[Bal d’Ysari] Préparation fiévreuse

Depuis son arrivée en Ysari, Jena avait eut de nombreuses fois l’occasion de passer du temps avec la Baronne. Celle-ci étant contrainte de garder la chambre, la jeune femme se faisait un plaisir, et même un devoir de rendre régulièrement visite à son hôtesse. Bien sur elle veillait à ne pas la déranger, ni même à lui imposer trop longtemps sa présence. Elle n’aimait pas embarrasser les gens, d’autant plus qu’elle était certaine qu’on ne lui dirait jamais d’aller faire un tour ailleurs ! A son arrivée, Jena avait été extrêmement fatiguée. Le voyage avait duré une semaine et elle était épuisée. Sa première nuit de sommeil n’avait pas du tout été réparatrice, elle s’était tant inquiétée pour Dame Lucrèce qu’elle n’avait presque pas fermé l’œil de la nuit. La jeune Baronne semblait souffrir énormément de sa grossesse. Elle était loin du calme et de la tranquillité de la sienne. Enfin…tranquille… Elle avait son lot de soucis avec sa santé pour le moins fragilisé. Son ventre était maintenant bien rond. Ce n’était pas encore un énorme fardeau à porter, elle pouvait se promener aisément mais sa toux, encore légèrement présente l’essoufflait rapidement. Son médecin avait même pensé qu’elle était devenu fragile des poumons, il la regardait toujours de son mauvais œil, l’air de dire qu’elle ne passerait pas le prochain hiver. Et lorsqu’elle voyait qu’il lui fallait de longues minutes pour reprendre son souffle après avoir traversée un couloir et descendue une dizaine de marches...elle commençait à s’inquiéter aussi.

Depuis deux ou trois jours, le palais était en effervescence. Les domestiques couraient à droite et à gauche, s’affairant à préparer le bal pour les prochains jours. Jena n’aimait pas regarder tout ce monde s’agiter autour d’elle sans pouvoir participer aux préparatifs. Ici elle n’était pas chez elle et elle n’avait pas à se mêler au remue-ménage, d’autant plus qu’elle était l’épouse d’un régent et que chez elle, si son implication dans la vie de la citadelle ne dérangeait personne, ici c’était une autre histoire.
Cet après-midi là, Jena venait de quitter la compagnie de Dame Lucrèce. Elle était fatiguée et elle avait demandé à se retirer quelques heures avant le repas pour se reposer un peu. Dans les couloirs, Clarys la suivait, commentant l’avancer des préparatifs d’une voix enthousiasmée.

- Clarys…ai-je reçu une lettre de mon époux aujourd’hui ? demanda Jena en coupant sa demoiselle de compagnie dans son énumération des choses merveilleuses qu’elle avait vu arriver aujourd’hui au palais.
- Jena….vous savez bien que si cela avait été le cas….je vous l’aurais déjà donné.

En Ysari, il avait été convenu que Clarys s’adresserait constamment à elle en la vouvoyant, afin de ne pas étonner la noblesse. Le relâchement était permis lorsqu’elles n’étaient que toutes les deux enfermés dans les appartements de Jena. L’épouse du régent parut une seconde déçue mais elle afficha rapidement son léger sourire. Elle finit par se dire ce qu’elle se disait depuis qu’elle était arrivée « Il doit être sur la route ». Elle lui avait écrit le soir de son arrivée mais peut-être que son courrier l’avait croisé alors qu’il prenait à son tour la route.

- Ma Dame…il est sûrement sur la route.
- Oui. Il doit être en route, répéta-t-elle dans un soupir

Son mari lui manquait au-delà de tout ce qu’elle aurait pu imaginer. Cela faisait presque deux semaines qu’elle ne l’avait pas vu et son absence était d’autant plus difficile à supporter qu’elle se retrouvait dans un endroit qu’elle ne connaissait pas avec des gens, certes charmants et accueillants, mais qui lui étaient encore inconnus. Bien que son amitié avec Dame Lucrèce lui procure énormément de plaisir, rien ne pouvait être plus dur à supporter que la solitude qu’elle ressentait le soir, seule dans son grand lit.
La discussion s’arrêta là et Clarys ne chercha pas davantage. D’ailleurs ce fut à cet instant qu’un étrange phénomène se produisit. Les deux jeunes femmes qui marchaient sous une arcade ouverte, virent lentement le soleil se voiler, puis disparaître derrière une forme noire et obscure. Une éclipse…Il était impossible de regarder le phénomène car elles se seraient brûlées les yeux, mais l’obscurité devin bientôt si épaisse qu’elles auraient presque pu se croire en pleine nuit.
Elle n’en avait jamais vu, du moins pas une aussi importante…Le soleil avait complètement disparut. Les deux jeunes femmes ne firent aucun geste, se serrant juste le bras un peu plus fort. Au bout de quelques minutes des serviteurs passèrent en courant, portant des torches dont ils se servaient pour allumer les flambeaux et les chandeliers.
Généralement ce genre de phénomène ne devait durer guère plus d’une heure et là….pourtant, bien après que Jena ait regagné sa chambre, la nuit était toujours là. Seul un cercle lumineux brillait dans le ciel, signe que le soleil était toujours là.
Jena s’adossa aux oreillers sur son lit et resta un long moment silencieuse, pendant que Clarys s’affairait à préparer la tenue qu’elle porterait le soir pour le repas. Tout d’un coup la jeune femme poussa un cri d’étonnement, ses yeux grands ouverts. Clarys fut près d’elle en une demi-seconde l’observant d’un œil inquiet.

- Jena que se passe-t-il ? Veux-tu que j’appelle le médecin ? Qu’as-tu ? Tu as mal ? Jena répond moi voyons…

Après un long silence qui visiblement excédait sa demoiselle de compagnie autant qu’il l’inquiétait elle répondit :

- Il vient de me donner un coup, murmura-t-elle en posant sa main sur son ventre.

Un cavalier, qui surgit hors de la nuit, court vers le bal au galop… son nom, il le signe à la pointe de l’épée, d’un H qui se trace de travers. Ben oui, vous avez déjà essayé de tracer un H sur le bide de quelqu’un à l’épée vous ? M’étonne pas qu’il ait choisi le Z à l’origine tiens ! Et puis de toute façon le cavalier qui surgissait hors de la nuit n’était pas seul déjà, et en plus ce n’était pas la nuit mais une éclipse.
Un peu embrouillé ce premier paragraphe vous ne trouvez pas ?

Reprenons au début alors…

Hanegard Kastelord, régent d’Alonna par la volonté de Trystan, chevauchait à bonne allure vers Ysari afin de se rendre au bal que donnait le couple de Hetalia. Il avait rencontré le baron et sa charmante jeune épouse lors du mariage du gras comte d’Odélian au début de l’été, et se faisait une joie de les revoir. Les festivités devaient commencer l’elenwënas, soit dans six jours. Tandis que le paysage défilait et qu’ils approchaient de leur destination, Hanegard repensa à sa propre baronnie.

Il n’était pas inquiet outre mesure au sujet d’Alonna. Avant de partir, il avait édicté un décret nommant Sargril, son fidèle second, comme chef du conseil restreint. Ce mode de fonctionnement avait déjà fait ses preuves lorsque le régent partait pour ses inspections frontalières, même si cette fois ci la durée serait un peu plus longue. Mais toutes les décisions se prenant à la majorité qualifiée du conseil et devant de toute façon être validée à son retour, il avait quitté Alonna l’esprit serein.

Des fêtes populaires devaient être organisées ce jour à Alonna pour célébrer le Voile, cet événement qui n’arrivait qu’une fois par millénaire. Bien des gens ne comprenaient pas réellement de quoi il s’agissait précisément, mais ils comprenaient parfaitement qu’il s’agissait d’une occasion de faire la fête et n’en demandaient pas plus. Le régent, lui, savait qu’il s’agissait d’une éclipse qui servait de repère pour indiquer l’an 0 d’un nouveau cycle. L’astronome de sa cour avait tenté de lui expliquer le principe de l’éclipse mais il avait décroché… trop compliqué…

Bah, une éclipse, ca faisait la nuit en plein jour ne durait pas très longtemps, et ne devait surtout pas se regarder en face par sécurité. Etrange précaution d’ailleurs, certes il était impossible de regarder le soleil en face d’habitude mais s’il était voilé ? Bah, il est certaines choses qui ne s’expliquent pas, et le régent avait plus important à penser qu’à se creuser la tête sur ces sujets techniques.

A Jena par exemple !

Sa femme était partie près de deux semaines avant lui afin de pouvoir faire le voyage tranquillement et se reposer avant que ne débute le bal. Mais elle lui manquait, et Hanegard avait hâte de la retrouver. Alors qu’il rêvait à elle, le régent constata une brusque baisse de la luminosité.

Monseigneur ? Qu’est-ce…
C’est le Voile, surtout ne regardez pas le soleil en face.

La petite troupe continua son trajet dans la pénombre. Heureusement, tous étaient des cavaliers confirmés, une dizaine d’hommes de sa garde personnelle et plusieurs chevaliers d’Alonna qui accompagnaient leur seigneur. Ils durent tout de même ralentir le rythme pour éviter aux chevaux de buter sur une racine.

Et le temps passa…

Une heure…

Puis deux…

Le vieux chevalier Ermus Von Drafen, qui du temps de sa jeunesse avait été l’un des grands galants de la cour d’Alonna, se rapprocha du régent. Hanegard appréciait Ermus, un homme intègre mais qui utilisait lorsqu’il s’énervait un vocabulaire qu’un sergent de corps de garde aurait apprécié en expert.

Monseigneur, est-ce normal que cette éclipse dure autant ? Je croyais que ce genre de phénomène était assez court.
Je n’en sais rien, admis franchement Hanegard. Nos propres archives ne remontent pas aussi loin, et ce que j’en ai lu vient d’autres récits. Mais je pensais aussi qu’elle ne devait durer qu’une heure. Nous tenterons d’en savoir plus en arrivant à Ysari. Faites passe l’ordre : pas de pause, nous chevauchons sans nous arrêter jusqu’à Ysari.

Une heure plus tard, la petite troupe passait la frontière de la baronnie. Dans le ciel, le soleil baissait sur l’horizon… mais restait voilé.

Harnyll finit par donner congé à ses clercs, qui s’inquiétaient de plus en plus de la durée du phénomène et commençaient à montrer des signes de distraction dans leurs écritures. Rester seul, il vint se placer à la fenêtre et observa au dehors en maugréant. Que se passait-il donc ? Une éclipse, c’est une éclipse, rien de plus bon sang ! Alors pourquoi le soleil ne réapparaissait-il pas ?

Troublé, le baron décida d’aller voir son épouse. Depuis plusieurs jours il ne la voyait guère… peut être devrait-il lui aussi s’installer au rez-de-chaussée ? Sortant de son bureau, il descendit le grand escalier, constatant que même les gardes en faction ne pouvaient s’empêcher de jeter de furtifs coups d’œil à l’extérieur… des coups d’œil où l’émerveillement premier était désormais remplacé par une crainte superstitieuse.

Lorsqu’il entra dans la chambre de sa femme, il la trouva endormie dans un canapé. Se penchant sur elle, il lui caressa tendrement la joue… si belle… si innocente… si pure…

Un fardeau ? Mais… avait-elle donc si mal pris cette courte séparation entre eux ? Ce ton froid, détaché, neutre… cela ne ressemblait pas à la façon dont elle l’accueillait d’habitude. Certes il n’avait pas pu être aussi présent qu’il l’aurait voulu, mais tout de même… alors qu’il s’apprêtait à la rassurer quand à son amour pour elle, sa femme se leva et rentra dans ses appartements.

S’asseyant dans un fauteuil, et sans lui jeter un regard, elle demanda simplement qu’il veuille bien lui envoyer Camille apporter du thé à la fleur d’oranger. Et c’est tout… rien d’autre… pas une parole, pas un regard… rien…

Au dehors, l’éclipse continuait, mais Harnyll ne s’en préoccupait plus guère. Sa femme avait-elle des envies et des caprices de femme enceinte ? Cela arrivait, certes, mais rarement à une telle vitesse, rarement aussi brutalement. Ou peut être était-elle juste de mauvaise humeur ce jour là, cela peut arriver à tout le monde et lui-même se levait parfois du pied gauche. Oui, sans doute, voilà l’explication… la grossesse, l’éclipse, de la mauvaise humeur… rien que la présence de sa demi-sœur n’apaiserait.

Sortant de la pièce, le baron se mit donc en quête de Camille qu’il trouva en train de ranger du linge.

Apportez à votre maîtresse du thé à la fleur d’oranger et...hmm… prévenez moi si elle adopte un comportement... hmm... inhabituel.

Sa belle-sœur, qui ignorait l’être, pourrait prendre cette demande comme la simple crainte d’un mari durant la grossesse de sa femme, et peut être Camille verrait-elle mieux ce qui chagrinait Lucrèce que lui ?

Harnyll était retourné à son bureau pour continuer son travail, plus préoccupé par le comportement de sa femme que par l’éclipse qui n’en finissait pas. Il ne fut qu’à moitié surpris lorsque Camille vint le trouver pour lui expliquer que le comportement de sa maîtresse était… inhabituel.

Expliquez-moi, que lui trouvez-vous ?
C’est assez malaisé à expliquer monseigneur, mais Lucrèce est plus… agressive… hautaine… lorsque je suis partie elle a demandé que le tailleur vienne pour changer ses robes en vue du bal.
Hmm…

Se levant, le baron se mit à faire les cents pas. Que se passait-il ? Et ensuite, que pouvait-il faire ? Pas grand chose hélas, il fallait laisser venir. Instinctivement, il sentait que tenter une explication franche avec sa femme ne servirait à rien cette fois-ci. Il allait devoir la surveiller plus attentivement et essayer de comprendre ce qu’elle désirait.

Bien, continuez vos observations et remontez les moi au fur et à mesure.

Sur une révérence, Camille quitta la pièce, laissant le baron à se bien sombres réflexions. Le bal allait commencer sous quelques jours et il sentait qu’un orage couvait.

Non, décidément, quelque chose n’allait pas.

Foutu canasson de merde ! Triple andouille ! Imbécile ! Raclure de latrines !

Les fesses dans la boue du chemin, le régent d’Alonna invectivait son cheval qui venait de trébucher sur une racine, roulant au sol avec son cavalier. Afin de se soulager, Hanegard continua un peu dans cette ligne, usant d’un langage plus adapté aux corps de garde qu’aux salles de bals. Mais ca soulageait, même si il savait bien que le pauvre animal n’y pouvait rien. La nuit était noire et continuer devenait dangereux.

Se relevant, il fusilla ses hommes du regard, à la recherche d’un sourire, et ordonna sèchement :

Montez le camp !

Puis, sur une ultime bordée de jurons, il s’éloigna un peu. A quelques heures près il aurait pu rejoindre Ysari, mais la nuit était tombée juste après qu’ils ne passent la frontière. Tant pis, il en serait quitte pour une nuit à la belle étoile, cela lui était coutumier. Son seul regret sera de ne pas pouvoir serrer le corps doux et satiné de Jena avant le lendemain. Si près ! Et pourtant si loin… maudite éclipse, sans elle ils seraient arrivés le soir même.

Se glissant sous sa couverture, sa selle en guise d’oreiller, Hanegard s’endormit. Plus d’un noble aurait été horrifié de voir un seigneur roupiller à même le sol, mais un soldat doit savoir trouver du repos n’importe où n’importe quand… on ne sait jamais quand on pourra se reposer à nouveau, si tant est-ce qu’on, le puisse jamais. Les ronflements commencèrent à retentir dans le petit camp tandis que les sentinelles entamaient leurs gardes.

Au matin, la petite troupe eut la désagréable surprise de constater que le soleil ne daignait pas ôter son ombrage. Se mettant en selle dans une ambiance rendue morose par ce phénomène inquiétant, ils parcoururent les derniers kilomètres qui les séparaient encore de la capitale d’Ysari.
Seul Hanegard souriait : il allait revoir sa femme.

Le soleil était bien levé… enfin levé… appelé levé un soleil durant une éclipse est un abus de langage bien pratique pour le rédacteur mais que le régent n’aurait peut être pas approuvé. Bref… toujours est-il que quelques heures après l’heure qui aurait du marquer le lever du soleil, la petite troupe d’Alonna arriva enfin à sa destination.

Pas trop tôt, une journée de plus et mes hémorroïdes m’auraient empêché de me lever, grogna Von Drafen en mettant pied à terre. Ne vieillissez jamais, monseigneur, tous les maux de la terre se mettent alors à vous accabler.
L’autre solution n’est guère préférable, mon ami.

Tandis que ses hommes rejoignaient leurs propres quartiers ou partaient à la recherche d’une chambre en ville, Hanegard alla présenter ses hommages au maître des lieux, ainsi qu’à sa femme. Un peu surpris de trouver une Lucrèce assez froide et distante, il s’éclipsa bien vite, expliquant qu’il devait aller voir sa femme dont il avait été trop longtemps séparé.

Manque de bol pour lui, Jena s’était justement rendu en ville au temple de Néera. S’asseyant dans un fauteuil du salon qui jouxtait les appartements de sa femme, le régent attendit, ravi de pouvoir enfin se reposer un peu. Lorsque la porte s’ouvrit, laissant le passage à la belle jeune femme qui était l’alpha et l’oméga de son existence, Hanegard se leva, un grand sourire aux lèvres et lui ouvrit les bras.

Bonjour ma chérie.