Entre Essenburg et Oësgard

      C'était une journée comme une autre, dans la trouble contrée d'Oësgardie, mais elle avait ceci de différent qu'on sentait comme un parfum d’allégresse dans l'air. Qu'on eut un jour apprécié ou abhorré le Terrible, la nouvelle de sa défaite ouvrait de nouvelles perspectives aux braves petites gens qui espéraient, dès lors, la fin des rapines, pillages et autres lots communs des guerres des Hommes.
      La route entre Essenburg et Oësgard-la-Capitaille n'avait rien de particulier. Elle n'était pas longue, on pouvait passer de l'une à l'autre en moins d'une journée à cheval, et si ce n'était un petit bois que les hommes avaient sans doute un jour nommé mais dont la désignation échappait à votre serviteur, ce n'était que du plat pays. Le voyageur pouvait à loisir traverser ou contourner, mais comme souvent, il était plus rapide et plus direct de se perdre entre les bras des arbres, même si plus dangereux.
      Parce qu'il était plus aisé d'embusquer une troupe sous le couvert des arbres, quelques six cents épées d'origine indéterminées attendaient dans le Bois-Sans-Nom, espérant que leur proie viendrait se jeter dans leur gueule.

      Aux chroniqueurs revint la tâche de démêler le vrai du faux, dans guerre d'Oësgardie, dit Guerre des Traitres car d'aucuns disaient qu'il n'y en eut pas un, sinon Norman et Odacre eux-même, pour ne pas retourner leur casaque au moins une fois. Fenricks de Courreau, alors sire de Dormmel, devait cependant rafler la mise, car il fut le seul à se parjurer deux fois ; qu'importât qu'on comprit plus tard que la première n'était qu'un piège, car la seconde il le fit devant Néera elle-même, lui mentant les yeux dans les yeux. On dit que dans les tentes, peu avant la levée du siège d'Oësgard-la-Capitale, il prit à parti ses capitaines et lieutenants et leur dit, peu ou prou, que vivre noble ne signifiait pas vivre noblement mais vivre pour un peuple. Qu'on tînt ses paroles comme étant foutaises ou non, le bougre s'y tint et dans les heures qui suivaient, il jurait devant la Damedieu qu'il se battrait aux côtés de Goar.
      Le maître d'Amblère ne devait cependant pas faire aveuglément confiance à son nouvel allié et mêla quelques uns des siens dans l'ost de Courreau. Ce furent ces hommes là qui, comprenant que le félon se parjurait une seconde fois, firent le nécessaire : quelques uns rallièrent Essenburg et les autres retournèrent à Oësgard. Si bien que, prévenu, Sebastian prit un malin plaisir à inverser les rôles. La bataille fut brève et lourde de conséquences pour les six cents braves qui, sans comprendre vraiment pourquoi ils devaient les alliés d'hier pour le compte de ceux d'avant-hier, s'étaient préparé à embusquer, non à l'être. Il y eut des hommes du sanglier devenu lion pour tomber, mais moins, beaucoup moins que ceux de l'homme de Dormmel, qui avait eu la bonne idée de ne pas s'en mêler. Derrière les murs de sa forteresse, il ne put assister à la déconvenue. Encaissant un temps le choc, l'ost céda bien vite et s'il y en eut pour tuer, il y en eut plus pour mourir et pour fuir.
      Ainsi, en comptant les blessés qui ne pourraient tenir une épée avant un moment, Sebastian perdit une trentaine d'hommes. Dormmel, d'un autre côté, vint tomber deux centaines de braves et une autre centaine se dispersa dans les bois, tentant de rallier une terre plus hospitalière. Des trois cents restant qui, finalement, se rendirent, ceux qui avaient cru en l'alliance des deux seigneurs et se sentaient, d'une façon où d'une autre, liés par le serment de leur félon de maître, ceux là se rangèrent aux côtés de Sebastian. Une soixantaine de chevaliers s'y refusèrent cependant et purent être traités en otages.