Un mal inconnu

Une curieuse scène se déroulait dans la chambre du marquis, au cœur du castel séraphin. Les médecins, guérisseurs et rebouteux en tout genre avaient cédé le pas au valet Jaljen, le fidèle d'Aymeric, pour qu'il apportât leurs prescriptions. Le bruit du mal inconnu qui accablait depuis des semaines le seigneur de Serramire ne faisait qu'augmenter, car malgré son sursaut de santé parvenu à la fin de l'hiver, il semblait que la nouvelle crise lui serait fatale.

Le marquis, hagard, tendait des bras ballants vers son serviteur, dont il ne percevait plus que l'écho des pas, après que le mal inconnu eût rendu ses yeux débiles. "Preste, mon tonique, je me sens partir, Jaljen..." murmura Aymeric dans un râle. Cela faisait des semaines qu'il demeurait ainsi catatonique, offrant aux praticien cette macabre comédie, toujours oscillant entre les deux mondes. On l'avait tenu loin de toute populace, et pourtant, le mal continuait de le ronger, ce qui n'avait pas manqué de susciter la rumeur.

"Jaljen, mes gens, se portent ils bien, mes gens ? L'automne approche, battons les blés... Les bats tu aussi, les blés, Jaljen ? Qu'ouï-je, que fais tu, ne traine pas."

Le valet bredouilla un oui bien faible, comme il échangeait sur le secrétaire les fioles des médicastres, et un petit flacon qu'il tira de son escarcelle. Il transvasa habilement le contenu de récipients, jetant sans attendre le tonique aux fleurs, lesquelles n'avaient jamais paru si belles. Il se retourna en silence, et vint porter jusqu'aux lèvres même le poison à son maître. Ce dernier but goulument, avant qu'une grimace ne lui distorde horriblement le visage.

"Pourquoi diable faut il que ce soit si infect, Jaljen?
- Il le faut bien, pour que vous viviez, messire
- Certes, certes"

Il ne s'écoula pas plus de quelques minutes, durant lesquelles le valet scruta intensément son seigneur, jusqu'à ce que ce dernier ne fût pris de vertiges, et ne menaçât de se pâmer.

"C'est bien, Jaljen, c'est bien, haletât un Aymeric aux portes de l'Outremonde, j'agiterais la cloche si j'en sens le besoin. Maintenant va.
- Bien, messire."

Son triste méfait accompli, le bon Jaljen tourna les talons sans attendre. Il reviendrait le lendemain, répéter inlassablement les mêmes actes, comme il le faisait depuis des semaines.