Mémoires et souvenirs

Etheldred commença à reculer lorsque les mains de l'homme cherchèrent à saisir quelque chose. La règle d'or quand on pèse moitié moins lourd que son patient est d'éviter de rester à proximité s'il fait une crise de démence. Là, ça y ressemblait beaucoup et elle se releva, mettant une certaine distance entre eux deux. Il fallait qu'elle lui trouve de suite de quoi se calmer sans quoi il lui faudrait aller chercher de l'aide pour le maitriser. Or, elle doutait qu'il soit très heureux de savoir que quiconque ait pu le voir dans cet état en dehors d'une bataille. Parler ne servirait à rien et, tout en cherchant aussi calmement que possible dans sa sacoche elle s'appliqua à garder une distance prudente entre eux.

Seulement, le râle qu'il laissa échapper la fit frissonner, lui faisant instantanément retrouver des souvenirs qu'elle eut peut-être mieux fait d'oublier : un homme attaché à un lit qui se débattait en hurlant, l'écume aux lèvres. Le genre de souvenir qu'on n'oublie pas lorsqu'on n'a même pas une dizaine d'années. La peur, insidieuse, s'infiltra dans son esprit alors qu'elle observait Skarn, tétanisée. Ce fut lorsqu'il commença à faire un mouvement de bascule qu'elle recouvra subitement ses esprits et chassa ses peurs de petite fille. Eh zut ! Elle n'était plus une enfant, elle se devait d'agir ! Agir, oui, mais pour faire quoi ? Quand bien même sa pharmacopée aurait été infinie, elle ne voyait pas du tout comment lui administrer quoi que ce soit, de toute manière. Mais elle ne pouvait décemment pas le laisser là. Il pouvait aussi bien s'effondrer si son cœur lâchait ou plus simplement aller se perdre dans les bois sur un coup de tête.

S'efforçant de rester aussi calme que possible malgré ses battements de cœur désordonnés, elle finit par se remettre à respirer plus librement en le voyant s'apaiser. Elle parvint même à ne pas reculer lorsqu'il se releva finalement. Et... il s'excusa. Elle s'attendait à tout sauf à cela, à vrai dire. Les gens avaient davantage pour habitude de blâmer les guérisseurs au moindre ennui, même lorsqu'ils n'y étaient pour rien. Combien de sages-femmes avaient été incriminées pour un enfant né mal-formé ? Et là, elle était entièrement responsable ! Mais si elle était gênée par ses excuses, elle fut touchée par son expression lorsqu'il lui demanda si elle n'allait pas partir. Malgré le fait qu'elle ne se soit pas tout à fait remise de la peur qu'elle venait d'avoir, elle réussit à hocher la tête répondant doucement :

" Bien-sûr. Et j'accepterai encore de vous soigner si... ce fut à son tour de baisser les yeux, mal à l'aise, si vous me faites encore assez confiance pour ça. "

Comment l'aurait-il pu ? Elle repassait dans sa tête les simples utilisés et les dosages, chacun des gestes effectués... elle ne pensait pourtant pas avoir fait d'erreur. Vraiment pas : elle avait pris son temps pour ne pas se tromper. Mais le résultat était le même et elle s'en voulait terriblement. Il s'excusait alors qu'elle était la seule fautive ! Cette idée la rendait malade. Secouant la tête comme pour se reprendre, elle referma sa sacoche et finit par lâcher brusquement :

" Demain, à la même heure... nous pourrons reprendre, si vous le voulez toujours. "

Elle évitait de le regarder en face, visiblement ébranlée par ce qui venait de se passer. Elle se reprochait ce qui s'était passé et mêlait à ce malaise des souvenirs tout frais qui accentuaient sa gêne. Sans lui laisser vraiment le temps de répliquer, elle s'éclipsa d'un pas vif.

***

Plus tard, dans sa chambre d'auberge, alors que la tension serait retombée, elle se traiterait d'idiote : il n'avait pas besoin qu'on le fuie de la sorte et il risquait d'avoir mal interprété les raisons de son départ précipité. Trop tard pour se rattraper...


***

Le lendemain, Etheldred était au rendez-vous, bien plus calme que la veille. Elle avait à nouveau apporté son matériel, bien qu'elle ne soit pas certaine que Skarn revienne. La façon dont elle avait réagi était tout simplement déplacée. Que pouvait-il bien penser, à présent ? Aussi, lorsqu'elle le vit apparaitre, ce fut avec un soulagement évident. Se portant à sa rencontre, elle esquissa un sourire gêné :

" Bonjour... je... je voulais m'excuser pour hier. J'ai réagi de façon profondément stupide, je suis désolée. "

Elle attendait une réponse qui avait peut-être plus d'importance qu'il ne pouvait le penser. Déjà, elle n'avait pas pour habitude de réagir de façon aussi peu professionnelle, mais surtout, elle craignait de l'avoir blessé en disparaissant de la sorte.

Skarn regarda ses affaires d'un air pensif, de retour dans sa chambre. Il ne savait que penser de la reaction d'Etheldred. Fuir à toutes jambes en lui demandant de revenir le lendemain ? Comment interpréter celà ? Serait-elle seulement présente au rendez vous ? Il faut dire qu'elle avait une bonne raison de ne plus venir, après ce qu'elle avait vue...

Il frissona un coup en y repensant. Etait-il réellement capable de revenir la voir et reprendre d'autres substances pouvant le refaire basculer une nouvelle fois ? Quand il y pensait, Skarn s'était toujours demandé s'il ne pouvait pas être guéri de cette chose en lui.Il se promit d'aller un jour chez les elfes. On leur avait toujours prêté des pouvoirs supérieurs et mystiques. Autant tenter le coup. Il se mit en face d'un miroir et se regarda longuement.

Skarn. Le nom qui lui avait été donné après sa première colère. Il se racla la gorge et poussa une sorte de râle mêlé de grognements.

" Skaaaaaaaaaaarrrrrhnnnn... "

Il toussa. Inutile de remettre cela sur le tapis. Il viendrait demain de toute facon. Il avait envie de revoir Etheldred. Son regard se tourna vers son coffre. Il n'irait pas tout nu. Une fois dans son lit, il mit du temps à trouver le sommeil, fixant de manière imperturbable le plafond, comme s’il voulait le faire s’écrouler par la seule force de sa pensée.

Le lendemain, il se réveilla avec un aplomb qui le surprit lui-même. Sa légère crise d’hier avait peut être évacuée beaucoup de tension qui était restée en lui. Il prit son repas du matin en silence, et monta sur son cheval afin de rejoindre Etheldred. Il espérait juste qu’elle ne se soit pas dégonflée et qu’elle soit au rendez vous. Se faire poser un lapin ne lui plairait PAS DU TOUT.

Mais heureusement, la jeune femme se trouvait déjà là lorsqu’il arrivait sur son cheval. Toujours habillée dans cette même robe, parfaitement droite et immobile comme une statue veillant sur ses fidèles. Lui était habillé d’une veste de couleur verte, celle qu’il portait lorsqu’il dirigeait les cavaliers légers. Il portait quelque chose en bandoulière, qu’elle ne voyait pas encore. Un grand sabre de cavalerie, qu’il n’avait jamais amené jusqu'à présent. Il mit pied à terre, et la vit venir se porter à sa rencontre, l’air gênée.

" Bonjour... je... je voulais m'excuser pour hier. J'ai réagi de façon profondément stupide, je suis désolée. "

Skarn la regarda d’un air neutre, bien qu’il soit relativement surpris au fond de lui-même. Même si elle lui était apparue comme perdue la première fois, c’était une femme sûre d’elle et assez volontaire dans l’ensemble, avec l’expérience de la vie. Il ne l’imaginait pas du tout s’excuser, en fait, tout simplement. Il baissa la tête, bras près du corps.

« Vous êtes totalement pardonnée. Le fait de revenir malgré ce que vous avez vue est une immense preuve de courage et, j’ose espérer, d’amitié, et me touche énormément. Je saurais me montrer digne de votre confiance. »

Il montra discrètement le sabre attaché à son dos.

« De toute façon, si je recommence à me montrer dangereux, vous aurez de quoi vous protéger. » dit il sans qu’il y ait le moindre ton de plaisanterie. Puis, il fit un geste du bras, comme pour ouvrir la voie à la jeune femme.

« Après vous demoiselle. Ou avez-vous l’intention de m’emmener cette fois ci ? Avez-vous vous réfléchie à une autre composition à votre remède ? »

Il se mit à marcher à ses côtés. Il tenait le fourreau de son sabre avec sa main gauche, comme prêt à le dégainer à tout instant. Skarn l’ignorait pourquoi, mais il avait senti que quelque chose se passerait aujourd’hui. Et si jamais il se mettait à devenir fou, Etheldred aurait ce sabre pour se défendre. Mais tant qu’il l’avait en main, ce serait lui le défenseur.

Etheldred attendait réellement une réponse, aussi elle se détendit sensiblement en entendant qu'il lui pardonnait. Mieux, le terme d'amitié, fit s'épanouir son sourire : elle ne s'était pas attendue à cela et qu'il puisse la voir ainsi lui fit réellement plaisir. Quant à la confiance...

" Et moi j'espère me monter digne de la vôtre. "

Jusqu'à présent, elle était loin d'être satisfaite d'elle-même. Mais elle ne comptait pas baisser les bras aussi facilement. Elle lui avait dit qu'elle l'aiderait et elle le ferait, dut-elle se repencher des dizaines de fois sur ce mélange. Par contre, elle secoua la tête lorsqu'il lui montra l'arme et balaya l'idée d'un geste, son aplomb retrouvé :

" Ne dites pas de bêtise, nous n'en aurons pas besoin, cela ne se reproduira pas. "

Elle se montrait plus assurée qu'elle ne l'était en réalité, mais elle avait bien assez fait preuve d'hésitation pour cette fois. De toute manière, elle ne disait pas cela que pour le rassurer, elle allait réellement prendre des précautions pour éviter de frôler à nouveau la catastrophe. Hors de question de toute façon de porter la main sur lui autrement que pour lui donner un soufflet comme elle l'avait déjà fait. Si elle devait tomber si bas, elle ne se le pardonnerait jamais.

Alors certes, elle avait songé un moment à emporter une autre arme que son couteau, mais cela avait juste été à cause du lieu choisi pour les séances. Cette fois, elle voulait vraiment qu'ils soient tranquilles, pour éviter justement une nouvelle crise, mais surtout, elle voulait un point d'eau, ce qui signifiait s'avancer un peu plus avant en forêt où les dieux seuls savaient sur quoi ils pouvaient tomber. Et puis, elle avait abandonné l'idée et laissé son épée à l'auberge, ne voulant pas que Skarn s'imagine qu'elle se défiait de lui. Elle ne pensait pas le trouver si compréhensif à son égard et, à vrai dire, elle craignait de ne plus le revoir, tout simplement.

Elle ouvrit donc la marche, expliquant :

" J'y ai réfléchi oui, mais surtout j'ai essayé de trouver ce qui a déclenché la crise. Donc aujourd'hui, je vais commencer par tester chacun de ces produits à faible dose. On verra ce qui vous met dans cet état. En fonction de la quantité, je verrai à modifier le traitement en supprimant cette substance ou en en diminuant la dose. "

Elle n'avait encore rien nommé comme plante, ce qui tranchait étrangement avec sa façon d'expliquer ce qu'elle faisait. D'un côté, elle paraissait de ceux qui se voulaient transparents pour rassurer leurs patients, de l'autre, elle gardait pour elle l'essentiel de ce qu'elle faisait. Enfin, il semblait s'en contenter pour le moment, aussi, elle préféra ne rien dire à ce sujet pour ne pas chercher les complications.

Lorsqu'ils arrivèrent enfin à l'endroit choisi , près d'un petit ruisseau qui courait entre de grosses pierres moussues, le jeune femme sortit cette fois plusieurs petits flacons, contenant soit un baume soit un liquide de couleurs diverses et d'odeurs variées. L'atmosphère était rafraichie de façon agréable par l'eau qui coulait. Un endroit qu'Etheldred affectionnait particulièrement, en partie parce qu'il lui rappelait certains souvenirs heureux bien qu'elle ne parvienne pas à savoir lesquels.

" Ne vous inquiétez pas, en ces quantités, vous ne devriez pas vous mettre dans le même état qu'hier, loin de là. En revanche, dès que vous sentez les symptômes se manifester, prévenez-moi. "

Commencèrent alors les essais : chaque substance fut appliquée à tour de rôle sur l'avant bras de Skarn. Entre chaque, la jeune femme prenait le temps d'attendre suffisamment longtemps pour permettre l'apparition d'éventuelles réactions. Elle avait demandé à ce que le sabre ne reste pas à portée de main, au cas où, mais doutait que l'homme ne devienne aussi violent que la veille. Elle ne craignait donc pas de rester près de lui pour guetter les symptômes de la colère. En fait, elle espérait vraiment découvrir la substance qui le mettait dans cet état, car alors elle saurait que changer. Si cette technique ne marchait pas, il serait beaucoup plus long de tâtonner pour éviter une nouvelle crise. En réalité, elle avait déjà une idée des simples qui avaient pu déclencher cela et elle les testa en dernier lieu, après s'être assurée que les autres ne présentaient effectivement aucun danger.

" Vous savez, avoua-t-elle alors qu'elle appliquait la deuxième substance, je ne serais pas partie si vite si je n'avais associé votre réaction à un souvenir. J'y ai repensé hier soir. "

Elle referma la flacon et le replaça dans sa sacoche en poursuivant :

" Je ne devais pas être très âgée... selon mes écrits je suis entrée en apprentissage à sept ans auprès de ma grand-mère... c'est tôt, je crois. Il y avait un homme qui délirait, qui hurlait... Ce n'est pas souvent que je me souviens de choses aussi lointaines. Cette crise m'avait vraiment effrayée, c'était très violent, et ce sentiment est venu se mêler au présent. "

Une façon de lui dire qu'il n'avait pas à se sentir responsable de son départ et que même si les crises recommençaient ce ne serait pas un motif d'abandon. Elle le laissa un instant et alla ajouter quelques gouttes d'eau à la substance suivante avant de secouer brièvement le récipient et de revenir. Il fallait absolument qu'elle prenne le temps de voir comment il réagissait. Comme elle l'avait déjà fait, elle préféra donc discuter un peu, plutôt que laisser tomber le silence.

" Vous m'avez dit, le jour où nos nous sommes rencontrés, que la guerre était terminée. Vous pensez vraiment ce que vous dites ? Que la paix durera encore longtemps ? "

Cette question revenait sans cesse la hanter. Tout paraissait si calme, à Alonna, depuis qu'elle y était retournée ! Si ce n'était l'éclipse, on aurait presque dit qu'il n'y avait jamais eu de siège et qu'il n'y en aurait jamais plus. Les humains oubliaient vite, apparemment. Ou ils préféraient faire "comme si". En tous cas cas, elle, elle ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur l'avenir des humains, à défaut de s'occuper de celui des elfes, vis à vis des drows.

Elle venait de lui appliquer la dernière substance lorsqu'on entendit du mouvement dans les buissons alentours. Apparemment, ils avaient de la visite et Etheldred n'était pas certaine d'en être très rassurée. Se levant en scrutant les taillis, elle regretta de ne pas avoir emmené son épée.

Skarn repensa à la question que lui avait posé Etheldred. Il connaissait ces interrogations. Tout le monde se la posait. Les soldats et leurs familles. Seuls les nobles faisaient comme ci rien ne s'était passé. De toute facon, ils étaient rarement en première ligne. Mais ils savaient au fond de lui même que ce ne terminerait jamais.

" En ce moment même, les criminels tuent, pillent et violent, des garnisons sont à la poursuites de brigands et des mercenaires affutent leurs armes. Je ne crois plus à un monde sans guerre. J'espère juste qu'un jour viendras ou la majorité des gens se rendront compte que la guerre n'est a utiliser qu'en dernier recours. Les cris de desespoirs des veuves auront toujours plus d'impacts pour moi que les cris de victoire des soldats. " répondit-il simplement.

D'un coté, un monde sans guerre n'aurait plus besoin de lui. C'était terrible à dire, mais il avait besoin de guerres pour se sentir utile. Alors qu'il se perdait dans ses pensées, un bruit le tira de sa rêverie, d'autant que Etheldred s'était levée. Les taillis en face venaient de remuer de manière inquiétante. Quelque chose se trouvait là dedans. Ou quelqu'un.

Il resta assis, faisant signe à Etheldred de reculer. Alors qu'elle hochait la tête à Skarn, dont les yeux étaient fixés sur le buisson. Il fit un mouvement rapide du bras droit et un "tchac" se fit entendre. Le mouvement dans la végétation s'était arrêté. Etheldred regardait Skarn sans comprendre, il se leva et fit quelques pas prudents en direction du buisson, avant d'y plonger sa main, et d'en ressortir... un lapin. Qui avait été transpercé en son centre par quelque chose de pointu. Un couteau. Skarn prit le couteau d'une main, le lapin de l'autre, et l'enleva d'un coup sec, tout sourire.

" Ce n'était qu'un pauvre lapin. Mes excuses si j'ai été trop brusque pour t... vous. Si il y a de quoi faire du feu, je VOUS invite à déjeuner ! "

Alors qu'il tenait le pauvre animal par les oreilles, il fit tourner le couteau papillon entre ses doigts jusqu'a replier la lame entre les deux parties servant de fourreau et il le rangea là ou il devait se trouver. Le nordique regardait le lapin en se léchant les babines. Alors qu'il allait dire quelque chose, un cri se fit entendre au loin. Un cri d'oiseau. Ils levèrent tous les deux les yeux au ciel et virent une nuée d'oiseaux noirs décoller et s'envoler au loin. Les oiseaux devaient être au moins une centaine. Ils continuèrent leurs cris et partirent.

L'air enjoué de Skarn avait disparu et il avait adopté une facade de pierre, l'air sérieux. Il fronca ses sourcils, regardant autour de lui, comme cherchant une ombre au milieu des arbres. Même l'eau du ruisseau semblait s'être fait discrète. La forêt lui donnait l'impression d'être devenue aussi silencieuse qu'un cimetière. Il tourna lentement sur lui même afin de regarder autour de lui. Il posa le lapin par terre. Sans savoir pourquoi, le lapin dans le taillis avait éveillé sa méfiance et son instinct lui disait que quelque chose n'allait pas. Un coup d'oeil à Ethel le laissa penser qu'il n'était pas le seul dans ce cas là. Il se baissa et posa sa main gauche sur le fourreau de son sabre, qu'il avait auparavant posé à terre. Sa main droite était nue, mais s'agitait dans le vide.

Le silence se faisait pesant.

Etheldred non plus ne pouvait croire à un monde sans guerre et entendre un autre qu'elle le reconnaitre était assez rassurant, étrangement. Du moins, c'était moins agaçant qu'écouter les gens prétendre que les drows n'oseraient jamais rien contre eux ou que les elfes avaient bien cherché les ennuis, que les humains n'étaient pas concernés ou autres sornettes de ce genre.

Mais elle n'eut pas le loisir de répondre, se levant tout à coup en entendant un bruit. Depuis son amnésie, elle avait appris à rester sur le qui-vive et elle se doutait, que, même avant, elle avait eu l'habitude de la forêt et des pièges que cette dernière pouvait receler. On n'était jamais trop prudent, jamais trop méfiant. En revanche, même si elle avait eu son arc en main, elle n'était pas du genre à tirer dans les buissons sans savoir de quoi il s'agissait. Elle recula donc, la main posée sur son couteau, mais ne s'attendit pas à une telle réaction de la part de Skarn, qui lui arracha un cri de protestation trop tardif.

Heureusement qu'il n'en tira qu'un lapin et pas un gamin qui jouait à cache-cache. Heureusement aussi, soyons honnête, que ce n'ait pas été une menace plus importante. Aussi, elle haussa les épaules quand il s'excusa, ne semblant pas relever la légère bafouille.

" J'ai un briquet à amadou et on doit p... "

Les cris stridents des oiseaux la firent taire et lever les yeux. Elle venait aussi de perdre son sourire, assaillie par une inquiétude sourde. Jetant un œil à Skarn, elle tapota son oreille en secouant légèrement la tête : on n'entendait plus rien si ce n'était le froissement des feuilles dans la brise automnale. Etheldred guettait... elle ne savait quoi. Mais elle regrettait en plus en plus de ne pas avoir emporté au moins arc ou épée. Ramassant en silence ses affaires, elle mis sa sacoche sur son épaule, dans l'idée de partir. Elle n'aimait pas cette ambiance lourde.

Ce fut à ce moment que, semblant surgir de nulle part, un vieillard édenté à la longue robe d'un bleu terne, fit son apparition. Tout à faire le genre de cliché du vieil homme qui va débiter des énigmes aux aventuriers. Notre brave bonhomme, donc, s'avança tranquillement, cahincaha, et salua bien bas ceux qui le regardaient, une lueur pleine de malice dans les yeux.

" Bien le bonjour ! Permettez-vous que je me joigne à vous pour ce petit pique-nique ? "

Il aurait pu paraitre presque avenant si le silence n'avait pas paru aussi lourd alors que la lumière semblait s'altérer. Le vieillard fixait ses interlocuteurs de l'air de celui qui s'attend à une réponse positive et qui n'envisage pas d'entendre la moindre protestation. Ce qui venait de frapper la jeune femme, c'était qu'on ne l'avait pas réellement entendu arriver. Il avait juste été là, tout à coup devant eux... Elle sursauta légèrement en croyant voir une ombre bouger à ses pieds et recula instinctivement d'un pas sans quitter le vieil homme des yeux. Quelque chose clochait et la mettait mal à l'aise. Elle avait très envie de prendre ses jambes à son coup.

" Tsss tsss... fit-il en secouant la tête d'un air las comme s'il lisait dans ses pensées, je ne ferais pas ça si j'étais vous... la forêt est pleine de dangers. "

Et de fait, les arbres paraissaient plus denses, les feuillages plus bas, le jour semblait reculer petit à petit devant les ombres. Etheldred se força à se calmer : il ne fallait pas se laisser déborder par son imagination. Enfin, était-ce vraiment son imagination ? Elle s'était spontanément rapprochée de Skarn et elle lui lança un regard inquiet.

" Je demande juste un petit bout de ce lapin, bien rôti à point, reprit le vieillard, mielleux. Et un peu de compagnie... "

Il les jaugeait du regard, visiblement très satisfait de lui-même. Ses petits yeux ne cessaient de les détailler, des pieds à la tête. Même en étant du genre à aider son prochain et à ne pas s'affoler d'un rien, la jeune femme commençait à avoir une folle envie de détaler malgré la menace à peine voilée de leur interlocuteur.

Skarn jaugea du regard le vieil homme qui venait d'apparaître devant leurs yeux, car il s'agissait bien d'une apparition et non d'une arrivée. Il semblait affligé par les ans, mais le visage radieux et un sourire lunaire, comme en pleine forme. Il était légèrement courbé sur un grand bâton, mais même en se dressant sur la pointe des pieds, il n'arrivait pas au menton de Skarn. A peine arrivé, il avait demandé du lapin, sur un ton mêlant prise de position, demande et ultimatum. Il ne semblait pas avoir l'habitude d'être contesté. Quoi qu'il en soit, son apparition, très fortuite, indiquait une chose: ce n'était pas un vieillard ordinaire.

Skarn sentit qu’Etheldred s'était rapprochée instinctivement de lui. Il lui lança un rapide coup d'œil, et il croisa son regard. Elle semblait beaucoup plus inquiète que lui. Afin de la rassurer, il passa son bras dans son dos et posa sa main droite sur son épaule. Il regarda le vieillard d'un air sévère.

" Votre grand âge vous a t-il fait oublier la politesse ? Qui êtes vous et que faites vous ici ? "
Sa voix ne tremblait aucunement et avait montée dans le grave. Elle grondait comme la foudre avant l'orage. Cet homme avait déjà commandé à des centaines de soldat, et un petit vieux ne l'effrayait aucunement. Il lui répondit du tac au tac.

" Tu ne devrais pas être aussi agressif envers tes ancêtres, petit. C'est une attitude aussi révoltante que particulièrement dangereuse. "

Les arbres semblèrent se replier sur eux, le ciel s'assombrit totalement, comme s'ils étaient dans un micro-climat, et le vent se leva. Le ruisseau ne fit plus aucun bruit. L'herbe était recouverte d'ombre, ce qui donnait l'impression de marcher sur de la cendre. Les yeux brillants du vieillard défiaient Skarn, et glissaient sur les courbes d'Etheldred d'un air envieux.

" Vos petits tours ne m'effraient pas, vieillard. Il y a du lapin partout dans cette forêt vos menacent ne me plaisent pas. Dégagez. »

Skarn se savait agressif. Il aurait pu faire comme s’il ne voyait rien, rester poli et soumis au vieillard, mais il détestait les grands gueules dans ce genre, faisant usage démesuré de magie, car c’était de la magie pour…impressionner la galerie ? Est-ce que Skarn faisait tourner un gigantesque marteau de guerre lorsqu’il entrait dans un bâtiment ? Non. Alors pourquoi ce spectacle inutile ? Il sentit un frisson le parcourir, et vit qu’Etheldred était terriblement sous pression. Peut être qu’il la soumettait à quelque chose, mentalement ? Ou qu’elle sentait un danger bien plus grand que Skarn ne percevait ? Quoi qu’il en soit, elle n’était pas en sécurité ici.

« Mais je crois que nous allons pouvoir nous arranger. Etheldred, j’ai laissé mon cheval en arrière, comme vous le savez, et dans une de ses besaces se trouvent de quoi cuisiner le lapin. Allez-y. »

Il la poussa légèrement de ses doigts afin de l’inciter à partir, laissant la robe couler sur ses doigts. Elle hocha la tête silencieusement, et fit volte face, de manière gracieuse, avant de partir de la manière la plus calme possible, glissant sur l’herbe telle une déesse avant de s’effondrer lamentablement de tout son long sur le sol, en avant, en poussant un petit cri de détresse. Une racine venait de percer du sol, et commençait à doucement s’enrouler autour d’une de ses chevilles.

« Elle reste ici » décida le vieil homme.

Skarn serra les poings. Apparemment, le vieux magicien semblait vouloir garder Etheldred ici. En avait-il après elle. Il jura intérieurement. Si elle avait été éloignée, tout aurait été plus simple. Maintenant, avec elle à portée de main de son opposant, il voyait ses options diplomatiques se rétrécir considérablement.

Même avec la présence de Skarn, la jeune femme n'était pas rassurée et cela se voyait : de la magie, elle en avait vu à Ellyrion et cela avait suffit à la faire s'en défier. On disait que, là-bas, l'air avait été saturé de sortilèges et que la scène se rejouait indéfiniment, que l'on y voyait des sortes de fantômes... Les ombres crées par la vieillard lui rappelait cela et la glaçait jusqu'aux os. Le militaire, lui, ne cillait pas, ne paraissant nullement impressionné par ce qu'il voyait. Il était vrai que pour l'instant ce n'était que de la "mise en scène"... mais quand on se permettait de déployer autant de magie, c'était qu'on en avait les moyens. Cela aurait fait beaucoup pour du simple bluff, non ? Et si la magie de l'ombre pouvait protéger le cas échéant, comme elle l'avait appris quelques temps plus tôt, c'était aussi un don craint par tous. S'il voyait qu'ils n'étaient pas effrayés par ces effets, nul doute qu'il passerait à autre chose de plus frappant.

Etheldred sursauta légèrement lorsque Skarn s'adressa à elle et s'empressa de hocher la tête, reprenant ses esprits : oui, bien-sûr, si l'un d'entre eux parvenait à s'éloigner assez, il pourrait aller chercher de l'aide. En attendant, il ne fallait pas s'affoler et retrouver tranquillement la cheval... et vlan ! La chute fut rude, bien qu'elle ait marché avec calme. Se retournant aussitôt sur le dos pour voir ce qui se passait, elle aperçut une racine qui s'enroulait autour de sa cheville. Qu'elle reste ?

" D'accord, mais lâchez-moi ! " s'exclama-t-elle aussi vaillamment qu'elle le put en essayant de dégager sa cheville.

Ce n'était ni le moment de paniquer, et elle doutait que supplier change grand chose, mais elle avait beau tenter de glisser ses doigts pour desserrer l'étreinte, elle n'y parvenait pas du tout et si elle se forçait encore au calme, elle commençait à se demander où cela les mènerait. Qu'est-ce que ce fou voulait ?

Le vieillard, cependant, se désintéressait d'elle, la laissant aux prises avec ses racines folles : il était occupé à continuer le spectacle pour Skarn. Amassant les ombres aux alentours, ils purent bientôt voir des formes émerger : une sorte de gros chat noir, d'abord, à la taille de plus en plus improbable. Puis d'autres animaux se matérialisèrent peu à peu, ombres mouvantes plus faciles à observer de biais que directement en face. Le genre de créature qui faisait froid dans le dos et qui laissait à penser que le magicien ne se contenterait pas de bluffer si on le mécontentait.

" Mes amis seront ravis de partager ce repas avec nous. " décida-t-il avec satisfaction alors que les ombres tournaient autour de Skarn, quoique gardant encore prudemment leurs distances.

De son côté, Etheldred cherchait toujours à dégager sa cheville - enfin, sa jambe, à présent - cette fois grâce au couteau qu'elle avait à la ceinture. Mais l'acier ne semblait pas capable de mordre dans le bois. Contre de la magie, elle croyait se souvenir qu'il fallait aussi de la magie et elle n'avait pas ces compétences. Relevant un instant les yeux vers Skarn, elle vit avec horreur qu'il était cerné par des ombres, sans doute plus menaçantes que celles qui font peur aux petits enfants.

" Alors, ce lapin ? Ça vient, oui ? Je m'impatiente ! cracha le magicien. Cuit à point, ou faudra que je me trouve autre chose à me mettre sous la dent. "

Prise d'une idée subite, la jeune femme ignora son coup d'œil et remit fébrilement son couteau à sa ceinture, attendant que le vieillard s'occupe à nouveau de Skarn pour sortir de sa sacoche son briquet à amadou. Ah, il voulait qu'on fasse du feu, hein ? Restait à espérer qu'il l'oublie le temps qu'elle crée une étincelle, ce qui n'est pas évident quand on a la jambe broyée gentiment par une grosse racine. D'ailleurs, Etheldred n'osait pas imaginer ce qui se passerait si c'était sa gorge qui se retrouvait écrabouillée de la sorte. Le cœur battant, elle entreprit de mettre le feu à cette racine, au risque de se brûler, certes, mais elle n'était plus à ça près. Il n'y avait plus qu'à prier pour que sa marche... Elle força ses doigts tremblant à maintenir le silex et pria pour que son idée soit plus efficace que l'utilisation du couteau.

Se passèrent ensuite deux évènements coup sur coup : la racine claqua au contact de la première étincelle, la libérant brutalement, ne laissant que des marbrures sur sa peau rougie ; et le vieillard sembla décider de s'amuser et lâcha quelques uns de ses "amis" sur Skarn. Les bêtes faites d'ombre se coulèrent vers lui à pas de velours. S'efforçant de rester calme et de ne pas faire de gestes brusques attirant l'attention sur elle, Etheldred chercha du regard de quoi constituer une torche. Pour le moment, elle n'avait pas de meilleure idée. S'enfuir aurait peut-être été judicieux, mais elle doutait que le magicien lui en laisse le temps. Et puis, le temps d'aller chercher de l'aide, les dieux seuls savaient ce que Skarn serait devenu !

Skarn regarda les ombres autour de lui. Elles ressemblaient à une meute de loups près à bondir sur lui. Il saisit rapidement un de ses couteaux, voulant garder une arme en main, et cela sonna pour le vieux et ses bêtes le début du combat. Il y en avait entre trois et quatre. Le soldat se dégagea d'un bond en arrière, essayant de mettre péniblement de la distance entre ses ennemis et lui-même. Il n'avait que quelques bases théoriques en magie.

Soit ces créatures ne sont que des illusions et il n'a rien à craindre d'elles. Dans ce cas, son adversaire véritable est le vieux. Soit elles sont consistantes, et elles peuvent le blesser. Dans ce cas, il est tout simplement dans le pétrin. Il savait aussi que dans l'immense majorité des cas, les invocations étaient liées à leur maître. S'il arrivait à neutraliser le vieux, elles disparaitraient. Normalement.

Mais il devait également protéger Etheldred de ce mage. Bigre, celà faisait énormément de travail pour un seul homme. Ses pensées furent interrompues par la première des créatures qui lui sauta dessus, se présentant face à lui, en l'air, ses "pattes" levées et une gueule remplie de dents noires grande ouverte. Sa gueule fut percutée par le poing droit de Skarn, qui vit et qui sentit avec un plaisir non dissimulé les os se briser à l'impact de son coup. Elles pouvaient donc l'affecter et le blesser. Pour Skarn, cela voulait surtout dire qu'il était en mesure de les éliminer. La créature tomba et se dissipa comme un mauvais rêve. Skarn leva les yeux juste à temps pour voir une bête similaire mais plus grosse se précipiter sur lui. Il n'aurait pas le temps de se lever, d'esquiver ou d'encaisser une attaque. Comme un sprinteur au départ, il poussa sur ses jambes en grimacant à cause de la douleur et propulsa sa centaine de kilos sur le monstre, évitant de justesse les griffes et les crocs des deux plus petites créatures. A peine tombé au sol, il se releva, ignorant son ennemi au sol pour se concentrer sur sa cible.

Il savait qu'il ne pouvait, dans cette situation, triompher seul de ces saletées, sans arme. Il était donc obligé de se débarasser du vieux le plus vite possible. Pour détruire une fourmillière, il faut viser la reine. Le vieil homme s'était dirigé vers Etheldred, qui reculait précipitamment. Il se retourna vers Skarn et le colosse vit qu'il portait un couteau dans sa main, celui d'Etheldred. Son bras bougea à toute vitesse et la lame du couteau se dirigea vers le flanc de Skarn alors qu'une vague d'énergie sombre se matérialisait entre celui de Skarn et son visage. Ils restèrent immobiles un court instant. Le couteau de Skarn avait été stoppé par le bouclier d'ombre du vieux. Et celui de ce dernier avait été stoppé par... le mage vit avec étonnement et déception une petite pointe de sang couler. Juste une petite goutte.

Un bruit mat se fit entendre lorsque le couteau de Skarn tomba par terre, lâché par le commandant. Skarn leva haut son poing, son bras tendu vers le ciel, près à le faire retomber avec fracas sur le crâne du mage qui semblait pétrifié d'étonnement. Skarn sentit quelque chose le retenir, et il grimaca. Les machôire d'une des petites bêtes mordaient avec appétit son bras, et il sentit sa jambe sérrée entre les pattes de la plus grosse. Mais celà ne l'arrêta pas. Dans un magnifique hommage à la force de levier, le bras de Skarn s'abbatit avec toute la force qu'il pouvait mobiliser. Un bouclier d'ombre généré au dessus de la tête du mage ne fut d'aucun secours et son poing heurta avec fracas le crâne du mage. Ce dernier avait d'ailleurs essayé de se dégager, en pur perte, bloqué par la main droite de Skarn.

Les créatures disparurent dans un souffle, la lumière revint, la rivière se remit à couler, tout redevint comme avant, alors que le vieux s'effondrait dans un souffle. Il fut rattrapé in-extremis par une gifle monumentale qui l'envoya à deux mètres de là. Skarn souffla un grand coup, tremblant de tout son corps sous l'adrénaline. Son bras gauche présentait des traces de morsures moyennement profondes, et sa jambe droite saignait. Il avait mal. En fait, sa blessure au flanc était la moins violente. Il fit un commentaire afin de passer avant la première question d'Ethel.

" Ne vous inquiétez pas, je vais bien. Je frotte tous les jours ma peau avec du gros sel. Un vieillard comme lui n'a pas assez de force pour présenter un quelconque danger pour mon corps. "

Etheldred recula précipitamment lorsque le vieillard s'intéressa à nouveau à elle. Sans qu'elle comprenne comment, son couteau se retrouva dans la main de son agresseur, ce qui la laissait sans arme. Certes, elle avait eu dans l'idée de fabriquer une torche, mais elle n'en avait absolument pas le temps. Du coin de l'œil elle vit Skarn se débattre au milieu des ombres et espéra gagner du temps en demandant d'une voix aussi assurée que possible :

" Que voulez-vous ? "

Au fond, elle s'en moquait : que ce soit un psychopathe aimant le lapin à la broche ou le grand maître du chaos lui même lui importait assez peu si le résultat était le même. Une ombre se détacha, s'approchant d'elle et elle ramassa précipitamment une branche, prête à lui en assener un coup s'il le fallait. Mais elle ne put qu'ouvrir de grands yeux lorsque le mage lui cracha avec mépris, avant de se retourner vers Skarn :

" Tu te souviens pas de moi ? Un jour, les autres te retrouveront aus... "

Le cœur d'Etheldred s'emballa. Qui, les autres ? La diversion du guerrier l'empêcha de poursuivre et elle le vit se concentrer à nouveau sur les ombres qu'il manipulait. Les couteaux se mirent à voler, arrachant un cri étranglé à la jeune femme qui eut au moins la satisfaction de voir l'ombre qui s'en prenait à elle se volatiliser. Sans doute le mage préférait-il se concentrer sur Skarn... Etheldred n'était pas certaine que ce soit une bonne nouvelle, jusqu'à ce qu'elle le voit écraser violemment le crane du vieillard. Même avec toute la bonté du monde, elle ne pouvait que se trouver soulagée. Soulagée qu'il ait mis fin à la menace, plus encore qu'il soit vivant.

La magie se dissipa, cessant de les oppresser. La lumière revenait, l'eau se remit à clapoter et la jeune femme à respirer librement. Sa main était encore crispée sur la branche et elle se força à la laisser tomber au sol.

" Ne vous inquiétez pas, je vais bien. Je frotte tous les jours ma peau avec du gros sel. Un vieillard comme lui n'a pas assez de force pour présenter un quelconque danger pour mon corps. "

Etheldred hocha lentement la tête, s'efforçant de retrouver toute sa maîtrise d'elle-même. Le vieillard n'était peut-être pas dangereux en lui-même, mais ses ombres avaient fait leur travail. Alors, Skarn avait beau dire, elle s'inquiétait malgré tout pour lui. Jetant un coup d'œil au magicien, elle regarda autour d'eux et se détendit sensiblement en ne voyant ni n'entendant rien de suspect. Les paroles du mage tournaient pourtant dans sa tête. Les autres... Mais les bois avaient repris vie, semblait-il, et les ombres avaient bien disparu. Se forçant à paraitre plus calme qu'elle ne l'était, la jeune femme ne tarda pas à ouvrir sa sacoche et à en sortir quelques sachets, mais déposa le tout sur l'herbe et respira à fond avant de faire quoi que ce soit d'autre. Ses mains tremblaient malgré elle : elle avait bien cru qu'ils allaient tout les deux mourir là et elle revoyait les ombres qui... Elle secoua la tête légèrement, comme pour les chasser. Elle détestait la magie, parfois. C'était trop... irrationnel. Face à ces manifestations, elle se sentait impuissante et avait du mal à le supporter.
Elle essaya de raffermir sa voix autant que possible pour demander calmement :

" Venez, je vais m'occuper de vos blessures. "

Même si elles ne risquaient pas de le tuer dans l'immédiat, il valait tout de même mieux éviter l'infection. Et puis, d'une certaine façon, pour elle, se rendre utile ne pouvait que lui faire du bien. Pourtant, elle jeta un coup d'œil à ses sachets et ajouta, hésitante :

" Enfin, il ne faudrait peut-être pas rester ici... "

Elle ne se sentait pas vraiment tranquille, en pleine forêt, bien qu'elle s'efforce de ne pas le lui montrer. Après tout, elle n'avait pas été blessée, même si elle se doutait qu'elle trouverait des traces tout au long de sa jambe qui avait été enserrée par la racine. Elle pouvait le soigner n'importe où, ça n'avait pas grande importance, étant donné que pour ce genre de plaie elle avait tout ce qu'il lui fallait.

Skarn fit quelque pas vers elle. Malgré ses blessures, il se sentait bien. Comme tout homme qui sent une poussée de virilité en lui après avoir bravement triomphé de l'adversité devant un public féminin impressionné. Même si le public en question, Etheldred, ne semblait pas y préter plus d'attention que ca. Normal d'un coté, pour une femme ayant soignée des soldats, lui nottament. Ce n'était pas une petite fille ou un noble faisant des "aaaaaah" et des "ooooooh" lorsqu'on leur racontait d'épiques batailles. Le jeune pêcheur au fond de lui fit la moue décue. Comme un adolescent aurait aimé un peu de reconnaissance ! Il le chassa intérieurement.

" Avec plaisir. Je suis vraiment chanceux d'être avec vous. "

Alors qu'il faisait quelques pas, il entendit un mouvement derrière lui. Il se retourna lentement. Le vieux mage bougeait encore. L'idiot. En général, les personnes dans son état faisaient comme si elles étaient mortes, pour échapper à Skarn. Simple instinct de survie, parfaitement compréhensible. Le nordique se dirigea vers lui à pas mesurés, et le prit par le col avec un grand sourire. Le mage essaya d'articuler un mot mais se prit une gifle monumentale avant de prononcer quoi que ce soit. Skarn lui plaqua une main sur la bouche, ignorant les protestations d'Etheldred.

" Prononce un seul mot sans ma permission, je te tue. Un seul geste brusque, je te tue. Appelle des amis, je te tue. Lance un sort, je te tue. Si tu ne répond pas à mes questions, je te tue. Tu a bien compris ? Répond moi ou je te tue. "

Le viel homme ouvrit de grands yeux. Il vit dans le regard de Skarn que le colosse ne plaisantait pas. Et que vu sa force, il était tout à fait capable de le tuer, à mains nues, devant témoins. Il fit un petit oui de la tête.

" Bien."

Skarn le jeta par terre, et posa son pied sur son dos, le maintenant au sol. Il ramassa la bâton du vieil homme et le brisa en plusieurs morceaux. Il ne savait pas s'il l'utilisait juste pour marcher ou pour canaliser de la magie, mais on devait être prudent. Il le prit par le col, avant de le porter comme un sac, sur le coté. Il regarda une Etheldred outrée de ce qu'il faisait.

" Vous vous occuperez de mes eraflures plus tard et... ET arrêtez de faire ces gros yeux ! Ce monsieur semble bien vous connaître, et je deteste être mis de coté ! "

Il décida de changer d'endroit, et marcha cahi-cahant, entre sa jambe bléssée et le vieux qu'il portait. Il fut alerté à un moment par Etheldred que le mage commencait à faire des gestes suspects, et cogna d'un coup le vieux. La magie se dissipa. Skarn siffla fortement, et quelques minutes plus tard, son destrier arriva. Même si Etheldred ne semblait pas du tout apprécier son attitude, le regardant comme une mère gronde son enfant, Skarn avait décidé d'être têtu et de ne pas lui obéir comme il le faisait tout le temps. Il déposa le vieil homme dos contre un arbre, et le contempla, visiblement très satisfait de sont travail. Il se retourna vers Etheldred, toute trace d'émotion ayant disparue de son visage, arborant cette expression totalement neutre qui le caractérisait. Qui donnait l'impression qu'il regardait au loin.

" Bien. Voulez vous le faire parler ? "

La remarque de Skarn sembla faire sursauter la jeune femme qui secoua la tête, ramenée à une réalité plus immédiate que ses craintes sur la suite des événements :

" Chanceux ? Que devrais-je dire alors ? "

La surprise était sincère : si elle ne le soignait pas, il lui suffirait de redescendre en ville pour obtenir des soins, alors que lui...

" Vous venez de me sauver la vie ! "

Et c'était lui qui s'estimait chanceux ? S'il n'avait pas été là... En plus, selon les dire de l'affreux vieillard, c'était elle qui leur avait attiré les ennuis. D'ailleurs, quand on parlait du loup... Elle l'avait pensé mort et se figea lorsqu'elle s'aperçut que ce n'était pas le cas. Skarn réagit plus vite qu'elle, allant empoigner le mage et lui retournant une claque monumentale pour le faire taire.

" Skarn... "

Elle se tut. Que pouvait-elle dire ? Elle ne savait même pas ce qu'elle voulait ! Une partie d'elle-même répugnait à faire montre de la moindre violence, mais ils ne pouvaient décemment pas le laisser s'en tirer ainsi, heureux de leur bonne action du jour. Les bras croisés, mal à l'aise, elle regarda Skarn casser le bâton puis prendre le vieillard sous le bras. Lorsqu'il lui rappela que le mage paraissait la connaitre, elle baissa simplement les yeux, refusant de répondre pour cautionner ce qu'il avait en tête. Elle aurait voulu soigner Skarn, parce qu'elle continuait à s'inquiéter pour lui, et oublier ce maudit magicien dont elle ne parvenait pas à se souvenir. Mais il fallait bien voir la réalité en face : il était vivant et détenait des informations, ils ne pouvaient pas le laisser filer ainsi.

Reprenant ses affaires, elle les suivit donc en essayant de chercher une solution qui n'apparaissait pas. Ce fut à cet instant qu'elle remarqua que le vieillard agitait ses doigts d'une façon qui n'avait rien de naturelle.

" Attention, il... "

La réaction fut rapide et lui fit serrer les dents alors qu'elle se forçait à ne rien dire. Elle n'aimait pas ces méthodes. Même si elle pouvait comprendre sans mal le point de vue de Skarn, frapper un ennemi pour obtenir des informations la révulsait. L'estomac noué, les bras croisés, elle fixa à nouveau le sol, détournant les yeux. Il devait sans doute la trouver ridicule de vouloir épargner un homme qui avait tenté de les tuer. Mais elle aurait préféré de loin voir le vieillard mort, emportant ses secrets dans sa tombe, que se trouver dans une telle situation. En même temps, si elle refusait d'agir, elle se doutait que Skarn le ferait à sa place, nul doute alors que ce serait pire.

Aussi, elle finit par hocher la tête, à contrecœur, demandant d'une voix sourde :

" Vous paraissez me connaitre... comment... ? Pourquoi avoir essayé de nous tuer ? "

Elle se trouvait confuse, mais c'était à peu près l'essentiel de ce qu'elle avait comme questions. Intérieurement, elle pria pour qu'il réponde vite et bien, qu'ils puissent en finir... et comment ? En le tuant ? Lui extorquer des informations pour conclure ainsi lui paraissait inhumain. Enfin, pour le moment, le vieillard la fixait de ses petits yeux, l'air de se demander pourquoi elle lui posait toutes ces questions.

" J'voulais juste manger un peu de lap... " Skarn s'occupa de lui rappeler qu'il valait mieux ne pas se moquer d'eux et Etheldred s'abstint de tout commentaire.

" Et qui sont les autres, aussi ? " ajouta-t-elle au passage, tandis que le mage essayait de reprendre un peu pied.

" Tu n'te rappelles rien, hein ? "

Comme elle secouait la tête, s'efforçant de ne pas avoir l'air trop mal à l'aise, il poursuivit :

" Ironie du sort... dans tous les sens du terme... Pas étonnant qu'on ait perdu ta trace ! On n'peut pas te suivre si tu sais pas où tu es, toi... D'ailleurs, j'serais curieux de savoir où tu as pu te cacher ces derniers temps... encore heureux que tu aies rappliqué ici pour nous faciliter la tache ! "

Oubliant la situation, la jeune femme le fixait, restant suspendue à ses lèvres, attendant la suite. Le vieillard réfléchissait à ce qu'il allait dire, c'était manifeste, il paraissait presque s'amuser malgré son état. Sans doute pensait-il qu'il n'avait plus rien à perdre où cachait-il un atout dans sa manche pour se tirer de là.

" Tu ne te souviens pas d'avoir accepté notre offre ? La cigüe, la digitale et j'en passe... et tous les mélanges... "

Etheldred pâlit, partagée entre l'envie de savoir et la crainte de ce qu'elle risquait de découvrir. Inutile d'être un génie de l'herboristerie pour savoir qu'il parlait de poison. Être impliquée dans ce genre d'affaire ne lui plaisait pas beaucoup.

" Quelle offre ? "

Sa voix avait claqué, plus sèchement qu'elle ne s'y serait attendue. Elle se sentait soudain en colère : il était sur le point de faire voler en éclat le fragile équilibre qu'elle s'était construit, alors il valait mieux qu'il parle au lieu de tourner autour du pot. Les bras toujours croisés, elle serra les poings, attendant la réponse.

" De nous fournir. De nous aider à créer ce poison qui agirait juste le temps qu'il faudrait. "

Sa gorge se noua mais autant de colère que d'amertume. Les mots de Skarn lui revenaient en mémoire et elle lui jeta un rapide coup d'œil : que ferait-elle si elle découvrait qu'elle n'aimait pas ce qu'elle avait été ? Elle fronça les sourcils, demandant rapidement :

" Pour qui ? Pour quoi ? "

Le vieillard éclata de rire. Un rire de fou, qui la glaça jusqu'aux os.

" Mais pour vendre au plus offrant pardi ! Pour de l'argent bien-sûr ! Tu avais besoin d'argent, comme tout le monde ! "

Etheldred secoua la tête, écœurée. Elle aurait voulu dire qu'elle n'aurait jamais fait une chose pareille, elle s'en sentait convaincue, mais... au fond, qu'est-ce qu'elle en savait ? Il y avait un énorme blanc dans ses écrits et pire encore dans sa mémoire.

" Et puis au dernier moment, tu t'es enfuie avec le poison, l'antidote et l'argent... Ça tu nous le paieras ! Si c'est pas moi, les autres te retrouveront. "

Il grimaça, ajoutant, en particulier à l'adresse de Skarn :

" Ah et avant qu'il ne vous prenne l'envie de me tuer, dites vous bien que ma mort les fera rappliquer comme un phare dans la nuit. "

Skarn laissa le vieil homme continuer ses révélations, le tenant par la peau du dos, le visage neutre, sa main gauche sur le pommeau de son sabre. Il vit le visage d'Etheldred passer de la surprise à la peur, au dégoût et à la colère. Il affermit la prise de sa main sur son arme lors de la dernière menace du mage. Il décida d'intervenir, resté trop longtemps silencieux à son goût.

" Etheldred, j'ai besoin de parler de tout cela avec vous. J'ai de nombreuses questions. "

" Si vous voulez, je peux vous répondre... " argua le mage, goguenard.

" Vous, fermez là. " commenta Skarn brutalement. " Et sachez que les menaces d'un lanceur de sort aussi mauvais que vous ne me font pas plus d'effet que celles d'un garcon de dix ans. "

" Je ne ment pas vous savez. Ils viendront vraiment. Ils me vengeront si vous me tuer. "

Skarn se retourna, froncant les sourcils, grand et terrible à la fois, la colère montant de sa gorge. Il avait haussé le ton de sa voix, devenue grondante, semblant une fois encore sortir de la bouche d'une autre personne,qui serait munie d'une grande hache et barbue.

" Vous venger ? Et comment ? En attaquant ma famille ? Je n'en ai pas. En attaquant mes amis ? Je n'en ai pas. Détruire ma vie de couple ? Je n'en ai pas. A moins qu'ils aient l'intention de me tuer ? Vous pourriez être une armée que je vous écraserais. Alors gardez vos pitoyables menaces, car vous n'avez aucun moyen de me faire quoi que ce soit. "

Comme pour mettre fin à la discussion, il le frappa sans prevenir à la tempe. Le vieil homme s'effondra, sans connaissance. Skarn verifia qu'il n'avait pas frappé trop fort. S'il avait trop insisté, le magicien était bon pour un traumatisme crânien. Le nordique fit craquer ses jointures en regardant Etheldred d'un air insondable.

" Bien, je crois qu'il y a plusieurs questions à aborder tous les deux. "

Etheldred hocha la tête en deglutissant. Elle semblait encore choquée par ce qu'avait dit le vieil homme, et regardait Skarn d'un air étrange, comme si elle craignait qu'il devienne agressif.

" Supposons, je dit bien, SUPPOSONS que ce que dit ce vieil homme soit vrai. Cela fait de vous une empoisonneuse. En temps normal, je ferais en sorte de vous amener en jugement, mais entre l'amnésie, le manque de preuve et... le reste, je ne le ferais pas. "

Il se mit à croiser les bras, les yeux dans le vague. Il se mettait à réfléchir.

" Il y a plusieurs choses qu'il faudra savoir. Tout d'abord, savoir qui sont ces gens qui veulent obtenir du poison, et qui sont prêts à aller vous voir, vous, afin d'en posséder. De plus, vous vous doutez bien que personne ne prend du poison pour le plaisir. Donc, qui était leur cible ? "

Il se mit à regarder Etheldred dans le blanc des yeux, se rapprochant d'elle.

" Enfin, une autre chose. Vous vous êtes, selon lui, échappée avec le poison, et je ne pense pas que vous l'ayez sur vous. La question est donc: ou peut-il être, et qu'avez vous pu en faire ? "

" Etheldred, j'ai besoin de parler de tout cela avec vous. J'ai de nombreuses questions. "

La jeune femme lui renvoya un regard où se mêlait peur et dégoût de ce qu'elle venait d'apprendre. Elle ne pouvait tout simplement pas l'accepter. Pas comme ça. Skarn avait des questions ? Et elle, alors ? Était-elle censée avoir les réponses ? Les bras toujours croisés, comme si cela allait la protéger de la vérité, elle le regarda faire taire le vieillard en se demandant comme elle pouvait ressentir de la pitié pour quelqu'un qui avait tenté de la tuer alors qu'elle était une empoisonneuse. Elle ferma les yeux en ressassant ce mot qui lui donnait envie de vomir et se força à respirer.

Lorsqu'elle regarda à nouveau Skarn, elle ne put que hocher la tête. C'était la hantise de toute herboriste : être prise pour une empoisonneuse et jugée comme telle. Et, de fait, qui savait soigner par les plantes savait aussi faire périr.

" Je... "

Ce qu'il venait de dire la fit taire. Le "supposons" qui, quelque part, lui laissait une chance. Si le magicien avait menti ? Mais pourquoi aurait-il fait une telle chose ? Prise dans ces interrogations, elle sursauta lorsqu'il se rapprocha d'elle, la regardant dans les yeux. Tout ce qu'il pouvait voir dans son regard, c'était qu'elle était à nouveau complètement perdue. Elle avait envie de hurler qu'elle n'en savait rien. Elle avait passé des heures à essayer de se rappeler et cela n'avait rien donné. Normalement, quelques détails lui permettaient de retrouver des souvenirs, mais là, rien ne surgissait. C'était le néant absolu. Elle pouvait juste refuser ce qu'elle avait appris ou se dégoûter elle-même.

Mais Skarn attendait des réponses et elle finit par soupirer, se détournant pour ne plus soutenir son regard. Il avait été question d'amitié et maintenant, il la prenait pour une empoisonneuse... cette idée la rendait malade. Alors elle décida de jouer cartes sur table.

" Je ne me souviens de rien à ce propos. En revanche, je sais ce qui s'est passé lorsque je me suis réveillée. J'étais dans une forêt, à un endroit que je ne reconnaissais pas. En réalité, il s'agissait d'Anaëh, j'étais en territoire elfique. J'ai croisé la route du Protecteur de ce... de cet endroit et il m'a engagée comme valet. "

Cela, elle ne l'avait encore avoué à personne, parce que vivre avec les elfes n'était pas forcément bien vu. De la même façon qu'elle cachait ses ascendants elfiques, elle préférait ne pas faire allusion à son réveil, à ce travail de substitution ou à la bataille du Fort. On se méfiait suffisamment des étrangers pour ne pas en rajouter. Mais si elle voulait qu'il lui fasse confiance, alors il fallait bien qu'elle fasse de même. Jusque là, elle avait eu raison, non ? Il n'était pas allé crier sur tous les toits qu'elle était amnésique donc incapable d'exercer. Aussi, elle continua en essayant de maîtriser sa voix :

" Je ne savais même plus qui j'étais à ce moment, mais il a regardé dans ma sacoche, il a même lu mon journal pour se faire une idée. S'il y avait eu un poison particulier il l'aurait remarqué ! Il m'a tout rendu et a conclu que, pour une humaine, j'étais quelqu'un de... elle eut un sourire désabusé, de bien. "

Empoisonneuse... Elle savait ce que cela impliquait. C'était tout simplement horrifiant. Comment pouvait-on... comment pouvait-elle... Allant s'asseoir au pied d'un arbre, elle enfouit son visage dans ses mains pour essayer de se calmer. Lorsqu'elle se redressa, quelques secondes plus tard, elle reprit d'une voix neutre :

" Je n'avais que quelques sous avec moi, ce qui explique que je sois restée si longtemps auprès de cet elfe. Rien qui ne laisse penser que j'avais dévaliser quiconque. Je n'avais ni poison ni antidote autre que ceux utilisés dans des soins de base et que j'ai encore avec moi actuellement. Ce sont des substances que l'on trouve chez n'importe quel apothicaire digne de ce nom ou directement en forêt. "

Quitte à se montrer sincère... Elle se força à continuer :

" Je vais être honnête et ne pas vous sortir ce que n'importe quel herboriste vous dira pour se protéger : je connais les poisons, c'est un fait. Parce qu'ils peuvent servir de remèdes ou simplement parce que, justement, il faut savoir ce qui est fatal. Pour éviter les erreurs ou... pour abréger des souffrances, même s'il est rare qu'un guérisseur l'avoue. J'ai très bien pu faire ce dont on m'accuse. J'en suis capable, sans aucun doute. Seulement... elle détourna à nouveau les yeux, continuant d'une voix sourde, vous savez comment on teste les mélanges ? Sur des animaux, sur des nouveaux-nés. Il parait que ça ne coûte pas bien cher dans les bas-fonds des villes. Alors... "

Elle se releva soudain et planta ses yeux dans les siens, sur un air de défi :

" Si j'ai vraiment fait ça, ce sera inutile de m'arrêter, je préfèrerais encore me jeter moi-même du haut des remparts. En attendant, rien ne prouve ce qui est avancé. Je n'avais ni argent ni poison, ni antidote. "

Et pas le moindre souvenir sur ce qui avait pu réellement se passer. Elle jeta un coup d'œil au vieillard toujours assommé et réprima ses mots : le remettre aux autorités ? Autant qu'elle l'accompagne. Elle ne savait pas ce qui était en vigueur dans cette ville, mais elle n'avait aucune envie de subir la question qui lui ferait avouer tout et n'importe quoi avant de la condamner à mort. Cette crainte commençait d'ailleurs à faire son chemin dans son esprit. Il suffisait que Skarn change d'avis...

Prise d'une idée subite, elle alla fouiller dans sa sacoche et en tira un petit carnet qu'elle se mit à feuilleter rapidement jusqu'à trouver une page qu'elle lut à voix haute :

" L'herboristerie n'avait pas changé en un an. j'ai à peine eu le temps de poser mes affaires que j'avais une première visite. Une de celles que je n'apprécie pas. Déjà parce qu'il s'agissait d'un noble, elle jeta un coup d'œil un peu gêné à Skarn mais continua malgré tout, à mon avis et que je me méfie toujours de quelqu'un qui peut vous porter préjudice de part son statu. Ensuite, et surtout, parce qu'il me demandait un somnifère qui devait se révéler mortel. J'avoue avoir hésité, parce que ses explications avaient l'air sincères. Mais comment se fier à un inconnu ? Et puis, non, je ne suis décidément pas une meurtrière. Elle referma le carnet : c'est un extrait de mon journal, écrit après Alonna, lorsque je suis retournée à Diantra. C'est le seul passage où j'évoque les poisons. "

Ça n'avait rien d'une preuve, ce pouvait même être un peu ambigu... mais elle n'avait rien d'autre. Jetant un nouveau coup d'œil au magicien, elle secoua la tête :

" On ne peut pas continuer à l'interroger comme ça... c'est... "

Si elle ne trouvait pas ses mots, en tous cas, l'idée la dérangeait clairement. Ou alors avait-elle trop peur de ce qu'il pourrait révéler ?

" C'est mal peut être ? "

La voix de Skarn était ferme et typique de celui qui n'attendait pas la moindre contestation de la part des autres.

" Ce n'est pasun réfugié ou un pauvre milicien engagé de force dans une armée. Cet homme à essayé de nous tuer, et il m'a bléssé. Si vous pensez qu'il en sortira sauf et en bonne santé, alors détrompez vous."

Il la regarda quelques instants, comme hésitant sur l'attitude à adopter. Entre les accusations du mage et les réfutations d'Etheldred, il ne savait guère quoi penser. Mais il devait rester pessimiste. Comme ca, il serait certain de ne pas être décu. Il adopta un ton froid et officiel.

" Malgré vos dires, je vous considère comme suspecte. Mais à par la bonne foi de cet homme, il n'y a aucune preuve pour l'instant, et j'ai besoin d'être sûr. "

Il resta silencieux quelques instants avant de reprendre la parole, tendant une solide main vers elle.

" Donnez moi ce carnet, s'il vous plaît. "

Malgré le "s'il vous plaît", il s'agissait d'un ordre pur et simple. Après plusieurs moments d'hésitation, elle le lui tendit à contre coeur. Il prit le carnet et le feuilleta rapidement.

" Merci. "

Ses yeux glissaient sur les lettres et les mots, sans chercher à en comprendre le sens, ne voulant pas s'introduire pour l'instant plus avant dans l'intimité d'Etheldred. Il cherchait quelque chose dont le souvenir remontait à plusieurs jours. Elle l'avait trouvé, lui. Elle avait parlée d'une liste dans laquelle se trouvait le nom de plusieurs personnes qu'elle avait rencontrée auparavant. Dans les dernières pages du carnet, il finit par la trouver et se mit à la lire. Il vit son nom tout en bas, signe qu'il était un des derniers à l'avoir rencontrée. La plupart des noms ne lui disaient strictement rien. Sauf un. Il lui lanca un regard surpris.

" Vous connaissez Johann ? "

Il s'agissait d'un nom en dessous du sien, qui n'avait pas été coché ou entouré. Elle hocha la tête prudemment, ne sachant à quoi s'attendre.

" Je me trompe peut être, et ce serait un grand hasard, mais Johann est le prénom de LA, oui, vous m'aviez bien entendu, LA chef de l'ordre de la Rose Noire. Je suis à moitié surpris que vous la connaissiez, elle se trouvait à Alonna également, mais peut être l'aviez vous croisée avant. Quoi qu'il en soit, peut être pourrait-elle vous aider. "

Il se mit à regarder le corps du mage qui commencait à bouger. Diable, ce bougre était solide. Peut etre que la magie avait à voir dedans. Il faudrait s'en occuper rapidement.

* De toute facon, je doute tirer quoi que ce soit de plus de cet homme. Aucune chance qu'il ne livre ses chefs. *

Il redonna son carnet à Etheldred. Il s'approcha du mage.

" Nous avons encore quelques mots à nous dire tous les deux. " Il se pencha sur le mage, et le prit par le col, tournant le dos à Etheldred.

" Oh, vous m'entendez ?! "

Un gargouillement étouffé lui répondit et les yeux du mage se mirent à rouler dans leurs orbites. Etheldred pu voir les mains de Skarn entrer dans la bouche du vieil homme, se mettant à crier.

" Il est en train de se suicider ! "

En effet, la bouche du magicien commencait à être recouverte de bave blanche, gargouillements et rire étouffés. Skarn, semble t-il, essayait de retirer quelque chose de la gorge du vieile homme, sans guère de succès. Puis, les gargouillements prirent fin, et Skarn se releva, tenant le magicien par le col, debout, l'air décu, résigné et en colère. Il le laissa tomber.

" Parbleu. Il s'est tué. "

Si c'était mal ? Etheldred laissa échapper un soupir, entre lassitude et agacement. Devaient-ils vraiment se montrer aussi cruels que leurs pires ennemis ? Si on raisonnait ainsi, où allait-on ? Mais elle n'était pas vraiment en position de discuter et elle se contenta de hausser les épaules, le laissant poursuivre sa tirade. Lorsqu'il annonça finalement qu'il la considérait toujours comme suspecte, elle se mordit simplement la lèvre, soufflant un "je comprends" à contre cœur. Qu'aurait-elle fait à sa place ? C'était déjà bien qu'il ne décide pas de l'arrêter.

Lorsqu'il lui demanda le carnet, la jeune femme prit le temps de se remémorer ce qu'elle avait écrit depuis que Mëgilen l'avait lu. N'y voyant rien de bien gênant, elle finit par le donner. Décidément, son journal semblait avoir vocation à être exposé aux quatre vents. Au fond, que Skarn le lise n'était pas plus gênant que de l'avoir confié à un parfait inconnu quelques temps plus tôt. Seulement, cette fois elle était plus anxieuse, car elle craignait avoir laissé échapper des détails compromettants. Mais quoi ? Si encore, elle avait su ce qu'il en était, elle aurait pu savoir comment réagir. Là... Les bras à nouveaux croisés, elle l'observa avec appréhension qui passait les pages en revue, cherchant elle ne savait quoi.

" Vous connaissez Johann ? "

Etheldred secoua la tête, ne sachant pourquoi il s'arrêtait sur ce nom. C'était l'un de ceux de la liste, pour ce qu'elle en savait, mais il ne lui évoquait rien. Pas plus que lui ne lui avait rappelé quoi que ce soit au premier abord. Il était aussi vrai qu'elle n'avait pas eu le temps de demander le nom de ses patients lorsqu'elle avait soigné à Alonna. En revanche, lorsqu'elle entendit le nom de la Rose Noire, ce fut à son tour de sursauter.

" Si ! J'évoque une "Joh" appartenant à cet ordre, juste avant mon amnésie ! "

Récupérant son carnet, elle alla rapidement vérifier le passage en question, confirmant ses dires. Oui, il y avait bien cette Joh et cet ordre qui étaient cités, sauf que ce n'était apparemment qu'une vague connaissance. Elle abandonna sa lecture lorsqu'un gargouillis se fit entendre, suivi des exclamations de Skarn.

" Qu'est-ce... "

Le magicien s'étouffait, avec elle ne savait quoi dans la gorge. Un instant, elle crut que c'était l'œuvre de Skarn, mais lorsqu'elle le vit qui essayait de retirer l'objet, elle comprit que ce n'était pas le cas. Pétrifié, elle regarda le vieillard mourir, constatant qu'il était trop tard. Elle aurait pu lui donner des tapes dans le dos ou tenter des compressions, elle aurait sans doute dû... mais elle ne fit rien. Lorsque tout fut fini, elle était livide, incapable de prononcer un mot.

Empoisonneuse... le mot tournait dans sa tête, menaçant de la faire éclater. Il fallait qu'elle réagisse, autrement, elle deviendrait complètement folle et surtout, incapable de se défendre. Car le souci était ben là : si elle était innocente, comment le prouver ? Elle se secoua mentalement : il était hors de question de se laisser abattre de la sorte. Jusqu'à preuve du contraire, elle s'accorderait le bénéfice du doute. Si elle se trompait, il serait temps d'improviser. En attendant, elle allait aller au fond des choses et essayer d'y voir plus clair.

" Je vais la voir, lança-t-elle subitement. Je veux dire, je vais essayer de lui parler, à cette Johann. Vous semblez la connaitre, sauriez-vous où je peux la trouver ? Après tout, elle est la dernière personne que je cite avant mon amnésie et la liste me renvoie vers elle. Je n'ai rien d'autre, pour le moment. "

Elle n'avait rien à perdre à essayer, en l'absence d'autres pistes. Sa volonté sembla pourtant vaciller un instant alors qu'elle lançait un coup d'œil interrogateur vers Skarn, une lueur d'inquiétude dans le regard :

" Vous allez me laisser chercher ? Vous n'allez pas me dénoncer maintenant ? "

Il avait annoncé qu'il ne la trainerait pas en jugement, mais il avait aussi enchainé sur le fait qu'il la considérait comme suspecte... on pouvait donner beaucoup d'interprétation à ce mot. Et si elle continuait à douter d'elle-même, elle n'arriverait pas à avancer. Et puis, parce que quoi qu'il pense, elle ne pouvait s'empêcher d'intervenir, elle ajouta en hésitant un peu :

" Quoique vous décidiez... faites soigner ces blessures. Par quelqu'un d'autre que moi, si vous n'avez plus confiance, mais ne laissez pas ça comme ça. "

La remarque lui paraissait dérisoire, mais lui fit malgré tout retrouver une certaine assurance. Se comporter en guérisseuse et non pas en empoisonneuse était bien tout ce qui lui restait et elle comptait s'accrocher à ça coûte que coûte.

Skarn donna un coup de pied dans le cadavre du vieil homme, comme poussé par la rage. Mais il ne semblait pas y mettre tout son cœur dans cette œuvre. A vrai dire, le général semblait parfaitement s'accommoder de la mort du vieux. Il se mit en tête de fouiller ses vêtements, mais ne trouva rien de vraiment intéressant. Juste un vieux couteau, et plusieurs pièces de monnaie, qu'il lança en l'air et rattrapa dans un sourire, avant de les mettre dans une giberne. Puis, il commença à relever la manche de sa veste sur son avant bras blessé. La plupart des traces de morsures étaient peu profondes et ne saignaient presque plus.

" Je guérit très vite de mes blessures. J'ai mal, mais cela finira par partir. Ma peau est devenue très dure, et à moins d'être profondément blessé, rien ne risque de m'arriver. Toutefois, je vous serais gré de me soigner la jambe. "

Il avait depuis longtemps repris le vouvoiement, alors qu'il lui avait presque parlée en disant "tu" lorsque le mage les avait attaqués. Méfiance dans son regard et ses paroles. Il s’assit par terre, enleva sa botte et releva le tissu pour laisser paraître la peau attaquée. Cette dernière saignait bien plus, la peau étant ici plus fragile que celle des bras. Etheldred se mit au travail rapidement, mais il était clair qu’elle n’était pas en état d’être très performante, perdue dans ses pensées, n’arrivant pas à se concentrer et sûrement troublée par la proximité du cadavre du vieil homme. Skarn fit un geste lui disant de s’écarter. Il se leva et pris le corps inanimé, qu’il cacha sous un bosquet. Ni vu, ni connu.

« Inutile d’aller plus avant. Vous vous y reprendrez plus tard. Je n’ai qu’a me faire fabriquer une canne. De toute façon, il n’y a aucune chance qu’une blessure faite par une créature magique s’infecte. Vous me soignerez en ville, dans ma chambre. »

Il se dirigea vers un arbre en boitant, non plus en trainant légèrement sa jambe. Il se saisit d’une branche épaisse et touffue par les feuilles et l’arracha de l’arbre. Il arracha avec énervement les autres branches moins épaisses et s’en servi comme canne-bâton de marche. Il fit quelques pas.

« Cela pourra suffire pour l’instant. J’aurais peut être besoin que vous m’aidiez à marcher vers mon cheval, je n’ai pas l’habitude d’utiliser un quelconque soutien. Maintenant, rentrons. J’ai besoin de retourner à la civilisation. Vous me soignerez à la caserne, je vous déposerais ensuite là ou vous logez.»

Bras dessus, bras dessous, elle l’aida quelque peu à monter (c’est un bien grand mot) sur son énorme cheval. Il s’affala dessus, le destrier ne semblant même pas troublé. Sans doute habitué à voir des hommes blessés sur son dos. Skarn lui murmura des mots incompréhensibles, et le cheval se mit doucement au pas. Etheldred, qui avait réunie ses affaires, marchait en silence à coté de lui. Skarn essaya de la détendre en lui parlant.

« Je crois que Johann est normalement à Erac depuis quelques semaines. Vous n’aurez qu’a aller la voir. Mais pas question de vous laisser vous balader seule, avec peut être d’autres personnes derrière vous. Je viendrais avec vous. N’ayez pas peur. Vous pourrez toujours essayer de trouver un autre remède pour ma jambe en attendant. »

Facile de dire ca lorsqu’on est affalé sur un cheval et en sale état. Il essaya de reprendre une position plus digne. Il avait mal à la jambe, il fallait le dire. Ils reprirent le chemin de la route et commencèrent à revenir vers la ville, Etheldred marchant à coté du cheval.

« J’espère que cela ne vous gêne pas de me soigner dans ma chambre, mais au moins, c’est plus confortable et isolé. Si vous voulez, nous pouvons trouver un endroit plus discret. »

" L'accusation dont vous faites l'objet n'est pas appuyée par des preuves. Je sais qu'il faut être prudent et pragmatique, mais je prefère me fier à mon ressenti. "

Elle finit de le soigner, et, une fois ceci fait, il se frotta rapidement le pied, les chambres de la caserne étant plutôt froides, et se rechaussa. Par contre, il devait encore garder le haut de sa cheville nue, ce qui lui donnait un air un peu étrange.

" Je ne vois pas d'empoisonneuse, juste une jolie guerisseuse amnésique qui semble avoir été embarquée dans quelque chose de bien trop grand pour elle. De plus, quelqu'un a essayé de vous tuer, ainsi que moi au passage, et je ne compte pas vous laisser seule dans la nature après cela. "

Il se mit à examiner son avant bras et à détendre ses muscles. Etheldred s'était legèrement écartée, pour laisser à Skarn la place de se mettre debout dans cette petite chambre. Il reprit la parole, beaucoup plus doux.

" D'ailleurs, je m'inquiète pour vous, Etheldred. Une personne a essayée de vous attaquer en ma présence, et ce mage a sûrement d'autres complices. Je me demande si vous laisser seule dans une auberge est une bonne idée. "

Il la laissa réfléchir quelques instant à ce qu'il venait de dire. Elle le regarda d'un air inquiet, attendant peut être une demande irrévérencieuse.

" Si vous voulez, je peux demander à ce qu'on vous reserve une chambre à la caserne. Au milieu de soldats, vous serez plus en sécurité, et je pourrais intervenir plus rapidement si besoin il y a. J'enverrais quelqu'un chercher vos affaires s'il y en reste là bas. Qu'en dites vous ? "

Certes, il n'y avait aucune preuve, mais elle pouvait comprendre qu'il se montre méfiant malgré tout. Aussi, lorsqu'il annonça qu'il préférait se fier à son ressenti, Etheldred lui jeta un coup d'œil indécis, n'étant pas certaine de ce que cela pouvait signifier. Préférant ne pas demander de précisions qu'elle n'était pas certaine d'apprécier, elle rangea simplement ses affaires, chaque sachet, bien refermé, retrouvant sa place. Mais Skarn se chargea de compléter, la faisant légèrement rougir sous le compliment. En tous cas, il avait raison : peut-être était-elle en danger. Seulement, elle ne voyait pas comment changer sa situation par miracle, aussi, elle eut un geste d'impuissance, estimant que si elle ne pouvait rien faire, s'inquiéter ne servirait pas à grand chose. Oh, elle ne sortirait plus sans être armée, mais elle n'avait pas grande confiance en ses qualités d'escrimeuse et se voyait assez mal tuer de sang froid tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un mage. Et puis, même en règle générale, une femme qui voyageait seule prenait déjà des risques, à moins d'être une combattante expérimentée, ce qui était loin d'être son cas.

" Je n'ai pas beaucoup d'autre choix, " remarqua-t-elle simplement en bouclant sa sacoche.

Non, rentrer seule à l'auberge ne l'enchantait pas, d'autant qu'elle entendait le mage répéter encore et encore qu'il serait comme un phare dans la nuit. L'expression de Skarn lui laissa pourtant supposer qu'il avait une autre idée en tête et elle le regarda d'un air interrogatif, quelque peu inquiète sur ce qu'il pouvait proposer. Disons que s'il avait prétendu lui faire relativement confiance, elle craignait un revirement de situation, ayant du mal elle-même à se convaincre de son innocence. Lorsqu'il lui proposa finalement d'occuper une chambre à la caserne, la jeune femme commença par secouer la tête :

" Non, tout de même... "

Tout de même quoi ? Au fond, qu'est ce qui était le plus risqué ? Pouvait-elle vraiment se permettre de refuser ? Elle se tut, hésita un peu, visiblement ennuyée. La peur n'était pas bonne conseillère, mais elle pouvait aussi éviter de trouver de nouveaux ennuis. "les autres te retrouveront", avait dit le mage. Apparemment, sa présence à Alonna les avait bien aidés. Combien de temps avait-elle avant de les voir revenir ? De là à s'installer à la caserne... il ne fallait peut-être rien exagérer, non ? Elle revoyait son auberge. Elle y était depuis suffisamment longtemps à présent pour qu'on sache où la trouver, surtout qu'elle s'était annoncée pour espérer trouver quelques clients. C'était un établissement plutôt bien famé, mais, si on devait lui chercher des ennuis, elle doutait que quiconque se porte à son secours par miracle.

" Je... eh bien... je ne veux pas déranger... "

Mais on entrait tout de même moins facilement dans une caserne que dans une auberge, à priori. Enfin, elle l'espérait, et ce fut ce qui la poussa finalement à accepter.

" Eh bien... si vous avez une chambre de libre... je veux bien. "

Cette solution lui retirait un certain poids, elle s'en aperçut immédiatement. Évidemment, se retrouver au milieu des soldats ne la mettait pas forcément très à l'aise, mais ce n'était pas pire que lors d'une bataille et c'était de loin mieux que des magiciens la traitant d'empoisonneuse. Oui, même si c'était un peu gênant, c'était aussi bien plus rassurant. Elle eut d'ailleurs un sourire soulagé, précisant :

" J'ai laissé mes armes, là-bas, et un petit ballot de vêtements. "

Au fond, il n'y avait que son épée à laquelle elle tenait réellement, le reste pouvait être aisément remplacé et elle voyageait léger. Ce qui importait le plus se trouvait dans sa sacoche dont elle ne se séparait presque jamais.

" Vous êtes certain que ma présence ne posera pas de problème ? Je peux... me débrouiller. "

Elle n'en était pas forcément convaincue elle-même, d'autant qu'elle s'était sentie plutôt inutile face au mage, mais elle avait bien réussi à faire le trajet des terres elfiques jusqu'à Alonna sans encombre, elle pouvait encore s'en sortir seule. Du moins... elle aurait bien aimé s'en convaincre. Elle avait appris à compter sur elle-même et, si elle en croyait ses écrits, cette manière de faire n'était pas nouvelle. Même engagée comme valet, elle avait continué à suivre son idée pour retrouvé la voie de l'herboristerie. A présent... elle n'avait plus qu'à espérer que Skarn garde ce que le mage avait dit pour lui. S'il ébruitait ses soupçons, elle risquait des ennuis bien plus réels que l'arrivée hypothétique de nouveaux mages.

" Non, dans cette situation là, vous ne pouvez pas vous débrouiller seule. Excusez moi si je me revèle brusque, mais je ne vois pas l'interêt de me voiler la face. Vous êtes en danger, et je ne vous laisserait pas seule. Sortons. "

Elle le suivit, et ils sortirent de la petite chambre de Skarn. Il arrivait à mieux marcher grâce au baume qu'elle lui avait appliqué. Ils marchèrent, cote à cote, ignorant les regards de quelques soldats murmurant derrière leur passage, Etheldred baissant la tête presque timidement. Lorsqu'ils passèrent devant un groupe de soldat accompagné de Bjorn, ils firent tous un sourire en "tête de troll" envers Skarn. Ce dernier les regarda durement et leur fit un signe de la main avec son cou. Leurs sourires disparurent et ils contemplèrent avec fascination leurs pieds ou leurs fond de verre. Skarn se dirigea vers Erwan, l'intendant de la caserne.

" Erwan, je réquisitionne un lit pour la demoiselle que tu vois ici. Je sais que plusieurs soldats sont en permission, et qu'il y a donc de la place. Je me trompe ?"

" Heu... je ne suis pas sûr que le sergent apprécie cela voyez vous... une jolie jeune femme au milieu d'un paquet de soldats, sans compter les rumeurs... "

" En parlant de rumeurs, je doute que votre femme apprécierait d'apprendre que vous allez au bordel toutes les semaines Erwan, et que le sergent se fait plaisir sur les prisonnières de temps en temps " répondit Skarn d'un air ecoeuré, alors que la température ambiante venait de baisser de plusieurs degrés.

" Je vais m'arranger, vous aurez votre chambre dans quelques minutes " répondit le soldat d'une toute petite voix, le visage écarlate, alors que Skarn, malgré le ton de sa voix, avait gardé un visage affable et acceuillant.

" Bien, je savais que je pouvais compter sur un soldat comme vous. " répondit le général. Il fit signe à Etheldred de le suivre, la prenant par le bras, et lui parla, à l'abri des regards.

" Bon, c'est reglé. Maintenant, je vous propose que nous allions chercher vos affaires à l'auberge. Vous êtes d'accord ? "

Elle lui donna son accord, peut être étonnée qu'il prenne tant de gants avec elle. Il la fit juste patienter quelques instants pour changer de vêtements, et revint avec des habits propres et civils. Ils sortirent tous les deux de la caserne, Skarn regardant tous ceux qu'il jugeait capable de faire courir des bruits sur lui et Etheldred. Dans son regard transparaissaient des corvées de patates et 50 pompes à faire au petit matin, et c'était assez terrifiant pour la plupart. A l'exterieur, peu de gens leur prêtaient attention, sauf pour regarder la taille de Skarn ou les formes cachées par la robe de la jeune femme à côté de lui. Le Nordique regardait autour de lui, s'attendant à voir des mages sortir du premier buisson venu.

Alors qu'ils marchaient dans les rues, Etheldred le guidant régulièrement pour aller jusqu'a l'auberge, Skarn eut une idée, alors que la nuit se préparait à recouvrir la cité de son manteau noir.

" La nourriture des casernes n'étant pas faite pour une femme telle que vous, me feriez vous l'honneur d'accepter une invitation à dîner ? "

Il avait parlé très vite, comme par peur de dire une bêtise ou de laisser son courage derrière lui. Il n'avait pas dû inviter de femme à manger depuis au moins dix ans, si on exceptait les invitations de courtoisie entre nobles, qui ne comptaient pas pour lui.

La réplique de Skarn avait au moins le mérite d'être claire. Elle ne pouvait de toute façon pas le contredire, étant donné ce qu'ils venaient de vivre. Alors certes, elle aurait préféré que tout aille pour le mieux, mais ce n'était pas le cas et il faudrait bien faire avec. Et puis, au fond, elle avait plutôt de la chance de s'être trouvée avec lui lorsque le mage avait débarqué. Elle voulait juste éviter que Skarn se sente obligé de faire quoi que ce soit pour elle alors qu'il n'était en rien mêlé à ses ennuis passés.

Ils sortirent de la chambre, la jeune femme feignant d'ignorer les regards plutôt amusés qui se posaient sur eux, ainsi que les réactions de Skarn. Elle aussi contemplait ses pieds avec grand intérêt, préférant faire comme si de rien était. La contemplation n'en devint que plus intéressante lorsque l'intendant prit la parole. Vu comme ça... Les rumeurs, elle s'en moquait un peu, il fallait l'avouer. Disons qu'elle tenait à sa réputation, tout de même, mais elle ne remettrait peut-être plus jamais les pieds à Alonna, alors ce qu'on pouvait y dire sur elle lui passait un peu au-dessus de la tête tant qu'on la laissait en paix. Après, évidemment, le problème était autre pour Skarn, mais c'était lui qui avait proposé cette solution, alors elle n'allait pas revenir dessus à présent. Elle lui jeta tout de même un coup d'œil afin de lui rappeler qu'elle n'exigeait rien et que si sa présence dérangeait, il était tant de changer d'avis.

Mais apparemment, le général n'en démordait pas et il proposa d'aller chercher ses affaires, ce qu'elle accepta immédiatement, le laissant aller se changer. Continuant à ignorer comme elle pouvait les coups d'œil que les soldats pouvaient lui jeter, elle n'eut pas de mal à penser à autre chose, les paroles du mage la poursuivant sans relâche. Et si... s'il avait raison ? Cette perspective lui faisait horreur et elle était touchée que Skarn ne la pense pas capable de telles monstruosités, mais... et s'ils se trompaient tous les deux ? S'ils finissaient par trouver des preuves ? Le ventre noué, elle essaya de chasser ses idées noires.

Heureusement, ses réflexions furent interrompues par le retour du général, qui l'entraina à l'extérieur. Dans la ville, il aurait été facile de s'approcher pour s'en prendre à eux et Etheldred ne pouvait s'empêcher de se montrer quelque peu nerveuse à chaque fois qu'ils croisaient quelqu'un. Elle s'aperçut même qu'elle avait instinctivement gardé sa main à portée de son couteau. Il fallait qu'elle se détende un peu. Ils avaient été attaqués en pleine forêt ; en ville, ce serait peut-être différent ? Elle avait du mal à s'en convaincre, d'autant que Skarn paraissait également sur le qui-vive.

Aussi, l'esprit concentré sur d'éventuels agresseurs, elle sursauta presque lorsqu'il reprit la parole, la proposition la prenant de court.

" Je... "

Elle avait eu pour premier réflexe de faire remarquer qu'elle n'était pas noble ou elle ne savait quoi et qu'elle mangeait donc "normalement". D'ailleurs, ces temps-ci, elle commençait déjà par s'estimer heureuse quand elle pouvait faire plusieurs repas complets par jour. Alors elle doutait que la nourriture de la caserne puisse lui poser problème. Ce qui risquait de l'ennuyer, en revanche, et lui fit ravaler sa réponse, c'était la présence des soldats et de leurs mimiques goguenardes à l'intention de Skarn. Et puis, il y avait l'invitation de ce dernier, qui sonnait très... très... elle s'aperçut qu'une nouvelle fois, sa mémoire lui faisait défaut à un instant où elle ne s'y attendait pas. Comme lorsqu'elle cherchait un mot de vocabulaire qui aurait dû venir spontanément et qui n'arrivait pas. Si lui n'avait invité personne depuis longtemps, elle ne se souvenait pas avoir été invitée du tout. Et, sans point de comparaison... elle ne savait pas trop ce que pouvait impliquer la proposition. D'où un instant de silence assez pesant pendant lequel elle essaya de concocter une réponse quelque peu embarrassée, sans trop savoir ce qu'elle cherchait à dire. Réflexion qui se soldat par un léger :

" Oui. "

C'était concis, c'était le moins qu'on puisse dire. Mais elle faisait comme souvent lorsqu'elle se retrouvait devant une situation nouvelle qui n'aurait peut-être pas vraiment dû l'être, elle allait au plus simple. Et le plus simple, c'était qu'accepter lui faisait plaisir. Elle esquissa même un petit sourire, alors qu'ils arrivaient finalement à l'auberge, bien qu'elle espère qu'il ne se fasse pas de fausses idées sur le fait qu'elle accepte un diner après avoir décidé de dormir à la caserne.

Etheldred n'eut pas longtemps à récupérer ses affaires et donner son congé à l'aubergiste. Ils auraient pu manger sur place, mais elle doutait que rester là où on pouvait savoir la trouver était une très bonne idée. Avoir son épée au côté et son arc à portée de main lui paraissait tout de même un peu plus rassurant. Non pas qu'elle sache si elle serait capable de s'en servir en cas de besoin, mais la simple présence des armes était agréable, bien que Skarn était de loin une "défense" plus efficace. Elle devait reconnaitre qu'avec lui, elle se sentait beaucoup plus en sécurité. Si elle avait dû rentrer seule à l'auberge, elle n'aurait pas fermé l'œil de la nuit.

" Quand pourrons-nous partir pour Erac ? demanda-t-elle finalement, avant de reprendre rapidement, non pas que je veuille vous presser... "

Disons que rester à Alonna ne lui paraissait pas très prudent et elle ne voulait pas trainer pour tirer son passé au clair, si tant est qu'elle ait une chance d'obtenir quelques réponses auprès de cette Johann. Mais en même temps, étant donné que Skarn prenait la peine de l'accompagner, la moindre des choses était de ne pas exiger un départ immédiat. Sans doute avait-il quelques affaires à régler avant de partir.

Skarn se mit à sourire doucement à la question de la jeune femme, ne laissant rien paraître de ses soucis.

" J'ai prévu de partir demain matin. Même si vos soins ont été efficaces, je ne suis pas en mesure de courir le pavé dans cet état. Je préfère être reposé et en forme, au cas ou... De plus, il est l'heure de manger, et il faut être en forme si nous devons voyager à marche forcée. "

A vrai dire, il ignorait ou l'emmener. Une taverne discrète serait le moins appropriée, car, au milieu de beaucoup de gens, ils ne risquaient rien. Mieux valait trouver un endroit un peu plus public. Mais faire musette dans un endroit trop huppé, qui ferait jaser et qui ne détendrait pas Etheldred serait plus une plaie qu'autre chose. Ils esquivèrent quelques enfants qui couraient. A cette heure ?!

Skarn regardait les armes d'Etheldred. Il avait un mal fou à l'imaginer se battre. Etait-ce pour avoir un sentiment de sécurité, ou parce qu'elle était autrefois peut-être une terrible combattante ? Mouais. Au vu de sa carrure, sûrement pas. Même si sa robe masquait presque l’intégralité de son corps, il doute qu’elle soit aussi musclée qu’une guerrière devrait l’être. Et elle n’avait pas non plus le caractère… quoi que, après une amnésie, on pouvait voir les gens changer de mentalité. Après avoir demandé à quelques passants intimidés, il obtint l’adresse d’une bonne tablée, ni trop cher, ni trop pauvre, et il y emmena une Etheldred sans doute surprise qu’il l’invite réellement à dîner. Skarn surmonta légèrement son appréhension. Il n’avait pas invité de femme à dîner depuis… depuis, depuis…

…

Soupir du général pour lui-même. Comment devait-on faire dans ce genre de situation ? Y avait-il des règles ou des codes à respecter ? N’aurait-il pas un comportement déplacé ? Il se gifla intérieurement.

• SKARN, TU AS PLUS DE TRENTE ANS, TU N’ES PLUS UN GAMIN PAR LES CINQ ! *

Il rassura la jeune femme sur sa capacité à payer le repas, et l’invita à prendre ce qu’elle voulait. Lui ne prit que de la viande et du fromage, n’étant pas adepte des légumes. Il commanda également du vin, sachant que l’eau était souvent de piètre qualité dans les auberges. Bien qu’il ait assez commandé pour deux personnes, il mangea le tout sans broncher, et avec toute la politesse et la mesure que son majordome avait réussi à lui inculquer. Etheldred se montra, elle, plus mesurée. Malgré le fait qu’ils ne se connaissaient que depuis très peu et que la situation de la jeune femme était assez tendue (Skarn ne se sentait aucunement en danger), il essaya d’engager plusieurs fois la conversation, mais faire plus ample connaissance avec une amnésique reste toujours ardu. D’autant que, si Skarn n’était pas un grand bavard, Ethel l’était encore moins, et il décida finalement de la laisser tranquille, se concentrant sur son assiette. Elle devait peut être penser à autre chose, et il attendit poliment qu’elle finisse son assiette pour partir de leur table. Lorsqu’ils se retrouvèrent dehors, il faisait nuit noire, et la ville était faiblement éclairée. Ils marchèrent tous deux dans les ruelles sombres désormais peuplées des gens au métier nocturne. Voleurs, pouilleux et prostituées de passages jouaient à cache-cache avec des gardes pas forcément motivés. Une catin appela Skarn pour lui dire de venir la rejoindre, mais le général déclina poliment l’invitation. Ils revinrent prestement vers la caserne, où Skarn salua rapidement quelques soldats encore réveillés.

Quelque uns jouaient aux cartes, et rangèrent le tout prestement lorsque le général arriva, mais il resta clément et leur souhaita une bonne partie. Ils le regardèrent d’un air presque choqué, avant que leurs regardes ne pivotent vers Etheldred, et ils adoptèrent tous d’un coup cette expression de face de troll. Il lança un regard discret à la guérisseuse qui semblait accuser la fatigue, et lui lanca un sourire encourageant. Ils arrivèrent ensuite devant leurs « chambres » respectives. Skarn posa les bagages d’Etheldred, ayant insisté pour les porter, et ils restèrent silencieux l’un devant l’autre, pendant quelques instants. Puis, l’homme rompit le silence.

« Bonne nuit Etheldred. Si jamais il y a un problème, je suis à coté. A demain, et dormez bien » dit il avant de faire une raide révérence, penchant son buste en avant, le regard vers le sol. Puis, il fit volte face, et battit en retraite dans sa chambre.

Savoir qu'ils partiraient dès le lendemain était un véritablement soulagement que la jeune femme ne chercha pas à cacher. Évidemment, être par monts et par vaux ne serait pas tellement plus sûr car les dieux seuls savaient ce qu'ils pourraient croiser sur les chemins, mais le meilleur moyen de ne pas être retrouvée restait encore de ne pas rester sur place à attendre bêtement. Rien ne la retenait à Alonna et à présent il n'était plus question de se contenter de faire une croix sur son passé. Elle refusait d'accepter placidement qu'elle était une empoisonneuse. Et pourtant... comme elle l'avait avoué, elle en avait largement les capacités.

Skarn n'avait pas l'air de savoir où l'emmener diner et comme elle ne connaissait pas tellement la ville, elle ne risquait pas de pouvoir l'aider. Finalement, il choisit un établissement ni trop pauvre, ni trop luxueux et ils s'attablèrent, Etheldred essayant de se comporter normalement, même si elle se posait un peu les mêmes questions que Skarn. Engager la conversation n'aida pas beaucoup, car la jeune femme n'osait pas poser de questions indiscrètes et était bien en peine de répondre à propos d'elle-même. Même si elle avait reconnu ses liens avec les elfes et qu'elle avait été surprise qu'il ne s'en offusque pas, elle avait juré de ne rien révéler sur son séjour, ce qui rendait la discussion d'autant plus difficile. Les rares fois où elle butait contre un mot qu'elle ne retrouvait pas achevaient de la convaincre qu'elle aurait mieux fait de se taire. Finalement, manger en silence s'avéra être la meilleure solution. Elle n'avait pas commandé grand chose, autant parce qu'elle ne voulait pas abuser de l'invitation que parce qu'elle n'avait de toute façon pas un gros appétit et Skarn n'eut pas beaucoup à attendre après avoir fini de manger pour qu'elle termine son repas.

Lorsqu'ils ressortirent, la nuit était tombée et Etheldred qui avait au moins réussi à se détendre un peu pendant le repas, eut à nouveau l'impression d'être épiée. Autant dire qu'elle avait hâte de retrouver les murs de la caserne, même si là-bas elle eut droit à de grands sourires réjouis qui la firent à nouveau baisser les yeux vers ses chaussures avec un petit sourire gêné. Le coup d'œil encourageant de Skarn la remit un peu d'aplomb, ce qui ne l'empêcha pas de ne pas trouver ses mots quand ils arrivèrent devant leurs chambres respectives. Elle finit tout de même par lâcher "bonne nuit", puis, un peu tard, un "merci", qu'il n'entendit sans doute pas.

Il valait mieux qu'elle aille dormir rapidement si elle voulait être en forme le lendemain. Prenant tout de même le temps de passer une pommade sur sa jambe qui avait été serrée par la racine du magicien, puis d'écrire quelques mots dans son journal qui lui était devenu si précieux, elle garda pourtant les yeux grands ouverts un long moment, chaque petit bruit la faisant sursauter. Les derniers événements tournaient encore et encore dans sa tête mais elle finit par s'endormir sans s'en rendre compte. Un sommeil aux rêves quelque peu agités qui la firent se réveiller en sursaut au petit matin, sous les cris d'"empoisonneuse !"


[fin du rp]