Une palissade desservant un donjon, muni d'un pont levis, tel était la forteresse dont Amidas avait pu se satisfaire. En son voeu, il avait souhaité que la palissade englobe plus de la moitié de la population vivant près de là. En réalité, elle ne couvrait que sa propre demeure. Alors que la paysannerie râlait d'un seigneur d'un égoïsme profond, le chevalier les protégeait de toute attaque et savait prendre les armes lorsqu'il y avait nécessité. Pourtant, les vilains ne se trahissaient pas et n'auraient su reconnaître la valeur de leur seigneur. On le disait bon et généreux seulement parmi les classes les plus aisées, qui, affectées par une crise, se trouvaient lésés par le manque de moyens efficaces employés. Dans un climat propre à la méfiance du seigneur que l'on soupçonnait encore d'un fratricide volontaire, Amidas contemplait du haut du donjon son fief. Plongé dans ses pensées, il ne cessait de chercher une solution à la pauvreté qui envahissait rapidement la plupart de la région. Souvent, il s'en remettait à la prière qui l'accablait. Il avait tué son frère cadet et cette image lui revenait sans cesse. Il ne pouvait que contempler le meurtre qu'il avait commis et Néera, comme lui-même, n'était pas enclin à lui pardonner. Plus que d'ordinaire, il laissait le code régir sa vie. Il avait à se racheter de ses mauvaises actions, s'il le pouvait.
A cet instant, un homme vêtu richement d'un rouge pourpre vint rejoindre Amidas, admirant toujours la beauté d'un fief, tout réceptif à sa parole (qu'elle fût bonne ou non). C'était Gaudiasse de Vral, son plus proche conseiller, un ami fidèle. De basse noblesse, le chevalier lui avait accordé néanmoins toute confiance, et bien souvent ses dires lui étaient d'une grande aide. Il lui confia alors, après s'être enquis de son humeur, qu'une Dame avait fait son apparition et demandait, en cette journée vacillante, un gîte pour passer la nuit. Elle n'était pas moins Maélyne d'Outremont et un accueil convenable serait impératif. Avec intérêt, Amidas demandait encore à Gaudiasse si elle était déjà là. Quand il fut prévenu que ce ne fut pas le cas, il descendit avec sérénité dans la salle de réception où il fit bientôt face à un messager.
"Vous êtes les bienvenus sur ces terres, brave homme. Il me tarde de rencontrer votre maîtresse et c'est avec estime que vous lui renverrez le message suivant. Avec déférence, je m'adresse donc à elle et à ses gens. Elle est, plus que tout, invitée à séjourner en ma modeste demeure, qui, je l'espère, saura l'agréer. Sa présence est un honneur fait à la maison de Monragne."
Tandis que le garde se dépêchait déjà de rejoindre la Dame, on dressait alors la table qui saurait accueillir les mets truculents, servis pour sa considération. En cuisine, l'agitation était à son comble tandis que la salle de réception était infestée de ces petits rats si utiles à la préparation d'un repas digne. Bientôt, Amidas s'en alla se revêtir plus noblement, ajoutant à son délicat pourpoint d'un rouge flamboyant et à ses bas d'une blancheur immaculée, une note dorée qui fut présentée sous la forme d'un médaillon fort précieux. Ainsi, il retournait tout gaiement en salle de réception, contrôlant le rythme infernal des domestiques. Mais bientôt, Maélyne serait là.