Deux rats.

Ici.
Ailleurs.
Ici, ou nulle part.

Telle une ombre, Umbrae rôdait. Il n'était pourtant pas seul. Mais il aurait suffit, pour qu'il le soit, que le vent se taise, que la plaine verdoyante s'arrache à la terre nourricière, éclate et gicle vers le ciel.
Pourquoi avancer ? Bientôt, il serait face à la mer, immobile, inutile. Il n'aurait plus qu'à mourir.
Cela devait ne jamais se produire.
Au pied d'un arbre millénaire, l'Hybride bifurqua. Ses yeux, du vert des bourgeons au début du printemps, fixaient un but que nul d'autre ne percevait. Umbrae ne marchait pas au hasard.

Un instant plus tard, alors qu'une maisonnette au toit de chaume apparaissait, un phénomène inhabituel se produisit. Le coin des lèvres de l'être bicentenaire s'étira, un peu, puis d'avantage. Un sourire éclaira son visage. L'espace d'un souffle, Umbrae rayonna.

Enfin. Il parvenait enfin chez cette créature qui n'était autre que la sœur de sa mère, une elfe sylve.

« Entre, fils. »

Umbrae toléra sans ciller le contact des doigts de l'aveugle sur son visage. Cette femme au faciès effilé possédait la souplesse du sauge et l'éternelle jeunesse des elfes. Ses yeux n'avaient d'égal que ceux du tigre acculé au gouffre, l'immensité de leur profondeur donnait le vertige.
Umbrae n'avait que rarement ressenti un tel sentiment d'apaisement. Il s'accorda d'enlacer la créature, qui hoqueta de surprise. Si l'Hybride n'appréciait généralement pas ce genre de contact, il abritait le désir de sentir contre son corps la chair qui se trouvait être à l'origine de son propre sang.
Umbrae suivit la femme à l'intérieur. Elle se prénommait Diane. Diane d'Aurevilly, peut-être, un nom banal, dont les origines nobles gisaient dans la poussière de quelque antique registre.

Au fin fond des contrées Humaines, Celsa se languissait depuis près de deux siècles déjà. Le filage de la soie avait eu raison de ses doigts d'Elfe, jadis éphébéens, tout comme de la fraîcheur de son visage.
Cette matinée, en l'honneur du mois du Karfïas, elle s'était promenée le long des rangées de buis au parfum exacerbé par la pluie de la nuit. Elle rentrait juste lorsqu'elle aperçut un homme au loin. Il s'avéra être un messager, qui tendit à l'Elfe une missive humidifiée par la sueur.

Celsa, ma soeur,

Ces quelques mots précipités pour te prévenir que j'attends ton fils Umbrae Oris'Naerth au jour d'Arcamenel.
Je pense que sa présence serait un bien pour toi. Je n'ai jamais oublié le mal retors qui s'était emparé de ton esprit quelques deux siècles plus tôt. Ne serait-il temps, aujourd'hui, d'en guérir ?

Prends bien soin de ton âme,
Ta tendre et aimée

Celsa sentit ses jambes se dérober. Elle se laissa doucement choir sur un proche banc. La lettre glissa au sol.
Son cœur usé se réveillait enfin. Seulement, ce ne fût pas l'image de l'enfant pâle qui naquît alors dans son esprit, mais celle de son défunt amant, celui aux côtés duquel elle avait en vain espéré vivre.
Se levant, elle trotta d'un pas léger jusque dans la bâtisse, volant presque jusqu'à sa coiffeuse de bois blanc. Elle ouvrit un flacon de parfum, si ancien que le vernis indiquant le nom de son concepteur avait été effacé.
Son amant lui avait offert ce parfum, dans la semaine précédent son décès.

Le soir-même, elle sellait son cheval et partait pour le duché Soltariel.