Les sentiers n'en finissent pas... (Etheldred)

Une bien belle bête, que ce cheval.

L'encolure puissante et le garrot large, il allait au pas, patiemment, foulant de ses sabots lourds le chemin de terre qui se frayait un passage au coeur de la forêt. Derrière venait la roulotte, que l'animal traînait sans renâcler, et qui aurait été du même noir que la robe luisante du cheval s'il n'y avait eu les deux longues bandes rouge vif sur ses flancs de bois. Difficile de rester discret en pareil attelage ; les sabots de la bête claquaient durement sur le sol, et les essieux des larges roues grinçaient sans cesser, tressautant au gré des ornières. Un véritable tapage, perturbant le silence modéré qui régnait sous l'épais feuillage des arbres.

Installé à l'avant de la roulotte, rênes en main, Vermillon leva un instant la tête. La lumière ambrée qui filtrait entre les troncs épais indiquait que la nuit n'allait pas tarder à tomber ; or, il était bien en peine de savoir si la route qu'il suivait actuellement pouvait le conduire hors d'Aduram avant le coucher du soleil. Divers retards l'avaient contraint de changer son itinéraire ordinaire ; mais en fait de raccourcir sa route, il semblait au contraire s'être enfoncé plus avant au coeur des sous-bois. Sa boussole ne fonctionnait visiblement plus, et les frondaisons denses l'empêchaient de se référer à la position des étoiles. Quant aux cartes... Peuh ! Aucune carte n'était fiable quand il s'agissait de forêt.

Le jeune homme devait l'admettre : il était bel et bien perdu.

- Quel idiot ", marmonna-t-il pour lui-même en fouillant des yeux les alentours avec une inquiétude grandissante.

Les fourrés, les talus, les branches s'étaient peuplés d'ombres. Et bien que Vermilon fût à peu près capable de percer l'obscurité du regard, l'imagination aiguillée par la peur inventait des silhouettes, des mouvements inexistants, et une foule de petits détails furtifs perçus du coin de l'oeil.

D'instinct, la main de l'herboriste tâtonna sur le côté jusqu'à se rassurer au contact dur et froid d'un pommeau. Hors du fourreau, prête à l'usage, la rapière brillait d'un noir métallique, bien en vue ; Vermillon espérait que l'exposer ainsi découragerait quiconque souhaitant l'attaquer. Cela dit, c'était un coup de bluff assez risqué : posséder une arme ne signifie pas forcément que l'on sait s'en servir. Le jeune homme savait vaguement se battre, certes... Mais il n'était tout simplement pas fait pour cela. Il était fait pour le troc, pour le voyage et l'échange, pour la cueillette et la préparation des simples ; point final. Malheureusement, ces talents-là s'avéraient être de bien piètres défenses en temps de guerre, ou contre la menace omniprésente des bandits de grand chemin.

Vermillon émit un soupir léger, très ténu, et tâcha de chasser l'angoisse de son coeur. Allons. Les détrousseurs préféreraient probablement opérer sur les routes, où les caravanes marchandes sont plus nombreuses, qu'au fin fond d'une forêt. A la rigueur, il pouvait raisonnablement craindre l'attaque de bêtes sauvages... Et contre ceci, il saurait tout à fait se défendre.

Ce bref raisonnement ne l'empêcha pas de redresser le menton et de scruter une nouvelle fois les environs, l'oeil défiant, tout en faisant en sorte que l'appréhension ne se lise pas sur son visage. Prudence est mère de sûreté, dit-on...

Un cheval approchait, ainsi qu'une charette, ou quelque chose dans le genre. Etheldred cessa aussitôt de ramasser ses plantes et chercha du regard un arbre sur lequel grimper. C'était sa façon de faire habituelle pour éviter toute rencontre désagréable. Elle était devenue plutôt douée pour la dissimulation dans les feuillages. Quand on se promène seule dans les bois, il vaut mieux éviter le danger que chercher à l'affronter face à face. Elle n'était pas peureuse, juste prudente et très méfiante. Et puis, la méthode avait fait ses preuves.

Elle eut tôt fait de repérer un arbre adéquat et grimpa rapidement avec la force de l'habitude. Le bruit de grincement et de sabot se rapprochait rapidement. Elle s'installa de façon à pouvoir rester longtemps sans bouger puis elle observa le chemin. Un cheval noir apparut, qui tirait, non pas une charette, mais une roulotte, noire également si ce n'était deux bandes rouges qui la décoraient. Un jeune homme la conduisait. Elle remarqua de suite ses cheveux couleur du sang, puis, dans un deuxième temps, son air perdu. Il regardait de droite et de gauche comme s'il cherchait son chemin, mais aussi, peut-être, avec une certaine crainte.

Elle en fut certaine quand elle le vit tatonner pour toucher sa rapière dans ce qui semblait être un geste destiné à se rassurer. Elle sourit, amusée, sans bouger. Il ne l'avait pas vue, mais vu sa nervosité, il avait peut-être senti sa présence. Il parut se reprendre un moment et elle hésita : il était perdu, de toute évidence et elle connaissait la forêt comme sa poche. Il avait peu de chance de tomber sur quelqu'un d'autre disposé à lui indiquer sa route, surtout à une heure pareille. Seulement, si elle ne s'était pas encore manifestée, c'était par crainte qu'il ne soit pas aussi pacifique qu'il en avait l'air. Elle avait trop souvent voulu aider des gens pour finalement s'en mordre les doigts. Maintenant, elle réfléchissait à deux fois avant de se précipiter. Elle soupira et se décida : au diable la méfiance ! Après tout, elle était armée, elle aussi, elle pourrait toujours se défendre si besoin était.

Elle prit appui sur la branche où elle était assise et se laissa glisser souplement au pied de l'arbre. Elle n'était qu'à quelques mètres de la roulotte, la main posée sur la garde de son épée. Elle aurait préféré son arc, mais elle n'avait pu descendre tout en encochant une flêche et elle l'avait gardé dans son dos.

Elle sourit légèrement, l'air un peu anxieux :

" Bonjour. Je peux vous aider ? Vous semblez perdu. "

Elle n'avait plus qu'à prier pour que sa gentillesse ne soit pas mal récompensée comme trop souvent... Enfin, l'inconnu n'avait pas l'air mauvais, au contraire, son visage inspirait plutôt la confiance. Elle se détendit un peu, mais resta sur ses gardes : on ne modifie ainsi les habitudes de presque toute une vie.

La vigilance de Vermillon avait commencé à s'atténuer ; en fait, il troquait simplement une appréhension pour une autre. Ce n'était plus tant la perspective de voir surgir des brigands ou autres créatures peu recommandables au visage tordu et aux mains hérissées de couteaux - une vision du danger somme toute très enfantine, comme l'est celle des gens qui n'ont pas souvent été confrontés à la réalité du danger - qui l'inquiétait. Désormais, l'idée de devoir dormir ici, au milieu d'Aduram, concentrait toutes ses angoisses. Il songea au fait que la lumière déclinait rapidement et qu'il lui faudrait bientôt accrocher une lanterne à la tête de sa roulotte ; mais il n'était plus trop sûr d'avoir assez de suif. Peut-être qu'il aurait fallu quitter la route bien plus tôt et trouver un coin tranquille pour installer la roulotte en attendant le lever du jour, au lieu de réfléchir dans la précipitation ; mais ce fichu chemin le narguait, semblait lui promettre une issue à chaque détour. Il voyait la ligne pâle de la route rouler des hanches entre les arbres, comme une femme aguicheuse et cruelle qui ne s'offre que pour mieux se dérober. Et lui, eh ! il entrait dans le jeu de cette mijaurée comme un innocent.

Oui, décidément, il était plus sage de s'arrêter. Avec un peu de chance, il trouverait un point d'eau et...

Un craquement. Un froissement de feuilles, et le geste souple d'une branche qui se détend, libérée d'un poids. Vermillon vit très nettement la forme humaine qui sautait au sol avec vélocité - ce n'était pas une hallucination, cette fois-ci - , se recevant sans mal au sol, quelques pas en avant. Son coeur fit un bond. D'un geste presque convulsif, le jeune homme tira sur les rênes et de l'autre main saisit son arme, fébrilement.

- Nom de...! "

Le cheval, loin de partager la panique de son propriétaire, s'arrêta tout simplement pour fixer un oeil morne sur la nouvelle venue, mâchonnant ses mors avec un calme de stoïcien.

Vermillon s'imaginait déjà fait comme l'un de ces malheureux marchands que les bandes de détrousseurs prennent pour proies, lorsque la voix de l'inconnue s'éleva, nullement hostile.

- Bonjour. Je peux vous aider ? Vous semblez perdu. "

Il y eut un instant de flottement pendant lequel le jeune homme resta parfaitement immobile, à demi redressé, l'épée en main et les yeux verts fixés sur la femme qui venait de surgir de manière si inattendue. Il considéra l'arme à son flanc, ainsi que la main posée sur la garde, faussement innocente, et le sourire qu'elle affichait. Il y avait des chances pour que cette approche amicale ne soit qu'une ruse ; mais il y avait probablement autant de chances pour qu'elle veuille véritablement l'aider. La prudence de Vermillon l'incitait à se méfier, mais il fallait reconnaître que passer à côté d'une aide aussi providentielle aurait été une belle erreur.

Se sentant soudain monstrueusement ridicule, le jeune homme cilla.

- Oh... Euh... Je... "

Il se rassit lentement sans la quitter des yeux, la respiration contenue quoiqu'un peu plus calme - et la main toujours serrée, malgré tout, sur la garde de sa rapière.

- C'est que... enfin... Je cherche à rejoindre la route qui mène à Diantra mais... Je crois que je me suis... fourvoyé. "

Etheldred s'en voulu quelque peu d'avoir fait peur à l'inconnu et elle craignit un instant qu'il ne lance la roulotte à travers le chemin. C'aurait été dangereux et elle fut soulagée de voir que le cheval, lui, ne réagissait pas outre mesure. Ce qu'elle lui dit n'eut pas l'air de le rassurer et il saisit son épée. Elle dut se forcer à ne pas en faire autant par réflexe. Inutile d'envenimer les choses. Et puis, elle avait encore le temps de s'y mettre s'il s'approchait. Sur le visage du jeune homme, la méfiance laissa peu à peu place à la gène.

" Oh... Euh... Je... "

Soit il était un parfait acteur, soit elle n'avait vraiment pas grand chose à craindre de lui. Enfin, pas sur le moment et pas tant qu'elle-même ne lui voulait aucun mal. Vu la façon dont il tenait sa rapière, il savait s'en servir. Bien ? Elle ne pouvait le dire, mais ne tenait pas le découvrir.

" Désolée de surgir comme ça, je voulais m'assurer de ne pas avoir affaire à des bandits avant de me montrer. "

Il se calma assez pour s'expliquer :

" C'est que... enfin... Je cherche à rejoindre la route qui mène à Diantra mais... Je crois que je me suis... fourvoyé. "

Etheldred haussa les sourcils. Effectivement, il s'était égaré. Pas de beaucoup, mais s'il continuait ça empirerait d eminute en minute. Elle acquiesça.

" Oui, effectivement, vous n'êtes plus sur le chemin principal. Nous sommes... " elle regarda autour d'elle, cherchant à déterminer exactement leur emplacement, puis se yeux revinrent se poser sur lui. " Vous devez revenir sur vos pas, sur environ... Disons, à votre rythme, vous en avez pour une demi-heure, peut-être. Ensuite, reprendre le chemin principal et continuer vers le sud, vers Diantra. "

Elle hésita. Elle pouvait le laisser là et retourner chez elle. Vu l'heure, il était plus que temps. A moins qu'elle ne dorme dans les bois, elle n'avait pas encore décidé. Seulement, lui, vu son comportement, il n'était pas prèt à passer la nuit ici. Mais elle ne voulait pas le vexer en laissant sous entendre qu'il ne savait pas où il allait, surtout qu'elle se trompait peut-être. Tant pis, elle préféra tenter :

" Vous ne serez pas à Diantra avant un bon moment. Je veux dire, d'ici, voyons, deux heures vous aurez traversé la forêt. Mais il faut une journée avec un cheval au galop pour traverser la plaine. "

Qu'est ce qu'il faisait ainsi dans les bois ? Surtout chargé d'une roulotte, c'était dangereux. Au moindre problème, il serait obligé de l'abandonner, ainsi que son cheval. Elle-même avait bien vu la différencelorsqu'elle s'était déplacé avec un énorme baluchon... On ne pouvait éviter les dangers en grimpant dans un arbre ou courir facilement plsu loin. On se retrouvait entravé... Elle l'aurait bien mis en garde, mais à quoi cela aurait-il servi ? Maintenant qu'il y était...

Gêné, embarrassé, mal à l'aise ; autant de qualificatifs différents qui pouvaient tout à fait correspondre à l'état de Vermillon. Le calme relatif et la maîtrise d'elle-même dont faisait preuve l'inconnue le renvoyaient au ridicule de sa propre nervosité. Heureusement qu'il n'était pas de ceux qui rougissent facilement.

- Désolée de surgir comme ça, je voulais m'assurer de ne pas avoir affaire à des bandits avant de me montrer ", s'expliqua la femme, tirant de la part de Vermillon un sourire un peu hésitant, quoique soulagé : en fin de compte, ils se méfiaient tous deux l'un de l'autre pour de mauvaises raisons.

Décidant de faire confiance à l'apparente cordialité de la femme, le jeune herboriste déposa lentement la rapière à son côté, indiquant de ce fait qu'il n'avait pas l'intention de lui faire de mal. Enfin.. Certes, dans l'absolu, il ne représentait pas un danger pour grand monde de toute façon.

- Oui, effectivement, vous n'êtes plus sur le chemin principal. Nous sommes... " commença la femme - magnifique ! non seulement elle n'allait pas le détrousser, mais en plus elle semblait vraiment apte à lui indiquer comment sortir de cette fichue forêt.

"... Vous devez revenir sur vos pas, sur environ... Disons, à votre rythme, vous en avez pour une demi-heure, peut-être. Ensuite, reprendre le chemin principal et continuer vers le sud, vers Diantra. "

Vermillon déchanta aussitôt, et ne put retenir une exclamation de dépit.

- Une demi-heure !? "

Voilà qui semblait bigrement long. Une demi-heure à errer seul sur les routes pernicieuses d'une forêt pernicieuse baignée dans une nuit tout aussi pernicieuse, ce n'était pas vraiment la plus agréable des perspectives pour le jeune homme qui décida que, oui, pour de bon, il détestait Aduram. De plus, revenir sur ses pas signifiait faire demi-tour avec sa roulotte, manoeuvre terriblement malaisée en pareil endroit.

- Vous ne serez pas à Diantra avant un bon moment. Je veux dire, d'ici, voyons, deux heures vous aurez traversé la forêt. Mais il faut une journée avec un cheval au galop pour traverser la plaine ", ajouta ensuite la femme, achevant de le décourager.

- La plaine, ce n'est pas un problème, soupira Vermillon en se massant les tempes du bout des doigts. Tout ce que je souhaite, c'est sortir de cette forêt. Enfin, je... je n'arrive pas à lui parler. C'est peut-être parce qu'il va bientôt faire nuit, ou... je ne sais pas. Je ne l'aime pas. "

Se rendant probablement compte d'à quel point ses propos pouvaient paraître décousus, il bredouilla ensuite de vagues excuses, relevant sur la femme un regard désorienté.

- Il n'y a vraiment aucun autre chemin ? Pas de... raccourci ? Enfin, que je puisse emprunter, bien sûr... Et... euh... Vous voyagez seule ? Sans indiscrétion, je veux dire, mais c'est dangereux par ici, non ? "

Le jeune homme déposa sa rapière et Etheldred éloigna la main de son épée. Il semblait vraiment ennuyé du temps de trajet qu'elle lui révèlait lui rester.

" La plaine, ce n'est pas un problème. Tout ce que je souhaite, c'est sortir de cette forêt. Enfin, je... je n'arrive pas à lui parler. C'est peut-être parce qu'il va bientôt faire nuit, ou... je ne sais pas. Je ne l'aime pas. "

Etheldred sursauta : "lui parler" ? Elle pensa tout d'abord à quelqu'un qui aurait été dans la roulotte, mais ce n'était pas ça. Il parlait... Il parlait de la forêt si elle ne se trompait pas. Pourtant, ce n'était pas un elfe. Quoique... avec l'obscurité qui tombait, elle n'en était plus si sure. Un demi, peut-être ? A cette idée, elle eut une pensée pour sa mère et se troubla.

" Il n'y a vraiment aucun autre chemin ? Pas de... raccourci ? Enfin, que je puisse emprunter, bien sûr... Et... euh... Vous voyagez seule ? Sans indiscrétion, je veux dire, mais c'est dangereux par ici, non ? "

Sa voix lui remit les idées en place, elle se reprit.

" Euh... hem ! Non, pas de raccourci à moins de couper à pied à travers bois. Et... Je ne voyage pas, j'habite la forêt. " elle se rendit compte qu'elle allait encore passer pour une folle, mais continua néanmoins comme si de rien était, J'y ai installé mon herboristerie, pas très loin d'ici. Je l'aime bien cette forêt, moi... " ajouta-t-elle doucement.

Ca c'était le moins qu'on puisse dire. Elle y crapahutait depuis toute petite, attirée irrésistiblement par les arbres et... ses pensées revinrent sur sa mère. C'était peut-être d'elle qu'elle tenait cela. Elle chassa ses idées qui ne la menaient jamais nulle part et reprit :

" Et oui, c'est dangereux. Mais je suis bien armée et j'ai appris à me faire discrète. Je n'ai... presque jamais eu de problème. " le "presque" était plutôt nécessaire pour rester honnète, mais il était vrai que dans l'ensemble, elle s'en était toujours bien sortie. " J'avoue que la plaine m'inquiète d'avantage. Il n'y a presque pas d'arbre où se dissimuler, on est vu à des kilomètres à la ronde, c'est beaucoup plus dangereux."

Intérieurement, elle se demandait que faire. Elle comptait rentrer à l'herboristerie, c'était le plus sûr, même si elle devrait marcher un peu. La question était de savoir si elle lui proposerait de l'accompagner. Elle n'aimait pas laisser les gens se débrouiller avec leurs problèmes, mais elle ne tenait pas non plus à s'en attirer.

" Je...elle hésita. Je peux vous héberger si vous voulez. "

Voilà, c'était dit. Elle n'avait plus qu'à prier pour que, s'il accepte, elle ait eu raison de lui faire confiance. Enfin, elle s'en serait voulue de le laisser continuer de nuit. Même elle, en étant habituée, lorsque la nuit tombait, elle cessait de se déplacer et se camouflait du mieux qu'elle pouvait. Avec son cheval et sa roulotte, elle ne voyait pas comment il pouvait réussir ce tour de force.

" En tous cas je vous déconseille fortement de continuer de nuit. "

D'ailleurs, en y pensant, elle ne pourrait plus ramasser ce qu'elle était venue chercher dans l'obscurité. Elle retourna à quelques pas, près des plantes qu'elle voulait avant qu'il n'arrive, et sélectionna un plan. Elle ne faisait pas une simple récolte, elle prenait de quoi replanter pour son jardin. De la chelidoine pour cette fois. Elle installa la pousse avec précaution dans sa sacoche et se releva, attendant la réponse du jeune homme.

La femme parut un bref instant déstabilisée par les propos de Vermillon, mais se ressaisit bien vite.

- Euh... hem ! Non, pas de raccourci à moins de couper à pied à travers bois. Et... Je ne voyage pas, j'habite la forêt. "

Curieusement, l'annonce ne lui valut aucun regard effaré de la part du jeune homme. Ce n'était pas tant habiter dans une forêt qui l'effrayait - après tout, il connaissait assez bien ce genre d'endroit pour s'y sentir à l'aise la plupart du temps - mais bien d'y être seul et perdu, comme c'était actuellement son cas. De fait, à mesure qu'ils parlaient tous deux, la femme et lui, Vermillon commençait à reprendre contenance et à raisonner ses craintes. Certes, Aduram lui était moins sympathique qu'Anaëh, mais ce n'était pas là une raison pour la détester. La peur de ne pas retrouver son chemin - et d'être possiblement attaqué - n'avait rien à voir avec la forêt elle-même. Il fallait qu'il se reprenne, qu'il se calme.

- J'y ai installé mon herboristerie, pas très loin d'ici. Je l'aime bien cette forêt, moi... " dit alors l'inconnue.

Vermillon se figea. Porta sur la femme un regard intense, étrange, mêlé d'espoir et d'incrédulité.

- Vous... Vous êtes herboriste ? C'est vrai ? "

Dia, la chance avait décidé de lui sourire, finalement ! Rien que l'altruisme dont faisait preuve la jeune femme en décidant de l'aider était déjà extraordinaire en soi ; mais qu'en plus elle soit de sa profession... C'était inespéré. Toute la méfiance de Vermillon à l'endroit de son interlocutrice s'envola sur-le-champ. Comment se méfier de quelqu'un qui partage la même passion que vous ?

Enthousiaste et soulagé, le jeune homme remarqua à peine le trouble furtif qui s'empara de l'inconnue, et accueillit ses propos suivants d'une oreille assez distraite.

- J'avoue que la plaine m'inquiète d'avantage. Il n'y a presque pas d'arbre où se dissimuler, on est vu à des kilomètres à la ronde, c'est beaucoup plus dangereux ", disait-elle.

- Oh, mais si l'on peut être vu, on peut aussi voir à des lieues à la ronde et donc savoir à quoi s'attendre... C'est mieux que d'être pris par surprise. Et puis, les villages sont plus fréquents aux abords des grandes routes, il y a même des patrouilles, parfois. Herboriste ! Ca alors. Ca alors... Excusez-moi, mon enthousiasme peut paraître saugrenu, mais c'est également le métier que j'exerce. "

Vermillon serra machinement les rênes dans son poing, contemplant celle qui lui faisait face d'un oeil nouveau, presque admiratif. Cette femme connaissait sans nul doute beaucoup plus de choses que lui sur les variétés de plantes communes à la forêt d'Aduram. Peut-être qu'il pourrait rester un peu - ou revenir - et parfaire ses propres compétences en sa compagnie, si elle acceptait, bien entendu. Tandis qu'il songeait à cela, l'inconnue lui proposa soudain de l'héberger, tout en le mettant en garde sur les dangers qu'il pouvait courir à poursuivre sa route seul en pleine nuit. Implicitement, elle ne lui laissait pas vraiment le choix - mais Vermillon était trop soulagé pour saisir cette subtilité.

- Eh bien... Je ne voudrais vraiment pas déranger, mais l'idée semble sage, et... Attendez ! "

La femme avait tourné les talons et il craignit un moment qu'elle ne soit revenue sur sa décision, préférant l'abandonner à son sort, mais... Non. Elle se contenta simplement de cueillir quelque chose - il ne vit pas bien de quoi il s'agissait - avant de glisser sa prise dans la sacoche qui battait son flanc.

Vermillon toussotta.

- Hem. Pardon, j'ai cru que... Ce n'est pas grave. Vous habitez loin d'ici ? Vous savez, je ne peux pas abandonner ma roulotte, tout mon matériel est dedans... "

Un herboriste également ? Etheldred sourit, ses propres craintes s'étant également envolées. Elle avait de la chance, songea-t-ele en ramassant sa plante. Elle lui lança un regard étonné lorqu'il lui demanda d'attendre. Attendre quoi ? Il eut l'air confus :

Hem. Pardon, j'ai cru que... Ce n'est pas grave. Vous habitez loin d'ici ? Vous savez, je ne peux pas abandonner ma roulotte, tout mon matériel est dedans... "

Son matériel ? D'herboristere ? Voilà qui était intéressant ! Peut-être pourraient-ils partager leurs connaissances respectives. Si c'était un voyageur, il avait sans nul doute des remèdes qu'elle ne conaissait pas. Avait-il également des ouvrages sur le sujet ? Elle aurait pu passer du temps à se poser des questions... Enfin, la nuit était sur le point de tomber, ils auraient bien le temps d'aborder le sujet une fois à l'abri. Elle secoua la tête, essayant de reporter le trajet à travers bois sur le chemin.

" Non, même en passant par le sentier, une vingtaine de minutes, pas plus. Par contre, elle aura peut-être un peu de mal à passer jusqu'à la clairière, il faudra aller doucement. "

Elle espérait ne pas se tromper. C'était la première fois qu'un tel engin allait approcher de chez elle. D'ailleurs, il faudrait qu'elle remédie à ce problème. Des patients viendraient peut-être en charette un jour, elle ne pouvait pas laisser le chemin dans cet état. Mais elle était bien, nichée au coeur de la verdure, elle n'avait pas réellement envie d'êttre trouvée si facilement. Concilier ses rêves et la réalité n'allait pas être facile !

" Bien, allons-y."

Elle passa devant et commença à marcher d'un pas rapide. Toujours en avançant, elle se retourna un bref instant.

" Au fait, je m'appelle Etheldred. "

Très original comme début de conversation ! Décidément, elle était toujours aussi à l'aise dans les contacts humains ! Dès qu'il ne s'agissait plus d'herboristerie, elle avait tendance à se montrer très discrète. Trop discrète même. Alors, en présence d'un étranger, même si celui-ci ne lui inspirait plus de méfiance...

- Non, même en passant par le sentier, une vingtaine de minutes, pas plus. Par contre, elle aura peut-être un peu de mal à passer jusqu'à la clairière, il faudra aller doucement. "

Cela semblait tout à fait convenable. Vermillon comptait sur ses compétences pour manoeuvrer la roulotte de manière à suivre sans trop de peine le chemin que lui montrerait sa bienfaitrice ; fort heureusement, le lourd cheval obéissait sans jamais protester, aussi placide qu'un vieux boeuf.

- Bien, allons-y ", dit la femme, tournant presque aussitôt les talons pour s'avancer entre les troncs, de la démarche vive et assurée des gens qui savent où ils vont.

Vermillon pressa son cheval, craignant déjà de la perdre dans l'obscurité comme un mauvais mirage qui s'estompe avant qu'on ne puisse le saisir. Pas question de laisser passer sa seule véritable chance de passer une nuit en sécurité.

- Allez, grosse bête. "

Le massif cheval de trait secoua pesamment sa crinière noire, mordant ses mors sans véritable conviction avant d'avancer tranquillement, mettant l'attelage en branle. Les roues grincèrent, labourant le sol à grand bruit. Oui, pour ce qui était de la discrétion, ce n'était pas le moyen de transport le plus commode...

- Au fait, je m'appelle Etheldred ", lança soudain la jeune femme après un rapide coup d'oeil vers celui qu'elle guidait, haussant certainement un peu la voix pour se faire entendre par-dessus le bruit sourd des sabots et le roulis de l'attelage.

- Moi, c'est Vermillon, répondit l'autre avec un sourire. Enchanté. Dites-moi, vous ne voulez pas monter, plutôt que de marcher devant ? Ce serait plus, euh... plus pratique, peut-être, pour voir la route, non ? "

Si Etheldred se montrait discrète quand il s'agissait de contact humain, Vermillon n'était pas beaucoup plus doué dans ce domaine en vérité, comme le confirmait sa voix hésitante. Il y avait fort à parier, cependant, que l'un et l'autre se montreraient plus volubiles au sujet de leur art commun.

Oubliant toutes ses appréhensions de tantôt, Vermillon n'avait plus qu'une hâte : voir à quoi ressemblait l'herboristerie de cette femme, quels étaient les remèdes qu'elle proposait, et quelles plantes elle cultivait.

" Moi, c'est Vermillon. Enchanté. Dites-moi, vous ne voulez pas monter, plutôt que de marcher devant ? Ce serait plus, euh... plus pratique, peut-être, pour voir la route, non ? "

Etheldred arrèta de marcher, se retourna vers lui.

" Euh... oui, merci. "

Décidément, les trois quart de leur conversation allait être entrecoupée de "euh" ! Elle s'assit à côté de lui un peu maladroitement. Elle n'était pas montée sur ce genre d'engin depuis des années. Son truc, c'était la marche à pied et elle ne savait pas vraiment monter à cheval. Une roulotte, ça lui paraissait étrange... Elle lui rendit son sourire, un peu tendue, tandis que l'attelage reprenait son chemin en bringuebalant.

Elle commençait à peine à s'habituer aux cahos de la route lorsqu'ils arrivèrent. La clairière était à peine éclairée par la lune. On distinguait difficilement la maisonnette qui se fondait dans le décors. Etheldred sauta à terre lorsque Vermillon arrèta la roulotte.

" C'était... C'est amusant comme façon de voyager. "

La promenade lui avait rappellé des souvenirs : quand elle était toute petite et que son père l'emmenait en charette livrer le fruit de son travail...

Elle sortit la plante de sa sacoche.

" Vous permettez deux secondes ? Il faut que je la replante pendant qu'elle est encore en état. "

Sur ce, elle ouvrit la porte de l'herboristerie, récupéra une lanterne et un peu d'eau dans un seau, et entreprit de faire son jardinage dans le début de jardin à l'arrière de la maison. Il faudrait encore du temps avant qu'il soit digne d'un jardin d'herboriste.
Le tout n'avait pris que deux minutes, mais elle se releva en se demandant ce que son hôte allait bien pouvoir penser de son hospitalité : qui laissait les gens en plan pour aller faire du jardinage ?

" hem... désolée... Entrez, je vous en prie. "

Elle s'arrèta : qu'allait-il faire du cheval ? Le laisser comme ça en pleine nuit... Elle n'y pouvait pas grand chose, en même temps. Elle entra à l'intérieur et entreprit de raviver les cendres de la cheminée.


[hrp : si tu veux avoir une idée plus précise de l'herboristerie, va voir dans la partie "demeure"]

[ HJ : Vu ^^ ]


Vermillon se poussa sur le côté pour faire une place à la jeune femme lorsqu'elle accepta sa proposition, arrêtant un instant la progression de la roulotte. De la même manière, il saisit la rapière et la glissa sur son autre flanc de façon à ce qu'Etheldred puisse s'installer, puis remit l'attelage en marche. Derrière eux claquait une épaisse toile de jute, voile destiné à masquer aux regards l'intérieur de la roulotte.

Le reste du trajet se déroula dans un silence relativement gêné, du côté de la jeune femme autant que de celui de Vermillon. Mis à part les indications d'Etheldred, ils n'échangèrent pas un mot. Ce n'était pas tant qu'ils n'avaient rien à se dire, mais tout simplement que ni l'un ni l'autre ne savait par où commencer. Et puis, ah ! ils se connaissaient à peine...

Manoeuvrant avec patience pour éviter que la roulotte ne bascule sur un bas-côté ou ne se coince entre deux troncs, Vermillon observait les alentours. Il entendit babiller un ruisseau, non loin, avant que le sentier ne débouche enfin dans la clairière où se dressait la maison. Maison... C'était un bien grand mot pour ce qui s'apparentait plutôt à une sorte de vaste cabane. En un sens, c'était exactement ce à quoi s'attendait le jeune homme - de ces habitations humbles et rustres qui font passer l'utile avant l'esthétique.

Etheldred sauta à terre.

- C'était... C'est amusant comme façon de voyager. "
- Amusant...? Je ne sais pas. Assez pratique en général, surtout ", répondit distraitement Vermillon avant de se laisser glisser à terre à son tour.

Son hôte n'attendit cependant pas, fouillant dans sa sacoche jusqu'à en tirer la petite pousse arrachée de terre un peu plus tôt. Cette fois, Vermillon put voir de quelle plante il s'agissait : des grappes de fleurs jaunes, des feuilles larges, lobées... Très probablement de l'herbe-à-verrue, dont la sève vive s'avérait très efficace sur ce genre de désagréments.

- Vous permettez deux secondes ? Il faut que je la replante pendant qu'elle est encore en état. "
- Oui, oui bien sûr ", répondit Vermillon avec un sourire avant de se tourner vers son cheval.

Le temps de libérer l'animal de son attelage, des rênes et des mors, la jeune femme put achever sa rapide besogne sans que son invité n'attende pour rien. Laissant la roulotte à la place où il s'était arrêté - c'est-à-dire dans un coin de la clairière, un peu en retrait - Vermillon se tourna vers Etheldred, tenant son massif cheval par le licol.

- Hem... désolée... Entrez, je vous en prie ", dit-elle.
- Juste un instant... Je vais l'attacher quelque part. Pas qu'il soit du genre à s'enfuir, mais... bon. "

Joignant le geste à la parole, Vermillon conduisit sa bête jusqu'à un arbre assez solide, et prit le temps de le nourrir d'avoine avant de rejoindre l'herboriste dans sa demeure.

Etheldred était occupée à travailler les braises d'un feu, penchée sur son foyer de pierre. Vermillon fit quelques pas à l'intérieur, observant avec curiosité l'ameublement simple, les murs faits de branchages entrelacés, et surtout, bien sûr, tous les outils, ouvrages et bocaux utiles au métier de la jeune femme. Il respira l'odeur poivrée des plantes en train de sécher puis baissa de nouveau les yeux vers son hôte.

- Je peux vous aider ? "

" Pratique" comme façon de voyager ? Vu la façon dont il avait du manoeuvrer pour passer entre les arbres, elle en doutait sérieusement. C'était lourd et encombrant... Quoique, effectivement, ça devait être bien pratique pour emmener avec soi ses affaires. Elle se serait épargné pas mal de voyages entre Aduram et Diantra lorsqu'elle avait déménagé si elle avait eu une roulotte ou même une charette. Sans compter que, si c'était effectivement peu pratique en forêt, partout ailleurs ce devait être beaucoup plus simple.

Le feu avait reprit, diffusait à présent une douce chaleur dans la maisonnette et Etheldred se releva pour récupérer le chaudron.

" Je peux vous aider ? "

Elle secoua la tête en souriant.

" Non, merci, je vais juste préparer une petite soupe. Je ne sais pas si vous avez déjà mangé... "

En tout cas, elle, elle mourait de faim car elle était sortie tout l'après-midi pour chasser puis pour sa cueillette. Elle sortit une miche de pain enveloppée dans un linge humide et la posa sur la table. S'avisant que son hôté était toujours debout, observant les étagères, elle désigna les tabourets :

" Asseyez vous, je vous en prie. "

Elle eut tôt fait de mélanger quelques légumes et d'ajouter un peu de viande dans le chaudron. Ajoutant enfin de l'eau, elle mit à cuire sur le foyer et alla s'asseoir. Le temps que ce soit prèt, il allait falloir trouver un sujet de conversation, plus question de s'agiter pour meubler. au moins, c'était tout trouvé !

" Alors, comme ça, vous êtes également herboriste ! " elle hésita, ne voulant pas se montrer indiscrète, puis sa curiosité l'emporta. " Vous êtes basé quelque part ou bien vous voyagez toujours en roulotte ? "

Elle aimait bien savoir où trouver des confrères. Les herboristes, guérisseurs et autres apothicaires étaient relativement rares dès qu'on oubliait les charlatants. A Diantra, elle n'avait comptabilisé que deux personnes. Une jeune femme qui tenait un dispensaire, qui avait, paraissait-il un don pour la magie et une autre qui se faisait appeler la marchande de suicide. Pour cette dernière, elle ne tenait pas spécialement à la rencontrer : difficile pour elle de comprendre que l'on puisse allier guérison et suicide ! Il y en avait probablement d'autres, mais dans une telle ville, difficile d'n faire le tour.

Elle repensa soudain à l'animal qui attendait dehors.

" Votre cheval... Si il a besoin de quelque chose, de l'eau, par exemple... le ruisseau n'est pas très loin. "

Elle ne dit rien pour ne pas effrayer Vermillon inutilement, vu qu'ils n'y pouvaient rien changer, mais elle s'inquiétait pour la pauvre bête qui allait passer une nuit dehors. Ce n'était pas la place d'un cheval. D'ailleurs, c'était une des raisons pour lesquelles elle n'avait jamais appris à monter et n'en possédait pas.