La fin de toute vie... [Achevé]

Alydaëlle avait quitté la réunion des Drows, lasse des affaires dont ils s'entretenaient et qui ne semblaient guère la concerner. Du moins pas directement. Elle reviendrait certainement plus tard mais en cet instant, elle avait surtout besoin de prendre l'air et de réfléchir. La situation exigeait un lourd moment de réflexion et il lui fallait se décider quant à sa place ou au camp à rallier. Des guerres se préparaient, promesses de bains de sang et de violence. Alydaëlle n'en était pas effrayée, d'autant plus que son métier était de tuer. Mais la jeune femme tuait en général sur contrat, pour de l'argent, afin de vivre ! La violence gratuite n'était pas source de satisfaction pour elle, bien qu'elle ne craigne pas de se salir les mains dans ce genre d'affaire.
La demi-drow progressait sur le chemin, au coeur de la faille, plongée dans ses pensées. La main posée sur le pommeau de son épée, selon son habitude - une habitude liée à son expérience et à sa méfiance - elle ne sentait pas le vent sur son visage, ni les quelques rayons de soleil sur son visage clair.

Autour d'elle, silence et désert. Pas âme qui vive, mais une tranquillité apaisante se dégageait des lieux. Peut-être parce qu'elle connaissait et comprenait la solitude mieux que quiconque. Après toutes les souffrances qu'elle avait endurées, elle ne pouvait que mieux apprécier ce genre d'environnement. Toutefois, Alydaëlle savait que prochainement, tout allait changer. Les Drows se préparaient sérieusement à un retournement de situation. Et elle-même allait devoir reprendre du service si elle ne voulait pas perdre la main. Habile guerrière, aventurière de grands chemins, la jeune femme ne craignait qu'une chose : se faire des amis...

Soudain, elle s'immobilisa sur le chemin, l'oreille aux aguets, tous ses sens en alerte. Elle sentit son coeur battre sourdement, lentement, et ses yeux fouillèrent les alentours, en proie au doute. Elle aurait mis sa main au feu que quelqu'un se dissimulait alentour. Elle percevait une présence mais était incapable de l'identifier ou de la localiser. Hésitante, Alydaëlle fronça les sourcils, n'osant pas faire un mouvement, réfléchissant à la meilleure attitude à adopter...

Alydaëlle lança un regard torve sur l'humain et un sourire méprisant se glissa sur ses lèvres. Lentement, elle croisa les bras devant elle, défiant l'homme sans la moindre peur. Ainsi, il se croyait capable de renverser les Drows tout seul ? Il comptait éliminer les chefs aussi simplement qu'on écrase une fourmi ? Ridicule. La jeune femme, un éclat glacial dans les yeux, dévisagea longuement son interlocuteur, réfléchissant à ce qu'elle allait lui répondre. Finalement, elle fit un pas vers lui, sans peur.

"Je n'ai aucunement l'intention de te stopper mais ne compte pas sur moi pour te révéler quoi que ce soit sur les les miens. Tu dois être bien courageux pour oser t'aventurer seul sur un territoire aussi hostile pour les tiens. Ou suicidaire..."

Après un instant de réflexion, Alydaëlle recula et dégaina son épée, prête à défendre sa vie au prix du sang. Son regard se fit plus dur que l'acier et ses traits se crispèrent.

"Je ne suis qu'une demi-drow mais la cause de mon peuple ne me laisse pas totalement indifférente. Si tu me menaces, je me défendrai. Qui que tu sois, sache que je ne crains ni la mort, ni la douleur. Le pourquoi de ta venue ici me laisse de marbre. Je me fiche que tu sois tué ou épargné. Seul m'importe mon devenir."

Sur ces mots, la demi-drow se tut et serra le manche de son épée à deux mains. Elle était habile, rapide, et avait suffisamment d'expérience pour se battre avec des chances de succès. Toutefois, elle n'avait aucune envie de se battre avec cet homme, ni de répandre inutilement le sang. Elle ne tuait que pour de l'argent ou pour une cause qu'elle estimait juste. Ce serait à cet inconnu de décider quoi faire.

Alydaëlle remercia mentalement celui qui l'avait initiée au combat. Quand l'homme rengaina son épée en reculant, elle comprit instinctivement qu'il préparait quelque chose. Aussitôt, elle prépara à toute éventualité. Ses sourcils de froncèrent, accentuant son air sévère. Elle fit tournoyer son épée, souple sur ses jambes, prête à bouger et à bondir selon ses besoins. Puis, l'humain chargea.
Alydaëlle fléchit les jambes, bandant les muscles de son corps. Un éclat d'acier brilla devant son regard et elle identifia deux lames. Avec des réflexes félins hérités de sa formation, elle esquiva la première qui menaçait de lui perforer le ventre et abattit son épée sur la seconde. Mais en dépit de sa rapidité, le couteau se planta malgré tout dans son genou, la pliant brièvement sous le coup de la douleur.

Immédiatement, une bouffée de colère gonfla son coeur et son regard étincela de rage. D'une main, elle arracha le couteau et le lança en retour vers son agresseur. L'homme accourrait, déterminé, et la jeune femme se prépara à l'accueillir.

"Lâche jusqu'au bout des doigts !" gronda-t-elle, les dents serrées.

Ce qu'ignorait l'homme, c'est qu'Alydaëlle maîtrisait relativement bien le combat au corps à corps, et notamment les coups de pied. En certaines circonstances, elle préférait même se battre à mains nues qu'à l'épée. Mais l'attaque traîtresse de l'humain l'obligeait à demeurer sur ses gardes. Il pouvait rendre le combat déloyal à tout instant.

Alydaëlle bondit sur le côté et détendit sa jambe avec une violence étonnante pour quelqu'un de son gabarit. Son pied atteignit l'homme au visage, l'arrêtant net dans son élan. Son nez se mit à saigner mais la jeune femme n'était pas certaine de le lui avoir cassé.

Elle garda son épée d'une main ferme, prête à poursuivre le combat si l'homme l'exigeait, mais peu désireuse de donner la mort sans une bonne raison. Cependant, jamais elle se s'abaisserait à le révéler à son adversaire.
La demi-drow tourna autour de lui, hésitant à enchaîner de nouveaux coups.
Le regard méprisant, elle recula prudemment et lui jeta les quelques mots qui occupaient son esprit :

"Je me demande bien ce que peut espérer un simple humain contre le peuple Drow ! Tu cherches à m'éliminer par... peur ? Peur que je te dénonce ? Peur que je te poignarde dans le dos ?"

Elle eut un éclat de rire moqueur.

"Drow ou non, j'ai moi aussi mon sens de l'honneur et de nous deux, je crois qu'au final, je vaux mieux que toi quoi qu'en disent les apparences..."

Alydaëlle sentait la douleur à son genou l'élancer, mais la blessure n'était pas suffisamment importante pour gâcher complètement sa liberté de mouvement. Elle était encore largement apte au combat et le peu de sang qu'elle perdait ne suffirait pas non plus à lui faire perdre conscience. Le guerrier était rapide et agile, mais elle aussi...

Alydaëlle reçut la terre dans les yeux et fut momentanément incapable de se défendre. Le lâche en profita pour la blesser au bras et avec un cri de rage et de douleur, elle lâcha son arme. Toutefois, il ne lui fallut pas longtemps pour se redresser tout en écoutant ce qu'avait à lui dire l'humain. Ces paroles la révoltèrent en partie et elle eut un éclat de rire méprisant. Le sang dégoulinant le long de son bras, elle réussit malgré tout à récupérer son arme de son membre valide et bondit vers l'homme, pressant la lame contre sa gorge. Son genou la faisait souffrir, ses yeux la piquaient, mais sa colère et son mépris étaient tels qu'elle était prête à mourir pour faire entendre sa voix. Elle se rapprocha lentement de l'homme qu'elle immobilisait sous la menace de son arme.

"Tu vois, c'est ça qui te rend si méprisable à mes yeux. Sous prétexte que je suis une demi-drow, tu me mets au niveau des pires Drow que le monde ait engendré. Tu ne sais rien de moi, je ne t'ai pas menacé, je n'ai pas manifesté la moindre volonté de t'arrêter et toi, tu as usé de lâcheté pour m'atteindre, refusant un combat à la loyal. Celui qui n'a pas de moral, c'est toi."

Sa voix n'était que murmure à l'oreille de l'humain, mais les intonations glaciales en disaient long sur son dégoût.

"Je pourrais te trancher la gorge ici et maintenant mais contrairement à ce que tu peux penser, j'ai un sens moral et je crois en l'honneur. De plus, mes compagnons Drows se feraient une joie de t'éliminer lorsque tu mettras les pieds au coeur de nos territoires. Aussi désorganisée que soit l'armée, notre Maître et de retour et aura tôt fait, avec ses chefs, de mettre de l'ordre et de conquérir le monde des hommes, réduisant à néant votre royaume. Quelles que soient tes capacités, tu ne changeras rien à la sombre destinée de Diantra. Eliminer un ou deux Drows officiers ne suffira pas."

Sur ces mots, Alydaëlle relâcha le guerrier et rengaina son épée. Elle fit pression sur la plaie à son bras et recula. Elle adressa un dernier regard à l'homme et tendit un doigt accusateur vers lui :

"Va où bon te semble mais si nos chemins se croisent de nouveau et que tu me menaces encore, la mort seule nous départagera."

Ayant dit, la jeune femme tourna les talons et s'éloigna tranquillement, ses sens aux aguets. Elle s'attendait à un nouveau coup lâche de la part de l'humain et se préparait donc à parer. Mais elle voulait surtout trouver un endroit discret pour soigner ses blessures. La douleur était lancinante et le sang qu'elle perdait l'affaiblissait.

Alydaëlle entendit ses derniers mots mais un sourire mauvais se glissa sur ses lèvres. La croyait-il donc si faible pour trépasser de ces deux malheureuses blessures ? Bien sûr, elle avait perdu du sang et en avait été quelque peu affaibli. Mais sa mère, humaine et profondément liée à la Nature, lui avait enseigné bien des choses sur le pouvoir curatif des plantes. La jeune femme saurait se soigner sans l'aide de personne.
Elle se retourna un bref instant pour considérer l'humain qui s'éloignait avec nonchalance et lui lança ces derniers mots :

"Les Drows n'ignorent rien de la force des hommes ! Votre petite entreprise ne vous rapporta rien de plus que cette gloire personnelle que vous nous imputez, si toutefois vous survivez. Parce que les elfes noirs connaissent leurs ennemis, ils seront à même de les vaincre !"

Alydaëlle vit que l'homme ne s'arrêterait pas. Il semblait bien déterminé et la jeune femme en conçut un certain respect pour le courage de cet inconnu, même si ce courage se rapprochait de l'orgueil ou du suicide. Finalement, avec un soupir, elle reprit sa propre route, soudain consciente de sa loyauté envers Tebryn le Sombre. Jamais elle n'aurait trahi les siens.
Satisfaite de cette certitude, Alydaëlle s'éloigna de la Faille, espérant trouver un coin de nature qui lui prodiguerait les soins adéquats.