Deux Blanches sur toile noire

Nilah avait eu l’impression de naître une seconde fois. Pas directement, bien entendu. Elle avait eu peur, d’abord, comme tout un chacun. Le soleil englouti par la lune, l’agitation soudaine, les cris de peurs, les lamentations hystériques… Diantra était devenue folle, et elle avait cru l’être aussi. Elle était restée immobile, au beau milieu de la route, à fixer le spectacle, le cœur battant la chamade. Qu’était-ce ? Une fin ? Ou autre chose ? Elle n’avait su le dire, n’avait su s’en réjouir. Il avait fallu un badaud effrayé et le contact dur et froid de la pierre sur sa joue pour la ramener. Elle n’avait pas écouté les croassements rageurs des corbeaux qui, toujours, la suivaient. Elle s’était relevée, avait rallié une ruelle…

… et finalement, avait compris.

On avait exhaussé son souhait le plus cher. Toute sa vie, elle avait craint le soleil. Toute sa vie, elle avait souffert son joug, ses rayons, sa lumière. Il semblait qu’enfin, les rôles s’inversaient. Et la lune, la lune ! Qu’elle était belle, désormais. Dansait autour d’elle un anneau de feu, comme une auréole éclatante, une couronne incandescente. Tout était devenu si facile, si clair. Là où tous étaient aveugles, elle était clairvoyante. Comment garder sa bourse du voleur quand on avançait à tâtons ? Comment frapper un enfant de malheur quand on risquait de se blesser à chaque pas ? Pour la première fois, peut-être, depuis son arrivée, Nilah s’était sentie bien, et comme pour sublimer le tout, le sommeil, enfin, ne la fuyait plus.

Fouineur était moins bien loti. « Simple » humain, il peinait à suivre le rythme de sa compagne, d’ordinaire si apathique. Après sa rencontre avec Aidan, la sang-mêlé avait commencé à se poser des questions, et elle avait peu à peu pris conscience de ses différences. Si ses cheveux dissimulaient toujours ses oreilles, elles étaient presque devenues une sorte de fierté. Un trésor, qu’elle gardait précieusement caché de peur qu’on le lui vole. Même ses corbeaux étaient devenus compagnie agréable. Eux, au moins, ne s’épuisaient pas.

« Tu es trop lent. »

Surpris, Fouineur se figea. Ces paroles, il ne les connaissait que trop, combien de fois les avait-il répétées à Nilah ? Jadis, c’était elle, et non lui, qui trainait à l’arrière. Elle qui grimaçait dès qu’elle quittait l’ombre des ruelles. Elle, toujours elle. Que les rôles s’inversassent étaient douloureux, et le ton de la gamine encore plus.

« Continue toute seule, alors », maugréa-t-il, les pieds désormais ancrés au sol.

Superbement agacée, la sang-mêlé regarda son seul véritable ami quelques instants avant de hausser les épaules et, de fait, de continuer seule. D’abord surpris, il cracha ensuite, comme il avait vu faire le vieux Bill, avant de partir dans l’autre sens. L’ingrate arriverait bien à se débrouiller par ses propres moyens. Pour une fois.

Il n’y avait plus grand monde, dans les rues. Nilah se sentait comme chez elle. Comme une Reine dans son Royaume, avec ses gardes pour l’escorter. Levant les yeux au ciel, elle sourit de voir ses oiseaux continuer leur ronde au dessus de sa tête, se surprenant à les trouver beau. Un bruit sourd attira pourtant son attention, l’enlevant à ses rêveries et la ramenant les deux pieds sur terre. Se figeant soudain, elle jeta un regard en arrière, toute son assurance en arrière, et découvrit sans surprise – mais néanmoins regrets – qu’elle était bien seule. Fouineur l’avait réellement abandonnée.

« Maudit voleur… »

De nouveau, le bruit sourd, si bien qu’elle fit un pas en arrière. L’envie de fuir était grande, mais l’envie de savoir aussi. Peut-être plus encore. Alors elle attendit.

Odélian, Diantra sur un cheval quand on ne les apprécie pas plus que ça c'est déjà gavant mais en plus avec un soleil voilé par une éclipse, c'est au mieux chiant, sinon éprouvant. De plus Ak'esha avait un peu poussé son cheval, pour arriver plus vite à Diantra. La jeune femme avait sentie comme un danger à s'éterniser sur la route, elle ne savait pas pourquoi, elle n'aurait sut l'expliquer mais elle avait cette impression diffuse d'inconfort qui l'avait souvent prévenu d'une embuscade ou d'un danger que ses sens n'avaient pas encore perçu. La jeune muse albinos était donc arrivée au porte de la capitale humaine un rien fatigué, son cheval n'était pas non plus tout à fais frai, mais elle n'en avait cure.
Elle chercha en premier lieu à se loger, elle trouva, autre chose, un peu mieux un travaille. Messagère. Pas le genre à juste porter des invitations en livret, plutôt des injonctions et autre ultimatum. Elle travaillait pour un type qui se comportait un peu comme le Vieux, qui tenait une auberge comme façade quelque bordel mais qui avait quand même une image un peu plus soignée. Elle avait donc aussi trouvé à se loger et où parquer son putain de canasson.
La jeune femme avait à faire sa première livraison la nuit même, quoi que étant donné la situation la nuit était une considération toute relative. Mais elle avait d'abord envie de se familiarisé de nouveau avec les rues de Diantra et de réfléchir à comment elle allait aborder le problème de l'Oncle.
A cause de la guerre civil et des ans qu'elle avait passés loin de la capitale du royaume humain, elle ne reconnaissait plus certain quartier, en faite elle reconnaissait que dalle, et avait du mal à se repérer dans l'agencement des différents territoire des bas-fonds, autant dire qu'elle était carrément perdue. Il semblait que le Vieux était soit mort, soit il avait changé d'endroit où il créchait et pour l'instant elle ne le cherchait pas, se contentant d'essayer de retrouver son chemin. Elle devrait surement d'abord retrouver quelques un de ses subordonnés en espérant que ceux qu'elle connaissait ne soient pas morts.
Ayant mis à contribution son grand sens de l'orientation et sa mémoire correcte des lieux, elle refis en sens inverse le chemin qu'elle avait fait, ne se trompant qu'une fois à cause de la pauvre lumière. La jeune femme se rendit vite compte qu'elle avait plus ou moins tourné en rond, mais du moins avait-elle maintenant une vague idée de où se trouvait l'auberge où elle créchait, et elle se faisait fort de la retrouver sans peine si d'aventure elle se paumait encore. Elle repartit donc explorer cette ville qui l'avait vu grandir et qui lui était maintenant étrangère.

On est mal barre pour se colleter le Vieux, commença Ak'esha dépitée.
« Bah c'était plus ou moins prévisible et ça va revenir »
En faite le problème le plus urgent c'est de savoir se repérer, sinon on va passer pour des connes.
« C'est sure qu'un messager qui sait pas se repérer ça fait pas très classe »
Et c'est carrément moins convaincant.

Tout en devisant avec son alter ego elle reprit peu à peu ses marques, l'emballage avait eu beau changé, le fond de l'affaire restait le même. La jeune albinos retrouva rapidement certains repaires qui lui permirent de ne pas trop se perdre dans les bas-fond de la capitale humaine.
C'est à peu près au moment où elle retrouvait enfin ses marques qu'elle cru voir l'un de ceux qu'elle espérait bien coincer, une sorte de malabar aux muscles sur-dimensionnés et au cerveau plus ou moins atrophié qui était attaché à l'Oncle comme garde du corps. Elle le suivi espérant qu'il retournerait au près de son maitre, mais il lui apparu qu'il avait plus ou moins deviné que quelqu'un le suivait au moment où elle repassa pour la troisième fois par la même place. Ce con la baladait dans Diantra pour essayer de la repérer et il réussi à l'obliger à se découvrir, mais il fut tout aussi surpris qu'elle au moment où elle apparut sous son nez au croisement de deux ruelles plutôt sombres, pas seulement à cause du voile d'ailleurs. Il se ressaisit plus vite qu'elle et lui envoya un coup magistral qui l'envoya bouler contre une porte.

« Franchement tu n'aurait pas put t'en douter, non? » fit Fureur acerbe.
J'ai pas vraiment l'impression que ce soit le moment de me sermonner ma chérie, déclara Ak'esha

La jeune albinos secoua la tête pour essayer de faire passer son étourdissement, sans grand succès, tout ce qu'elle réussi à faire fut de rejeter la capuche qui voilait encore son visage et de dégager la clochette accrochée dans ses cheveux. Juste avant le coup suivant de son adversaire qu'elle esquiva avec un art consommé, du gros coup de bol qui sauve votre pauvre peau, sa clochette tinta doucement, produisant un son reconnaissable pour qui la connaissait un peu.

-Oh, je n'avais pas entendu ce doux son depuis une éternité, railla l'homme.
-C'est pour ça que tu as oublié à quel point je suis dangereuse, répartie la jeune femme.

Elle avait contrefait la voix de l'homme, mais le coup avait rendu son souffle bizarrement rauque, massacrant la ressemblance avec la voix originale. Le coup suivant de son adversaire était un coup vicieux et cruel qui n'était en faite qu'une feinte, l'albinos esquiva d'un petit pas chassé le coup puis mordit cruellement le poignet de son ennemi, faisant couler le sang qu'elle aspira goulument. Les quelques goutes de sang qu'elle avait bu lui avait permis de combattre son étourdissement.

-A moi, fit-elle dans un éclat de rire d'un ton contrefaisant encore la voix de son interlocuteur.
-J'avais surtout réussi à me sortir tes détestables habitudes, grogna l'autre.
-J'en ai bien d'autre, murmurèrent-elles dans un bel ensemble.
-J'en ai bien d'autre, murmurèrent-elles dans un bel ensemble.

Elle eu un sourire cruel invisible et sortie ses épées jumelles et plia le combat en feintant de celles-ci pendant que l'une de ses tentacules fauchait les jambes de son adversaire. Elle planta chacune de ses épées dans les jambes de son ennemi pour l'immobiliser.

-Je vais avoir quelque questions à te poser, Loyd, fit-elle avec la propre voix de son interlocuteur.

Un bruit ténu de frottement de tissu fit tourner la tête de l'albinos, qui put voir la forme menu d'un nouvel arrivant. Elle avait eu de la chance de l'entendre entre les pitoyable gémissement de douleur de sa victime, entre coupé de juron, le bruit coupable s'était fait entendre pendant un silence. Le combat ne semblait pas avoir été aussi rapide que ce dont elle se souvenait, ils avaient dérivé dans une autre rue pas tellement plus large mais du moins plus fréquenté puisqu'il y avait un témoin, maintenant.

Nilah avait peur. Et qui ne l’aurait pas été, face à pareille vision d’horreur ? Dès que son regard s’était posé sur le corps fin et élancé de l’albinos, elle avait senti le danger, sans en deviner la nature. Jamais elle n’aurait parié sur un tentacule fouettant air et jambe, cela n’avait cependant pas empêché l’excroissance de jaillir et mettre à terre un homme fait. Et si pareil homme s’était trouvé impuissant, que pouvait-elle espérer ? Les pieds enracinés au sol, comme si la peur seule suffisait à l’empêcher de s’enfuir, elle ne savait pas quoi faire. Soudainement, elle regrettait Fouineur. Le gamin aurait été aussi terrorisé qu’elle, mais au moins n’aurait-elle pas été seule pour affronter… ça. Cette chose qui la regardait, désormais, plus préoccupée par une enfant inoffensive que par son adversaire gémissant.

Le souffle lui manquait, et elle ne savait pas comment réagir. Ses jambes lui hurlaient de fuir, ses mains de saisir quelque chose pour se protéger, son ventre menaçait de rendre tout ce qu’il avait pu ingurgiter mais son cerveau, lui, était comme en sommeil. Et il rêvait, le bougre ! de toutes les fins possibles. Nilah s’imaginait déjà morte, torturée, frappée jusqu’à ce que la vie, finalement, s’en aille retrouver la Déesse. Comme pour lui rappeler la proximité de cette dernière, un éclair aveuglant l’aveugla, baignant la scène dans un blanc insoutenable et lui brûlant les rétines par la même occasion. Titubant, son dos heurta le mur et elle gémit faiblement.

Par les Cinq, ce qu’elle pouvait haïr la lumière, ce qu’elle pouvait souffrir de ses attaques.

Le cœur battant la chamade, elle plissa ses paupières autant que faire se pouvait, cherchant à discerner parmi les rares formes qu’elle percevait encore celle de la mystérieuse albinos. Être nyctalope avait parfois de sérieux désavantages.

« Qui êtes-vous ? »

Elle aurait voulu articuler, parler clairement, d’une voix forte et assurée. Seulement, le maigre murmure qui filtra de ses lèvres serrées ne devait pas parvenir aux oreilles de l’albinos autrement qu’en un marmonnement incompréhensible. C’était peut-être mieux, la réponse aurait été, elle le pressentait, désagréable. Clignant misérablement des yeux, elle chercha désespérément à la retrouver… Mais ne put dans un premier temps saisir que la forme floue de l’agressé inconscient, sans même pouvoir dire si l’albinos était toujours près de lui.

« Nilah ?! »

La voix était encore faible, et éloignée, mais elle semblait se rapprocher. Fouineur cherchait son amie, se doutant qu’elle avait du souffrir du violent éclair de lumière à peine passé. Elle avait cru mourir la première fois, et il avait assisté, impuissant, à la scène. Le petit était amoureux, ou du moins croyait-il l’être, et il était capable d’oublier beaucoup pour avoir la possibilité de jouer les chevaliers servants. Terrorisée, Nilah n’osa pas lui répondre, craignant que les tentacules ne s’attaquent à lui s’il arrivait.

Ak'esha sentait bien qu'elle foutait carrément les jetons à la fillette, c'était pas exactement ce qu'elle voulait faire, pas lui faire autant peur, mais cela ferait l'affaire pour l'instant. La peur aiguisait les sens et donnait les ressources nécessaires pour survivre à bien des situations mais il ne fallait surtout pas se laisser submerger par elle et c'est ce qui semblait arriver à la gamine. Là elle était surtout pétrifier plutôt qu'autre chose. Elle allait peut être faire quelque chose de stupide...

-'dirais rien, promis 'dirais rien, murmura la gamine.
-Bien, fit la jeune femme de la voix ferme mais douce de sa mère.

La jeune femme soupira comme soulagé et en même temps un peu peinée, la jeune albinos savait qu'elle n'avait pas fait grand chose pour faire une bonne impression sur la jeune fille mais ça lui faisait un peu mal de la terrifier ainsi. Et d'après ce qu'elle pouvait imaginer de la suite ça n'allait pas aller en s'arrangeant. Elle ne pouvait pas laisser là Loyd, et surtout pas vivant. La jeune femme ne pouvait pas non plus laisser s'échapper la gamine, elle avait besoin de renseignements et les gamins des rues en connaissaient un rayon sur ce qu'elle avait besoin de savoir. La gamine pourrait même lui indiquer quelqu'un qui pourrait la renseigner si nécessaire.

-Je... je n'aime pas la lumière. Mais... mais si vous... voulez.
-Umh? Oh... En faite je ne parlais pas vraiment de te voir à la lumière mais plutôt...

Un croassement sonore surpris la jeune humaine qui leva les yeux sur l'origine du son qui fut suivi par deux autres croassements. Elle n'avait put voir les oiseaux qui avait produit ces bruits vindicatif mais elle cru sentir que la jeune fille était moins tendu quand elle reporta son attention sur elle. Sans la prévenir plus avant l'albinos fit courir ses doigts sur le visage de la gamine. La jeune femme suivi des doigts les traits de la gosse se faisant une image un peu plus nette que ce que s'est yeux lui avaient permis de voir dans l'ombre du Voile. Elle n'en aurait pas juré mais elle avait l'impression que les traits de la fillette étaient un peu trop anguleux et marqué pour une fille de son âge.

-Je parlais plutôt de ça, je n'excelle pas dans cette façon de regarder les gens mais ça aide... un peu. Tu n'aurais pas du sang elfique ou drow?

Elle s'interrompit un instant pour essayer de mieux regarder le visage de la fillette mais sans laisser le temps à la gamine de répondre elle reprit en lui ébouriffant les cheveux.

-Si tu ne veux pas répondre ne réponds pas, en faite, j'en ai rien à foutre tu pourrais être un nain croisée avec un drow que ça ne me ferait ni chaud ni froid. Par contre j'aurais d'autre questions qui me tiennent un peu plus à coeur.

Un bruit ténu de frottement suivi par un gargouillis firent tourner la tête à la jeune femme alors qu'elle se relevait. Elle lâcha un grognement énervé tout en secouant la tête avant de marmonner des paroles indistinctes. La jeune albinos dut se retenir de lâcher ses tentacules sur le pauvre Loyd. Elle sentait le pouvoir circuler en elle, et sa peau lui semblait bouillonner comme si elle allait se décoller de sa peau mais en faite rien de visible ne se passait.

-Ne bouge pas, fit-elle à la gamine de la voix moqueuse de Mia.

Ak'esha se dirigea d'un pas glissant vers Loyd, un petit sourire aux lèvres. La jeune femme retira sans douceur ses lames des jambes de l'homme, lui arrachant un gémissement de douleur. Elle se tourna ensuite vers la fillette en faisant voleter ses épées autour d'elle d'un poignet énergique, projetant des gouttelettes de sang autour d'elle, avant de les poser à plats sur le ventre de Loyd et de les essuyer sur ses habits. Elle jeta un regard d'avertissement à la jeune fille.

-Ne bouge pas veux-tu? murmura-t-elle à Loyd toujours de la voix de Mia.

Loyd frissonna en entendant la voix de la morte. Ak'esha s'accroupit derrière la tête de Loyd en souriant tendrement, tout en rangeant au fourreau ses épées jumelles. La jeune femme se passa ensuite la main dans les cheveux pour remettre en place une mèche qui lui tombait dans les yeux ce qui fit teinter doucement sa clochette.

-Je suis désolé, j'aurais bien aimer discuter avec toi mais on va devoir se quitter, fit elle tout haut. J'aimerais que tu salut ton frère quand je te l'enverrai, lui murmura-t-elle ensuite à l'oreille.

Elle fit apparaître un couteau dans sa main droite et le plongea dans un même mouvement fluide dans le coeur de Loyd. Un frisson lui parcouru l'échine quand elle senti le fer pénétrer les chaires et le coeur de l'homme, sentant l'âme rejoindre l'Oublié.

Le monstre faisait la conversation tout seul, et c’était une très bonne chose. Nilah était de toute façon incapable d’articuler un mot. Elle n’avait pas pu protester, quand elle avait senti des doigts courir sur son visage. Et même si elle avait eu envie de hurler, de se débattre, de fuir même, son corps n’avait tout simplement pas répondu. Elle avait du attendre, attendre que les mains étrangères partent. Elle n’avait même pas pu fermer les yeux, réduite à un esprit emprisonnée dans de la chair, et rien d’autre.

Pitié, qu’elle parte, qu’elle s’en aille…

Peine perdue. Le monstre se leva, oui, s’éloigna mais ne partit pas. Quelques pas seulement, et elle était sur sa première victime, qui n’avait pas bougé, sans doute trop sonnée par les attaques qu’elle avait subi. Nilah frissonna, quand le monstre lui parla, changeant de voix plus souvent que la sang-mêlé changeait de haillons. Et celle la avait quelque chose de malsain. Se recroquevillant encore un peu plus contre le mur, l’enfant des rues fut obligée d’entendre sinon de voix la fin de vie du voleur. « Attendez ! » voulut-elle hurler, mais seul un gémissement étranglé sortit de sa gorge serrée. Le pire était qu’elle sentit la magie perverse qui opéra à la mort de l’homme, le vécu comme une souillure sans pouvoir l’expliquer.

C’est mon tour. C’est mon tour. C’est mon tour.

Terrible litanie qu’elle se répétait sans pouvoir esquisser le moindre mouvement. Bouger, c’était mourir, le monstre le lui avait dit et elle le croyait. Comment une créature d’apparence si faible pouvait-elle être si dangereuse. Nilah la voyait, sans que la pénombre ne la dérange vraiment. Elle contemplait sa pâleur, tout autant que le sang qui tâchait désormais ses vêtements. Etait-elle une fille de la Lune ? Une créature du Voile, descendu sur Terre à la faveur de l’éclipse ?

« Vous allez me tuer ? »

Elle en était persuadée. Nilah voyait sa dernière heure arriver, et ne pouvait rien y faire. Bouger, c’était mourir. Mais rester immobile, qu’était-ce, sinon attendre la mort ? Elle voyait le sang couler des armes encore au clair, et avait la nausée à penser que le sien viendrait bientôt orner la lame. Elle eut envie de pleurer, et ne put empêcher les larmes de couler.

« Pitié… »

Nilah voulait bien la croire – qu’elle n’allait pas la tuer – mais il fallait avouer qu’après ce qu’elle avait vu, c’était assez difficile. Non pas qu’elle venait d’assister à un meurtre perpétué de sang froid, mais presque, et même si la petit sang-mêlé vivant dans un monde dure et impitoyable, même si elle avait déjà vu beaucoup de sang, et parfois même le sien, couler, rarement elle avait du souffrir la vue d’un assassinat pur et simple. Néanmoins, le monstre affirmait ne vouloir rien de plus que parler, et cette idée parvint tout de même à faire ce chemin dans la conscience de l’enfant, qui s’y accrocha comme à un dernier espoir. Parler n’était pas mortel, ou tout du moins rarement, et si elle disait ce qu’on voulait lui entendre dire, alors elle aurait la vie sauve.

Le monstre lui ordonna d’arrêter de pleurer, et sur le coup, Nilah ne voulut rien de plus que d’y parvenir. Alors elle se concentra, fermant les yeux pour mieux contrôler les battements affolés de son cœur, et inspira profondément. Si elle ne put empêcher les larmes de couler lentement le long de ses joues, au moins ne sanglota-t-elle plus. Elle avait toujours peur, bien entendu, et pas qu’un peu, mais il y avait cet espoir pour contrebalancer un peu. Parle, contente toi de parler, et tout ira bien. C’était sans doute un brin optimiste, mais il fallait parfois l’être. Paniquer à nouveau n’aurait d’autre conséquence que de la voir suivre le tout neuf cadavre dans le royaume de Tyra.

« Pour… Pourquoi l’avoir tué, lui… ? » demanda-t-elle finalement, décidant de satisfaire le monstre et sa curiosité – malsaine – en même temps. « Et… Pourquoi vouloir me p… parler ? »

Elle aurait adoré ne plus bégayer, ne plus hésiter sur le choix de ses mots, simplement parler comme on le lui demandait, mais le monstre devrait déjà se réjouir de ce qu’elle obtenait. Elle allait continuer, sur la première chose qui lui passait par la tête, mais la lumière d’une torche attira son attention. Les bruits d’une conversation vinrent confirmer qu’un groupe approchait. Deux, estima Nilah malgré sa difficulté à réfléchir convenablement, et sûrement un peu éméché au vu du volume sonore qu’ils émettaient. Sûrement sortaient-ils d’une quelconque taverne et effectuaient un simulacre de tour de garde avant d’y retourner dans la joie et la bonne humeur. Certains faisaient ce qu’ils pouvaient pour oublier l’idée oppressante que, peut-être, ne reverraient-ils jamais le soleil.

Et puis il y avait Fouineur, qui… fouinait non loin. Comme Nilah ne lui avait pas répondu, il avait du la dépasser sans la voir. Chance ou malchance, la sang-mêlé n’aurait su le dire avec précision, mais elle savait qu’il risquait gros s’il la découvrait maintenant. Il avait beau être un enfant, le monstre le tuerait sans doute. Elle jeta un regard de nouveau légèrement paniqué en direction du cadavre. S’ils voyaient ça, ils interviendraient peut-être. A moins qu’ils ne décident de fuir, ce qui était tout à fait envisageable. Dans un cas comme dans l’autre, ce serait autant de raison d’agiter le monstre, et cette idée ne lui plaisait pas. Pas du tout.

« Putain, c’est quoi ça ? »

Malgré elle, elle ferma les yeux. Ils avaient vu. Leur torche n’éclairait cependant pas assez pour qu’ils aient pu les apercevoir, elles, et ce serait le cas tant qu’ils n’approcheraient pas de la victime. Ce qui poussa Nilah à prier Néera – parce qu’elle était la seule Déesse que la petite connaissait – de souffler tout courage à ces deux hommes… Etrange prière, mais étrange scène, aussi les deux se mariaient-elles bien.

C'était exactement ce qu'il fallait à Nilah. Entendre la voix de Fouineur, si proche, pouvoir voir son visage... c'en était trop pour elle. Il était le seul qui n'avait pas eu peur d'elle, le seul avec qui elle avait pu parler librement. D'un bon, elle se leva et faisant usage de toute sa vivacité, elle s'élança vers lui. Elle ne pouvait plus supporter le monstre aux mille et une voix. Mais, plus encore, elle ne pouvait supporter l'idée de voir Fouineur allongé au sol, mort d'une façon aussi atroce que l'autre homme. Il fallait fuir. Courir sans se retourner. Les gardes ne l'effrayaient pas, elle en avait déjà semé des centaines. Le mort ne risquait pas de lui courir après. Quant au monstre, eh bien... Il était trop tard pour faire demi-tour.

« Nilah ?! » Interloqué, Fouineur crut qu'on lui arrachait le bras. La sang-mêlé fit en effet preuve d'autant de prévenance que de douceur. Ses mains saisirent les premiers doigts qu'elles purent et serrèrent, serrèrent fort. Sans ralentir le bas, elle tira vers elle, lui imposant de courir à son tour. « Qu'est-ce qui se passe ? »

Mais l'Enfant de Mauvais Augure ne répondrait pas. Son esprit était ailleurs, seules ses jambes fonctionnaient et elle courait, courait. Elle avait toujours été douée, pour courir. Malgré son corps famélique, elle avait toujours eu plus d'endurance que les autres de son âge. Fouineur, au contraire, était un excellent sprinteur mais un piètre coureur de fond. Pourtant, ils n'avaient pas le choix.

« Cours, Fouineur, cours. Elle nous suit ! »

Il y avait de la terreur, dans sa voix, assez pour lui glacer l'échine du petit voleur et lui donner des ailes. Il n'avait jamais vu Nilah dans cet état. Quant à savoir si, vraiment, ils étaient suivis... Peut-être, tout dépendait de l'humeur du monstre. Elle avait voulu lui parler, mais force était de constater que la discussion avait tourné court. Elle avait presque paru calme et détendue, mais face à la fuite de son petit jouet, comment réagirait-elle ? Elle ne savait pas depuis combien de temps elle fuyait. Cela se comptait en secondes, ou en minutes, elle avait perdu la notion du temps.

Cours, petite Nilah, cours. Ne te retourne pas, elle est peut-être derrière toi.

[À partir de maintenant, je joue Fouineur, pas touche à mon PNJ : p]