Accusée à tort | Aidan

La journée avait été plutôt calme, dans la belle Diantra. Comme à son habitude, Nilah n’avait que peu bougé, profitant des maisons encore abandonnées à cause des dommages de la Guerre Civile pour fuir le soleil. Les corbeaux ne l’avaient pas accompagnée dans son refuge en ruine, préférant voleter aux alentours, se posant de temps en temps sur la toiture… et trahissant par la même occasion sa position. Il était en effet rare de voir trois volatiles rester au même endroit pendant si longtemps. La sang-mêlé ne comprenait toujours pas ce qui les attirait, elle se doutait que cela avait un rapport avec elle, mais rien de plus. Les moines de Néera n’avaient pas réellement cherché à percer ce mystère, pensant qu’il s’agissait d’un acte volontaire. Au souvenir de ses anciens protecteurs, la figure de l’enfant se renfrogna légèrement. Elle ne savait pas ce qu’ils étaient devenus et doutait très sincèrement qu’ils la regrettent d’une quelconque façon. Ils n’avaient pas aimé comprendre qu’ils avaient élevé une bâtarde, un être lié de par son sang à l’ignominie d’Elda. Des mots durs, qu’elle avait entendus et retenus.

Plissant les yeux à cause du soleil, elle s’approcha de la porte et jeta un coup d’œil à l’extérieur. Par les Cinq, qu’est-ce qu’elle pouvait haïr l’été. Comme elle s’y attendait, il n’y avait personne, les rues de ce quartier avaient été désertées quand les flammes avaient dévoré les maisons sans défense. Vu la taille de la ville, tous les dommages n’avaient pas pu être réparés, mais cet endroit était un des derniers à ne pas encore avoir reçu la visite des architectes royaux. Une bénédiction pour nombre de miséreux qui s’y installaient malgré les dangers que cela représentait. Malheureusement, si on trouvait le gite dans un tel endroit, le couvert restait hors de porté, et même si la jeune Nilah ne mangeait pas beaucoup, elle avait tout de même besoin de se caler l’estomac de temps en temps. Son ventre criait famine, et ses petits poings se serrèrent alors qu’elle se résignait à quitter l’ombre rassurante de la bâtisse avant la tombée de la nuit. Sans même se consulter, les corbeaux lui emboitèrent le pas, avec force de croassements qui auraient pu passer pour amusés.

Evitant soigneusement les rues les plus fréquentées, Nilah partit à la recherche d’une miche de pain qui traînait ou d’une bourse mal dissimulée. Dans un cas comme dans l’autre, tout était une question de chance et d’adresse… Or, si la deuxième ne lui faisait plus défaut désormais - l'entraînement avait porté ses fruits - elle ne s’était jamais estimée « chanceuse ». Elle avait pu compter sur plusieurs hasards en sa faveur, lors de sa naissance ou durant sa fuite, mais au vu de la vie qu’elle menait, on ne pouvait pas réellement appeler ça de la chance. Quoi que, elle était en vie, et pour certain, c’était déjà une bonne chose. Après une heure de recherche infructueuse, elle dut se rendre à l’évidence : elle ne mangerait pas grand-chose ce soir là. Les gens qu’elle croisait la regardaient comme si elle n’existait pas. Elle n’était qu’une gamine de plus, la sauver ne sauverait pas la horde de ses semblables, et ils avaient déjà bien assez de souci pour se rajouter en plus une gamine très certainement voleuse et indisciplinée. Sauf en de rares occasions, elle n’avait pas pu compter sur la générosité de la population de Diantra. Surtout pas durant l’occupation des barons rebelles. Jamais elle n’avait eu aussi peur de mourir, et ce serait sans doute chose faite sans la protection du « vieux monsieur ». Elle avait bien envie d’aller le voir et de lui demander un peu de nourriture, mais elle n’aimait pas le déranger. Il était très occupé, après tout.

La dague qui titilla son dos lui fit oublier l’épineux problème, et elle se figea. Ce n’était pas la première fois qu’on la menaçait, et elle avait toujours survécu, mais cette certitude n’assurait en rien que ce serait la même chose cette fois là. Sa main gauche vint attraper le collier de sa mère et elle le sera très fort, fermant les yeux. Une main autoritaire se posa sur son épaule droite et la serra à lui faire mal, alors qu’elle sentait un souffle chaud et nauséabond glisser sur son oreille.

« Tu bouges plus, la garce d’malheur. »

Encore un nom fleuri pour la désigner, qui s’ajoutait aux autres. L’ordre était en soit inutile, Nilah respirait à peine. Comme souvent quand elle était en danger, les corbeaux s’excitèrent un peu, croassant plus que d’habitude. Les cercles qu’ils décrivaient au dessus d’elle se resserrèrent légèrement, mais ils ne firent pas mine d’attaquer pour la défendre. Comme à chaque fois, ils ne seraient que de simples spectateurs. L’épaule prisonnière de son agresseur la démangeait furieusement, et ce n’était pas parce que la main du malfrat était sale.

« Tu vas m’suivre, et sans faire d’histoire.
- Je vais mourir ? »

La question, posée avec un détachement surprenant pour une gamine de cet âge, arracha une grimace agacée au kidnappeur, qui la poussa sans ménagement vers une ruelle déserte. Ou plutôt, qui semblait déserte, car plongée dans l’ombre. Néanmoins, la légère nyctalopie de Nilah lui apprit la présence de trois autres hommes, tous plus repoussants les uns que les autres.

« La v’là, Ralk, et ses piafs d’malheur aussi. » Un croassement confirma son affirmation, et il marqua un arrêt avant de continuer, mal à l’aise. « Z’étaient là quand Kerd s’est fait buter, c’est d’sa faut’ j’vous assure. »

Ces accusations farfelues ne surprirent même pas la sang-mêlé, qui était coutumière à ce genre de situation. Malheureusement, cette fois-ci, les choses étaient plus compliquées, car il semblait évident que ces hommes ne ignoraient tout du lien de leur victime avec le « vieux monsieur ». Ou peut-être s’en fichait-il, il n’était après tout pas omniprésent ni tout puissant. Se mordant la lèvre inférieure, Nilah se tordit le cou pour pouvoir observer le lâche qui la menaçait. Le regard - haineux - qu'il lui gratifia la fit frémir.

« Je n’ai rien fait. » affirma-t-elle, son calme apparent se fissurant lentement mais surement sous les assauts de la cruelle anxiété

Elle disait toujours ça, mais bizarrement, on ne la croyait jamais.

Nilah ne s’était pas attendue à ça. Elle n’avait escompté aucune aide, n’avait prié que sur la clémence de ses bourreaux et avait été certaine de passer, dans tous meilleur, un très sale quart d’heure. Respirant à peine, elle avait attendu la réponse du fameux Ralk, nom ô combien évocateur de la rudesse du malfrat. Chauve, une cicatrice lui barrait le visage, et il observait sa future victime avec un air satisfait. Son œil droit, bleu comme peu d’autres, semblait se moquer d’elle, tandis que son œil gauche et torve la faisait frissonner. Ses deux comparses, moins impressionnant que lui, n’importaient pas, c’était de lui que viendrait la décision qui déciderait de l’avenir de la sang-mêlé. Du ciel, elle ne connaissait que les corbeaux. Gardiens sinistres, ils veillaient sur elle, d’une certaine façon, mais passivement, sans jamais l’aider ou la menacer. Pourtant, elle avait de nombreuses fois prié pour qu’ils fondent sur les brutes du genre qu’elle devait affronter à l’instant, sans aucun résultat autres que de désagréables démangeaisons.

Quand le sang jaillit de la plaie béante, elle crut quelques instants que ses prières avaient enfin été attendues. Son regard suivit l’arc parfait formé par les gerbes du liquide carmin. Etrange fascination que celle qu’elle éprouvait dès qu’elle était en contact avec son hémoglobine. Ce n’était pas réellement malsain, elle n’avait jamais aucune envie de se saisir d’un couteau pour le répandre elle-même, mais quand elle y était confrontée, elle ne pouvait s’empêcher de la trouver… beau. Elle n’avait pas bougé, se rendant à peine compte qu’elle était désormais libre, et il fallut que son sauveur - qui n’était pas un volatile, même s’il venait du ciel - la tire sans ménagement par le bras pour qu’elle s’extraie de sa morbide contemplation.

« T'as pas entendu ? » entendit-elle, à peine tirée de son état second. « Elle n'a rien fait, alors toi et tes copains, vous allez déguerpir et laisser cette gamine tranquille, compris ?
- Espèce d’enflure, t’vas… » commença le blessé. Il se tenait le bras, gémissant et grimaçant à cause de la douleur. « J’sens plus ma main, p’tain ! »

Mal à l’aise, Nilah agrippa la tunique de son sauveur, les jambes légèrement flageolantes. Maintenant que le danger était passé - du moins, légèrement éloigné - elle prenait toute la conscience de ce qu’elle avait failli endurer, et en même temps, elle avait horriblement conscience que rien n’était joué. Se mordant de nouveau la lèvre inférieure, elle leva la tête vers son sauveur… Lui n’avait pas l’air d’avoir peur, et elle aurait bien voulu savoir comment il faisait. Il était droit comme un i, le regard déterminé… Et pas seulement, il y avait autre chose.

« Tu es… » commença le dénommé Ralk, avant d’éclater de rire. « Par les Cinq ! Tu te crois où, gamin ?
- Tu vas morfler, ouais. » coupa presque l’homme à sa droite, la main sur le fourreau de son arme. Ralk posa sa main sur son épaule, et esquissa un sourire mauvais.
« Allons allons… Tout de suite les grands mots. »

Il semblait presque… s’amuser. Et Nilah n’aimait pas ça, serrant encore un peu plus la tunique - et la froissant d’autant au passage -. Croisant les bras, le chauve sembla jauger le fou qui s’attaquait à lui et à ses trois alliés.

« Tu es un homme mort, tu le sais ça fiston ? » commença-t-il, déclenchant le rire de ses deux comparses encore intact et le regard haineux du malheureux en train de se vider de son sang. « T’as qu’un moyen de t’en sortir, et c’est de me lécher les bottes. Au sens propre. Et ensuite, tu travailleras pour moi.
- Quoi ?! » hurla presque le blessé. « Ralk !?
- Il faut partir. » murmura-t-elle, dans ce qui semblait être un murmure paniqué. Elle acheva sa phrase en le tirant vers la sortie.

La scène était d’une rare violence… Et Nilah n’en perdait pas une miette. Son regard presque fasciné ne quittait pas les manches des couteaux de son sauveur. Les lames n’étaient plus visibles, perdu dans cet amas de chair encore chaud que redevenaient les corps des deux malfrats. Le sang coulait à flot, alors qu’ils basculaient en arrière. Ils n’étaient pas morts, pas encore, mais la gamine ne doutait pas une seule seconde de l’imminence de leur fin. Pour celui touché à l’abdomen, l’agonie serait lente et douloureuse, un sort qu’elle aurait pensé être réservée au fameux Ralk. Si les truands ne connaissaient pas le Chat, elle en avait entendu parler. Elle était arrivée juste avant son évasion des geôles royales, et elle se souvenait encore de l’omniprésence de ce surnom dans les conversations. Malgré la taille de la ville, tout le monde se connaissait dans le monde miséreux, c’était en quelques sortes une immense famille, dont l’arbre généalogique se perdait en ramures et en ramifications, et dont toutes les branches se détestaient cordialement.

Et le sang continuait de couler.

Tout semblait si différent, cachée derrière son sauveur. Beaucoup auraient sans doute étaient horrifiés, quelques uns auraient pleuré, peu se seraient évanouis. Elle se contenta de resserrer encore un peu plus sa prise sur la tunique, sans quitter des yeux un spectacle qui, s’il dura à peine cinq secondes, sembla s’étaler sur une toile d’éternité. Elle avait déjà remarqué cette étrange fascination pour la violence et l’hémoglobine, sans jamais s’interroger sur sa signification réelle. Pour une gamine qui était suivie en permanence par des corbeaux, qui subissait des crises de démangeaisons parfois aigues, qui supportait péniblement le soleil et qui voyait mieux de nuit que de jour, ce n’était qu’un problème de plus, avec lequel il fallait composer. Elle n’était pas une meurtrière en puissance, tout comme l’homme capable de s’extasier devant la beauté d’un feu de camp n’était pas un pyromane qui s’ignorait, mais elle gardait de son ascendance - dont elle n’avait pas « réellement » conscience - quelques caractéristiques qui la différenciaient immanquablement de l’humain lambda.

Une main agrippa son poignet, et elle ne put que suivre le mouvement qu’on lui imprimait, manquant de tomber dans un premier temps. Rapidement cependant, elle cessa d’être un poids, s’adaptant comme elle le pouvait au rythme d’enfer imposé par le Chat. A force de manquer de se faire attraper, elle avait pris l’habitude de « courir vite », comme il avait dit. Pourtant, elle était loin d’être aussi endurante que le lanceur de couteaux, et elle fut rapidement à bout de souffle. Elle faillit plus d’une fois lui demander de s’arrêter, mais la voix lui manqua, et elle n’était pas certaine qu’il l’écouterait. Usant de trésor de volonté, elle s’obligea à tenir le rythme… Et s’effondra dès qu’ils s’arrêtèrent. Plus exactement, elle se laissa tomber à genoux, repliant ses jambes derrière elle et s’assit entre elles avec cette naturelle agilité propre à la jeunesse. Le souffle court, elle haleta comme un pauvre diable. Fermant les yeux, elle déglutit, n’avalant cependant aucune salive au vu de la sécheresse de sa bouche.

« C'est l'orphelinat, cela te dit d'y faire une halte, de manger et de te remettre de tes émotions ? »

Surprise, Nilah releva la tête vers le Chat avant de regarder, méfiante, le bâtiment. Depuis que Fouineur lui avait affirmé que les orphelinats étaient des prisons dans lesquelles on enfermait les enfants sans parent pour qu’ils arrêtent de se plaindre, elle avait fuit ce genre d’établissement comme la peste. Néanmoins, il y avait une proposition qu’elle pouvait difficilement ignorer, son ventre criant d’autant plus famine qu’elle venait de réaliser un effort physique assez violent.

« Je… » commença-t-elle avant de pincer les lèvres, en proie à un dilemme moral des plus cornélien.

Au dessus de sa tête, les corbeaux croassèrent avant de se poser. Quittant l’édifice des yeux, elle s’intéressa à ses amis à plumes, reprenant une expression plus neutre. Tout était de leur faute, et pourtant… Elle n’arrivait pas à leur en tenir rigueur. Elle se disait que si ça n’avait pas été eux, ça aurait été autre chose, tout simplement.

« Je pourrai repartir, après ? » finit-elle par demander.

Que Fouineur ait dit ou non la vérité n’était pas important, car au fond Nilah n’était pas faite pour l’orphelinat. Elle était trop habituée, désormais, à cette liberté si particulière des enfants des rues. Oh, elle n’aurait pas craché sur l’assurance d’un repas midi et soir, mais elle n’était pas prête à rester enfermée entre quatre murs. Elle était trop sauvage pour cela. Son monde restait les bas-fonds.

Le Chat lui assurait qu’elle pourrait repartir aussi facilement qu’elle était entrée. Une promesse, du moins c’est ainsi que Nilah le comprenait, mais elle avait déjà remarqué que les adultes faisaient des promesses qu’ils ne tenaient pas toujours. Que ferait-elle, si jamais elle se retrouvait enfermée dans cet orphelinat, malgré les mises en garde de Fouineur ? Elle se voyait déjà, pieds et poings liés, traînant sa misère dans des couloirs sombres et tortueux. Quelque chose lui soufflait, cependant, qu’elle n’avait pas beaucoup de risques de finir comme ça. Si les propriétaires de la bâtisse étaient comme la majorité des gens qu’elle avait pu rencontrer, ils finiraient par la chasser, effrayés par les corbeaux qui la suivaient partout. Après tout, la plupart des gens répugnaient à s’en prendre à des enfants. Pas tous, elle en avait eu la preuve quelques minutes plus tôt. Et elle ne devait sa survie qu’à son étrange sauveur… Qu’il l’ait tirée des griffes de ses potentiels meurtriers pour l’enfermer ensuite paraissait un peu tiré par les cheveux. Indécise, elle observait sa main ; on aurait presque dit un animal effrayé qui s’enfuirait au moindre geste brusque.

Elle sursauta quand, déboulant dans son champ de vision pour en ressortir aussitôt, le familier de son sauveur lui foutait une belle frousse. Mal à l’aise, elle le regarda un instant, lui et ses deux couteaux encore plein de sang - celui de ses anciens agresseurs, comprit-elle -. Se rendant compte qu’un petit animal de rien du tout avait faillit la faire détaler comme un lapin, elle se força à reprendre son calme. Au même moment, son ventre grogna légèrement, lui rappelant au besoin qu’il existait encore. Aidan - car tel était son nom - profita de cette distraction pour se présenter, et son petit compagnon avec. Passant une main dans ses cheveux pour les dégager de son champ de vision, la sang-mêlé entreprit de se relever.

« Nilah. » lâcha-t-elle, encore légèrement mal à l’aise, mais adoptant de nouveau son habituel détachement. « Je veux bien… un peu de pain. »

Elle n’osait guère demander plus. L’attitude d’A idan restait encore trop mystérieuse, et elle trouvait difficilement concevable qu’il l’aide gratuitement. Même le vieux monsieur lui demandait de temps à autre des services, il ne disait jamais que c’était pour garder sa protection, mais la gamine l’avait toujours compris ainsi, sans s’en offusquer. Quand on grandissait sans le sou, on comprenait bien vite que rien n’était gratuit. Elle n’aimait pas l’idée de lui devoir quelque chose, surtout qu’elle finirait par se trouver à manger par ses propres moyens. Mais la promesse d’un bon repas sans effort restait assez alléchante pour qu’elle se laisse amadouer.

« Vous êtes gentil. » remarqua-t-elle, et si le Chat le prenait comme un compliment - le ton ne l’aiderait pas beaucoup à trancher - la suite devait le détromper. « Pourquoi ? »

Son regard ne brillait pas de reconnaissance. Il n’était pas accusateur non plus, loin de là, mais elle n’arrivait pas à mettre totalement de côté sa méfiance. Même s’il venait de lui sauver la vie. Quand elle y réfléchissait, il n’y avait eu que Fouineur pour l’aider sans rien lui demander en retour. C’était sans doute pour cela qu’elle restait avec le garçon, et ce même si ses bavardages incessants la fatiguaient bien souvent. Si on le lui retirait, elle ne savait absolument pas comment elle ferait, et elle ne voulait pas y penser. Elle se rendit soudainement compte que, si vraiment il avait agis par gentillesse, il risquait de mal prendre sa dernière question. Ce n’était pas réellement une situation dont elle avait l’habitude, malheureusement.

« Merci, pour les brutes de tout à l’heure. » tenta-t-elle de se rattraper. « Eux n’étaient pas gentils. »

Ou moins tordus, mais ça, elle ne le dirait pas.

Lui rappeler quelqu’un ? Sur le coup, avec une curiosité toute infantile, Nilah aurait bien voulu savoir qui. Pour marquer sa curiosité, cependant, elle ne fit rien de plus que pencher légèrement sa tête sur le côté. La sang-mêlé n’était pas une gamine très démonstrative, même s’il lui arrivait de parler avec la touchante innocence de la jeunesse… Il était rassurant de voir que, malgré tout ce qu’elle avait vécu, elle n’était pas encore une adulte coincée dans le corps d’une enfant. La vie à Elda, le voyage jusqu’à Thaar, la fuite puis la traversée jusqu’aux côtes humaines, la vie au monastère, l’abandon et la vie à Diantra, toutes ces épreuves l’avaient forgée, elle en avait tiré bien des leçons, et d’une certaine façon, elle avait plus vu et vécu que bien des paysans du domaine royale. Un étrange héritage, que bien peu comprenait. Aidan semblait être de ceux là, et ce n’était pas vraiment pour la rassurer. Plutôt que d’assouvir sa curiosité, elle préféra donc le rassurer, histoire d’être certaine de ne pas l’énerver, et il haussa les épaules comme si ce n’était, au fond, pas grand-chose.

Il finit par la réinviter à entrer, arguant le fait que s’ils restaient devant la porte de l’orphelinat trop longtemps, ceux qui avaient survécu à sa petite démonstration de jet de couteaux risquaient de les trouver. Ca, plus une faim qui la tenaillait depuis quelques jours, et son choix fut vite arrêté. Hochant la tête, elle lui emboita le pas, avec un temps de retard et en ouvrant de grands yeux. Elle restait méfiante malgré tout, et elle entendait bien être capable de trouver la sortie toute seule s’il le fallait. La demande du Chat la surprit pourtant, et elle s’arrêta après quelques pas, levant la tête pour observer les corbeaux.

« Je ne peux pas. » lâcha-t-elle sans les quitter des yeux, pensive. « Mais ils ne rentreront pas. Ils préfèrent rester à l’extérieur… Le ciel leur manque trop à l’intérieur. »

D’aussi loin qu’elle se souvienne, les corbeaux n’étaient jamais entrés dans un bâtiment où elle-même avait mis les pieds. Elle en avait déduit qu’ils n’aimaient pas être enfermés entre quatre murs et en avait fait une vérité absolue, du moins pour elle, si bien qu’à l’entendre, on pouvait presque penser que c’étaient les principaux concernés qui le lui avaient dit. Parfois, quand elle y restait assez longtemps, ils finissaient par partir, mais il en revenait toujours ; d'autres ou les mêmes, cela dépendait. Elle n’avait jamais compris le phénomène, se doutant simplement qu’il était lié aux étranges démangeaisons qui la prenaient parfois, qui rendaient les volatiles étrangement plus bruyants. Baissant la tête, elle reporta son regard sur Aidan et le rattrapa. Une fois arrivée à sa hauteur, elle leva les yeux vers lui, comme si elle cherchait à lire sa réponse à sa prochaine question dans ses iris plutôt que de se fier à ce qu’il allait dire.

« S’ils décident de me suivre quand même, il se passera quoi ? »

Question pertinente, vu qu’elle n’avait aucun contrôle sur ses « amis », elle ne voulait pas prendre de risque. Fouineur le lui avait souvent répété, et elle ne pouvait qu’être d’accord avec lui : un adulte déteste être contrarié. Et comme il était facile d’accuser - et de punir - un enfant, mieux valait prendre ses précautions. C’était une façon de voir presque touchante, qui était appelé à évoluer le jour où Nilah ne pourrait plus se considérer comme une gamine. Elle avait encore quelques années devant elle, toutefois, pour réviser son point de vue.

Nilah aurait été heureuse, réellement heureuse, si jamais elle avait été capable de faire la dixième de ce qu’on lui prêtait comme capacités. Malheureusement, elle ne pouvait absolument pas contrôler ses collants amis, seulement les attirer. Elle agissait un peu comme la confiture avec les abeilles, ou le lait avec les chats. Ce n’était pas réellement une pensée agréable, mais c’était sans doute celle qui s’accordait le plus à la réalité. Elle esquissa un léger sourire, chargé de nostalgie, alors qu’un des corbeaux prenait son envol pour reprendre ses cercles au dessus de sa tête. Pressentait-il que sa « victime » allait être hors de portée pour les minutes - heures ? - à venir ? Peut-être bien… La sang-mêlé avait eu tout le loisir de se rendre compte que ces volatiles étaient tout sauf idiots.

« Vous semblez déçu. » fut sa seule réponse.

Déçu, car la vérité n’était pas à la hauteur de ses espérances. Elle n’était pas une espèce de Reine aux Corneilles, bien au contraire… Dans leur étrange relation, c’était plutôt elle qui subissait leur joug et ce que cela impliquait. Elle ne pouvait pas maudire quelqu’un par leur biais, et c’était même elle qui semblait frappée d’une étrange malédiction. Ne lui laissant pas le temps de répondre - il ne risquait pas de se satisfaire de ces quelques paroles - elle planta son regard dans le sien et lui demanda sans sourciller si elle risquait quelque chose dans l’hypothèse où les oiseaux n’en faisaient qu’à leur tête. Même s’il n’avait jamais agis de la sorte, elle ne leur faisait pas confiance, loin de là. Une question qui sembla l’amuser, à tel point qu’il éclata de rire, ni plus ni moins. Surprise, et un brin vexée, Nilah fronça légèrement des sourcils, attendant patiemment une réponse, hochant la tête quand il affirma qu’elle ne risquait rien de sa part, sinon quelques corvées. Hochant la tête sans répondre, elle lui emboita le pas.

Quelque chose la fit frissonner quand elle passa enfin la porte d’entrée, et elle manqua s’arrêter, frigorifiée. Elle venait de traverser… quelque chose. Elle aurait été incapable de dire quoi, et un coup d’œil par-dessus son épaule lui confirma ses doutes : il n’y avait rien de visible qui puisse expliquer son étrange réaction. Franchement mal à l’aise, elle se mordit la lèvre inférieure et rattrapa son guide, jetant des regards méfiants un peu partout. Parfois, Nilah n’en pouvait plus, de tous ces phénomènes inexplicables, et cette fois là en était une. Pourtant, aucun signe extérieur ne trahissait ses véritables sentiments, et son attitude générale serait sans doute interprétée par Aidan comme des restes de méfiance à l’égard de l’orphelinat. Il n’était pas rare que ce genre d’institutions ait mauvaise réputation, après tout.

Ils finirent par rejoindre ce qui devait être la cuisine. Assailli de toute part, son odorat lui rappela à quel point elle avait faim, et elle ferma les yeux alors que son ventre protestait de façon audible contre la diète qu’on lui avait imposé. Détournant honteusement le regard, la sang-mêlé tenta de garder son calme, sa main droite venant serrer sa « robe » - plus des haillons, en réalité - au niveau de son abdomen. Ouvrant les yeux, elle repéra rapidement le chat, assis sur un banc, en face de plus de nourriture que n’en avait vu Nilah depuis le début de la semaine. Tellement que c’en était presque indécent. Aidan l’invita à se servir et elle fit un pas en avant, ses bonnes résolutions fondant comme neige au soleil. Pourquoi se contenter d’une miche de pain, dans ces conditions ? Alors que son hôte et son familier s’emparaient chacun d’une pomme, elle les rejoignit et s’assit sur le banc. Par où commencer ? Finalement tentée par le fromage - elle adorait le fromage, mets rare entre tous dans la rue - elle dédaigna le couteau et arracha un morceau à l’ensemble, avant de s’arrêter, surprise par les paroles de son sauveur.

« Je ne suis pas sûre que ce soit utile. Les gens ont peur de moi, aussi, quand ils m’attaquent, ils font en sorte que même mes "pouvoirs" ne puissent me sauver. De puis, j’ai Fouineur et le vieux monsieur pour me protéger. »

Et elle conclut sa déclaration pessimiste en enfournant littéralement le morceau de fromage.

Délicieux.

Elle avait presque eu le temps d’oublier le délicieux goût du fromage. Presque. Par les Cinq, c’était agréable de pouvoir manger autre chose que du pain ! La viande séchée était déjà un luxe, mais le fromage appartenait à une autre gamme encore, et Nilah appréciait à sa juste valeur la chance de pouvoir en manger : elle en reprenait déjà une part. Ce qui ne l’empêchait pas, par ailleurs, d’écouter attentivement ce que pouvait lui dire son bienfaiteur. Il y avait quelque chose… d’amusant, dans son discours. Il n’en avait peut-être pas conscience lui-même, mais ses dires contredisaient ses paroles.

« Je préfère courir, affirma-t-elle quand il mentionna l’incroyable pouvoir d’une dague. C’est quelque chose que je fais bien, la preuve, j’ai réussi à vous suivre. »

Se défendre elle-même semblait être une bonne idée… mais elle n’avait pas réellement la carrure nécessaire. Et le fait que ses potentiels agresseurs ne la prenaient jamais à la légère et la prenaient toujours par surprise l’avait très tôt découragée : à quoi bon apprendre à se servir d’une dague si elle n’avait même pas l’opportunité de la dégainer ? Ce n’était sans doute pas quelque chose que pouvait comprendre le Chat, cependant. Elle avait beau avoir plusieurs points communs avec l’enfant qu’il avait été, lui n’avait jamais été poursuivi par des corbeaux. Ils avaient beau être restés dehors, elle avait presque l’impression de les sentir, là, au dessus de sa tête. Elle leva d’ailleurs les yeux, fixant pensivement le plafond.

La façon dont il dénigra l’aide que pouvaient apporter Fouineur et le vieux monsieur - surtout le vieux monsieur, en fait, il était vrai que Fouineur n’était pas le meilleur protecteur que Diantra ait vu naître - ne lui plut pas, et elle ne se gêna pas pour le montrer. D’un simple regard, contenant toute l’inexpressivité dont elle était capable. C’était presque un regard d’adulte, elle donnait l’impression qu’il n’était même pas digne qu’on lui répondre.

« Vous allez me demander quoi, pour tout ça ? demanda-t-elle en montrant la table. Vu que rien n’est gratuit. »

C’était un peu méchant, comme réponse, mais elle n’avait pas pu s’en empêcher. L’entendre dire du mal - même de façon aussi indirecte - du vieux monsieur ne lui plaisait pas du tout. Néanmoins, elle devait bien avouer qu’il avait raison : la protection qu’on lui octroyait n’était pas tombée du ciel, et elle avait du à de nombreuses occasions rendre quelques « services ». Rien de bien méchant, cependant, et rien qui ne la mette en danger. A ses yeux, elle y gagnait plus qu’elle n’y perdait, et c’était tout ce qui comptait.

« Le vieux monsieur m’a souvent sauvée… Comme tu viens de le faire. Parfois, il me demande de l’aide, mais c’est normal d’aider quelqu’un qui vous protège, non ? »

Nilah retrouvait souvent cette innocence réservée à la jeunesse quand il s’agissait du mendiant, comme si elle était encore parvenue à. Après tout, il était une sorte de figure parentale intouchable, inattaquable, tellement plus douce que celle des rigides moines de Néera qui l’avaient recueillie pour mieux l’abandonner plus tard, ou l’image désormais floue d’une mère surement morte et enterrée dans une fosse de l’Elda. Définitivement, la sang-mêlé n’avait pas les moyens d’être objective dans son cas.

« Je veux bien apprendre à me défendre, mais c’est juste inutile. Tout à l'heure, ça ne m'aurait servi à rien. »

Brusquement mal à l’aise, le visage de Nilah se ferma dès qu’elle vit les nouveaux invités. La gamine n’avait jamais été à l’aise avec les gamins de son âge, exception faite de Fouineur, et préférait de loin la compagnie des adultes… Peut-être parce qu’il n’y avait eu aucun enfant là où elle avait grandi. Ils étaient jeunes, le plus grand ne faisait pas la moitié de son âge, et pourtant il semblait si serein, si… heureux. Elle se souvenait avoir jadis abordé pareille insouciance, quoi que mêlée d’un peu plus de solennité, quand elle vivait avec les moines. Cette vie là lui manquait, mais elle n’y aurait retourné pour rien au monde. Car la sang-mêlé n’avait pas oublié la façon dont elle avait été abandonnée dans les rues sombres et menaçantes de Diantra. Plutôt que de la détendre, l’invasion imprévue des résidants de l’orphelinat lui redonna sa méfiance originelle.

Elle fut pourtant fascinée par le bambin qui se précipita vers elle. Pas parce qu’il était mignon, encore moins parce qu’il était de bonne humeur, mais uniquement à cause de ses oreilles. Dès l’instant où elle les vit, elle ne put en détacher le regard, et se retint avec grande peine de porter une main aux siennes. Elle aussi ne présentait pas les rondes oreilles humaines, quoique ses pointes fussent beaucoup plus discrètes. Aidan fit les présentations, et sa voix la ramena immédiatement au présent. Tournant une tête indécise vers l’adulte, elle tenta de regarder au travers de ses mèches épaisses. Elle était certaine, désormais, qu’elle aurait fini par trouver les mêmes oreilles que sur son fils.

« Bon… bonjour », le salua-t-elle en se reprenant.

Avec la facilité née de l’entraînement, elle effaça de son visage toutes les émotions qui avaient pu l’assaillir quelques secondes plus tôt. Reprenant son masque impassible, elle regarda le manège de ce qui n’était plus vraiment un bébé, mais pas réellement un enfant. Lui aussi semblait heureux. Elle ne se souvenait même pas de ses premières années, juste qu’elles avaient été désagréables, et qu’elle avait préféré les oublier. Elle venait de l’Est, dans un endroit dont elle ne connaissait pas le nom, et la seule chose qui la raccordait à ce passé était le collier qu’elle portait autour du coup. Comme pour s’assurer qu’il était toujours là, sa main vint emprisonner le colifichet. Celui qui, au Puy, l’aurait condamné comme esclave, mais qui à ses yeux était le dernier héritage de sa mère.

Autour d’eux, les autres gamins regardaient le visage qu’il n’avait jamais vu, remarquait sa maigreur et l’état de ses habits. Nilah les entendit chuchoter, mais elle prit le parti de ne pas les écouter. Qu’est-ce que cela pouvait bien changer, ce qu’ils pensaient ? Concentrant toute son attention sur Aidan, elle fut heureuse de l’entendre reprendre la conversation, et surprise qu’il la réoriente sur le mystérieux vieux monsieur dont elle avait tant parlé. Pour elle, il était à ce point immuable qu’il était impensable qu’on l’interroge à son sujet. Elle allait lui répondre quand elle se rendit compte qu’elle n’avait aucune idée de par où commencer. Après un temps d’hésitation conséquent, elle tenta pourtant sa chance.

« Tout le monde le connaît. Il paraît qu’il est immortel, et que les bas-fonds sont comme son Royaume. Sans lui, je pense que je serais morte. Les gens n’aiment pas les corbeaux. »

Elle aurait pu ajouter qu’il était un mendiant, mais c’était le dévaloriser, et elle en était incapable. Souligner l’importance qu’il avait dans ce milieu si particulier de la capitale humaine était tout aussi difficile, vu qu’elle ne la comprenait pas réellement.

« Si vous voulez, je pourrai toujours lui parler de vous », proposa-t-elle, tant elle peinait à expliquer clairement ce qui était, à ses yeux une évidence.

Pas facile de savoir quoi répondre pour avoir satisfaction de sa curiosité sans éveiller seule de son interlocuteur. Nilah hésitait, se demandait quoi faire. Elle ne voulait pas parler de ses oreilles, ne sachant que trop bien comme les gens réagissaient en règle générale quand ils les voyaient, mais elle voulait tout de même savoir s’ils avaient ce secret en commun. Il y avait de grandes chances, après tout son fils en avait, pourquoi pas lui. A moins que ce ne soit la mère, bien entendu, mais elle en doutait. Le pire étant qu’elle ne savait pas exactement ce que cela signifiait. Personne ne le lui avait expliqué clairement, et les sangs-mêlés étaient rares, à Diantra. Se mordant la lèvre, elle ne répondit rien, se contentant de détourner les yeux. Par les Cinq, ce que ses pointes pouvaient la brûler, sous l’épais rideau de sa chevelure brune.

Elle poussa un soupir de soulagement quand le calme retomba dans la pièce. Aidan avait-il remarqué à quel point ses protégés la mettaient mal à l’aise ? Ou bien le bruit le gênait tout autant qu’elle ? Elle n’aurait su le dire, mais ne chercha pas à le deviner. Après tout, ils abordaient un sujet qui la passionnait, peut-être un peu trop : son protecteur, le vieux monsieur. L’être sans nom, sans race, sans histoire, dont elle ne savait qu’une chose, simple et pourtant si précieuse. Elle lui devait beaucoup. Heureuse de voir son sauveur intéressé – mais qui ne pouvait l’être ? – elle lui proposa de parler de lui au mendiant. La réponse ne se fit pas attendre, et la fit douter. Il voulait plus, bien plus qu’une simple conversation dont il serait exclu. Il voulait lui parler face à face. Soudainement pensive, un peu méfiante même, elle pencha la tête.

« Je ne sais pas. »

Pourquoi voulait-il le voir ? Il était grand, fort et capable de se défendre seul. A quoi bon lui servait le protecteur d’une gamine des rues ? Voulait-il l’attaquer, le menacer ? Les questions se bousculaient dans sa tête, et elle se rappela ce qu’il lui avait dit quelques minutes plus tôt. Tout avait un prix, et elle avait comme l’impression qu’était venu le temps de payer.

« Je peux lui parler de vous. S’il est intéressé, c’est lui qui viendra. »

Elle préférait de loin que cela se passe ainsi. L’idée de déplaire au mendiant en promettant un rendez-vous dont il ne voulait pas la terrifiait, d’une certaine façon. Elle ne voulait pas le décevoir. Après tout, comment savoir comment il réagirait, le jour où elle lui déplairait ? Elle ne voulait pas qu’il la regarde avec ce regard qu’avaient eu les moines, quand ils avaient compris ce qu’elle était.

« Pourquoi est-ce que ça vous intéresse tellement, tout d’un coup ? » demanda-t-elle, légèrement accusatrice.

Elle ne plaquait pas ses poings sur les hanches en le foudroyant du regard, mais presque. Elle le regardait intensément, comme pour trouver la réponse elle-même, et sa figure pâlichonne couronnée de ses cernes importantes pouvaient impressionner un peu. Le pire étant qu’elle n’avait toujours pas sa réponse, quant aux oreilles d’Aidan.