvres femmes qui-- STOOOOOP!!! Bon, Axel, Kay = humain tu te souviens? Rappellle-toi, le bras, la faiblesse, les sentiments, c'est passé où ta réalisation??? Et puis, c'est quoi cette histoire de bel homme hein??? La druidesse fermit les yeux, sentant soudain la naissance d'une migraine dans son crâne. Oula, toutes ces nouvelles pensées sur Kay et cette obsession que son esprit avait de ce moment où elle avait embrassé le géant ne semblait pas faire bon ménage. Juste au moment où elle allait se lever et s'excuser auprès de Kay avant de marcher vers un endroit où dormir cette nuit, le géant se remit à parler. Ses paroles la surprirent et elle leva instinctivement le regard vers les yeux de l'humain qui lui-même la fixait. Depuis quand Kay avait des yeux si expressifs et médusants? Axel s'y perdit un moment, découvrant des angoisses et une expression étrange qu'elle avait du mal à identifier... Mais c'est surtout les paroles de l'humain qui la troublèrent. Elle pinça les lèvres et tourna son regard vers les flots avant de répliquer :

"T'aider? Mais je faisais que regarder ton bras, rêve pas! Je gaspillerais pas mon précieux temps à tenter de t'aider, tu déciderais probablement de me suivre partout avec l'excuse que tu me dois un truc... Non merci, j'ai assez d'une migraine causée par toi pour toute une vie."

Elle disait ça, mais en fait Axel aurait bien aimé aider Kay à se débarasser de cette blessure. C'est pas qu'elle voulait lui rendre service, c'est juste que... M'enfin, elle lui devait bien un truc pour s'excuser de l'avoir prit pour une créature inhumaine non? Les prochaines paroles du géant la troublèrent de nouveau et elle se remit à le fixer d'iris à iris, notant une étincelle d'avertissement avant que le visage mâle redeviennent aussi amusé qu'auparavant. La rouquine haussa un sourcil et chercha ses traits pendant un long moment. Elle finit par pousser un soupir et reprendre avec fermetée le bras du géant en se souciant de ne pas lui faire mal. Elle déposa le membre blessé sur ses genoux et ouvrit son pot de crème sans le regarder, concentrée à sa tâche. Axel appliqua délicatement de la crème sur le bras sans oser fixer l'humain. Ce ne fut qu'après quelques instants qu'elle dit, sur un ton ferme :

"Avant que tu dises quoi que ce soit, saches que je vais t'aider à guérir ce fichu bras que tu le veuilles ou non... Et que je suis pas assez dupe pour croire que ma crème va te soigner illico. C'est un baume, ça va appaiser la douleur."

Axel décida d'ignorer prestement qu'elle venait de se contredire sur ses anciennes paroles. Elle attendit quelques instants avant de faire une légère pause dans son applicage de crème. Ensuite, Axel leva le regard vers le visage de Kay et rajouta simplement :

"Et puis t'es qu'un crétin, après toutes les blessures horribles que j'ai vu dans ma vie, tu crois vraiment que ton bras va m'impressionner? N'importe quoi, dégonfle ton égo tout de suite."

« Et pourquoi pas? C'est pas comme si c'était un monstre, c'est qu'un bras idiot »
Ces paroles résonnèrent longuement dans l’esprit de Kay. Comment Axel pouvait-elle ne pas voir la monstruosité qu’elle fixait et touchait depuis quelques minutes déjà? Dégueulasse. Son bras était dégueulasse, et le voleur le savait parfaitement. La druidesse devait avoir des troubles de la vue très graves si elle ne parvenait pas à différencier le tas de chair difforme rattaché à son interlocuteur d’un simple « bras idiot ».

Kay leva les yeux sur elle, mais ne dit rien. Il se contenta de baisser le regard et de secouer légèrement et négativement la tête en souriant un peu pour lui-même. Sa fausse compagne, quant à elle, serrait le sable fin de la plage de ses mains. Elle ne semblait pas dans son état normal. Non seulement elle parlait beaucoup trop doucement, mais en plus, elle disait des bêtises à propos de l’horreur qui lui servait de membre. Le voyage sur les flots avait dû l’éprouver grandement pour qu’elle soit aussi… calme et gentille envers lui. Car normalement, Kay était presque certain qu’elle l’aurait évité ou qu’elle serait simplement venue le voir pour lui lancer une ou deux vannes, histoire de se venger de tous les sales coups qu’il avait bien pu lui faire depuis qu’il avait bondi à pieds joints en plein cœur de sa petite vie de naine. Le géant pouvait donc aisément qualifier sa soudaine compassion de louche. Très louche, même. C’était à se demander ce qui se tramait dans la tête de la jeune femme…

Tandis qu’il la fixait à nouveau dans les yeux, Axel détourna la tête et porta son regard sur la mer. Kay vit les lèvres de la druidesse se pincer, puis celle-ci se mit à parler. Finalement, peut-être que le paragraphe sur la soudaine compassion, la gentillesse, etc. n’était pas nécessaire. La jeune femme reprenait ses bonnes habitudes et n’adressait que des paroles désagréables à son géant favori.

Kay ne put s’empêcher de sourire un peu plus. Elle disait qu’elle n’avait aucune intention de l’aider à guérir son bras, mais pourtant, elle avait amené le sujet la première en lui reprochant qu’il aurait dû l’aviser de sa blessure afin qu’elle puisse lui apporter son soutien. Ah, les femmes… Oubliaient-elles toutes les mots qu’elles venaient de débiter au fur et à mesure qu’elles les prononçaient? S’amusaient-elles toutes à déformer leurs propres propos pour les tourner à leur avantage? Avaient-elles toutes pour but de rendre les hommes de ce monde complètement dingues? Ah! Oui, ce devait être cela. Chaque mois, elles devaient se réunir et faire un consensus pour trouver le meilleur moyen de mener leurs compatriotes mâles sur la route de la folie. Démoniaques, ces créatures étaient démoniaques! Mais elles cachaient leur diabolisme derrière des lèvres sucrées, des cheveux de satin, des beaux yeux… alors cela allait.

Le Silencieux n’eut guère le temps de répondre aux injustes accusations que lui portait son interlocutrice, car à peine avait-il ouvert la bouche qu’elle se saisissait déjà de son bras avec fermeté. Kay grinça des dents et ferma quelques secondes les yeux. Elle était complètement folle! N’avait-elle donc aucune idée de la douleur qu’une telle blessure provoquait chez lui, et ce même si elle datait de nombreux mois? Il lui mutilerait le bras et jouerait au boomerang avec juste pour lui montrer ce que cela faisait! Gardant toujours les dents serrées, Kay rouvrit les paupières et fixa la druidesse cinglée qui se tenait à côté de lui. Elle avait déposé son bras sur ses genoux et s’apprêtait visiblement à appliquer sa stupide crème sur ses cicatrices. Le voleur soupira et fixa le ciel, l’avant-bras tendu comme une corde d’arc, ses muscles contractés par la souffrance.

Kay sentit alors une substance froide apaiser ses brûlures, et son membre se décontracta aussitôt. Il pivota vers Axel, qui s’adressait une fois de plus à lui sans toutefois prendre la peine de le regarder. Visiblement, elle ne lui donnait pas d’autre choix que de se laisser soigner. Un éclair d’agacement traversa les iris du géant, aussitôt effacé par un léger sourire en coin. Elle pensait vraiment pouvoir le guérir. Eh bien, il ignorait que sa fausse compagne aimait autant perdre son temps.

Avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit, Axel prit à nouveau la parole. Kay ne put s’empêcher de ricaner un peu, sachant pertinemment que ce genre de ricanement de sa part avait tendance à la foutre en rogne. Tant pis! Se penchant vers elle et rapprochant ainsi son visage du sien par la même occasion, le voleur la fixa droit dans les yeux, une lueur fortement amusée dansant dans son regard bleuté.

-Alors si l’état de mon bras ne t’impressionne pas et ne t’atteint d’aucune manière, pourquoi ne cesses-tu de te contredire depuis que tu es arrivée, hum? souffla-t-il, son ton amusé frôlant l’arrogance.

Il haussa un sourcil et recula son visage, la moquerie flottant toujours sur ses lèvres.

-Mon ego est d’une grosseur tout à fait acceptable, poursuivit-il. Je parviens encore à le porter, alors ça va. Toutefois, si on devait le mettre sur tes frêles épaules, il est clair que tu serais incapable de faire deux pas… Après tout, le tien est déjà bien assez lourd comme ça, et ajouter la plume qu’est mon ego à la tonne que pèse le tien te ferait chanceler bien vite.

Cerise sur le gâteau, le géant ébouriffa avec d’une main la chevelure d’Axel -qu’elle avait fait l’erreur de laisser libre- avec une sorte d'étrange affection. Il la fixa avec amusement, puis se tut.

La menace, la tristesse, tout cela semblait avoir disparu. Kay était un voleur… Il avait pour habitude de ne jamais laisser de traces. Son court moment d’humanité n’était à présent plus qu’un rêve.

Ne pas parler. Continuer à appliquer sa stupide crème et ne pas parler. Tien, c'était un bon plan ça, le meilleur qui avait traversé son esprit de rouquine de toute la journée! Quand elle y repensait à tête reposée, cette fichue journée avait été remplie de mauvais pas qui avaient tous finis par lui retomber dessus. Premièrement, y'avait fallut qu'elle ait la merveilleuse idée de suivre le géant à tête blanche dans son épopée de dingue au milieu des mers. Déjà qu'elle aimait pas trop les bateaux et qu'en plus elle DÉTESTAIT les foules, ce plan foireux allait très vite se faire sentir... Bon, c'est vrai, au départ ça avait semblé un plan pas trop mal... Un voyage express sans aucun sous déboursé vers une contrée inconnue, tout ça contre quelques herbes, des remèdes et l'enduration d'une plaie géante faisant grincer des dents. Il fallait aussi soulever le fait qu'au moment où elle avait accepté, elle était encore sous le choc de ses actions, car il ne faut pas oublier que ce soir là, elle avait embrassé le géant... SUR LA BOUCHE. C'était quand même une autre bourde monumentale... C'est drôle comme toutes ces erreurs s'accumulent depuis qu'elle a rencontré ce stupide mec trop grand à deux pattes. Le plus drôle encore, c'est de voir l'évolution prodigieuse que le géant réussit à avoir dans l'échelle de son estime. C'est vrai quoi, passer d'en bas de -10000000000000000000000000000000000000 à -100 en l'espace de quelques jours à peine, c'était quand même une étapes impressionnante! Mais bon, revenons à nous moutons... Eu... Moutons??? Mais d'où ils sortent ces moutons??? Raaaaah, bref, on revien à... Ça. Pour continuer la liste des plans foireux, son coeur avait apparemment décidé de tomber sous le charme du géant, un truc qui était dans tous les codes des nains druides roux comme chose à NE PAS FAIRE, JAMAIS, JAMAIS, JAMAIS ET ENCORE JAMAIS, MÊME SI C'EST L'APOCALYPSE, ARMAGÉDON, LA FIN DU MONDE ET QUE KIRIA ELLE MÊME LE DEMANDE EN PERSONNE. Oui oui, cette liste existe bien... Axel vient tout juste de l'inventer. D'ailleurs, ça l'énervait un peu toute cette histoire de coeur traitre. Quand même, maintenant qu'elle se rendait à l'évidence sur ses sentiments changés pour l'humain, c'était assez pathétique... À croire qu'elle était maso.

C'était encore plus désespérant si elle s'imaginait la réaction de Kay si elle lui révélait ses sentiments. Il allait sans doute éclater de rire et se tenir les côtes. Ce rire allait durer des heures et des heures jusqu'à ce que son visage passe du violet au bleu, puis au rouge et qu'il crève là sur ce petit coin de plage sans rien demander à personne. L'alternative n'était pas bien mieux... Il la fixait comme si elle avait perdu la tête et la secouait vivement en lui demandait si elle était ivre. Non franchement, elle se passerait de cette humiliation. Déjà qu'elle essayait d'accepter du mieux qu'elle pouvait cette nouvelle situation, fallait pas trop lui demander. Évidemment, quand on se rend compte de ce genre de sentiment, nos actions sont un peu différentes à d'habitude... C'est sans doute pour cela que Kay remarqua qu'elle semblait plus douce et gentille que d'habitude avec lui... Bon ça et le fait qu'elle s'était rendue compte qu'il était humain. C'était pas juste ça! Pourquoi est-ce qu'il fallait qu'elle prenne ce grand cure-dent en pitié? Quand même, déjà qu'il n'hésitait pas à la faire suer de toutes les manières possibles et imaginables, si en plus elle devait se retenir de faire de même à cause de la pitié, c'était pas gagné. Ses pauvres petits nerfs n'étaient pas certains de pouvoir résister au choc. Si Axel fut quelque peu trop brusque en se saisissant du bras du géant, elle ne s'en rendit pas du tout compte. C'est vrai qu'avec toutes les questions et les trucs qui se passaient dans sa petite tête de druidesse étroite, c'était déjà étonnant qu'elle ait pas brûlé comme une guimauve sur le feu! Tien, elle devrait essayer ça un jour, ficher toutes ses réflexions dans le crâne du géant à tête blanche, juste pour voir s'il allait finir par craquer sous la pression. C'est que quand on commençait à se poser un milliard de question en même temps et qu'on trouvait pas une seule microscopique réponse, c'était chiant quand même! Peut-être qu'après ça il lui ficherait un peu la paix? ... ... ... Non, s'il faisait ça, elle lui demanderait probablement s'il était malade. C'était Kay quand même. D'ailleurs, elle ne l'imaginait pas sérieux et gentil... Ça la faisait presque loucher. Un géant à tête blanche gentil? Pff, on aura tout vu... Tant qu'à faire, il pouvait bien y avoir des nains à cheveux mauves fuschia et à pois verts sur les fesses qui se mettraient à gambader partout et à gueuler 'jdhbjsaviufjoign' qu'elle ne serait même pas surprise!

Elle savait bien que sa crème ne guérirait pas le bras de Kay, il était bien trop amoché pour ça... Mais si au moins ça pouvait calmer la douleur, elle allait pas cracher dessus. Et puis c'était plus fort qu'elle, elle était guérisseuse bon sang, c'était son travail de guérir les blessures! Et si en plus c'était Kay... STOP, ce terrain de pensée est dangereux et vaut mieux pas s'y aventurer. Y'a des monstres par ici qui sont de trop gros niveau pour toi Axel, de TRÈS haut niveau. La druidesse ne comprenait pas pourquoi Kay semblait s'obstiner à appeler son bras une horreure. Certes, c'était pas joli, elle allait pas dire le contraire... Mais elle avait pas vomir quand même, surtout qu'elle avait vu bien pire en matière de blessure. Au moins, le bras sentait rien. De la peau d'humain qui cuit ou qui moisit, ça sent pas la rose... Et ça, elle en avait vu à la pelletée. Encore, c'était rien, les blessures dues à des sortilèges maléfiques lui donnaient parfois le vertige. Alors pour la jeune rouquine, habituée à voir des horreurs et des blessures pas jolies, ce bras était bien ordinaire. Elle ne le trouvait ni répugnant, ni magnifique, mais un juste milieu. D'ailleurs, elle se disait que si Kay semblait si surpris de son attitude, il ne devait pas avoir montré son bras à bien du monde... Cette découverte lui fit se rendre compte qu'il ne voulait probablement pas qu'elle le voit non plus. Elle cessa d'étendre sa crème un moment, puis lui jeta un regard en coin avant de dire après un maigre soupir :

"Je sais que tu as une tête de cochon... Et que tu ne me croiras sans doute pas... Mais je vais te le dire quand même. Ton bras ne me dégoûte pas. C'est pas joli, je te l'accorde, mais en tant que guérisseuse, j'ai déjà vu bien pire. Alors désolé de te décevoir, mais tu ne pourras pas m'impressionner sur ce point, puisque je suis déterminée à penser que ton bras n'est pas monstrueux."

La druidesse fermit son pot de crème et se mit à masser délicatement les chairs meurtries, se souvenant que le meilleur remède contre la douleur de blessures infligées par la magie, c'était l'air frais et le massage des nerfs. Elle s'appliquait à sa tâche en essayant d'oublier le propriétaire du bras qu'elle soulageait, sachant que si elle se souvenait, Axel finirait par se remettre à se perdre en réflexions et en questions interminables. La jeune femme fermit un moment les yeux, puis ajouta, plus pour faire la conversation :

"C'est une blessure magique, alors je ne pourrais pas la guérir. Par contre, je peux appaiser ta douleur. Si jamais ça devient insupportable, je t'ordonnes de me le dire, je vais t'arranger ça... J'ai assez de t'endurer toute la journée sans que tu te mette à râler à cause de la douleur."

Pas mal Axel, c'était presque gentil tout ça... Évidemment, Kay trouva le moyen de tout gâcher en se mettant à ricanner de CE rire là... Vous savez, le genre de rire qui rentre sous votre peau et vous donne des frissons de frustration? Et bien, c'est de ce rire là dont il est question! En plus, la cerise sur le sundae, il rapprocha son visage à l'extrême du sien avec CE sourire et CETTE lueur dans ses yeux. Axel se figea aussitôt sur le bras, occupée à fixer farouchement les iris de saphir de ses iris de jade, relevant son défi silencieux. C'est fou ce que ce géant à tête blanche avait le don de l'irriter... Par contre, cette fois, elle fut surprise de constater qu'elle était trop occupée à détailler les traits de son visage, qu'elle n'avais jamais vu d'aussi près, pour se porter à son jeu. Ça allait le décevoir sans doute de voir sa petite naine manquer à l'appel et ne pas mordre à son hameçon pour une fois... Hélas, elle était prise par son observation de ce fameux sourire... Quand il parla, elle comprit à moitié ses paroles et ce ne fut que quand il se recula qu'elle réalisa qu'elle avait complètement arrêté de bouger, incluant de respirer. La druidesse se remit bientôt à ses massages, fixant résolument un coquillage sur le rivage, les sourcils froncés. Ce ne fut qu'après quelques secondes que son cerveau enregistra pleinement les dires de Kay et elle grinça des dents avant de répliquer d'un ton las :

"Si j'ai envie de me contredire, c'est pas tes affaires."

Bon, côté gentillesse, on a vu mieux... Mais il l'avait cherché cet idiot d'asperge blanche!!! Les autres paroles du géant agacèrent fortement la rouquine qui fermit les yeux, des lignes d'énervement très précises sur son front. Elle relâcha le bras de l'homme et le lui rendit avant de commettre une bévue, mais avant qu'elle ne puisse répondre quoi que ce soit, Kay lui ébouriffait vigoureusement les cheveux. Son geste la fit se figer et elle prit un quart de seconde à réagir. Elle avait un soudain flash back de Ken... Celui-ci lui ébouriffait toujours les cheveux quand il était fier d'elle. Axel se passa une main songeuse dans les cheveux, les yeux ailleurs. Elle finit par se secouer la tête et arranger un peu ses cheveux déjà décoiffés par le vent, avant de tourner un regard furieux sur Kay.

"Parfait, si tu veux continuer à me faire suer quand j'essais d'être civile, fait à ta guise. Je me fiches de ton bras à partir de maintenant, tu peux aller le mettre sous une roue de charette si t'en a envie, je bougerais pas le petit doigt pour venir te sauver!"

Kay venait de toucher un point sensible. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas pensé à Ken... D'ailleurs, son regard se peignit un moment d'une certaine tristesse et elle passa sans s'en rendre compte une main dans ses cheveux, se remémorant cet ami qu'elle avait perdu à cause de l'amour.

En effet, Kay avait une sale tête de cochon. En effet, il ne croyait pas Axel lorsqu’elle lui disait que son bras ne la dégoûtait pas. Toutefois, malgré le fait qu’il n’avalait pas un mot de ce qu’elle pouvait raconter, il se contenta d’hocher vaguement la tête. Oh, il aurait pu protester et la laisser essayer de lui bourrer le crâne de ses gentilles paroles. Mais le voleur n’avait guère envie de cela. Il n’en résulterait qu’une perte de temps, pour elle comme pour lui. Elle s’exprimerait en vain, car ses pensées resteraient bien ancrées dans son crâne : son bras faisait partie du musée des horreurs, et aucune parole, aucun compliment, aucune pitié ne changerait cela.

Le traitement qu’appliquait Axel au bras de Kay faisait un grand bien à celui-ci. Si le visage du Silencieux ne laissait entrevoir aucune émotion relative à son membre mutilé, la guérisseuse pouvait sans doute sentir les bienfaits de son travail grâce aux muscles qu’elle pouvait constater grandement décontractés sous ses petits doigts. Même si elle avait attrapé son bras assez brusquement, Kay pouvait bien la pardonner de son offense et admettre qu’elle faisait du bon boulot… Qu’elle faisait du bon boulot et qu’elle faisait preuve de franchise, aussi. Franchise parce qu’elle avait avoué sans honte qu’elle ne pourrait pas le guérir puisque sa blessure avait été causée par la magie. Bon, Madame la naine avait jugé bon d’ajouter qu’elle lui ordonnait de venir la voir s’il se sentait trop souffrant -elle n’avait pas envie d’entendre sa complainte du bras mutilé-, mais ne dit-on pas que seule l’intention compte? Bref, en réaction à cet acte suprême de générosité, Kay sourit légèrement, s’amusant un peu –rien qu’un peu- de la manière dont Axel avait le don d’ajouter quelque phrase pour passer plus dure à cuir qu’elle ne l’était réellement.

Quand Kay se moqua à nouveau d’elle –gentiment et amicalement, bien entendu-, Axel n’eut pas la réaction escomptée. Au lieu de se mettre à le traiter de sale imbécile, de crétin fini, de géant stupide, etc., elle se figea, gardant son regard d’émeraude fixé dans le sien. En l’observant, le voleur se demanda si elle tentait de lui faire une imitation –plutôt réussie, il faut préciser- d’une de ces statues que l’on retrouve devant les divers temples de Miradelphia. Une imitation qui durait vachement longtemps. D’accord, Axel, on a compris, tu sais bien faire la statue, maintenant, il faut se mettre à assommer Kay de toutes les insultes qui garnissent ton répertoire, que l’on sait tous gigantesque.
Cette réaction ne vint toutefois jamais.
La rouquine se remit simplement à masser l’avant-bras meurtri de Kay, le regard fixant résolument le rivage. Un éclair d’étonnement parcourut les yeux du Silencieux, encore plus lorsqu’elle lui redonna son bras et se fâcha parce qu’il se moquait d’elle. Comme si c’était nouveau! Allons, mais qu’avait-elle aujourd’hui? Oui, elle avait pour habitude de se mettre en colère contre lui, et ce pratiquement à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, mais là, elle semblait vraiment prendre mal ses moqueries. Et si le voleur avait été une poule mouillé, il aurait très certainement eu un frisson en apercevant la fureur dans les yeux de jade d’Axel. Une fureur qui se transforma toutefois bien vite en tristesse, une tristesse que Kay ne connaissait pas la cause. Il savait qu’il se montrait insupportable à son égard, mais jamais assez pour heurter profondément ses sentiments. Du moins, pas qu’il sache.

Légèrement décontenancé par la réaction de la druidesse, Kay ne fit que la fixer durant au moins une bonne minute. Puis, sans la prévenir, il se leva, ne la quittant pas des yeux.

-Allons, Axel, ne t’énerve pas pour ça, dit-il, le ton calme et l’air décontracté, comme à son habitude.

Il eut un sourire en coin, puis continua:

-Tu sais, je t’embête, mais ce n’est pas bien méchant. Pas la peine d’être aussi furieuse contre moi, ton amant passionné.

Kay ricana. Bien sûr, il faisait allusion au fait qu’ils devaient faire semblant de former un couple aux yeux de tous s’ils ne désiraient pas se retrouver tous deux dans de beaux draps.

-Mais bon, soupira le voleur, puisque tu aimes tant me frapper des foudres de ta colère –et aussi de tes poings-…

Il laissa sa phrase en suspens, puis laissa tomber sa large épée à l’abri dans son fourreau sur le sable. Ensuite, continuant de la regarder, il se débarrassa de son manteau, qui alla rejoindre son arme sur la plage.

-…Je vais au moins te donner…

Il retira son haut, dévoilant un torse musclé et ferme, témoin de l’entraînement qu’il s’était infligé au cours des dernières années. Par la suite, il balança le vêtement sur le sol et enleva ses bottes en donnant un élan à chacun de ses pieds de géant.

-…Une bonne raison.

Kay fit un sourire en coin détestable à Axel, puis, avec une vitesse et une agilité hors du commun pour un homme de se carrure, il se pencha, l’emprisonna dans ses bras et courut vers la mer en ricanant. Lorsqu’il eut de l’eau jusqu’à la taille, le Silencieux lança sa rouquine favorite dans les flots, se retenant de rire à gorge déployée. Elle voudrait le tuer.

Souriant à la pauvre jeune femme de toutes ses dents, Kay lui dit :

-Je sais qu’au fond, même si je passe mon temps à t'embêter, tu m’aimes bien!

Puis, dans un dernier ricanement, il disparut sous l’eau.

Stupide, stupide, STUPIDE Axel!!!! Voilà bien une phrase qui se répétait en boucle dans son esprit. Bon okay, c'était pas vraiment une phrase à proprement dit, mais chut! Oh ce que c'est joli le sable... Surtout le soir comme ça avec le soleil qui se couche et tout... Les ombres se reflétant, le bruit de l'eau calme, un petit crabe qui marche de côté sur la plage... Un coquillage mauve tien... Tout pour ne pas penser à ce qu'elle venait de faire. Mais... Une petite minute... Le soleil couchant, la plage... Ah bah merde, c'est faisait plutôt romantique comme tableau non??? Y'avait pas des statistiques qui disaient quelque pars que la plupart des femmes rêvaient de faire l'amour sur la plage avec un coucher de soleil? Nah mais oh, ces femmes ne pensaient pas avec tact... La plage avec le sable qui rentre par tous les trous, puis l'eau salée qui pique les yeux et les tas d'insectes qui viennent dévorer la chaire humaine le soir... Et les crabes, ils en faisaient quoi des crabes??? Bref, pas une bonne idée. Mais c'était quand même un tableau super romantique! La druidesse serra la mâchoire et empoigna une poignée de sable, le laissant glisser entre ses petits doigts. Maintenant qu'elle pensait à la romance, elle ne pouvait rien faire sauf repenser à ce qu'elle venait de faire de stupide, soit observer aussi intensément le visage de Kay. Elle était d'ailleurs certaine qu'il devait avoir remarqué, vu la tronche qu'il avait tiré en voyant son manque de réaction. Sans doute que d'une minute à l'autre, il allait se remettre à se marrer d'elle... Vraiment, ce devait être l'une de ses activités préférées, emmerder sa petite rouquine naine favorite. Et bien il réussissait à merveille avec rien qu'un sourire taquin et une lueur moqueuse au creux des yeux. Cependant, au lieu de l'énerver aussi intensément qu'au début, cela la rendait aussi toute chose, ce qui était bien pire. Fichu coeur à la noix! T'aurrais pas pu faire un choix plus judicieux que ce crétin de Kay???? Axel fermit les yeux, tentant de calmer les battements de son coeur fébrile. À croire qu'il avait jamais été amoureux le pauvre petit, ça pompait du sang! Pourtant, il y avait bien eu Tristan auparavant... Mais ce n'était pas pareil avec le blond. Non, ce n'était pas du tout la même chose, elle était idiote de comparer le géant au moine, vraiment idiote. La druidesse avait envie d'effacer ce sentiment qu'elle avait tant de fois chassé... C'est exactement contre lui qu'elle tentait de se défendre en s'enfermant dans des barrières et en cachant ses émotions, mais elle avait trouvé le moyen de percer ses défenses.

Axel se résolut à continuer à masser doucement le bras de l'humain, sentant les muscles la remercier de ses efforts à la place du géant. Elle se douttait bien d'ailleurs qu'il préférerait crever plutôt que d'admettre qu'elle lui rendait service. Le jour où Axel entendrait Kay dire 'merci' à quelqu'un, elle tomberait sans doute dans le coma. Malgré toutes ses vilaines paroles et les habituelles insultes glissées de ci de là entre ses dires pour les rendre moins gentils, Axel s'inquiétait sincèrement pour Kay. Elle avait du mal à maintenir cette façade de méchancetée et de mépris à son égard, maintenant qu'elle le tenait si haut dans son coeur... Après tout, la druidesse n'était pas méchante de nature, juste froide et reculée. Mais au fond, si on creusait un peu, on pouvait reconnaître cette douce innocence et cette gentillesse infinie qui la faisait avant sourire si doucement, la passion au creux des yeux. Peut-être redeviendrait-elle cette femme un jour... Et si elle le faisait, ce serait sans doute grâce à ce géant à tête blanche maladroit et narcissique... ... ... Y'avait de quoi pleurer. Bien sûr, elle ne lui dirait jamais cela, ça lui ferait trop plaisir. Quand même, la druidesse avait sa fiertée... La jeune femme réfléchit à son ancienne logique qui lui avait avant semblé si divine et y décela quelques failles avec surprise. C'était bien, une étape de plus vers le changement... Progressivement, la jeune femme allait redécouvrir les joies des sourires, des larmes et de comprendre les gens qui l'entourait. Derrière son mur, c'était solitaire et froid. Comment elle ne prenait pas le temps de comprendre les autres et d'écouter les sentiments qu'elle jugeait inutiles, la jeune femme avait eut un mal fou à s'intégrer... En y repensant, Axel réalisait qu'après Tristan, elle avait vécu sa vie seule, en hermite, ne laissant personne pénétrer sa coquille. Personne sauf Kay. Car même s'il était énervant et qu'elle le considérait comme un insecte, un très TRÈS gros insecte, il avait quand même réussit à se tirer une place de choix dans son esprit. Au lieu de l'ignorer et de le considérer comme un moins que rien, elle l'avait inconsciemment mit dans la catégorie des gens intéressants et s'était évertuée pour monter dans son estime et ne pas le laisser avoir raison.

Axel se déconnecta de ses réflexions quand Kay lui ébouriffa les cheveux. Ce geste si familier qu'elle avait classé depuis longtemps dans ses vieux souvenirs oubliés, l'avait troublée grandement. Elle se souvenait de ses premières découvertes, de Zenna son amie gitane et de Ken... Ken... Qu'était-il devenu? Et Tristan? Allaient-ils bien? Est-ce que les deux jeunes hommes si farouches lui en voulait de les avoir quitté sans un mot, sans un contact? Sans un aurevoir? Tristan avait-il abandonné sa communion? Ken avait-il retrouvé sa famille? Est-ce qu'ils... L'aimaient encore? Tant de questions... Tant de questions qu'elle n'avait pas prit la peine de se poser. La jeune femme avait quitté le monastère en hâte et n'avait jamais pris le temps de réfléchir à toutes ces choses, voulant les oublier, les enfouir dans un endroit poussièreux de son esprit. Mais maintenant qu'ils refaisaient surface, elle se sentait morose.... Morose et nostalgique. La jeune druidesse voulait revoir le visage de tous ces gens qui avaient été des clefs dans l'évolution de sa personnalitée. Elle voulait leur parler, toucher leurs visages... Assaillie par son passée, la jeune femme devint de plus en plus triste, oubliant la plage, oubliant les crabes, oubliant Kay. C'était si rare pour elle d'oublier Kay, et en plus elle ne pouvait pas en profiter parce que son esprit était occupé par des choses encore plus horribles et importantes. Elle ne voulait pas penser à ces choses maintenant, qui s'accumulaient par dessus tout le reste de ses inquiétudes. La jeune femme fermit les paupières, lourdes par la fatigue. Elle savait qu'elle n'aurait pas du être aussi brusque et sèche envers Kay, que ce n'éait pas sa faute, qu'il ne pouvait pas savoir... Mais elle n'avait pas pu s'en empêcher. Et quand il se mit à parler, elle tourna un regard en coin vers lui, sentant la brûlure des larmes perler au coin de ses yeux. Non, par des larmes, pas devant Kay... Elle les retint du mieux qu'elle pu, voyant le géant qui se levait et lui jetait l'un de ses sourires...

Elle finit par tourner franchement la tête vers lui quand il ne réagit pas pendant quelques instants et l'observa, sentant ses lèvres trembler doucement. Elle était fatiguée, fatiguée d'avoir l'esprit aussi remplis. La jeune femme se savait au bord du gouffre. Elle écouta les dires de Kay et fronça les sourcils, ouvrant les lèvres pour riposter à sa réplique sans trouver la force de répondre quelque chose de bien intelligent :

"... Amant? Toi? Me fait pas rire... Je serais jamais assez désespérée pour..."

Si Axel avait pu prédire l'avenir, elle aurait sans doute été estomaquée devant ce qu'elle allait trouvé dans les prochaines minutes qui suivirent ses paroles. Hélas, elle ne pouvait prédire l'avenir. Alors il lui faudrait attendre que les quelques minutes se passent afin de pouvoir s'estomaquer comme il se doit. La druidesse avait commencé à fixer ses mains, retenant tant bien que mal les larmes qui brûlaient de parcourir ses joues. Elle n'était pas prête à laisser Kay la voir pleurer... Pas encore. Ça semblait si personnel de pleurer et elle ne voulait pas se dévoiler ainsi devant le géant, c'était trop tôt. En fait, elle ignorait si le moment ne se présenterait jamais. La jeune femme leva cependant le regard quand Kay se remit à parler et remarqua aussitôt son sourire mesquin. Il avait une idée en tête, une idée qu'elle se doutait ne pas aimer. Axel l'observa sans vraiment réagir, se demandant où il voulait en venir... Par contre, elle ne s'attendait pas du tout à ce qui allait suivre. C'est sans doute pour cette raison que quand le jeune géant déposa sa cape et ses armes sur le sol avec un large sourire amusé, elle cligna un moment stupidement des yeux sans comprendre, passant de la cape au sourire. Mais que mijotait ce diablotin aux cheveux blancs??? Cette réflexion mit un frein à ses réflexions et elle oublia aussitôt ses larmes qui, maintenant libre, coulèrent librement sur ses joues. Attendant toujours une explication aux gestes incongrus de l'homme, Axel restait assise, figée. Elle écoutait ses paroles, attendait impatiemment la suite, finissant par froncer les sourcils... Mais quand les mains de l'homme vinrent se poser sur sa tunique, son coeur manqua un bond. Si elle avait été debout à cet instant, elle serait sans doute tomber le visage direct dans le sable. Faute de quoi, ses yeux étaient rivés sur les doigts qui défesaient les gances et les boutons, elle n,arrivait pas à détacher son regard des mains. Mais qu'est-ce que...? Quand la tunique s'ouvrit un peu, dévoilant une maigre parcelle du torse masculin et finement ciselé de Kay, Axel détourna rapidement le regard et ses joues se teignirent soudainement de rouge. Elle avait honte de cette rougeur qu'elle devinait évidente, mais elle n'y pouvait rien! Après tout, elle n'avait quand même jamais vu d'homme nu de toute sa vie et elle ne s'était pas du tout préparée à le faire!

"K-Kay? Qu'est-ce tu...???"

La druidesse ne put s'empêcher de regarder. C'est comme si un aimant la conduisait à fixer de maudit torse, maintenant complètement nu. Bien qu'elle n'y connaissait rien en matière de beautée masculine, Axel savait que Kay pouvait être considéré comme beau. Et maintenant qu'elle voyait son torse musclé et viril, elle avait du mal à penser la chose autrement... Ses yeux médusés suivirent les courbent et les muscles jusqu'au pantalon, n'osant pas aller plus bas, et la druidesse profita de leur hésitation pour se forcer à regarder ailleurs. Elle plaça une main devant son visage, se refusant tout accès à cette vue dépravée. La jeune femme se mordilla la lèvre, un peu en pannique d'être dans cette situation qu'elle ne comprenait pas du tout... Axel entendit un bruit mat et tourna le regard pour voir deux bottes tomber. Mais qu'est-ce que ce crétin fabriquait??? C'est justement ce qu'Axel s'apprétait à demander quand le géant se rapprocha dangereusement. Axel écarquilla les yeux et pensa à la dernière minute de fuir, mais trop tard, Kay la prenait dans ses bras et elle vit sa tête se faire coller contre le torse qu'elle osait si peu regarder. Ses joues rosirent d'aventage et elle se sentit aussitôt mal à l'aise. Son esprit lui criait de se débattre, mais elle n'arrivait plus à bouger et se laissait guider comme une vulgaire poupée de chiffon, les battements de son coeur menaçant de lui défoncer les tymphans. Quand elle se rendit compte que le géant crétin s'était mit à rire et qu'il se dirrigeait vers la mer, il était déjà trop tard. À peine eu-t-elle le temps de comprendre que déjà Kay la lâchait dans les flots. La mer se rapprochait, encore et encore... Jusqu'à ce que soudain... PLOOOOOOOOOUF!!!! La druidesse fut surprise par la froideur de l'eau et celle-ci la réveilla instentanément. Elle se débattit avec ses mains gantées pour remonter à la surface et se rendit compte qu'elle touchait le fond de l'eau du bout des orteils. Le temps que le choc lui passe, ses cheveux étaient déjà trempés et elle était bel et bien mouillée jusqu'à la moelle des os. Ce qui devait arriver arriva... Vous le devinez tous... La rouquine serra les dents, pinça les lèvres... Son regard de jade se remplit d'étincelle de fureur et...

"KAAAAAAAAAAAAY JE VAIS TE TRUCIDEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEERÙ!!!!"

Sur ce cri de rage, elle se mit à marcher avec détermination vers un endroit plus sec et chercha la mer pour un signe du géant. Sans une once d'hésitation, elle replongea dans les flots et utilisea sa vitesse pour courrir après l'homme dans un effort vaint pour le rattraper, la colère battant à ses oreilles. Quand finalemen telle réussit au bout d'acharnement à lui frôler le dos, la jeune femme sentit sa fiertée monter en flêche et elle fit un effort surhumain pour lui prendre le bras. Aussitôt cela fait, elle poussa un rire victorieux et se jeta sur l'homme, ignorant totalement le fait que ses vêtements trempés étaient un peu trop collés à sa peau et moulaient parfaitement son corps de femme. Axel embarqua sans aucune gêne sur le dos de Kay et se débatit comme une gamine avec lui. Au bout d'une lute acharnée, Kay se retrouva sur le dos, la tête sortant à peine de l'eau, avec une druidesse à l'air meurtrier assise sur son torse avec les bras croisés qui disait d'un ton d'une mère chicannant son fils :

"Ah! Tu fais moins le malin maintenant!"

Il se passa quelques secondes, puis un sourire vint tirer les lèvres de la druidesse et elle éclata d'un rire cristallin, un rire que l'on entendant si peu souvent de sa bouche, un rire qui embellissait son visage. Et là, les cheveux trempés et flamboyant, les vêtements ne cachant pas grand chose de sa silhouette, elle était tout simplement magnifique.

Même si Axel tentait visiblement de garder ses larmes pour elle-même, Kay n’avait pu faire autrement que de les remarquer. Après tout, il n’était pas aveugle. Il avait bien vu que le regard de la druidesse était altéré par la tristesse, humidifié par ce traître liquide salé, parfois seul témoin des douleurs de celui qui le libère après tant de temps passé emprisonné dans un chagrin aux barreaux de fer. Oui, le voleur voyait parfaitement que la jeune femme était atterrée par une peine causée par quelque évènement ou pensée profonde qui lui échappait totalement. Kay savait qu’Axel avait envie de pleurer.
Mais il ignora sa tristesse et fit mine de n’avoir rien noté d’inhabituel chez la rouquine. Cela pouvait sembler tout à fait sans cœur, mais il en était tout autrement lorsqu’on connaissait les raisons qui le poussaient à agir de la sorte.

Il ne voulait pas qu’elle se mette à verser toutes les larmes de son corps. Il n’avait pas envie de la voir aussi triste alors qu’il se savait incapable de la consoler, de trouver les bons mots pour la rassurer, de faire en sorte qu’elle n’éprouve plus le besoin de pleurer à propos de ce sujet X qui la rendait maussade… Réconforter les âmes en peine n’avait jamais été son fort, et lorsque venait le temps de prendre quelqu’un dans ses bras et de lui chuchoter des paroles apaisantes, le Silencieux ne savait tout simplement pas quoi faire. Il devenait maladroit, ne sachant trop que dire, et se contentait généralement de tapoter le dos de l’ami éploré. On aurait dit qu’il avait séché le cours de Réconfort 101, vous savez, ce cours où on vous apprend à ne pas dire des trucs du genre « Une de perdue, dix de retrouvées! » ou encore « C’est dommage pour ton père… Ah, quoi, c’est ta mère qui est morte? ».

Kay aimait bien Axel ; il ne voulait pas - par maladresse, bien entendu- dire un truc quelconque qui la rendrait encore plus triste. Ah… Ce raisonnement était totalement stupide. Tôt ou tard, il allait lui faire du mal. En songeant qu’il allait l’utiliser pour accomplir ses sombres desseins, le voleur sentit la culpabilité monter en lui. Il appréciait beaucoup la druidesse, et étrangement, il se dégoûtait lui-même lorsqu’il se disait que bientôt, il la manipulerait comme on manipule un pantin à l’aide de ses fils, et ce pour satisfaire un plan malsain, une terrible vengeance. Mais il n’avait pas le choix. Il avait déjà tiré les premières cordes en l’entraînant avec lui sur Nelen, il n’allait pas tout arrêter maintenant à cause d’un stupide sentiment de culpabilité.

Ainsi, pour en revenir à la tristesse d’Axel, Kay choisit de faire mine de ne rien remarquer et se contenta de poursuivre sur sa lancée, se dévêtant, ne gardant que son pantalon, et traînant la jeune femme avec lui dans les flots, la plaquant contre son torse. D’ailleurs, le Silencieux avait noté ses joues rougissantes. Peut-être qu’un contact aussi direct avec une représentant de la gente masculine la mettait mal à l’aise… À moins qu’elle était prude et se trouvait embarrassée de le fixer alors qu’il avait retiré quelques vêtements. Dans tous les cas, lorsqu’il remonta à la surface après avoir plongé sur l’eau, le voleur constata que les joues de la druidesse avaient repris leur teinte normale… Certes, elles avaient repris leur teinte normale, mais sa voix, elle, avait changé pour devenir une onde que l’on pourrait comparer à un ultrason, tant elle hurlait fort.

-KAAAAAAAAAAAAY JE VAIS TE TRUCIDEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEER!!!! criait-elle.

Le cambrioleur ricana et disparut une fois de plus sous l’eau. Se doutant qu’il allait subir le terrible courroux de sa naine en furie, nagea pour s’éloigner de la plage. Lorsqu’il sortit la tête de la mer pour reprendre son souffle, il la vit en train de se diriger vers lui en courant. Il éclata de rire devant son air déterminé, puis s’enfuit d’elle en contrant du mieux qu’il le put les vagues qui s’étaient mises du côté d’Axel et tentaient de le repousser vers celle-ci. Après une interminable course, Kay sentit quelque chose frôler son dos, puis son bras... et à peine eut-il le temps de constater ce qui se passait que la druidesse lui sautait carrément dessus. Il se débattit en riant, l’éclaboussant avec l’eau pour la taquiner, essayant de la renverser, mais rien n’y fit, et elle se retrouva bientôt assise sur son torse tandis qu’il peinait à garder sa tête hors de l’eau.

Axel éclata alors de rire, et Kay manqua de se retrouver complètement submergé par les flots. Axel… riait… avec…lui… QUOI?! Comment était-ce possible? Non, il devait rêver. Elle n’avait jamais montré le moindre signe de joie en sa présence, du moins pas qui vienne vraiment du cœur. Pourtant, elle était tellement plus jolie lorsqu’elle souriait, lorsqu’elle riait. Son visage semblait plus épanoui, elle avait l’air heureuse. Même avec ses cheveux mêlés et plaqués contre son visage, elle était magnifique. N’importe quel homme saint d’esprit l’aurait trouvée attirante à ce moment-là. Y compris Kay.

-Tu devrais sourire et rire plus souvent,dit-il en souriant, tentant toujours de ne pas laisser sa bouche s’inonder d’eau. Tu es radieuse.

En y mettant tous ses efforts, Kay réussit à se relever, retenant Axel contre lui afin qu’elle ne tombe pas et se remette à hurler. Un instant, leurs visages furent si près l’un de l’autre qu’ils faillirent s’effleurer, et à ce même moment, il croisa son regard. Il la fixa quelques secondes et, une curieuse envie de l’embrasser lui prenant, il détourna quelques fois son regard vers ses lèvres, humides, souriantes, invitantes. N’écoutant plus sa raison, il pencha légèrement la tête sur le côté, ferma à moitié les yeux, pencha son visage vers le sien, se rapprochant dangereusement… mais au dernier moment, il sentit la culpabilité lui mordre les entrailles, et il recula lentement son visage, se contentant de la prendre par les épaules et de la déposer dans l’eau, qui arrivait à la taille de Kay.

Ah, les femmes, pourquoi étaient-elles aussi belles? Une seconde de plus, une seule et le Silencieux aurait fait une sale bêtise. Faisant comme si de rien n’était, Kay lança :

-Tu cours assez vite pour une naine, dis donc. Je ne t’aurais jamais crue capable de me rattraper, avec tes petites jambes.

Il ricana à nouveau, effaçant toute trace du sentiment inexplicable qu’il avait semblé éprouver l’espace de quelque secondes

Ce que ça faisait du bien de sourire. Surtout quand on savait pas pourquoi au juste on souriait. Ça venait comme ça, sans nous demander notre avis et sans raison particulière... Un sourire instinctif. On pouvait toujours suivre la logique de la chose, parce qu'un sourire ne venait pas n'importe quand en fait. Non, un sourire, il s'agit simplement d'un étirement de lèvre instinctif à une situation ou à des dires amusants, flatteurs ou humoristiques. Mais si on le dit comme ça, ça devient presqu'ennuyant. Je sais je sais, Axel qui pense que la logique est ennuyant OMG allez, on tombe tous de nos chaises en coeur!!! Hey toi, le lecteur au chandail pourpre, j'ai pas entendu le BANG! du tombage de ta chaise, refait moi ça! Pourquoi? Bah parce que j'ai dit qu'il fallait tous tomber de nos chaises en coeur bien entendu, c'est pas sorcier... QUOI???? Comment ça t'en a pas envie??? Pfff lecteurs ingrats... Bref, c'est vrai, la petite druidesse n'a pas l'habitude de critiquer la logique. Mais faut admettre que ces derniers temps, ça devenait une mauvaise habitude... Bon d'accord, le terme 'mauvaise' est peut-être mal choisit. Quand même, c'est pas bon pour la santé de toujours penser à la logique, vous avez vu Star Trek non??? Les vulcains ont toujours des gueules de mecs qui se marrent pas dans la vie et ils ont le teint vert! Bref, la logique, c'est bien, mais comme on dit, trop c'est comme pas assez. Et puis en ce moment, quand cette logique lui criait d'arrêter de sourire et de montrer sa bonne humeur comme ça, à coeur ouvert, et qu'elle se sentait si bien en souriant, elle avait envie de jouer les petites rebelles. C'est pas demain qu'elle se mettra à prendre des substances illicites et à s'habiller en noir, mais ignorer sa logique interne pour la rouquine, c'est déjà un gigantesque pas vers l'avant. Vous savez, un pas Kayiens quoi? Un pas de géant à tête blanche! Tien, ils devraient en faire un dicton!!! Du genre 'merde, je viens de me piquer dans un problème Kayien, genre giantesque!!!' Quoi que... Kay deviendrait sans doute encore plus insupportable après ça, valait mieux pas. BREF, après tous ces dédales et trucs IMPERTINENTS, on revient au point initiale qui était en fait le fait qu'Axel aimait sourire. Cela faisait si longtemps qu'elle s'était enfermée dans ses murailles de glace... Axel avait l'impression d'être sortit une seconde de sa forteresse pour jeter un coup d'oeil curieux au dehors et de s'être figée devant la beautée du monde. Ça parait presque trop ridicule dit comme ça, mais c'était pourtant ce qu'elle ressentait. Ce sentiment de joie de pouvoir enfin montrer aux gens qu'elle aussi pouvait rire, qu'elle aussi pouvait sourire... C'était si satisfaisant... Et pendant plusieurs minutes, elle se demandait vraiment pourquoi elle s'en était privée. On aurait dit que quelque chose s'était brisé en elle, la rendant consciente de sa stupidité d'avoir décidé de s'enfermer dans le froid. Maintenant qu'elle souriait et ressentait la joie, c'était comme une drogue, elle en voulait plus. La druidesse voulait ressentir la morsure de la tristesse, l'échauffement de la colère... Toutes ces choses qu'elle avait oublié et qui lui revenaient en flashs, de minuscules souvenirs enfouis au plus profond de sa mémoire.

Quand son fou rire se calma, la rouquine se tenait les côtes et essuyait doucement des larmes qui perlaient au coins de ses yeux. Elle souriait toujours pourtant, inconsciente de sa beauté actuelle. C'était sans doute ce qui l'avait poussée à s'enfermer derrière ses murs de glace... La jeune femme avait voulut cacher cette beauté chez elle qui ne se découvrait que par la passion avec laquelle elle vivait ses émotions autre fois. Axel était petite et ses formes étaient négligeables. En plus, si on notait son habillement peu flateur, elle avait presque l'air d'une enfant. Si ses cheveux n'étaient pas si flamboyants et ses yeux si impressionnants, sans doute que les hommes ne lui porteraient même pas de regards. Mais maintenant qu'elle était ainsi, ses vêtements moulant son corps fragile, un sourire illuminant son visage... Cette beauté intérieure si rarement visible se dévoilait à Kay, à la manière d'une huître qui découvrirait sa perle aux yeux d'un pêcheur. Tant de poésie pour dire que la jeune femme était enfin prête à revivre, tout ça à cause de ce fichu géant qui lui causa tant d'ennuis. Il était assez ironique de voir les sentiments de la druidesse frigide changer si drastiquement... Mais qui pouvait quoi que ce soit aux pouvoirs de Cupidon et de Destinée? Axel n'avait pas l'intention de laisser l'homme sur lequel elle était assise savoir les sentiments qu'elle éprouvait à son égard, mais elle les acceptait enfin, se disant que si un homme arrivait à la délivrer de sa forteresse, il avait le droit d'obtenir sa confiance. Tout ce qui lui manquait au bougre, c'était un fichu destrier, un grand cheval blanc pourquoi pas. Et à la grandeur du géant, Axel ne doutait pas que ce serait un ÉNORME étalon... Et finalement, ce cheval s'effaça de ses pensées. La jeune femme réouvrit les yeux et regarda un moment le visage dépassant de l'eau du géant. C'était tellement ridicule, de le voir, tenter de ne pas mourir noyer et retenant son visage hors de l'eau, qu'elle dut mettre une main sur sa bouche pour étouffer de nouveaux éclats de rire, les yeux pétillants de malice. Si elle avait su à cet instant les noirs desseins du géant, sans doute qu'elle n'aurait pas été aussi apte à lui céder le bénéfice du doute. Si Axel aurait pu connaître le but ultime de Kay, qui était de la mannipuler afin de se venger des idiots qui avaient massacré son bras, sans doute aurait-elle perdu tout sourire. Elle se serait de nouveau recroquevillée dans le froid de sa forteresse, résolue à y rester à jamais... Mais heureusement, elle n'était pas télépathe. Et le temps qu'elle se rende compte de ce qui se passait, la pauvre serait tellement habituée à montrer ses émotions qu'elle ne pourrait plus retrouver sa forteresse.

Dans un sens, c'était un mal pour un bien. Il est certain que si Kay lui demandait de l'aide par lui-même, se serait différent... Et dans son état, elle le suivrait sans doute sans poser de questions, pour la seule raison de vouloir être en sa compagnie. POur en apprendre sur lui, sur sa personne, passer outre le mur de moqueries. Elle se saisit nerveusement de mèches de cheveux mouillées qui lui obstruaient la vue et les mit derrière son oreille, un vague sourire amusé flottant au coin de ses lèvres pulpeuses. Si quelqu'un avait été assez malin pour comparer une photo de l'ancienne Axel à celle-ci, il pourrait facilement croire que ce n'était pas du tout la même personne. Mais Kay trouva le moyen de briser le tableau avec sa prochaine phrase. Elle perdit un peu son sourire et tourna son regard sur ses mains, sentant ses joues brûler d'une petite rougeur qui l'agaça grandement. Elle voulut se reprendre, se fouillant les méninges pour une réplique appropriée, puis finit par hausser un sourcil et imiter son ancienne personne en prenant un ton neutre sarcastique :

"Si c'est ce genre de trucs que tu dis aux femmes pour les séduire, alors je comprends mieux... Ça explique BIEN des choses..."

Elle tenta de garder son sérieux encore un moment et de retrouver son visage impassible, mais après quelques minutes, un tic souleva son coin de lèvre et elle ne pu empêcher un mince sourire moqueur de se poser sur ses lèvres. Embarasse de son comportement, Axel détourna le regard, les yeux remplis d'émotions. Ce cadeau que Kay lui donnait, toutes ces émotions retrouvées... Elle ignorait comme lui rendre la pareille. Elle aurait voulut le remercier, mais ne savait pas comment s'y prendre. La jjeune femme n'avait pas envie que le géant se moque d'elle, qu'il ridiculise ses excuses comme il ridiculisait toute chose. Et puis, il ne comprendrait assurément pas pourquoi elle le remerciait. Après tout, il ignorait tout ce qui se passait dans son coeur et dans son esprit... Est-ce que lui parler de remerciements lui ferait comprendre qu'elle était amoureuse de lui? Valait mieux pas prendre le risque... Que faire alors, pour lui faire plaisir? Ses pensées revinrent vers l'image de Daneva, la chef de la compagnie si mystérieuse avec laquelle elle avait voyagé pendant si peu de temps. Axel jeta un regard en coin à Kay. Serait-il heureux si elle lui disait qu'elle continuait de marcher avec cette compagnie, à lui offrir ses services? Ou allait-il penser simplement qu'elle désirait joindre les rangs et qu'elle ne faisait pas ça pour lui? Ah la la par Kiria, que c'était difficile de rendre la pareille à quelqu'un qui vous rendait service!!!! Les pensées de la druidesse s'interrompirent quand Kay tenta de se relever. Le sentant, elle se rendit soudain compte de leur situation et se rappela qu'elle était complètement trempée. Retenant un sourire moqueur, elle se releva tant bien que mal, reconnaissante à Kay de la soutenir comme il put. Cependant, quand ils furent de nouveau debout, elle avec de l'eau jusqu'en dessous de la poitrine et lui jusqu'au ventre, elle s'attendait à ce qu'il la lâche... La druidesse releva donc la tête vers lui en réalisant qu'il la tenait toujours contre lui. Le moment se suspendit alors. Axel sentit enfin son sourire s'évanouir complètement. À la place, une sensation étrange envahit tout son corps, tandis qu'elle fixait les deux saphirs avant si goguenards qui servaient de yeux au géant. La rouquine se rendait enfin compte à quel points ils étaient collés l'un à l'autre. Elle se rendit enfin compte que Kay était toujours à moitié nu et elle complètement trempée avec des vêtements qui moulaient parfaitement ses formes... Axel se rendait enfin compte que Kay était un homme, un homme avec des envies, et elle une femme. Car cette sensation de chaleur qui se répendait dans son corps, le fait que son coeur battait la chamade et cette électricité qui semblait s'animer dès que Kay bougeait... C'Était bien de l'attirance physique.

C'était une sensation qu'elle n'avait jamais eut le temps de ressentir. Son baiser avait été si soudain et si bref avec Tristan, qu'elle n'avait pas eut le temps de ressentir le désir. Mais maintenant qu'elle était là, figée et qu'elle prenait le temps d'analyser ce qu'elle ressentait... En plus du fait qu'elle avait observé ce genre de réactions souvent chez les autres... Elle devait se rendre à l'évidence. Ses yeux firent le tour du visage du géant, qu'elle trouvait soudain bien plus viril et grand, mais surtout sérieux. Le sourire amusé qui teignait avant ses lèvres avait complètement disparut, lui laissant un air indéchiffrable qui la troublait. Axel cherchait les abîmes bleues du regard de son géant, voulant comprendre... Elle crut déceler quelques étincelles contenues qui animèrent une sensation étrange dans son coeur. La rouquine sentit le regard de l'homme descendre sur ses lèvres et crut un moment comprendre la nature de ses pensées. Son coeur s'arrêta quand le géant s'avança vers elle, doucement, se baissant... Elle ferma les yeux, attendant le moment où... Mais ce moment ne vint jamais et la druidesse dut se contenter de la courte sensation du souffle de l'homme contre ses lèvres. Sans s'expliquer l'affreux sentiment de déception qui prenait son coeur, la jeune femme réouvrit rapidement les yeux et le fixa un long moment avant de détourner le regard, soudain embarassée d'être aussi mouillée et collée au géant. Celui-ci eut sans doute une pensée similaire, puisqu'il la déposa dans l'eau doucement. Elle n'avait même pas réalisé qu'il l'avait soulevé et maintenant, la froideur de l'eau la saisit vivement. Son corps avant imprégné de chaleur était maintenant presque froid. Elle écouta ses paroles et compris qu'il essayait, à sa mannière, de faire comme si rien ne venait de se passer. La jeune druidesse sourit doucement et répondit sans le regarder :

"Tu te trompes, je ne cours pas si vite que ça. En fait..."

Elle le regarda un moment, puis se cramponna à son épaule et le força à se baisser pour se rapprocher dangereusement de sa bouche. Mais au dernier moment, elle dirrigea ses lèvres vers sa joue où elle déposa un bisou moqueur avant de le lâcher et d'ajouter, sourcil levé :

"C'est toi qui réagit aussi lentement qu'un escargot. "

À ses mots, elle tourna les talons et jugea sa vengeance accomplie. La jeune femme sortit de l'eau, non consciente qu'elle offrait une vue imprenable de son corps moulé à l'homme et qu'elle jouait un peu les agaces. Elle se dirrigea vers son sac, cherchant à se débarasser de cette envie de courrir vers Kay pour l'embrasser, se mordant la lèvre. Tout en pestant contre elle-même, ses doigts jouèrent avec les attaches de sa tunique. Si avant elle était prude, ses pensées préoccupées oubliaient qu'elle se dévêtissait en présence d'un homme. Une fois sa tunique du haut délassée, elle la retira, se retrouvant en petite chemise corail légère complètement trempée. Elle rassembla quelques brindille et murmura une incantation magique pour faire apparaître un feu, farfouillant dans son sac pour trouver une quelconque tunique de rechange, faisant sécher sa tunique de cuir auprès de son feu.

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