Sur le parvis de la cathédrale

Aureane déboucha devant la cathédrale et resta là, le souffle coupé par la beauté du bâtiment. Elle n'avait jamais rien vu de tel. Pour la petite paysanne qui venait tout juste de débarquer à la ville, il y avait de quoi être sidérée. Comment avait-on pu bâtir un tel édifice ? Deux tours encadraient une magnifique rosace dentelée. Le monument dégageait à la fois une impression de puissance et de délicatesse.

Arrivée à la ville bien peu de temps plus tôt, Aureane en était encore à apprendre à évoluer dans ce nouveau milieu. A chaque coin de rue, elle découvrait de nouvelles boutiques qui l'émerveillaient. Ayant quitté son village pour la première fois - du moins depuis qu'elle était en âge d'avoir des souvenirs - elle n'avait jamais vu autant de monde vaquer à tant d'activités nouvelles. Elle avait pris une chambre dans une auberge et vivait pour l'instant sur ses maigres économies, en attendant de mieux connaitre les alentours pour savoir où elle pourrait exercer son métier.

Pour l'instant, elle était totalement perdue. Il faut dire qu'avec son caractère particulièrement timide, c'était d'autant plus difficile de se faire une place alors que chacun autour d'elle connaissait la sienne. Elle ne connaissait personne qui puisse la soutenir et de toutes façons n'aurait pas osé demander d'aide. Elle en était donc réduite à arpenter les rues de la ville, en espérant avoir une illumination sur la façon dont elle pourrait s'y prendre pour gagner sa vie. Puis à force de tours et détours, elle avait fini par se rapprocher du clocher qu'elle avait vu au loin, et elle se trouvait à présent au pied de la cathédrale.

Le nez en l'air pour ne pas perdre une miette du spectacle - comme s'il allait s'envoler par miracle - Aureane continua à marcher. Or, forcément, lorsqu'on ne regarde pas où on va, on finit par heurter quelqu'un...

Rougissant instantanément, elle fit un bond de côté en s'excusant précipitamment, avant même d'avoir vu à qui elle avait affaire :

" Veuillez m'excuser... "

" Je ne vous avait pas vu, aurait-elle ajouté si sa voix n'était pas restée coincée dans sa gorge par anxiété. Déjà, elle n'avait pas parlé bien fort, gênée d'avoir dérangé... qui donc d'ailleurs ? Elle osa enfin relever les yeux sur son interlocuteur, espérant qu'il - ou elle, ne lui en veuille pas trop.

Aureane, cramoisie, s'apprêtait à s'éloigner au plus vite lorsque l'inconnue répondit gentiment.

" Oh ce n’est rien, ça peut arriver à tout le monde. Je m’appelle Drathir et toi ? "

La jeune fille fut prise de court, ne s'attendant pas à ce que Drathir, puisque c'était son nom, engage la conversation. Elle resta deux secondes bouche bée avant de répondre à son tour d'une petite voix :

" Euh... Aureane. "

Elle se mordit la lèvre, ne sachant pas trop quoi dire ou faire. La jeune femme qui lui faisait face avait l'air aimable, mais elle était également armée, ce qui n'était pas pour rassurer Aureane. La jeune fille réfléchissait à toute allure : à vrai dire, c'était la première personne qui lui adressait la parole sans la rembarrer (la seule et unique autre personne avec laquelle elle avait échangé quelques mots était l'aubergiste) et actuellement, elle avait bien besoin d'aide pour s'en sortir dans cette ville qui lui paraissait tentaculaire.

Elle hésita encore un instant avant de demander timidement :

" Vous... Tu... Vous connaissez bien la ville ? "

Elle n'avait pu se résoudre à passer au tutoiement. Chez elle, on vouvoyait tout le monde, ou presque, passé l'âge de l'enfance. Si ses parents l'avaient toujours tutoyée, elle, elle les avait toujours vouvoyés.
Elle avait dit "la ville" et non pas "cette ville", comme si Diantra s'opposait exclusivement à son village. Elle allait "à la ville". Le reste du monde était bien trop éloigné pour qu'on en tienne compte.

De fait, l'idée qu'elle s'était faite de Diantra n'était en rien comparable à la réalité. ici, tout était trop grand, trop démesuré. Trop beau, parfois, comme cette cathédrale, mais aussi trop misérable, pour certains quartiers. Au moins, à la campagne, on trouvait toujours quelque chose à ramasser pour se nourrir et on connaissait ses voisins, on repérait la petite étrangère qui arrivait. Ici, personne ne savait qu'elle existait. Tout était plus sale, aussi, bien que Diantra possède un système d'égout. L'odeur de la ville lui donnait mal au cœur, bien qu'elle commence à s'y habituer. Quant aux prix exorbitants qui avaient cours, elle préférait ne pas y penser : elle devrait rapidement trouver comment exercer son métier.

D'ailleurs, c'est ce qui l'avait poussée à continuer à parler à Drathir. Il fallait qu'elle se force un peu à aller au devant des gens si elle voulait s'en sortir. Rien qu'à l'idée de se retrouver sans un sou perdue au milieu de ces rues bondées, elle sentait son ventre se tordre. Qu'était-elle allée faire dans ce cauchemar ? Fuir un autre mauvais rêve, répondit une petite voix dans sa tête.

" Eh bien enchantée de te connaître Aureane. "

La réponse arracha un petit sourire à la jeune fille. Elle avait du mal à prendre contact avec les gens, mais Drathir avait l'air assez patiente pour supporter ses hésitations. Nombre de personnes l'auraient déjà plantée là. Ou envoyée promener parce qu'elle ne répondait pas assez fort, ou assez vite. Elle se raidit néanmoins quand la jeune femme poussa un soupir. Finalement... Cependant, il ne lui semblait pas destiné et elle se détendit un peu. Fausse alerte, Drathir semblait vraiment avoir une patience d'ange.

" Oui je connais bien la ville, au fait ne t’inquiète pas pour mes armes, je les garde sur moi mais après tout je suis guerrière, c’est mon métier. Et puis ici beaucoup de gens en portent, ne t’étonne pas. "

Effectivement, les armes avaient l'air monnaie courante à Diantra. Non, Aureane n'y était pas habituée : par chez elle, on se contentait d'un bon couteau de chasse. Un sabre ne servait à rien, si ce n'était à tuer et dans sa communauté on ne tuait pas les gens. On se défendait avec les outils qu'on avait : hache, faux ou justement, simple couteau comme elle avait à sa propre ceinture. Sauf qu'elle, elle ne savait pas s'en servir pour autre chose que couper sa nourriture. Quand aux épées et autres armes du même genre, c'était trop cher - et inutile - pour les gens qu'elle connaissait. Elle avait demandé à son père lorsqu'elle était plus jeune, de lui apprendre à manier le couteau, juste au cas où. ce n'était pas une activité pour une jeune fille, lui avait il répondu durement. Elle s'en souvenait avec une certaine amertume. Voir Drathir porter un sabre lui paraissait donc assez irréel. Les dieux n'avaient pas l'air de la foudroyer sous prétexte qu'elle n'avait pas su rester à sa place ! C'était... nouveau !

" Allez maintenant suis moi, on va vite s’éloigner un peu de toute cette foule."

Surprise, Aureane laissa Drathir lui prendre la main pour l'entrainer plus loin. Elle réalisa qu'elle suivait aveuglément une guerrière. Était ce une bonne idée ? Pas plus aberrante que celle de rejoindre Diantra, ni plus absurde que de laisser un inconnu passer la nuit près d'elle en plein milieu d'une plaine. Depuis qu'elle était partie, elle allait d'étrangetés en étrangetés. Alors, une de plus ou une de moins...
Et puis, Drathir avait l'air vraiment gentille. Oh, Aureane n'était pas naïve, elle savait qu'on ne pouvait se fier à la bonne mine des gens. Mais après tout, elles étaient en pleine ville, elle ne risquait pas de se faire assassiner au milieu de la foule, si ?

Elles se retrouvèrent sur un coin d'herbe, près d'un grand arbre.

" Je déteste quand il y a trop de monde, je me sens … oppressée. "

Aureane acquiesça, un petit sourire aux lèvres. Elle aussi avait du mal à s'habituer à tout ce monde. Ce qui l'avait le plus impressionnée depuis son arrivée, c'était que la ville ne dormait jamais. Nuit et jour, il y avait de l'agitation, toujours du mouvement et des gens qui circulaient. Moins la nuit, bien sur, mais il y avait tout de même nombre de mouvements furtifs aux coins des rues, ce qui était, de son point de vue, plutôt inquiétant. Enfin, de toutes façons, à ces heures là, Aureane était dans sa chambre, à l'auberge et ne mettait pas le bout du nez dehors. C'était aussi le moment où elle se demandait ce qu'elle avait fait pour mériter de se retrouver seule.

La voix de Drathir la tira de ses pensées :

" Au fait j’étais en train de me demander, que fais tu dans la vie ? "

Aureane s'adossa à l'arbre en répondant :

" Écrivain public. Mais... "

Son regard erra sur ce qui les entourait comme si elle cherchait une réponse à la question qu'elle se posait.

" Mais je ne sais pas trop comment m'y prendre. "

Elle regarda ses bottines, avouant avec une certaine gêne :

" Chez moi, je travaillais à la maison, les gens me connaissaient, ils venaient me voir. "

Exposer son problème, loin de l'apaiser, lui fit prendre d'autant plus conscience qu'elle allait avoir bien du mal à se faire une place. Elle n'avait jamais eu à trouver une clientèle. Elle était la seule personne à savoir écrire à des kilomètres, on venait la voir elle, point. Elle travaillait dur, mais elle n'avait jamais eu le sens du commerce. Ici, elle aurait de la concurrence et elle ne pourrait y faire face.

Elle ajouta en secouant la tête d'un air un peu découragé :

" Je fais aussi des enluminures, mais je ne sais pas comment m'y prendre ici. "

Elle n'était pas du genre à baisser les bras, mais là, la situation la dépassait.

L'expression de Drathir laissait présager une réponse assez peu réjouissante et, en effet, cette dernière ne le fut pas.

" J’aime beaucoup écrire moi aussi, même si je serais incapable d’en faire mon métier. "

Là, Aureane lui lança un regard étonné. Elle aussi écrivait ? C'était la première fois qu'elle rencontrait quelqu'un qui sache lire et écrire, mis à part le vieil homme qui lui avait appris et deux voyageurs qui étaient passés par chez elle des années de cela. Dans son village, c'était vraiment une compétence exceptionnelle. A la fois indispensable quand il y en avait besoin, et parfaitement inutile le reste du temps. Savoir que Drathir en était capable la surprenait, même si elle s'était un peu doutée qu'à la ville, d'autres qu'elle seraient lettrés.

" Cependant je suis navré mais je n’ai jamais était très doué dans le domaine du commerce, si bien que mes conseils sont limités. "

Aureane haussa légèrement les épaules. Tant pis, elle finirait bien par se débrouiller. Mais la suite la laissa bouche bée. Acheter une boutique ? C'était délirant et absolument pas à sa portée. S'installer dans un coin, oui, pourquoi pas, c'était déjà plus raisonnable. Mais plutôt aux beaux jours car à cette période de l'année elle risquait de finir avec des engelures aux doigts. Enfin, si elle devait en passer par là pour gagner sa vie, elle le ferait.

" Voilà, mais si jamais tu en as l’occasion demande plutôt conseil à un marchand ou même à un écrivain pourquoi pas, il saura sûrement te conseiller. "

Elle hocha la tête, pensive. Oui, ce n'était pas bête comme idée. Encore fallait-il qu'elle ose. Cela dit, sa bourse qui se vidait rapidement devrait la convaincre de réagir assez vite, timidité ou non.

Elle eut un petit sourire reconnaissant à l'adresse de Drathir.

" Merci. "

La guerrière n'avait peut-être pas l'impression, mais elle aidait beaucoup Aureane en prenant le temps de lui répondre. La jeune fille se sentait beaucoup trop seule depuis son arrivée à Diantra. Chez elle, il y avait toujours au moins un membre de sa famille avec elle. Elle était constamment entourée. La vie était dure, mais on se serrait les coudes et on s'encourageait en se réconfortant. Ici, elle était désespérément seule et si elle disparaissait tout à coup personne ne s'en rendrait compte. Pouvoir exposer simplement ses ennuis à quelqu'un qui avait l'air de la comprendre un minimum la rassurait.

Aureane rebaissa la tête, se mordillant la lèvre, pensive. Alors, que faire, maintenant ? Elle repensa à sa rencontre dans la plaine. Les écrivains avaient leur place à la cours, lui avait dit Valkayre... C'était hors de question actuellement. Complètement absurde. Mais il avait aussi parlé d'espoir et de ne pas baisser les bras. Elle releva les yeux vers Drathir, essayant d'avoir l'air décidée, sauf que si l'intention y était elle semblait bien trop fragile et dépassée par les événements pour être convaincante.

" Et si je ne parviens pas à vivre de l'écriture ? Qu'est ce que je peux faire d'autre ici ? "

Les seuls autres métiers qu'elle connaissait étaient ceux d'agriculteur et d'éleveur. Ici, à sa connaissance, c'était impossible.


[hrp : c'est pas grave, je suis pas une psychopathe des tartines ^^ ]