Rencontre sous cascade d'huile [PV Soren]

Les lèvres d'Elvira semblaient vouloir disparaître dans sa bouche tant elle les pinçait. Mais, une fois n'était pas coutume, la jeune femme avait des raisons valables à sa mauvaise humeur continue. A savoir, sa condition de servante. Non seulement elle se voyait obligée de se soumettre au gratin des abrutis assistés de la noblesse, mais son boulot prenait ces derniers jours des allures de bagne. En tant que nouvelle, elle était envoyée un peu partout au petit bonheur, pour n'importe quelle tâche à faire pourvue qu'elle soit dégradante. Non mais oh, elle était peut-être légèrement masochiste pour s'être engagée au château, mais pas totalement idiote. On lui refilait les travaux que personne ne voulait. Et, comme elle était nouvelle, elle n'avait même pas la possibilité de refuser. Dire qu'il y avait des pintades qui supportaient ça avec le sourire. Le sourire! Voilà qui entamait grandement la foi en la race humaine.

Elvira lâcha un grognement d'effort et de mécontentement mêlés. Ouais, on lui refilait les trucs les plus désagréables possibles. D'où sa situation. La servante marchait en crabe, un gros tonneau entre ses bras. De l'huile d'olive, pour ceux qu'intéresserait cette information totalement inintéressante. Voilà. Elle était obligée de transporter la cargaison aux cuisines, puisqu'apparemment personne d'autre n'était foutu de le faire. C'était lourd, c'était dégradant et elle se demandait franchement ce qu'elle foutait là. D'ailleurs, Elvira n'était pas censée parcourir ces couloirs. Les servantes avaient des passages réservés, histoire qu'elles ne gâchent pas la vue des nobles par leurs activités diverses. Mais, comment dire...

Oui, bon, elle était légèrement perdue. Mais légèrement hein. La cuisine devrait se trouver quelque part à droite... Sûrement. L'ancienne voleuse accéléra sa démarche de crabe. Elle qui aimait la discrétion, se balader avec un tonneau dans les bras ne lui procurait pas un plaisir distinct. Sa figure devenait rouge sous l'effort tandis que ses lèvres pincées blanchissaient de plus en plus. Elle haissait la moindre parcelle de poussière de ce foutu bâtiment. Elvira aborda un grand escalier en ronchonnant. Puis s'arrêta brusquement en se rendant compte que quelqu'un le gravissait en sens inverse. Un jeune homme montait vers elle. Et merde. Elle roula des yeux et accéléra son mouvement, espérant passer devant lui à une vitesse qui lui interdirait toute question.

Et évidemment, ce que tout le monde sent venir depuis le début -sauf elle, bien entendu, arriva. Son pied se prit dans le foutu jupon qu'on l'obligeait à porter, et la jeune femme sentit avec horreur son corps basculer, lentement mais sûrement, vers le vide. Soit elle lâchait l'huile et se sauvait la vie, soit elle s'accrochait au tonneau comme une servante passionnée et se faisait toutes les marches. Le choix fut vite fait. Elvira laissa échapper son objet et bascula dans le vite avec lui. Mais sa main heurta une marche et elle effectua une roulade parfaite entre deux marches. Digne d'une voleuse, ça. Dommage que ça n'impressionne pas son ancienne cargaison, qui roula dans les escaliers, répandant de l'huile d'olive un peu partout avec un bruit d'enfer.

Elvira ferma les yeux, priant très fort pour que quand elle les ouvre, la réalité se soit inexplicablement modifiée. Mais non. Le tonneau était toujours au pied des marches, l'huile dégringolait en une cascade dorée -très jolie d'ailleurs... Et oh, le noble s'était fait quelque peu asperger. Cerise sur le gâteau, mais pas son souci principal.

-Pute vérolée, marmonna-t-elle peut-être un peu trop fort.

Elle se précipita à sa rencontre, tout en le maudissant intérieurement. Quelle idée aussi de se balader à côté d'elle! Maintenant, elle allait devoir le convaincre de ne pas demander sa peau à ses supérieures. Hum, vite, arguments lumineux, venez à mon esprit... Arrivée à sa hauteur, elle s'inclina, ce qui avait le mérite de la cacher derrière un rideau de cheveux noirs.

-Oh, je suis vraiment, vraiment désolée, messire! Excusez, je vous prie, ma maladresse... Comment puis-je me faire pardonner?

Tirade presque entièrement fausse. Parce qu'elle était vraiment désolée. Mais pour elle. Saloper le vêtement d'un noble ne l'empêcherait pas de dormir. A vrai dire, elle en avait même rêvé. Avec une mort douloureuse à la clé, mais là n'était pas la question. Le jeune homme en face l'intéressait au point qu'elle n'avait même pas pris le temps de l'observer attentivement. Sinon, elle aurait reconnu le bretteur de la veille, qu'elle avait observé croiser le fer avec un soldat de la reine...

....Pour obtenir le poste de Maître d'Armes de Diantra.
Un titre ronflant et superbe, qui m'allait comme un gant bien je ne le portais que depuis vingt-quatre heures à peine. J'avaisn enfin un pied au château près de ces dmaes de la Cour et je comptais bien trousser à tout va. Depuis un moment déjà j'avais compris que me trouver une riche et belle amante servira mes envies de reconnaissance et de progression sociale plus rapidement que mon agile rapière. Mais je ne comptais pas non plus m'enticher de la première venue, quitte à apparaître en publique à son bras.

Mais avant toute chasse, je devais agir en bon chasseur et prendre connaissance du terrain qui serait le mien. Que ce fichu château était grand, vraiment ! Les architectes n'avaient rien de mieux à faire que de rajouter des couloirs et autres pièces plus où moins utiles ? J'étais persuadés que Leurs Majestés n'en connaissaient pas la moitié, qui plus était. Quant à moi, je me retrouvais lamentablement perdu. Certes j'empruntais des couloirs "officiels", mais je doutais qu'ils soient vraiment fréquentés. Et je demandais au personel de m'indiquer mon chemin, je passerais pour le parfait inutile. Quoi que remarquez, je connaissais pas mal des petites gens qui travaillaient ici. Les filles surtout, les hommes parfois. Les auberges et tavernes de notre bonne vieille capitale, je les avais toutes écumées plus d'une fois, alors.... Ca me chiffonnais mais je me devais de tenir mon rang et devais me contenter d'un "bonjour" balancé entre deux portes. Bah, une tournée générales où deux à l'occassion me ferait vite pardonner.

Donc, en lieu et place de quelques comptoirs où couches, j'explorais les coins et recoins de ce bon vieux tas de pierres, espérant qu'un ange venu des cieux descendrait avec tambours et trompettes pour m'indiquer mes appartements personels.
Partant tout de même du fait que je ne devrais pas trop miser sur l'intervention divine, je ne perdais pas espoir de finir par m'en sortir par moi-même. Pour mon malheur, les choses n'allèrent pas en s'arrangeant.

Il s'appellait Tha De Chiphon et était un noblion récemment arrivé à la Cour. Petit au physique ingrat, à l'air pincé et aux riches vêtements d'un jaunâtre douteux. Je l'avais rencontré au détour d'un couloir alors qu'il se prenait une veste retentissante d'une pauvre servante qui lui refusait une ouverture de cuissots, ce qui se comprenait. Tha fût tenté de la frapper, mais mon arrivée impromptue l'en dissuada. Je ne m'étais pas posé en sauveur, mais simplement en pauvre bougre qui tombait à pic. La servante m'adressait un sourire reconnaissant tandis que j'emmenais notre noblion dans mon périple corridorial pour l'éloigner de l'infortunée demoiselle qui avait tracé sa route sans que j'ai le temps de lui demander la mienne.
Je me retrouvais donc avec mon poussin fade et ininteressant qui avait entrepris de me compter son existence morne et pompeuse passée dans les jupes de maman dans une campagne quelconque. La parfaite compagnie que j'humiliais dès que je le pouvais.... Pauvre de moi, qui avait les mains liées par le statut que j'avais pourtant convoité.
Comment diable allais-je me débarasser de cet parasite au nez fin et aux joues poudrées ?

Le salut me vint d'un escalier.
Tha est moi nous étions engagés dans celui çi car mon "charmant" compagnon était persuadé qu'il menait aux salons du Roi, dont le chemin n'était connu que de quelques chanceux initiés haut-placés proche de la Couronne dont il faisait -évidemment- partie. Et alors que nous gravissions ces fichues marches, voilà qu'il me racontait comment il avait affronté (et vaincu, vous pensez bien) le Maître d'Arme de Diantra, le jeune homme qui avait échangé quelques passes d'armes avec un membre du Lys d'Or la journée passée aprés avoir dit à la reine qu'elle n'était qu'une simple suivante.
De Chiphon avait lavé l'affront et la Reine l'avait récompensé mais il avait modestement refusé, parce que maman lui avait toujours enseigné la modestie, blablablabla... J'aurais presque pût y croire si le jeune homme en question n'avait pas été.... Moi. Je tapotais la garde de ma rapière tandis que je soupirais.
Soupir qui fût couvert par le bruit d'une infernale dégringolade d'un tonneau.
Ce que foutais là ce tonneau, je n'en savais fichtre rien. Mais le fait est qu'il nous arrivait droit dessus et que vu le liquide qui en sortais par gerbes généreuses je m'exposais à quelques tâches, il me fallait agir vite.
Merci à mes reflexes éclairs de bretteurs qui me permirent de me coller contre le mur en entrainant mon bon vieux Tha avec moi, le mettant en face de ma personne, ce qui m'évita les giclées ambrées claires qui aspergèrent le costume jaune-mauvais goût. Le sympathique juron désignant la maladie honteuse d'une femme de joie étouffa mon propre "ouf" de soulagement. Et tandis que l'écartais de moi le noble mythomane, qui pestait tout ses grands dieux en ôtant sa perruque trempée d'huile d'olive.

Une révérence aussi franche que moi lorsque je promettais mariage et enfant me mit en face de ma sauveuse, qui avait le visage partiellement dissimulé derrière ses cheveux couleur de jais.

-Oh, je suis vraiment, vraiment désolée, messire ! Excusez, je vous prie, ma maladresse... Comment puis-je me faire pardonner ?

Etant donné que j'avais été épargné par sa dite maladresse qui avait joué à un detestable imbécile un tour pendable, je ne voyais absolument rien à lui pardonner. Pour un peu, je l'aurais embrassée et avec la langue s'il vous plaît.
Je doutais toutefois que Tha veuille en faire autant. D'ailleurs, il levait déjà vers elle un oeil mauvais en posant la main sur sa rapière d'apparat, prêt à faire ravaler son huile à notre jeune servante. Il allait vraiment dégainer ? Le bruit de la lame glissant contre son fourreau le confirma.

- Innomable chienne, je vais te faire traîner sur les pavés de la cour pour ce que tu as fais ! Je te ferais briser tout les os aprés t'avoir soumise comme la catin syphilique que tu es une bonne fois pour toute, tu entends ?

Quel vocabulaire, vraiment.... Et cette voix aïgue qui renvoyait parfaitement à sa face de rat. Cette fois je ne le supportais plus. Et s'en prendre ainsi à la servante, se montrer si vindicatif pour quelques tâches... Imbécile pompeux. Voir une arme au clair pour ce genre de broutille m'indisposais et je comptais bien le faire savoir. Je ne pouvais toutefois pas dégainer moi-même sans blesser quelqu'un, au vu de l'étroitesse des escaliers. Je fis donc la seule chose qui était à ma portée : attraper un des pans de la veste de Tha, qui manqua de glisser sous le choc et les escaliers huilés. Lâchant son épée, il se rattrapa de justesse à la rampe de fer dans une posture grossière, exposant à notre servante faussement désolée son derrière tâché en des endroits peu agréables. J'espérais interieurement que cela ne soit que de l'huile et regrettais d'avoir contribué à cette vue.
Et tandis qu'il pestait de plus belle, je gravissais prudemment quelques marches pour me retrouver à la hauteur de la femme de maison que je gratifiais d'un sourire mi-amusé mi-reconnaissant.

- Allons, mon cher Tha ! Ne soyez pas si prompt à dispenser tortures et morts violentes alors que notre amie ici présente s'est excusée platement et du fond du coeur !

Le ton était tout à fait ironique et je sais que seul un menteur pouvait en confondre parfaitement un autre. La belle n'avait rien à craindre de moi tant je la remerciais intérieurement pour son intervention. Mais du noblion furieux qui tentait de reprendre consistance, c'était une tout autre paire de manches....

La tête d'Elvira émergea d'un tas de cheveux, tandis qu'elle se redressait. Le petit moche n'avait pas l'air d'apprécier la douche. Elle observa ses vêtements en grimaçant. Pourquoi il s'énervait? Les taches jaunes ne dépareillaient pas l'hideux costume, de la même couleur par ailleurs. En un peu plus sale. Mais plus que ses affaires, c'est son honneur qui semblait taché. Ridicule habitude des nobles, de tout ramener à ça. L'honneur est une notion qui n'a jamais sauvé qui que ce soit. Par conséquent, la jeune femme s'empêcha très fort de dire tout haut ce qu'elle pensait tout bas et tenta d'afficher un air soumis.

Le bruit de l'acier dirigé vers elle la motiva étrangement. Un petit bruit de gorge qui ressemblait à un "pardon" étranglé sortit de sa gorge. Mais elle haussa quand même un sourcil. La décapitation des servantes n'était quand même pas toléré, ici, non? Parce que sa mort serait sans nul doute l'une des plus ridicules de toute l'histoire. Et elle n'avait pas vraiment envie que l'on se rappelle d'elle de cette manière.

- Innomable chienne, je vais te faire traîner sur les pavés de la cour pour ce que tu as fais ! Je te ferais briser tout les os aprés t'avoir soumise comme la catin syphilique que tu es une bonne fois pour toute, tu entends ?

Hey, mais il l'insultait, là? Mais qu'est-ce que c'était que cette noblesse à rabais? Même le dernier ivrogne des bars des bas-fonds de Diantra jurait avec plus de panache! Elvira garda la même position, mais ses joues prirent une jolie teinte cerise et un étrange sifflement filtra de sa bouche, un peu comme un serpent en colère. Ou une énorme cocotte minute sur le point d'exploser. Est-ce qu'elle avait l'air d'une catin malade? C'était à cause de son juron de tout à l'heure ou quoi? Et puis, on avait pas idée de tuer les gens pour si peu! Est-ce qu'elle se permettait d'épurer le château des parasites enflés d'arrogance qui le peuplaient, elle, même s'il en avait bien besoin? Elvira sentit son poignard se rappeler à son esprit, attaché contre sa jambe. Tentant, mais la rapière visant entre ses deux yeux la dissuada de faire ou dire quoi que ce soit. Pour le moment du moins.

Par chance, le deuxième noble avait l'air nettement moins dérangé que le poussin vociférant qui voulait sa peau. D'un mouvement rapide, il attrapa la veste jaunâtre, faisant basculer l'infâme grossier. Elvira éclata d'un rire irrépressible, qui n'allait pas arranger sa situation, mais bon, au point où elle en était... Rire qui fut brusquement stoppé lorsque le postérieur du malotru s'afficha à ses yeux innocents -ou presque. Oh Dieux. Elle allait en cauchemarder pendant des jours. Au moins. En tout cas, son nouvel ami finit de la défendre par une tirade qui reprovoca quelques gloussements. La jeune femme appréciait l'ironie, et l'aide qui allait avec. Le charmant jeune homme, même s'il était noble, ne semblait pas prendre la fuite d'huile aussi mal. Peut-être parce qu'il n'avait pas été touché, ou parce qu'il rêvait d'humilier son compagnon de route. Un peu des deux? Bref, Elvira prêta -enfin!- attention à lui. Elle eut l'air vaguement étonnée. Mais c'était le bretteur de la veille! Le jeune homme talentueux qui avait capté son attention! Pas pour l'exhibition de sa musculature, qui avait d'ailleurs provoquée force gloussements et cris de ces dâââmes, mais plutôt par le mouvement qui lui avait rapporté la victoire. Tellement rapide que ses yeux ne l'avaient même pas capté. Pourtant, si Elvira était une quiche en combat, elle se vantait souvent de sa rapidité exceptionnelle. Et le jeune homme en question se révélait -plus ou moins- galant, en plus. Youpi.

Voilà qui était intéressant. Enfin, qui aurait pu l'être, sans le lac d'huile maintenant formé et le noble furieux et tâché. La jeune femme soupira, lâcha un bref "merci" à son sauveur, et tenta de désamorcer la situation avant que l'autre abruti ne pense à récupérer son arme.

"Monseigneur, commença-t-elle d'un ton doucereusement acide, puisque je suis responsable de la situation, laissez-moi régler le problème. Je serai ravie de vous fournir un autre... Costume... Aussi élégant que celui-là. Sans tâche d'huile."

Elle n'était vraiment pas douée. Sa proposition cachait mal une grossière insulte, puisqu'elle insinuait que le vêtement était accessible à un pauvre salaire de servante comme le sien. Et puis elle n'avait aucune intention de le faire, de toute façon. Par contre, une petite goutte de poison, dans son verre... Non, non, elle était à la retraite. Retraite. Et puis niveau dépense, c'était pas le costume jaune pisseux le problème. Mais plutôt le tonneau d'huile d'olive gâché. Non parce que ça valait quand même son pesant d'or, l'huile. Elvira acheva, l'air bonhomme:

"Quant à votre honneur, je suis certaine que vous saurez quoi faire avec."

Te le fourrer dans ta culotte sale jusqu'à ce qu'il ressorte par tes nobles oreilles, par exemple. Au hasard. Enfin, toute énervée qu'elle était, Elvira fit quand même un très, très léger pas vers le bretteur de talent. Puisqu'il la défendait si gentiment, de manière spontanée, autant en profiter, non?

Mais c'était qu'en plus notre servante maladroite n'avait pas la langue dans sa poche, et visiblement envie de se rabaisser.

Etonnant tout de même, puisqu'un poste au château valait son pesant d'or. Ne savait elle pas à quoi elle s'exposait en s'opposant ainsi à un noblion ? Perdre sa place serait dommage, tout comme de subir la punition qui irait de paire avec ses actes. Les coups de fouets n'ont jamais rien de bien agréable, d'autant plus que j'étais persuadé que notre Tha se ferait une joie de les dispenser lui-même. Un joli minois comme celui de la maladroite abîmé, ce serait du gâchis. Et ses jolies formes striées d'indélicates cicatrices dûes à la morsure du cuir.... Ah non, pas de blagues ! Je refusais ça, bonnement et simplement.

Durant quelques secondes, elle me regarda et afficha un air légèrement étonné. J'eus beau chercher, elle ne m'évoqua rien. Pas une ancienne conquête, où quelque chose du genre.... Bof. J'avais peut-être une tâche où deux sur ma veste, ce devait être ça. Entre ça et le drôle de sifflement qui avait passé ses dents juste avant, la servante avait de quoi attirer l'attention. Mais pour l'instant, c'était l'ami jaune poussin-moutarde-olive qui captait les regards, et il y avait de quoi.
Le bougre tentait bien de se relever en se tenant au fer de la rampe, mais il peinait visiblement. Et que je manque de me gaufrer sur les pavés trempés d'huile, exposant mon séant tâché à la vue de tout le monde, et que je pousse des petits cris effrayés de donzelle. Et vlan, la perruque poudrée qui ficha le camp pour aller mariner dans la mare couleur ambre, dévoilant une calvitie plus que naissante... Dommage, sachant que lui et moi avions presque le même âge. Alors qu'il semblait désappointé par cette perte et cherchait une façon de ne pas s'enfoncer davantage, je passais ma main dans la crinière argentée qui était la mienne, pour bien montrer que j'avais de quoi être fier de mes cheveux soyeux et coiffés.

La servante ne sembla pas prêter attention à ce petit jeu d'humiliation auquel je me prêtais volontiers et jugea préférable de calmer le jeu avec notre noble furibond qui avait -enfin- réussi à se remettre debout, ses pieds aux souliers vernis baignant dans l'huile. Et le regard qu'il lanca à la demoiselle autant qu'à moi ne promettait rien de bon.
Surtout lorsque fusa dans l'air une superbe flèche acide et ajustée par une excellente archère....

"Quant à votre honneur, je suis certaine que vous saurez quoi faire avec."

A cet instant, je ne sais pas ce qui me fit me raidir. Le ton sec et direct de l'inattendue réplique, où la tête de Tha, qui passait de la colère à la déconfiture puis à l'étonnement, sans oublier l'indécision avant de s'arrêter sur le "je vais me la faire, avec chaînes, cordes, clous et fer rouge". Cette fois, il ne perdit pas de temps et dégaina rapidement une petite dague qu'il dissimulait apparemement dans un revers de sa veste. Et tandis qu'il avançait pour planter comme un papillon de collection l'intriguante domestique qui s'était légèrement approchée de moi, je jugeais bon d'entrer dans la scène. De toutes façon, je n'aimais pas rester en retrait. Si je ne suis pas un tant soit peu mis en avant, je m'ennuie, que voulez vous...
Ma position étant idéale, je ne perdis pas davantage de temps et fit siffler ma fidèle lame hors de son fourreau de cuir avec ma rapidité habituelle, collant la pointe effillée pile entre les deux yeux de Tha, en plein sur ce grain de beauté aux indélicates proportions et au poil rebelle qu'il arborait. Il s'arrêta net, braquant sur moi ses yeux marrons qui exprimaient l'incompréhension.

- Pourquoi... Pourquoi faire cela ? Je ne puis laisser la catin en vie aprés ces insultes ! Baissez votre lame !

- Pour ma part, je ne vois ici nulle catin. Une servante à la langue bien pendue peut-être... Mais cela ne me paraît pas une raison suffisante pour ouvrir la donzelle ici présente dans le sens de la longueur.

- Vous oseriez me priver du droit de châtier la chienne qui m'a ainsi humilié ? J'en refererais à Leurs Majestés ! La Reine ne peut rien me refuser depuis que j'ai lavé l'affront que ce bretteur lui a fait ! Vous serez châtié, entendez vous ? Châtié !

J'haussais les yeux au ciel. Imbécile qu'il était de revenir sur cette histoire mythomane. Et visiblement il n'avait pas assisté à la scène d'hier, puisque je considérais ne pas passer inaperçu au vu de la singulière teinte de mes cheveux. Erreur donc, tandis que je tenais Tha en respect et que je me placais devant la brunette en lui adressant un regard amusé aux teintes argentées. Evitons lui les mauvais coups, à cette "pauvre" servante.
Mais le bonhomme jouait avec mon nom et mon propre honneur. Certes, l'honneur ne sauvait personne. Pourtant, il était normal de le défendre lorsque l'on avait mis longtemps à l'ériger.

- Oh, pardon, monseigneur.... Je vous laisserais donc cette "innocente" demoiselle quand vous m'aurez conté vos exploits... Comment diable avez vous pû rosser le jeune homme d'hier alors que je suis celui là et que je viens de vous rencontrer ?

Tha ne sembla pas vraiment me croire, mais mon regard planté droit dans le sien et mon sourire staisfait désarçonnèrent le peu de confiance en lui qu'il avait à présent montré jusque là. Il balbutia à la recherche d'arguments, tandis que je finissais par tourner la tête et accordais à la domestique un regard amusé, parlant à voix haute.

- Ma chère, je vous prends à mon service exclusif, ce qui vous mettra sous ma protection et évitera que vous n'ayez à débourser quelques écus pour un costume qu'il est aisé de se procurer aux Puces de la grand'place. De plus, notre ami ici présent devra aller voir la Reine ne personne si il cherche à contester la décision de...

Je ramenais alors mon regard vers Tha, plongeant mes yeux couleur de lune dans les siens dans une mise enscène superbement théâtrale et pompeuse qui me mettait à mon avantage, évidemment.

- ...Soren de Scylla, Maître d'Arme de Diantra.

Au jeu du titre le plus haut placé ici, je l'emportais sans peine. Et au passage, je me trouvais vraiment bien dans ce rôle de sauveur au grand coeur. Quel acteur, vraiment ! Je me surprenais moi-même tandis que j'attendais le dénouement de cet acte.

Hou là, mais c'est qu'il s'énervait sérieusement, le noble dégarni! Elvira le vit sortir une dague d'un recoin de son immonde costume jaune, et vu l'expression qu'il arborait, elle n'allait sûrement pas tarder à la sentir chatouiller ses côtes. Genre profondément. Mais pourquoi diable était-il si susceptible? Comparé à ses insultes, elle était restée gentillette. Et puis entre nobles, ils devaient avoir l'habitude de s'écharper à coups de mots tranchants comme l'acier... Non? Ah, oui, mais elle n'était qu'une servante. La chose avait du mal à pénétrer les couches de son esprit buté. Et elle risquait de ne pas en avoir le temps, d'ailleurs, si Elvira ne prenait pas l'habitude de réagir comme une vraie servante.

Et c'était mal parti. Parce que si le canari était furieux, elle aussi. Elle refusait de se faire épingler par lui sur un escalier plein d'huile. Trop humiliant. Ce gros porc n'était sûrement pas aussi rapide qu'elle. Sa main vola vers son jupon, cherchant le poignard dissimulé. Elle allait l'égorger, elle allait...

Le sifflement de la rapière la surprit et fit émerger dans sa tête un reflexe salvateur: sa main s'arrêta et elle resta les bras ballants. La jeune femme observa la lame s'arrêter sur le grain de beauté boursouflé du noble outragé. Evidemment. Le deuxième noble. C'avait été une bonne idée de s'approcher de lui. Son estime pour le bretteur ne cessait d'augmenter. Bien, bien... Sa colère se dégonfla comme un soufflé à la sortie du four. Elvira reprenait ses esprits, et ses petites habitudes: elle redevint discrète. D'autant plus que le jeune homme s'était placé entre elle et la dague de l'autre. Elle se tût, observant les deux hommes en pleine joute verbale, tournant la tête successivement vers l'un et l'autre à chaque réplique. Hum, pas mal. Son charmant protecteur semblait avoir l'avantage d'une épée pointée vers un point très vital. Mais l'autre parla de Majestés et de châtiment. Elvira grimaça. N'avoir aucune morale ne l'empêchait pas de se sentir gênée d'entraîner un autre dans ses problèmes.

Ou pas, vu que le bretteur semblait se défendre aisément. Mais de quoi ils parlaient? La lumière se fit dans l'esprit de la jeune femme, étrangement en forme ces temps-ci. La bataille d'hier, encore et toujours, revenait sur le tapis. Les marches plutôt. Enfin bref! Un rictus effrayant se pegnit sur son visage. Le mensonge se payait. Pas toujours, remarque, mais quand il était aussi grossier, il fallait être sacrement idiot -ou masochiste- pour le crier à tout va. Il lui semblait bien ne pas avoir vu d'abruti en jaune hier. Mais de quoi parlait-il avec l'affront fait à la Reine?

Le rictus carnassier se tourna en un rien de temps en petit sourire gentillet lorsque le bretteur se tourna vers elle à nouveau.

- Ma chère, je vous prends à mon service exclusif, ce qui vous mettra sous ma protection et évitera que vous n'ayez à débourser quelques écus pour un costume qu'il est aisé de se procurer aux Puces de la grand'place.

Mais il s'adressait à elle, avec respect en plus! Le contraste fut telle qu'Elvira en fut toute bouleversée un instant. Avant que la suite du discours lui parvint avec toute la délicatesse d'une brique sur le derrière de la tête.

Comment ça, il la prenait à son service exclusif? Qu'est-ce que ça voulait dire? Genre, petit animal blessé qu'on recueille avec pitié? Ou servante maladroite à qui on trouverait toujours un truc à faire, puisqu'elle nous doit un service? Ou jeune femme qui servirait à la limite le jour où aucune noble ne serait libre pour une place dans son lit? En tous cas, cela lui donnait l'étrange impression de ne pas valoir plus que feu son tonneau d'huile, avec qui elle se sentit soudain solidaire.

-Euh...

Réponse fort à propos. Merci, corps et esprit, pour cette coordination admirable. De toute façon sa protestation monosyllabique fut couverte par son nouveau maître, qui terminait sa tirade. Elvira l'observa, l'air aussi inspiré qu'une carpe sur la table du cuisinier. Il rayonnait. Cheveux et regard argentés, dentition parfaite, répliques de héros et maniement de la rapière. Tout l'attirail du parfait gentilhomme. Sans oublier l'art de la mise en scène, évidemment. Devait-elle applaudir? Et le titre! Le bretteur n'était rien moins que le Maître d'Armes du Château! Soren, car tel était son nom, venait de la sortir d'une situation catastrophique. Mais il lui en servait une autre, sur un plateau... D'argent.

Elvira, en désespoir de cause, se tourna vers le noble jaunâtre. Oui, en effet, sa tête avait prit la même teinte que son costume. Apparemment il ne savait pas quoi dire, ni faire, à part se rendre compte que son erreur, si Soren le voulait, lui couterait bien plus qu'un nouveau vêtement à racheter. La servante faillit ressentir une pointe de pitié envers le ridicule menteur, mais elle était trop occupée à se réjouir de son humiliation. Quoi qu'il en soit, elle avait sa revanche. Elle le laissa donc trembloter et marmonner ses paroles incohérentes d'excuses pour ce qu'il appelait un... Malentendu.

Elvira, donc, se concentra sur le problème actuel: elle était désormais servante du maître d'armes. Charmant. Où était le problème avec les nobles? Elle avait déjà assez de mal à être servante tout court. La situation le montrait bien. La jeune femme était habituée à vivre comme elle le sentait, ce qui impliquait souvent vols, assassinats et tout le tralala. Elle avait failli planter le noble qui l'avait insulté! La chance lui avait sourit une fois, mais... D'ailleurs, était-ce de la chance? Servir un noble, même s'il était galant et bien fait, restait servir un noble. Elle n'était pas dupe. La situation lui avait permis de se montrer sous son plus beau jour, ce dont il ne s'était pas privé, hein. Ce... Soren... Etait bien trop... Brillamment noble! Et puis ce qu'elle connaissait du monde de la noblesse ne lui donnait affreusement pas envie d'en savoir plus. Sa mère, par exemple, avait tellement bien servi son maître qu'elle avait finie enceinte, seule et pauvre dans une ruelle de Diantra. Très réjouissant. Mais Elvira était piégée. Ignorant toujours superbement la lopette sans perruque, elle se racla la gorge. Il était temps pour la pauvre servante de remercier son chevalier sans peur. Ouais. Un peu de tact, peut-être?

-Merci, Monseigneur. Vous êtes bien trop aimable avec moi.

Comme c'était vrai. Tu pouvais pas de contenter d'humilier l'autre, abruti de sauveur?

-Même si je vois mal ce qui vous intéresse chez une servante maladroite et impertinente.

Oui, renie-moi! Renie-moi! Je suis nulle! Le visage était angélique et vaguement reconnaissant, mais une pointe d'acidité demeurait dans la voix. Et un poil de désespoir résigné aussi.

- Merci, Monseigneur. Vous êtes bien trop aimable avec moi.

Ma propre réplique ne tarda pas, sur le même ton d'ironie que celui qu'elle venait justement d'employer. On ne filoutait pas Soren de Scylla de cette façon, tout de même. J'avais une réputation à tenir.

- Là dessus, nous sommes bien d'accord. Je m'ignorais cette propension à m'occuper des chaton égarés.

Toc.

- Même si je vois mal ce qui vous intéresse chez une servante maladroite et impertinente.

- Vous ne porteriez pas cette robe malpropre et peu seyante, j'aurais peut-être dit votre corps. Or, vous êtes habillée comme un sac, ma chère. Donc pour le moment.... Vous ne m'interessez pas.

Non mais des fois. Je ne voyais en elle qu'une possibilité inattendue de me débarasser de notre bon vieux Tha, l'humiliant copieusement au passage. Allez, j'avoue... J'avais pris la servante sous mon aile sur un coup de tête que je trouvais chevaleresque et fort à propos pour faire enrager un peu plus notre indélicat poussin aux couleurs douteuses. Comme si je comptais m'encombrer d'une domestique fagotée comme une naine un jour de beuverie ! Je ne perdais toutefois pas de vue le la renier haut et fort lui causerait quelques menus soucis avec le noblion que je tenais toujours en respect. Je l'avais prise sous ma protection, et cela durerait jusqu'a ce que je me sois assuré qu'elle ne risquait plus quelques délicates tortures perverses et malsaines.

- ....Mais le fait est que j'ai jetté mon dévolu sur vous.... J'adore la cuisine à l'huile, et vous en avez la délicate odeur.

Je doutais qu'elle apprécie, mais qu'importais ? Je ne lui devais rien et mon ton amusé signifiait bien la raillerie gentillette et pas l'agression.
Doucement, je retirais ma lame, finissant par la baisser doucement. Tha de Chiphon semblait toujours aussi désarmé, peut-être par le curieux échange que j'avais eu avec la servante (où par mon incroyable talent de mise en scène ?). Pourtant, il essaya de reprendre un peu de cette incroyable aura d'inutilité qu'il pensait être souveraine et imposante. Il tenta de réajuster son costume dégoulinant et de coiffer les quelques poils qui lui faisaient office de cheveux, se râclant la gorge en me regardant.

- Je... J'ignorez que vous êtiez... Enfin.... Bref ! Coupons court, voulez vous ? Sa Majesté m'attends pour que je le conseille sur quelques manoeuvres guerrières et ... Je ne puis le faire languir plus longtemps, vous comprenez bien... La sauvegarde de la Couronne et toutes ces choses....

Impressionnant. Tha était un monument dans son genre, celui de l'imbécilité à grande échelle. Même percé à jour, il ne cessait de mentir ! De façon bien peu étudiée, qui plus était. Le mensonge était un art dont ce jeune pourceau n'était visiblement pas maître. Toutefois, je n'allais pas m'étendre sur le sujet. De l'air, du vent !

- Fait donc, l'ami. Si vous êtes aussi fin stratège que vous êtes élégamment habillé, le royaume ne risque rien. Mis à part l'invasion et la chute, peut-être.

Tha grogna dans sa barbe, avant de me saluer d'une courbette hypocrite qui manqua de le faire dégringoler dans la cage d'escalier. Puis il tourna les talons avec prudence, choisissant de partir dans la direction opposée à la mienne et celle de la demoiselle, dont je commençais à m'interroger sur le prénom et le devenir immédiat. Une fois Tha hors de vue, je rengainais avant de me retourner vers mon amie improvisée.

- Ne dites rien. Vous me remerciez de vous avoir sauvé la mise et vous vous seriez bien passée de cette mise forcée à mon service. Maintenant que c'est fait, ma foi.... A vous e voir. Je vous libère et vous vous expliquez pour le tonneau et le costume, où vous restez avec moi le temps que je m'arrange pour qu'on oublie les hectolitres d'huile qui tapissent l'escalier. Ne vous en faites pas, chaton. Je vous demanderais juste de m'aiguiller dans ce fichu tas de pierres et nous seront quittes.

Et tandis que je la fixais d'un air amusé, le bruit d'une chute balourde et d'un "aille !" nous vint aux oreilles. Visiblement, l'huile avait vengé celle qui en avait les relents.

- Là dessus, nous sommes bien d'accord. Je m'ignorais cette propension à m'occuper des chaton égarés.

Chaton? Elvira eut soudain la vision d'un chaton labourant de ses griffes le charmant visage de Soren, et lui lança un regard à faire soupirer les gens de soulagement qu'on ne puisse tuer avec les yeux.

- Vous ne porteriez pas cette robe malpropre et peu seyante, j'aurais peut-être dit votre corps. Or, vous êtes habillée comme un sac, ma chère. Donc pour le moment.... Vous ne m'interessez pas.

Ah. D'accord. Elle voyait. Mônsieur taquinait son nouveau jouet. En même temps, elle l'avait cherché. Mais Elvira appréciait la taquinerie. Attention, seulement celle de qualité. Et il se trouvait que le bretteur en face semblait posséder quelques talents dans la joute verbale. La jeune femme eut un sourire torve.

-C'est justement le but de ces vêtements, monseigneur. Eviter les regards concupiscents. Cela vaut bien le menu inconvénient d'être vêtue "comme un sac"... Et leur efficacité n'est plus à prouver.

Une fois de plus, elle oubliait son rang. Mais Soren n'aurait sûrement pas apprécié que sa tirade railleuse reste sans réponse... Non? Enfin, que ça lui plaise ou pas, il ne serait pas dit qu'Elvira Dommein s'écrase devant les taquineries. Surtout lorsqu'elles visaient sa tenue. Comme si on lui avait laissé le choix, d'abord! La jeune femme en venait à rêver de ses pantalons chéris, et le jupon qu'elle portait lui semblait receler mille et une tortures. D'ailleurs, c'était en partie à lui qu'elle devait la catastrophe. Dire que cette journée, avant la chute de l'huile, avait délicieusement mal commencée...

- ....Mais le fait est que j'ai jetté mon dévolu sur vous.... J'adore la cuisine à l'huile, et vous en avez la délicate odeur.

-Votre sens de l'observation m'éblouit, marmonna-t-elle, un brin moqueuse, en jetant un oeil aux flaques d'huile qui s'étendaient un peu partout sur les escaliers.

Ah, vraiment? Elle sentait l'huile? Elle se serait bien volontiers passée de la remarque de Soren pour arriver à cette conclusion éclatante. Mais Elvira ne put s'empêcher de sourire. C'était certainement le compliment le plus saugrenu qu'on lui ait jamais fait. Et puis, au point où elle en était, autant prendre les choses comme elles venaient. La servante soupira discrètement lorsque le noble sans perruque refit entendre sa voix désagréable. Alors qu'un pardon aurait suffit, il continuait à pomper leur temps en mensonges peu crédibles. Une fois de plus, la foi d'Elvira en l'humanité bascula dangereusement vers le niveau zéro. Les autres servantes la disaient arrogante. Mais l'arrogance était un péché bien vite pardonné lorsqu'on se retrouvait en face de tels individus. La brunette observa avec un plaisir évident son nouveau maître, qu'elle avait décidé de détester par principe, par ailleurs, moucher définitivement le gros poussin. Déjà ça de fait. Enfin, toute fière qu'elle faisait, Elvira se dit quand même qu'elle ferait mieux d'éviter de recroiser le noble au détour d'un couloir. Entre sa mauvaise foi et la protection de Soren, elle n'aurait su dire qui l'emporterait. La jeune femme allait dire une quelconque banalité à son sauveur lorsqu'il la prit de court.

- Ne dites rien. Vous me remerciez de vous avoir sauvé la mise et vous vous seriez bien passée de cette mise forcée à mon service. Maintenant que c'est fait, ma foi.... A vous e voir. Je vous libère et vous vous expliquez pour le tonneau et le costume, où vous restez avec moi le temps que je m'arrange pour qu'on oublie les hectolitres d'huile qui tapissent l'escalier. Ne vous en faites pas, chaton. Je vous demanderais juste de m'aiguiller dans ce fichu tas de pierres et nous seront quittes.

Son nouveau maître lui faisait comprendre qu'il n'était pas dupe. Et, cerise sur le lourd gâteau de sa défaite, il lui laissa le choix. Un faux choix. Parce qu'ils le savaient très bien tous les deux, elle n'avait aucune envie de recroiser le noble vexé et ses nombreuses et diverses tortures qui lui étaient promises. Et Soren lui demandait de choisir. Ah ah. Eh bien, soit. Il la voulait, il l'aurait, avec tous les nombreux défauts qu'elle se réjouissait de posséder. On verrait bien qui, au final, serait pris à son propre jeu.

"Bien, grogna-t-elle, j'imagine que je vous suis redevable."

La jeune femme éclata d'un rire clair et surprenant, le premier bruit totalement franc qu'elle émettait depuis leur rencontre.

"Vous avez de la chance! Je suis la personne idéale pour vous guider ici! J'étais, d'ailleurs, totalement égarée lorsque vous m'avez vu."

Charmant. Il avait réussi à mettre le doigt sur son plus gros point faible au bout de deux minutes de discussion. A savoir, son absence totale de sens de l'orientation. Elvira était ravie. A ce compte-là, il en aurait marre d'elle encore plus rapidement qu'elle ne l'avait escompté. Mais Elvira n'oubliait pas ce qu'elle lui devait, et ajouta.

"Enfin, peut-être que par une chance inouïe, ce que vous cherchez me dira quelque chose. Au pire je trouverai toujours quelqu'un pour me l'indiquer."

Quelle bonne servante elle était. D'ailleurs, prise d'une inspiration soudaine, la jeune femme croisa les bras.

"Ah, et tant qu'à faire, ce serait mieux que vous connaissiez mon nom. Elvira Dommein, pour vous servir."

Et non pas chaton. Quand même. Ce surnom avait quelque chose de légèrement dévalorisant, elle trouvait. En tout cas, Soren n'avait pas l'air de vouloir profiter de sa position, ce qui la rassurait grandement, et le bruit caractéristique d'un postérieur de noble heurtant le sol glissant ne fit qu'améliorer son humeur.

Voilà où nous en étions, donc.
Notre ami Tha barbotait probablement au bas des escaliers dans la mare d'huile que la chute du tonneau avait formé. Quant à moi, je discutais chiffon, cuisine et orientation avec ma nouvelle acquisition. Bon, je n'aimais pas ce terme. Un être humain n'appartient qu'a lui-même et nous nous étions asservis nous-même en nous parant de titres divers avec la mentalité de "J'ai la plus grosse de la meute, ça fait de moi le chef de groupe". Je ne désirais pas de servante d'aucune sorte car je ne cherchais aucunement à dominer qui que ce soit. J'avais pris le chaton sous mon aile pour la sortir d'un mauvais pas et pour rien d'autre. Evidemment elle ne s'en doutait pas. Tant mieux, remarquez. Je pourrais m'amuser avec elle encore un temps durant et j'en étais content !
Oh, par "amuser" n'entendez pas "profiter honteusement", non ! Je cherchais à m'amuser comme nous l'avions fait tout deux jusque là, tout simplement. La demoiselle avait de l'esprit et de l'humour, choses que j'appréciais et que je craignais de ne pas trouver au château. La reine avait cruellement manqué d'humour et d'ironie, aprés tout. D'ailleurs, je m'étais promis en la quittant d'arranger ça à notre prochaine rencontre.

Mais en attendant les grâces souveraines, j'avais d'autres chats à fouetter. Des chatons, même.

"Bien, j'imagine que je vous suis redevable."

- Exact. Je rends grâce à votre capacité de déduction qui m'épargne de fastidieuses explications, chaton.

Elle se mit enfin à miaul.... Pardon, à rire franchement. La chose la moins hypocrite que j'avais eu l'occassion d'entendre depuis que j'avais posé le pied dans la demeures des souverains de Diantra. Cet éclat de rire me fit l'effet d'une bouffée d'air frais et je laissais moi-même échapper un rire léger de satisfaction. Le sourire qui se peignit juste aprés sur mes lèvres y resta malgré ce qu'elle me confia juste aprés.

"Vous avez de la chance! Je suis la personne idéale pour vous guider ici ! J'étais, d'ailleurs, totalement égarée lorsque vous m'avez vu."

- Comment ? Vous êtiez égarée ?

Je pris un air dévasté du plus bel effet alors que j'enchaînais tout de suite aprés sur un ton franchement amusé.

- Et moi qui pensais que vous trimballiez un tonneau d'huile dans les couloirs officiels juste pour la touche d'exotisme..... Quelle découverte, vraiment !

A mon tour de partir d'un petit rire franc et clair. Cela me fit un bien fou ! Et alors que je me calmais, mon chaton égaré continua à enchainer, apparement pas désarçonnée pour un sou. Signe de patience, où simple fait qu'elle semble partager quelques unes de mes façons de faire -chose qui, au passage, ne me déplaisait absolument pas- ?

"Enfin, peut-être que par une chance inouïe, ce que vous cherchez me dira quelque chose. Au pire je trouverai toujours quelqu'un pour me l'indiquer. "

La perche était trop grande, l'occassion trop belle. Et je n'allais certainement pas rater cette occassion aussi grande que le pont-levis du château, vous pensez bien ! Ma réplique fusa avec assurance et amusement, mes yeux pétillants de malice braqués dans les siens.

- Je doute que vous sachiez où se trouve ma couche, étant donné que vous n'y avez pas encore été invitée ! Si vous changez de vêtements, où si vous les ôtez, nous pourrons toujours trouver à y remédier, chaton ! Quant à trouver du monde pour vous l'indiquer, je suppose que cela ne manquera aucunement !

Cette fois, je me mis à rire franchement et du fond du coeur. Un vrai gosse, content de sa bêtise. Je savais que cela pouvait passer pour de la prétention, mais j'avais le sentiment qu'elle ne ne prendrait pas uniquement dans ce sens. Jusque là, elle avait parfaitement montré sa sagacité et son humour et je doutais que cette fois çi fasse execption. Je riais toujours un peu lorsqu'elle se présenta enfin. Elvira Dommein, donc. S'était elle sentie obligée de signifier qu'elle se retrouvait à mon service, chose qui je m'en doutais lui déplaisait pour une raison quelconque ?

- Enchanté, chaton. Quant à me servir, ne vous en faîtes pas, je ne perds pas de vue ce... Hum... Point de détail.

Oh, du bruit en contrebas... Quelqu'un avait croisé la route de ce cher Tha et montais vers nous. Sûrement une patrouille, au vu des cliquetis de métal qui montaient vers nous. L'heure était donc à la sortie de scène pour Elvira et moi. La belle l'avait comprit, je le lus dans ses yeux. D'un signe de tête, je désignais le haut des escaliers et notre moyen de fuite immédiat, un sourire sur le visage.

- Egarons nous ensemble mais un peu plus loin, voulez vous ? A moins que vous ne préfériez la compagnie des seaux et serpillières à la mienne ?

La tirant un peu par le bras, je l'entrainais à ma suite pour finir de grimper l'escalier et disparaitre dans les couloirs qui nous étaient inconnus à tout les deux. Nous croisâmes un groupe de servantes qui s'étonnèrent de nous voir cavaler ainsi, mais nous les passâmes tandis que je leur adressais un sourire lumineux, Elvira à ma suite. Aprés quelques virages ça et là, je m'arrêtais pour souffler un peu, regardant mon chaton de haut en bas.

- Quitte à rester à mon service un temps, faîtes moi plaisir, voulez vous ?

J'attrapais ma bourse d'or et la lui jettait pour qu'elle s'en saisisse au vol. Ceci fait, je continuais en souriant.

- Enfilez autre chose que votre sac à patates arôme olive. Peu m'importe comment, mais vêtissez vous de façon plus flatteuse, que diable !

On verrait bien qui serait pris à son propre jeu, avait-elle dit. Eh bien, Soren se révélait un adversaire coriace. Ou alors il ne prenait pas les choses trop au sérieux. En tout cas, loin de la renier, il semblait plutôt amusé, et il lui renvoyait la répartie avec talent. Elvira lâcha un petit soupir, mais plus pour la forme que le reste. Elle allait donc rester avec Soren un moment. L'idée commençait à se frayer un chemin dans son esprit désabusé sans trop de dégâts. Elle aurait pu tomber pire... Non?

- Je doute que vous sachiez où se trouve ma couche, étant donné que vous n'y avez pas encore été invitée ! Si vous changez de vêtements, où si vous les ôtez, nous pourrons toujours trouver à y remédier, chaton ! Quant à trouver du monde pour vous l'indiquer, je suppose que cela ne manquera aucunement !

Un regard noir, dans tous les sens du terme, transperça le bretteur. Mais la gaieté du maître d'armes était communicative et un sourire fleurit sur ses lèvres. Décidemment, les différentes parties de son corps n'en faisaient qu'à leur tête.

- Enchanté, chaton. Quant à me servir, ne vous en faîtes pas, je ne perds pas de vue ce... Hum... Point de détail.

Son sens de l'observation suraiguisé décelait chez son nouveau maître une certaine tendance aux insinuations graveleuses. Chose qui ne la dérangeait absolument pas... Tant qu'elle n'était pas impliquée dans la chose. Qu'il ne se fasse pas d'idée. Contrairement à ce que racontaient les contes, la jeune fille en fleur ne tombait pas dans les bras de son sauveur systématiquement. Surtout lorsque la jeune fille en fleur dégageait autant de chaleur qu'une légère brise sur un glacier, en hiver, et lorsque le sauveur se vantait sans complexe de ses nombreuses conquêtes. Elvira n'avait aucune envie d'être épinglée sur le glorieux tableau de chasse de Soren comme prise exotique. D'ailleurs, elle n'était pas portée sur la chose en général, et surtout pas avec un noble. Même si ledit noble combinait sens de l'humour et physique avantageux. Autant éviter de reproduire la tragédie familiale, non?

-Vous savez, répliqua-t-elle sur le même ton amusé, on dit souvent, pour le sexe comme pour le reste, que les gens qui parlent le plus en font le moins. Si le proverbe se vérifie, je n'ai pas grand'chose à craindre.

Na. Simple petite provocation. Au vu du nombre de femelles gloussantes présentes lors du combat de la veille, Soren n'aurait aucun mal à remplir sa couche avec de la jolie noblesse. Mais elle s'égarait... Il avait demandé sa chambre, non? Elvira allait conclure ses nombreuses réflexions de cette manière quand un bruit retentit en bas. Le genre de bruit qui allumait une alarme automatique dans la tête en criant "danger! danger!"

- Egarons nous ensemble mais un peu plus loin, voulez vous ? A moins que vous ne préfériez la compagnie des seaux et serpillières à la mienne ?

Elvira hocha la tête.

-Cette proposition sonne très bien à mes oreilles.

Autant éviter de compliquer encore cette journée qui l'était bien assez. La jeune femme se laissa saisir le bras et tenta d'adopter une vitesse de course sans s'empêtrer dans son jupon, qui, en véritable objet maléfique qu'il était, s'était mis à voler dans tous les sens. Elle fut fière de sa réussite, même si, elle devait l'avouer, elle avait failli basculer cul par dessus tête quand ils avaient croisé le groupe de servantes dans leur fuite effrénée. Elle en connaissait la plupart, et leurs expressions n'auguraient rien de bon: beaucoup de surprise et un zeste de jalousie. Mauvaise idée, de côtoyer un individu aussi lumineux que l'était Soren lorsqu'on aspirait à la tranquillité. La jeune femme finit par s'arrêter, la respiration d'un asthmatique en phase terminale. Elle était pour l'action courte. Comme si son corps lui laissait le choix, d'ailleurs. Euh, pourquoi est-ce qu'il l'observait comme ça, lui? Elle faisait autant de bruit que ça?

- Quitte à rester à mon service un temps, faîtes moi plaisir, voulez vous ?

Elle attrapa la bourse avec l'expression de truite ahurie qu'elle arborait souvent, d'ailleurs, depuis qu'elle avait rencontré Soren.

- Enfilez autre chose que votre sac à patates arôme olive. Peu m'importe comment, mais vêtissez vous de façon plus flatteuse, que diable !

Elvira fronça les sourcils.

-Hey, je pourrais le prendre très mal, pour un paquet de raisons, ça... Vous le savez?

Qu'est-ce qui lui prenait de faire ça? Une autre de ses lubies de noble? Avait-il beaucoup d'argent à perdre ou était-il un maniaque de la tenue? Oh, peu importe. Son visage s'éclaira en un sourire mutin et elle fit sauter la bourse, écoutant le délicieux tintement des pièces. Qu'allait-elle faire de l'argent? Ce qu'il lui demandait... Ou allait-elle le dépenser de manière plus amusante?

-Heureusement, ma fierté n'est pas très élevée, surtout en ce moment. Alors j'accepte. Mais en tant que femme, j'ajoute que je sais très bien me vêtir. C'est juste que je préfère le port des pantalons à celui des jupes.

Mais pourquoi donc la femme en elle avait-elle ajouté ça, d'ailleurs? Surtout que, bien que ça fasse mal de le reconnaître, Soren avait raison. La mode lui paraissait être une discipline au moins aussi obscure que la transdisciplinarité des arts à Diantra durant l'ancien temps. A vrai dire, Elvira était légèrement mal à l'aise de l'attention qu'on lui portait soudain. Sa condition de servante ignorée était plus facile à vivre. Maintenant, qu'est-ce qu'elle était devenue? Un chaton de compagnie. Soren voulait ajouter un joli ruban autour de son coup poilu. Et après? L'ancienne voleuse jeta un regard perçant à l'homme en face.

-Mais même une servante a ses limites. S'il est question de tours ou je ne sais quoi pour vous divertir, je préfère aller rejoindre les flaques d'huile, les seaux et les serpillères.

De l'humour. A sa façon. Façon de dire qu'elle acceptait plus ou moins de le servir. Après tout, même une assassine avait une morale, et elle lui était redevable. Ou alors elle ne le faisait que pour garder sa protection, bien utile pour le moment. Un dernier sourire flotta sur son visage un instant. Oui, sa situation n'était pas glorieuse... Mais Soren était un interlocuteur rafraîchissant. Elle ressentait un amusement nouveau, un élan, qui la sauvait de l'ennui profond qui l'embourbait depuis son arrivée au château. Pourquoi n'aurait-elle pas profité de ça?

Tandis que je reprenais tranquillement mon souffle, je papotais chiffons avec mon petit chaton. Je l'aimais bien, décidément. Au moins, sa discussion ne se limitait pas à vanter mes mérites où à me proposer union éternelle et grande famille. J'en avais assez de ces femmes qui voulait faire de moi leur possession, plus par orgeuil que par réel intêret. J'avais conscience que pour certaines je n'étais qu'un objet à la mode, prisonnier de ma propre image à laquelle j'accordais pourtant beaucoup d'attention. Fallait il vraiment que je sois determiné à me faire reconnaître aux yeux du monde pour accepter cela.... Remarquez, dire que cette situation me dérangeait aurait été mensonge éhonté. Profiter de la plupart des femmes qui vous font envie, quel homme aurait pût prétendre ne pas être interéssé ? Les plus amoureux, et encore ! Un homme reste un homme, même si son coeur est acquis à une demoiselle quelconque.
Bref. Tout ça pour dire que la présence d'Elvira à mes côtés avait quelque chose de rafraîchissant, de nouveau. Penser qu'elle était à même de me fuir où de ne pas s'interesser à moi me procurait une sensation de défi. Et quel plaisir que celui de rencontrer une femme de son style, indépendante et mordante ! Elle ne manquait ni de répartie ni de conversation, juste de goût vestimentaire.

La belle -car elle l'était, de ce genre de charme un peu obscur mais attirant en diable- me signifia qu'elle aurait pût se vexer de ma demande d'aller tout bonnement se rhabiller. Dans un petit sourire, je lui répondis..... Une fois que sa respiration de cadavre sur pattes se fût calmée.

- Disons que je tente le diable, dans ce cas.

Héhé... Le sourire qu'elle afficha m'indiqua que finalement, cette proposition ne lui déplaisait pas. Peut-être plus pour la perspective de la bourse aux pièces sonnantes que pour le but premier, mais peu m'importait. Qu'elle profite si elle le désirait, de toutes façons je lui avais donné bien trop que ce que j'aurais dis. Il ne s'agissait pas là d'exposer mon statut (auquel je ne me faisais pas réellement), mais bel et bien de la vêtir.

Alors elle préférais porter pantalons et bottes plutôt que jupns et froufrous ? Voilà qui collait au personnage mais qui me changeait des mes habitudes. Généralement, les jouvencelles que je fréquentais préféraient les jolies toilettes et les robes plus où moins à la mode. Décidément, mon chaton n'avait rien d'une de mes conquêtes habituelles. Non... Elle n'avait rien d'une de mes conquêtes, tout simplement.

- Moi je dis qu'on ne peut juger sans avoir vu. Vous dites savoir vous habiller, mais ces fripes ne le prouvent en rien, désolé de vous le dire. Alors faites vos preuves, chaton. En pantalon où en culottes.

Qu'elle s'habille comme ça lui plaise, aprés tout. Elle était devenue ma servante à la suite d'un enchaînement de situations curieuses mais n'en était pas ma possession pour autant. L'idée d'avoir quelqu'un "à moi" était parfaitement nouvelle pour moi et je n'en ai pas forcément adepte. Si certains compensaient leur manque de charisme et de charme en s'entourant de jolies domestiques, pour moi s'était tout le contraire. Je n'aurais jamais sû diriger toute une armée de demoiselle pour le ménage. Et quelque chose me disait que je n'y arriverais pas forcément avec une seule, surtout celle çi. Ahla....

Hm. Son regard se fit un peu plus dur tandis qu'elle me signifia qu'elle ne comptait pas faire n'importe quoi juste sous le pretecte qu'elle était à mon service. C'était certes tout à son honneur, mais il me fallait mettre les point sur les "i" et les barres sur les "t" dès le début.
Mon visage pris une mine un peu plus sérieuse tandis que je posais mes yeux dans les siens, froncant les sourcils.

- Vraiment ? Vous ne ramenerez pas la balle ? Vous ne jouerez pas avec une pelote de laine ? Pauvre de moi, les soirées d'hiver risquent finalement d'être longues...

Un peu d'ironie gentillette, comme il semblait de mise entre nous. Je ne comptais pas la faire jongler avec des ballons où lui demander de donner la patte, aprés tout.
Doucement, je fis quelques pas félins vers elle, nous offrant à tout deux plus de proximité que nous n'en avions eu jusque là, alors qu'un pas nous séparait pourtant toujours. Mes prunelles dans les siennes, j'enchaînais sur un ton moins amusé mais plus sérieux, qui contrastait peut-être avec ce que j'avais arboré depuis le début de cette entrevue forcée mais agréablement partagée.

- Mettons les choses au clair dès maintenant, chaton. Je ne vous considère aucunement comme ma propriété où ma vassale. Votre liberté vous reste entièrement acquise et vous pouvez tout aussi bien me planter là. Si vous choisissez de vous...hm... "lier" à moi, vous le ferez de votre propre gré et de nulle autre façon. Vraiment.

Mon regard le disait bien : j'étais franc. Quoique curieusement, j'aurais été déçu qu'elle choisisse finalement de filer pour m'abandonner ici bêtement. Décidement, je l'aimais bien, ma servante à la langue bien pendue. Cette pensée me fit sourire presque tendrement, mimique que je changeais rapidement en mon sourire en coin amusé et sûr de lui.

- Alors ma foi, si jouir de ma compagnie vous tente, bienvenue. Sinon, je crois que vos amies auront besoin d'aide pour nettoyer votre lac d'huile.

Je ne la menacais pas, et je savais qu'elle ne le prendrais pas ainsi. Pourtant, quelques mots passèrent mes lèvres et une fois qu'ils fûrent prononcés, j'en vins à me demander ce qu'ils venaient faire là.

- Je ne recherche pas une domestique aprés tout, mais une élève.

Comme si ça pouvait l'interesser. Mon regard fût alors attiré quelques instants par le passage d'une groupe de demoiselle de la cour, dont les décoltés plus où moins généreux attirèrent mon attention.

Elvira s'amusait à lancer la bourse, le sourcil dressé et l'air sceptique qui allait avec. Un noble pourvu d'une servante en pantalon de cuir, ça ferait quelque peu désordre, surtout au château. Mais Soren avait trouvé la bonne pelote de laine pour faire courir le chaton, car il se trouvait que la voleuse aimait les défis. En fait, elle avait surtout un esprit de contradiction très élevé, qui lui criait de prouver à son interlocuteur que son goût vestimentaire était à toute épreuve. Dommage que sa raison ne se fasse pas plus entendre, car elle aurait fait remarquer, très justement d'ailleurs, qu'après vingt années à s'habiller comme un sac, le sens du style avait peu de chance de surgir brusquement en Elvira. Mais peu importe, la brunette était décidée à utiliser les sous gracieusement fournis par le jeune homme. D'après le poids de la bourse, il y avait là de quoi se refaire une solide garde-robe. Ou deux. Enfin, pour une fois que les lubies des nobles étaient à son avantage, elle n'allait certainement pas se priver.

- Vraiment ? Vous ne ramenerez pas la balle ? Vous ne jouerez pas avec une pelote de laine ? Pauvre de moi, les soirées d'hiver risquent finalement d'être longues...

La jeune femme eut un sourire assaisonné à l'acide citrique. Si elle avait eu un tant soit peu de fierté et d'honneur, elle aurait déjà filé depuis longtemps. Par exemple, au moment où Soren avait fait d'elle sa propriété. Ou bien quand il avait tenté de l'acheter pour qu'elle se vêtisse plus correctement. Avec succès. Mais la servante préférait laisser ces notions au placard et s'amusait avec ce qui venait. Elle se contenta donc de répliquer:

-Inutile de tenter la flatterie. Je suis certaine que Monseigneur saura très bien occuper ses soirées d'hiver sans moi...

Y avait-il un sous-entendu graveleux derrière tout ça, comme ceux que Soren avait coutume de glisser dans ses phrases? Bah, qui savait... Mais le bretteur semblait reprendre son sérieux, et elle se raidit en le voyant approcher comme, disons... Un chaton face à un prédateur? Qu'elle le veuille ou non, le maître d'armes prenait l'avantage sur elle. Par son rang, mais aussi son âge et son expérience... Et une maîtrise de ses charmes qu'elle ne possédait pas.

- Mettons les choses au clair dès maintenant, chaton. Je ne vous considère aucunement comme ma propriété où ma vassale. Votre liberté vous reste entièrement acquise et vous pouvez tout aussi bien me planter là. Si vous choisissez de vous...hm... "lier" à moi, vous le ferez de votre propre gré et de nulle autre façon. Vraiment.

L'ombre d'une nouvelle réplique grinçante flotta sur son visage un instant, avant de disparaître brusquement, et la jeune femme se contenta de froncer les sourcils. Mais il était franc, en plus! Il lui laissait vraiment le choix, après avoir fait mine de la transformer en animal domestique. Elle croisa les bras, tentant de cacher son malaise face à un Soren toujours souriant.

- Alors ma foi, si jouir de ma compagnie vous tente, bienvenue. Sinon, je crois que vos amies auront besoin d'aide pour nettoyer votre lac d'huile.

Quelles amies? Elvira ignorait visiblement ce mot. Mais toute aveugle qu'elle était, impossible de ne pas se rendre compte que Soren était... Amical envers elle. Etrange. Que voulait-il? Et ou était la franchise dans ses propos?

-Alors c'est à moi que revient l'honneur de sceller ce... Lien?

Un mot qui servait seulement à ne pas prononcer celui, plus désagréable, d'"asservissement". L'ironie revenait. Servante de Soren. Même si ce dernier n'avait pas l'air d'apprécier cette façon de faire, la vérité était là. Elvira le servirait. Et elle, que voulait-elle? Elle ne dit mot de ses pensées, mais répondit néanmoins:

-Eh bien, après mûre réflexion, je vous trouve plus de qualités qu'une mare d'huile à payer et à rembourser.

Voilà le meilleur compliment qu'elle avait pu trouver.Le second degré la sauvait. C'était un bouclier très efficace, et il évitait avec talent de tomber dans le mélodramatique. La jeune femme était comme ça, montrer de la reconnaissance envers quelqu'un l'aurait à coup sûr étouffée. Pourtant, elle sentait vraiment qu'elle devait un énorme service au maître d'armes. Peut-être était-ce la raison pour laquelle elle acceptait de devenir sa servante. Ou alors c'était la perspective de profiter de son argent dont il semblait ne pas faire grand cas...

- Je ne recherche pas une domestique aprés tout, mais une élève.

-Gnhein?

La réflexion la coupa dans ses mauvaises pensées, et elle ne la comprit absolument pas.

-Une élève? En tant que maître d'armes, il me semble que vous aurez bien assez à faire, niveau élèves.

La servante tenta d'éclairer sa chandelle à Soren, mais il semblait présentement absorbé par les attribues d'une bande de pintades, comme Elvira les appelait affectueusement. Lesdites damoiselles remarquèrent sans peine le maître d'armes et lui renvoyèrent son attention par le biais de sourires, rougissements, gloussements et autres roulements de popotin. D'un même mouvement, elle ralentirent puis s'arrêtèrent à quelques mètres d'eux, faisant mine de commencer une discussion passionnée. La voleuse eut un sourire sardonique.

-Oh, à moins que vous ne parliez d'une autre discipline à laquelle vous voulez instruire une jeune femme... Là aussi, je pense que les candidates ne manqueront pas.

Repas de ce soir : dindes gloussantes à la sauce suprême.
Je vous ferais grâce des détails culinaires, le nom de la recette se suffisant à lui-même. J'observais avec un intêret tout relatif les trois jeunes femmes qui avait cru discret d'entamer une discussion non loin de mon chaton et moi-même. Un manque de savoir-vivre pareil était tout simplement affligeant et cela tendait à m'agacer au plus haut point. Je le leur signalais en leur laissant un regard quelque peu las et revint vers Elvira qui avait accepté de rentrer d'elle-même à mon service. Et curieusement, j'avais l'impression que même si elle ne partageait pas mes draps, nous aurions un quotidien assez agité. Quel couple détonnant nous allions former, si nous nous laissions tout deux une chance de nous supporter ! J'admettais volontiers que pour le moment, ça ne démarrait pas trop mal.
Elle évoqua le fait de "sceller" notre union, puis admit que j'avais plus d'intêret qu'une mare graisseuse et glissante. Doucement, ma face un peu blasée par le comportement des petites nobles non loin reprit un air plus amical, qu'Elvira devait finir par connaître, à présent.

- Scellons, scellons. Je connais un excellent petit bistrot-cabaret non loin de la rue des Lylanddes dans le vieux Diantra qui propose un excellent cidre maison. Partageons un bolet que vous aurez payé et n'en parlons plus. Aprés, nous pouvons tout aussi bien coucher l'affaire, sur papier et plus si affinité avec le degrés alcoolique, qu'en dites vous ?

Mes yeux lunaires ne pûrent cependant pas résister à l'appel du vice et se reportèrent sur les trois décoltés semblant prêt à céder dans des corsets trop étroits. Tandis que j'estimais la taille de bonnet de la rouquine de droite un tantinet trop poudrée à un bon "d", Elvira semblait réaliser enfin mes derniers mots concernant ma recherche délève. Son beuglement un peu barbare et fort élégant chez les nains me tira de ma contemplation silencieuse et interessée pour faire revenir mon attention vers mon chaton égaré mais dorénavant plus esseulé.
J'écoutais sa remarque sur mes talents à enseigner des arts tout aussi divers que physique avec un sourire léger qui s'intensifia devant celui qu'elle afficha pour nos amis les dindes à déplumer. Par jeu avec mon dîner de la journée, je me rapprochais d'Elvira et me montrais plus conquérant qu'il n'était nécéssaire dans le cadre de notre conversation. Je pris un air charmeur et une voix mielleuse pour m'adresser à elle, cherchant à savoir si elle rentrerait dans mon jeu et surtout comment les dindes glousseraient. Soren de Scylla courtisant une servante, ça risquerait de jaser.... Et de faire parler de moi. J'adorais ça, vous pensez bien !

- Il y a élève et élève, mon chaton. Les "volatiles" tout à côté feront parfaitement l'affaire pour des leçons superficielles, je vous l'accorde. Mais si je cherchais à instruire une demoiselle en profondeur ?

J'avais appuyé le dernier mot de façon bien volontaire en la regardant dans les yeux. Mon petit doigt (celui de la main, évidemment) me disait qu'Elvira ne serait pas facile à mettre dans ma couche même si j'en avais l'envie et le sous-entendu était plus pour illustrer la situation que pour l'inviter.
Continuant mon jeu, j'avancais ma main pour saisir une mêche de ses cheveux et l'enrouler autour de mon doigt.

- Sachez différencier élève et disciple, Chaton. Certes, je me suis mal exprimé la première fois, mais apprenez que je fais une différence claire. Pour moi, les soldats sont des élèves. Ils profitent de mes leçons et les cumulent avec le savoir qu'ils possèdent déjà. Et même si ils sont assidus, ils ne seront jamais mes disciples car leur formation sera imparfaite. Ce que je recherche, c'est une disciple, une vraie. Comme de la terre glaise à modeler de mes propres mains pour faire sortir une hirondelle de la boue. Quelqu'un à même de faire perdurer les enseignements qui lui seront transmis.

Tout en parlant, je m'étais davantage rapproché, comme un amoureux cherchant à étreindre son élue. L'illusion semblait faire son petit effet car à côté, les dindes s'étaient tues avant de laisser monter des chuchotements qui semblaient indignés et déçus. Quant à Elvira, il était à parier qu'elle n'apprécierait pas forcément que mon front soit collé au sien...

- Je suppose que je vous barbe, et pour ma part votre fumet de tonneau huileux me soulève quelque peu le coeur.... Nous passons à mes appartements pour que vous vous changiez et nous filons dans le vieux Diantra voir si vous avez autant de descente que de répondant, chaton ?

Foutredieu, à présent ma voix avait baissé de quelques octaves et semblait devenue sensuelle et douceureuse. Et notre position avait quelque chose de romantique, ce qui n'était pas au goût de la rouquine de derrière, qui avait laisser échapper un "oh !" de colère et avait tourné les talons pour s'engouffrer dans la première pièce venue, plantant sur place ses amies.
Et pendant ce temps là, je goutaîs la proximité de l'ex-compagne d'un tonneau d'huile à présent accidenté avec un sourire amusé et des yeux pétillants.

- Scellons, scellons. Je connais un excellent petit bistrot-cabaret non loin de la rue des Lylanddes dans le vieux Diantra qui propose un excellent cidre maison. Partageons un bolet que vous aurez payé et n'en parlons plus. Aprés, nous pouvons tout aussi bien coucher l'affaire, sur papier et plus si affinité avec le degrés alcoolique, qu'en dites vous ?

-Oh...

Etait-ce convenable d'inviter son employée à boire dans les quartiers bas? Vraiment? Le sourcil d'Elvira se haussa à nouveau, continuant le tressautement régulier qu'il connaissait depuis qu'elle avait rencontré Soren. Et pour cause: il était bizarre. Quelque part, il lui compliquait la tâche. C'était peu aisé de détester ou mépriser quelqu'un qui vous surprenait sans cesse. Et il voulait qu'elle paye la consommation... La jeune femme se sentit soudain une brusque envie de boire.

-Excellente idée. Mais... Du cidre? Vous avez des goûts de noble. Enfin, vous semblez être bien moins "noble" que ce que j'avais cru...

Un compliment exceptionnel de la part de la brunette, proféré avec un ton étrangement enjoué. Mais elle se laissait emporter dans le jeu du maître d'arme, et elle réalisa soudain que leur petit programme comportait un problème de taille. Elle devait être recherchée à Diantra. C'était précisemment la raison pour laquelle elle était venue travailler au château: ce dernier était une très bonne cachette pour une voleuse en fuite. Remarque, songea-t-elle, Elvira Dommein n'était pas non plus le centre du monde. Cela faisait plus d'un mois qu'elle n'était pas sorti du château, les recherches devaient s'être espacées. Et puis Rue des Lylanddes... Où c'était, ça, déjà? La jeune femme n'avait pas l'habitude d'y aller. Il lui semblait. Enfin, conclut-elle pendant que Soren louchait à nouveau vers le troupeau de donzelles, elle pouvait se permettre de prendre le risque. Après tout, l'atmosphère entre ces murs devenait bien trop étouffante. ...

- Il y a élève et élève, mon chaton. Les "volatiles" tout à côté feront parfaitement l'affaire pour des leçons superficielles, je vous l'accorde. Mais si je cherchais à instruire une demoiselle en profondeur ?

Volatiles? Pintades! Ah, ils avaient décidément le même humour. Ola, ola. Qu'est-ce qu'il faisait, là? Le spectacle pour les donzelles? La servante se tendit à nouveau et tenta un repli stratégique, malheureusement bloqué par un mur contre son dos. Sa gêne devenait évidente. Soren était séduisant, et il le savait très bien. Pire, il s'en servait avec une grande maîtrise. Et elle, bien... Elle devait gérer trois paires d'yeux vrillant son cou en plus d'une libido qui se dépoussiérait brusquement. Elvira réussit à ne pas rougir comme une pucelle effarouchée et roula des yeux assassins au jeune homme qui avait saisi une mèche de ses cheveux, et qui semblait bien s'amuser. Petit malin.

-Je vous tuerai pour ça, susurra-t-elle du même ton mielleux, si ces demoiselles ne le font pas avant.

Il ne sembla pas faire grand cas de sa menace, lancé sans véritable conviction par ailleurs. Mais avec une pointe de haine quand même.

- Sachez différencier élève et disciple, Chaton. Certes, je me suis mal exprimé la première fois, mais apprenez que je fais une différence claire. Pour moi, les soldats sont des élèves. Ils profitent de mes leçons et les cumulent avec le savoir qu'ils possèdent déjà. Et même si ils sont assidus, ils ne seront jamais mes disciples car leur formation sera imparfaite. Ce que je recherche, c'est une disciple, une vraie. Comme de la terre glaise à modeler de mes propres mains pour faire sortir une hirondelle de la boue. Quelqu'un à même de faire perdurer les enseignements qui lui seront transmis.

La chose était plus facile lorsqu'il parlait. Elle pouvait au moins se concentrer sur ses paroles. Elle le fit, et avec un intérêt certain. Il cherchait donc quelqu'un à qui enseigner la rapière? En se rappelant son combat d'hier, Elvira était admirative. Elle aurait tout donné pour apprendre à se déplacer aussi vite et gracieusement que lui. Apprendre à se battre...

- Je suppose que je vous barbe, et pour ma part votre fumet de tonneau huileux me soulève quelque peu le coeur.... Nous passons à mes appartements pour que vous vous changiez et nous filons dans le vieux Diantra voir si vous avez autant de descente que de répondant, chaton ?

La servante tenta d'oublier le ton enjôleur et la gracieuse insulte qui allait avec, et rebondit avec joie sur la proposition.

-Parfait! S'écria-t-elle.

Elle se dégagea de l'étreinte d'une contorsion rappelant le poisson hors de l'eau, saisit le bras de Soren et l'entraîna à sa suite au pas de course. Loin de ce couloir et de ces nobles furieuses. Elle en avait eu, des maisons difficiles à voler, mais cet endroit lui avait semblé le plus étroitement gênant jamais arpenté. La brune grogna d'une traite:

-Vous inquiétez pas pour ma descente. Et puis, je pense que chercher une disciple n'est pas une si mauvaise idée que ça. Elle pourra toujours se défendre de sa lame face à des goujats trop empressés. D'ailleurs, c'est pas une bonne idée de fâcher sa servante personnelle. Elles sont très imaginatives pour les représailles. Elle pourrait, par exemple... Vous perdre dans le château. Ehm.

Bon gré mal gré, mon petit animal domestique semblait accepter son nouveau statut de servante privée. Quant à moi, l'idée de me la traîner un peu partout faisait son chemin dans mon esprit petit à petit et me laissait sur la langue un arrière-goût sucré. Signe que ça me plaisait, tout simplement. On rencontrait peu de femmes comme elle, qui avait ce petit air de perpétuel défi dans le brillant des yeux et le timbre de la voix. Parfois, il m'arrivait d'être las de toute ces donzelles faciles et prévisibles, qui buvaient mes mots comme si il venaient du plus merveilleux des calice. L'affaire était vite conclue et les cuisses aisément écartées pour un moment souvent sympathique mais généralement sans saveur. Au final, il y avait trés peu de femmes qui m'avaient laissé un souvenir durable et intact. Je les comptais sur les doigts d'une main : Une certaine souveraine, une femme masquée à la rapière agile et une dame d'un matin. Et à présent..... Un chaton ?

- Grands Dieux ! Me perdre dans le château, vraiment ? Heuresement que j'ai mon chaton avec moi, qui possède un sens inné de l'orientation ! Vous me protégerez des servantes personelles mal intentionnées et de l'égarement, rassurez moi ?

J'avais marqué un temps d'arrêt et pris une pause de jouvencelle en détresse pour déclamer mes paroles sur un ton faussement effrayé. Elle avait d'abord menacé de me tuer, pour ensuite sous-entendre qu'elle allait me perdre.... Diable, je ne pensais pas autant lui plaire ! Mais de toute sa phrase, je n'avais retenu que le fait qu'elle se désigne d'elle-même comme servante personelle.
Alors qu'elle était à quelques pas devant moi, j'avais eu l'occassion de porter un regard amateur sur la délicate chute de rein qu'Elvira m'avait bien involontairement offert. Du plus bel effet et je m'y connaissais, quoique la robe mal coupée en gâchait une grosse partie. Il devait y avoir là matière à tâter. D'ailleurs, son décolté somme toute léger dévoilait une vallée qui semblait correctement rebondie.
Laissant volontairement traîner mon regard sur ses formes tandis qu'elle se retournais vers moi, je me pris le menton entre le pouce et l'index, affichant un air de profonde reflexion et un sourire narquois gentillet.

- Des goujats ? A Diantra ? Foutredieu, moi qui croyais que notre belle cité n'était emplie que de nobles bien éduqués et peu portés sur la chose... Mais n'ayez crainte, chaton. Je vous protégerais de ce genre d'odieux personnage.

Je partis d'un rire franc, avant de repenser à l'attention qui avait semblé la prendre lorsque j'avais évoqué mon désir de former une disciple, une vraie. Je peinais à croire qu'elle n'avait fait que m'écouter par politesse, au vu de son caractère. Se montrerait elle interéssée ? Venant d'une simple servante, cela m'aurait étonné. Mais Elvira.... Je doutais de plus en plus qu'elle soit réellement ce qu'elle prétendait être. Ses mouvements fluides, sa façon de se déplacer et son maintient... Tout cela ne correspondait pas à son rôle. Je me persuadais de plus en plus qu'elle n'était pas servante depuis longtemps et qu'elle avait eu d'autres activités, bien différentes de l'actuelle. Mais lesquelles ? Je n'aurais su le dire.
Etait-ce ce petit quelque chose en elle qui m'attirait de façon plus où moins consciente ?
En quelques pas, je revins finalement à son niveau et tendit la main vers elle, passant l'autre dans mon dos.

- Pour preuve de mon zèle à protéger votre attirante personne, je vous invite à prendre un bain dans mes propres appartements. Ensuite, nous écumerons nombre de bolets et de pintes et finiront probablement ronds comme des billes dans une auberge sordide du bas-Diantra. Promis, je vous laisserais le lit.

Un sourire, une fois encore. Puis une légère révérence en bonne et dûe forme, pour parfaire l'invitation au parfum de scandale qui embaumait visiblement jusqu'au bourgeoises restées à quelques mêtres derrière. Leurs hoquets d'indignation vinrent à élargir mon sourire. Je comptais bien me renseigner sur les motivations d'Elvira quant à son éventuel intêret pour mon art, mais je comptais bien joindre travail et plaisir, d'où l'invitation.

- Ne vous en faîtes donc pas, chaton. Aucun goujat ne sera suscpetible de vous voir nue dans l'eau puisque je garderais un oeil tout à fait attentif sur vous. En attendant que vous soyez capable d'esquisser seule quelques passes pour me chasser, bien évidemment.

Je revenais sur le sujet. S'y attarderait-elle, preuve d'un quelconque intêret, où éluderait elle pour passer à autre chose ?
Mais plus que cela, je me demandais surtout si elle pousserait le vice jusqu'a accepter les ablutions. Cela promettait d'être interessant....

Soren continuait le spectacle en prenant un ton faussement effrayé. La jeune femme se retourna à peine, lui lançant un regard mi-figue mi-raisin. Elle l'avait soigneusement placé dans le recoin de son esprit réservé aux nobles, mais il semblait vouloir s'échapper de cette étiquette avec acharnement. La preuve, il avait l'air de s'amuser comme un petit fou, alors qu'elle-même avait du mal à supporter son sens de l'orientation défectueux, qui d'ailleurs se trouvait à l'origine, régulièrement et inéluctablement, de tous les plus grands maux de sa courte existence. C'était tellement plus simple lorsque les gens restaient dans les petites étiquettes qu'on leur assignait. Les préjugés, ça reposait. Devait-elle se réjouir que Soren soit différent? Après tout, elle avait bien accepté de le servir, de son plein gré. Bon, à peine influencé par la perspective de l'huile et du canari furieux qui voulait sa peau, certes, mais quand même. Pour le moment, Elvira s'appuya contre le mur pour observer le maître d'armes. Elle qui mourrait d'ennui dans ce château se prenait à rêver d'un peu de tranquillité.

Et il la regardait. C'en était gênant. Elle n'avait pas l'habitude qu'on l'observe, aimant la discrétion, et étant, il fallait bien le dire, tristement quelconque. Au premier abord. Elvira devait se retenir de se gratter le nez frénétiquement, tic qui ne la prenait qu'en cas de grande gêne. Pourtant, les Dieux savaient qu'elle se fichait de son apparence au moins autant qu'à l'avis des autres sur sa personne.

- Des goujats ? A Diantra ? Foutredieu, moi qui croyais que notre belle cité n'était emplie que de nobles bien éduqués et peu portés sur la chose... Mais n'ayez crainte, chaton. Je vous protégerais de ce genre d'odieux personnage.

Cette fois, elle se laissa désarmer et laissa échapper un gloussement. La bonne humeur du maître d'armes était communicative.

-Oh, je n'en doute vraiment, vraiment pas.

Elle se décolla du mur en voyant Soren se rapprocher d'elle. Plutôt éviter de se faire piéger deux fois, non?

- Pour preuve de mon zèle à protéger votre attirante personne, je vous invite à prendre un bain dans mes propres appartements. Ensuite, nous écumerons nombre de bolets et de pintes et finiront probablement ronds comme des billes dans une auberge sordide du bas-Diantra. Promis, je vous laisserais le lit.

Et il s'inclinait, en plus! La servante dut se mordre les lèvres pour ne pas rire à nouveau en entendant les hoquets outrés des dames laissées derrière. Il jouait avec elle, plus pour le scandale que pour autre chose. A moins qu'il n'ait vu un point faible en elle et qu'appuyer dessus le distraie. Quoi qu'il en soit, elle n'était pas dupe. A part sa condition de servante qui pouvait, au plus, éveiller un quelconque fantasme, elle ne voyait pas pourquoi un noble aurait voulu d'elle dans sa couche. Et puis même, si c'était le cas, Elvira n'était pas du genre à céder facilement. Et pour cause, son existence elle-même était la cause de l'égoïsme d'un noble.

-Charmant programme, si l'on oublie que vous ne savez même pas où se trouve votre chambre, répliqua-t-elle sans prendre la mouche. Et puis, faites-moi plaisir, arrêtez de me protéger, hein? Le sauvetage de la servante en détresse, c'était exceptionnel, en tout cas j'espère pour vous... D'ailleurs, il se trouve que j'ai une couche, et qu'elle me convient très bien.

- Ne vous en faîtes donc pas, chaton. Aucun goujat ne sera suscpetible de vous voir nue dans l'eau puisque je garderais un oeil tout à fait attentif sur vous. En attendant que vous soyez capable d'esquisser seule quelques passes pour me chasser, bien évidemment.

La testait-il? Ça y ressemblait furieusement, en tout cas. La fierté et l'esprit de contradiction de la jeune femme furent piqués au vif. Est-ce qu'il pensait qu'elle allait à nouveau fuir comme un chaton effrayé? Est-ce qu'il la prenait vraiment pour la servante maladroite qu'elle semblait être? Et pourquoi lui lançait-il une perche à propos des passes d'armes? Le bon sens d'Elvira tenta une timide percée pour dire que jouer à ce jeu-là était bien trop dangereux, mais elle le fit taire sans ménagement. La brunette croisa les bras.

-Je pense être assez grande pour rabrouer les vilains messieurs entreprenants par moi-même. Et bien que je ne connaisse pas de passes, certains coups aux bons endroits font leur petit effet.

Et voilà comme on se jetait dans le bain d'un noble. Ou à la casserole. Après un dernier regard équivoque, Elvira fit volte-face et continua sa marche.

-Je crois reconnaître cet endroit, le quartier des servantes n'est pas loin. J'y trouverai bien quelqu'un susceptible de nous guider.

Puis, sans que rien ne le laisse présager, elle toussota.

-Vous apprendriez à une jeune femme l'art de la rapière? Vous lui apprendriez le coup que vous avez utilisé hier?

Évidemment, c'était totalement inapproprié. Elle n'était plus qu'une servante. Et même en temps que voleuse, assassine, elle n'avait jamais appris à utiliser les armes blanches correctement. Mais ces métiers ne venaient pas par hasard. Elvira avait l'art de convoiter ce qui n'aurait jamais du lui revenir, et assez de talent pour savoir qu'en manœuvrant correctement, on arrivait à l'obtenir.

Une fois encore, nos échanges ne manquaient pas de piment.
Mon chaton avait de la répartie et sa conversation ne manquait pas d'intêret. J'étais persuadé d'avoir trouvé une perle rare d'une curieux style au fond de cette mare de boue nommée Diantra. Cette servante çi était dorénavant la mienne et je ne comptais plus la laisser partir. Que non !

- J'ai effectivement vu votre talent à éconduire vos prétendants. Notre ami le poussin a été un excellent exemple de vos... Capacités, chaton.

Une attaque gentille et simple comme il semblait en être coutume entre nous à présent. Bien sûr, il était fort possible qu'elle sache se défendre comme il le faudrait si elle venait à être ennuyée. Mais en considérant le fait que ce brave Tha n'avait rien d'un guerrier et qu'il avait pourtant failli l'embrocher comme une vulgaire volaille, j'avais de quoi m'inquieter en ce qui concernait une attaque venant de quelqu'un de plus aguerri. Elvira semblait avoir ce talent qui consistait à se mettre dans les mélasses les plus collantes pour ne cesser de s'y enfoncer. A se demander comment elle avait survécu jusqu'a lors, quoiqu'il était tout à fait possible qu'elle ait encore quelques soucis divers.
- Mais soit. Vous rabrouerez qui vous voudrez une fois dans l'eau, ma chère. Quant à moi, je me tiendrais à distance de vos mains mais à porté de vue. Il faut bien quelques contrepartie, non ?


Au moins elle avait accepté de me suivre chez moi. J'y voyais de la confianceen moi et cela me faisait plaisir. Puisque nous devions être amené à nous fréquenter, autant que tout cela se passe bien, pas vrai ? M'adressant un ultime regard, elle tourna les talons pour reprendre notre excursion dans les couloirs. J'entrepris de la suivre, à présent préssé de faire verser un bain. Le plaisir des yeux, mes amis. Le plaisir des yeux. Enfin... Si j'arrivais à passer la porte de ma propre salle de bain, ce qui au vu du caractère de ma compagne n'était pas assuré.
Elle prétendit reconnaître l'endroit et signifia qu'elle trouverais bien une où deux de ses collègues. Fort bien, nous serions donc vite rendus et nous pourrions enfin nous détendre avant de passer à la soirée arrosée qui ne manquerait pas de nous attendre.
Alors que nous avancions en direction d'un groupe de servantes visiblement armée pour affrontrer d'affreux moutons de poussière, un toussotement rappella Elvira à mon bon souvenir. Pas que je l'eus oublié, mais j'étais parti à réfléchir sur l'établissement le plus à même de fêter notre pacte.
La question du chaton ne fût pas sans m'arracher un sourire de satisfaction. Ainsi, elle s'interessait pour de bon à un éventuel enseignement ? Ainsi, elle avait était présente ce fameux jour... Donc elle savait parfaitement qui j'étais à peine mon intervention faite dans l'escalier. Petite cachottière.
Je m'arrêtais de marcher arrivé à sa hauteur.

- Je cherche UNE disciple, je l'ai bien dis. Alors forcément, je lui enseignerais mon art. Les arcanes du coup d'hier en feront partie, oui.

Je me retourner vers elle et planter le regard le plus sérieux de toute cette histoire. Ce sujet me tenait particulièrement à coeur et je ne comptais pas plaisanter avec.

- Mais je lui enseignerais bien plus. Une discipline de chaque instant, une mentalité, une hygiène de vie. Je n'ai pas usé du terme "façonner" pour l'effet de style. Mais en contre-partie, je ferais de cette demoiselle une duelliste émérite. Mon égal, peut-être même plus. Plus jamais elle n'aura à craindre le fer d'un autre et toujours elle pourra défendre sa vie et les enseignements que j'aurais perpétué à travers elle.

Je fis un pas vers elle, mais il n'avait rien de théatral où de séducteur. Je cherchais à enfoncer le clou, à la tester plus avant.

- Il faudra que cette demoiselle ai les épaules solides et une volonté de fer. Un certain caractère, aussi.

Un petit sourire pour conclure, un peu comme une invitation. Nous verrons bien ce qui finira par en ressortir. Pour l'heure, nous devions penser à nous diriger vers mes quartiers, au moins pour discuter plus à l'écart des oreilles indiscrètes. Faisant volte face et la plantant là, j'entamais les discussions touristiques avec les petites servantes qui semblèrent agréablement surprises que je m'adresse à elle. Tandis que je leur demandais mon chemin, je laissais Elvira végeter un peu...