Départ de Charles de Hautval à la cour, Hiver
"-Je te fait donc confiance mon cher intendant...gère donc ma baronnie comme si elle était tienne, mais ne me déçois pas, auquel cas je te ferais écorcher vif, acheva Charles d'un ton glacial, après une demi heure d'instructions.
-Vous pouvez me faire confiance monseigneur, je suis votre dévoué servant !"Le baron se leva, raclant le sol de son tabouret, et serra le cordon de sa cape avant de sortir devant le manoir. Il faisait diablement froid.
"-Monseigneur, tout est fin prêt nous pouvons partir.
-Selle mon cheval et nous prenons la route Aldruss.
-Oui votre seigneurie."Charles se retourna vers le perron enneigé, pour dire au revoir à sa fille. Ariane, si belle, comme sa mère, à peine vêtue par ce froid. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres normalement si rigides en voyant sa progéniture. Elle grandissait de plus en plus vite, devenait femme. Il faudrait un jour songer à la marier. Mais pas maintenant...
Le baron lui demanda, voyant son visage un tant soit peu renfrogné :
"-Quelque chose ne va pas ma chère fille ? Tu as froid ?
-Je veux aller à ce mariage..."Sujet déjà tant débattu...
-Ca n'est pas possible, j'en suis désolé. Je vais passer par Diantra et régler quelques affaires qui t'ennuierait totalement. Que vas tu rater ?
-Mais la faste enfin ! Les robes, les bijoux, la musique, les femmes plus belles les unes que les autres ! "
Le baron soupira un instant.
"-La cour est un lieu trop sauvage pour une fille comme toi, attends donc un peu. Je ne rentrerais pas de sitôt avec cette guerre, tu auras le temps de faire des bêtises en mon absence non ?" , acheva t-il en souriant,pinçant légèrement la joue rosie par le froid d'Ariane.
Il se rendit compte qu'elle n'était pas très convaincu mais l'obéissance l'emporta. Quand le baron disait non ainsi, il était impossible qu'il revienne sur sa décision. Il embrassa sa fille avec tendresse avant que sa gouvernante ne la fasse rentrer à l'intérieur, lançant un
"vous allez attraper froid mademoiselle !"Son cheval de selle fut avancé par un de ses fidèles serviteurs, ou plutôt son fidèle serviteur, Aldruss. Charles enfourcha sa monture lestement. Ecarlate battait son flanc, et il portait des vêtements de voyage assez communs. Une lourde cape de fourrure le protégeait du froid mordant de ce matin hivernal à souhait.
Charles jeta un regard en arrière. Sa face s'était tout de suite assombri après le départ de sa fille, seul rayon de soleil dans une vie ombragé par les nuages de la mort, du parricide, de la lèpre qui chaque jour, chaque heure, gagnait un peu de terrain sur son bras gauche...
Derrière le cheval venait une carriole que dirigeait Aldruss, à laquelle était attelée deux gros et robustes percherons du type qu'on utilisait pour retourner la terre des vignes. Cette carriole était chargée de fûts des meilleurs vins d'Hautval. De quoi soûler une armée entière. De nobles en l'occurrence. Une lourde malle reposait aussi à l'arrière, contenant les effets du baron. C'était réellement un départ pour...longtemps. Voir toujours, les aléas de la guerre étant ce qu'ils sont.
Un claquement sec de la langue du baron, et au revoir manoir de Hautval. La carriole et le cavalier commencèrent à descendre une petite route sinueuse qui allait au village situé en contrebas de la colline sur laquelle était bâti le manoir.
La route passait à côté de Sa tombe. Un lieu marqué d'une simple pierre tombale sans inscription. Le cavalier s'arrêta un instant devant et mit pied à terre, pour rester prostré durant quelques minutes, murmurant plusieurs prières à la suite.
En se relevant, Aldruss crut voir une once de tristesse dans les yeux du baron. De regret aussi. Il était entré à son service cinq ans auparavant, et le valet soupçonnait quelque chose de pas net derrière tout ça. Mais bon. Il posait pas de questions, et était nourri, logé, blanchi. On pouvait bien laisser quelque zones d'ombres chez l'employeur en échange de ça...
La petite troupe poursuivit son chemin, traversant le village encore endormi à cette heure, et surtout à cette saison où tout le monde restait calfeutré chez soi. Les sabots des chevaux martelaient la terre gelée de la grand place, accompagnés par le silence des lieux.
On laissa Hautval derrière une crête.
Pour longtemps.