Celle qui Guide, se Souvient et Raconte [Public]

Elle était apparue au terme d'une matinée particulièrement brumeuse, et ceux qui écoutaient ne pouvait ignorer le curieux sentiment qui parcouru les Frères et les chants qu'ils partagèrent, la nostalgie d'un autre temps, la retrouvaille d'une semblable, à leur image témoin de l'écoulement, insensible à son passage, elle est celle qui contemple, assise, depuis la rive sans subir son courant, tandis qu'ils la bordent.

Aux plus anciens parmi les Fils, son visage put évoquer de lointains souvenirs, d'une époque où ils n'étaient guère plus que des jeunes pousses s'abreuvant et tirant de la forêt la connaissance qui les feraient plus tard s'épanouir. Ils avaient vieillis, quoiqu'en dise les légendes et les mythes, l'éternité leur pesait tout autant que leurs devoirs, et par moment, sans doute, la terre dont ils étaient issues les rappelait et son chant était de plus en plus attirant. Ils avaient vieillis et pourtant, à cet instant, ils eurent l'impression de rajeunir, que le temps s'écoulait à rebours alors qu'il découvrait cette vision du passé.

Elle se présenta à eux sous le nom qu'elle portait lorsqu'elle était jadis une Fille de Kÿria, réclama une audience auprès des chefs et des anciens. Ces visages et ces noms… Celle qui se Souvient ne se les rappelait pas, car il est un prix à payer pour qui contemple aussi longtemps le courant, pour qui consacra des vies entières à enseigner et à partager, elle avait vu tant et tant de visages, entendu tant et tant de noms, la plupart similaire malgré leur individualité que pas un seul ne préservait son caractère unique.
Au terme d'un entretien qui s'étira, elle se rendit auprès de l'Eäla locale, tout au moins en sa demeure, son sanctuaire, car telle était la condition qu'elle avait d'elle-même posé. Elle désirait demeurer là, un temps, mais ne souhaitait pas froisser sa Sœur – c'est le terme même qu'elle employa -, aussi passa-t-elle une partie de sa première nuit là, à écouter le Chant, guettant la moindre désapprobation quant à sa présence, quant à ses intentions.
C'était un dessein qu'elle nourrissait depuis peu… Depuis qu'elle s'était éveillé d'un sommeil prolongé au sein de l'Esprit. Jusqu'à lors, elle avait été Celle qui Guide les êtres d'exceptions s'égarant sur des sentiers dont ils ne pouvaient revenir par eux-même, elle avait erré, loin de tout autre, à la recherche de ces individualités rares sans plus vraiment se soucier de tout autre parmi les Filles et Fils, mais cette époque était à présent révolue… Comme autrefois, elle offrirait à tous le fruit de Celle qui se Souvient, l'expérience de ses nombreuses existences.

Dès lors chaque jour, elle réunissait les plus jeunes, tout d'abord, et se mit à leur conter bien des histoires… Elle évoqua des vies d'un temps abstrait, était-ce il y a quelques siècles, ou plusieurs millénaires ? L'avait-elle connu ou lui avait-on apprit ? Indistinctement, car incapable elle-même de se souvenir de ce qui fut sien et de ce qui fut autre, elle offrit le récit de mille vies.
Certaines étaient ordinaires mais ne semblaient pas l'être dans sa bouche, des Fils ou des Filles ayant accompli une chose qui lui paraissait, à elle, digne d'être transmise, dans sa simplicité ou pour le plaisir d'évoquer une chasse palpitante – il était même délicat de savoir si il s'agissait de la chasse menée par des elfes, ou sous ses traits animale - et la faire partager, car telle était la véritable nature de la Symphonie, telle était ce qu'elle voulait transmettre.
Certaines feraient échos à qui connaît l'Histoire, des noms qui s'élevèrent si haut que le rayonnement de leurs actions portent encore aujourd'hui, mais elle y offrait un point de vue pour le moins singulier et unique, celle de la spectatrice, de celle qui assiste et contemple ceux qui se verront grandir dans les récits et les chants qui seront plus tard écrits à leurs gloire, sans toutefois jamais les dépeindre ainsi.
Elle évoqua parfois sa propre existence, louant l'éternité offerte aux enfants de Kÿria et condamnant ceux qui s'empressaient sans plus tendre l'oreille, et à ce sujet, elle raconta avec passion la vie d'un de ses Frères dont elle connu les parents, elle le découvrit à l'état de gland et demeura auprès de lui de cet instant où elle perçut son premier chant, jusqu'à le voir s'épanouir, imposant même parmi ses Frères, l'accueillant dans ses branches où elle aime encore aujourd'hui aller se reposer, de temps en temps.

Elle attira un public plus étendue, des moins jeunes s'arrêtaient pour écouter, de cette Noss, d'une voisine… Elle ne faisait aucune distinction, elle offrait à tous le fruit de sa contemplation plusieurs fois millénaires.

Parfois, mettant en scène la confidence, comme pour offrir à chacun un secret des plus rares, même parmi ses Frères, inestimable, même, elle évoquait avec curiosité et un sentiment étrange un temps très ancien, une époque précédant les Filles et Fils, et où la Déesse foulait encore le sol de son Jardin. Elle tentait d'offrir un aperçu du sentiment que suggérait la Mère, alors, tout en faisant l'aveu de son échec, car les mots, disait-elle, sont finalement si faible, si maladroit et impropre à chanter les émotions, et finissant chaque fois par les encourager à écouter, à tendre l'oreille, à chercher, si la curiosité les ronge, les plus anciens parmi ses Frères, à demeurer auprès d'eux tout comme ils demeuraient là, assis devant elle… Alors peut-être auraient-ils la chance de l'entendre évoquer avec toute sa nostalgie d'ancêtre, cette époque où il régnait et où il était l'un des rare à pouvoir contempler et apprécier le Chant de la Mère.
Ce chant ne lui appartiendra peut-être pas, ajoutait-elle, mais croyez-le, ils n'évoquent que rarement ces temps, ça n'est pas pour en détériorer le souvenir.

Ainsi revint Aerlinn Merileryn, Celle qui Guide, se Souvient et Raconte.

HRP:

8ème ennéade, Favriüs de l'an 8 du Cycle 11
Terres d'Eteniril

C'est lors d'une matinée brumeuse qu'Elle arriva. Elle se présenta sous le nom de Aerlinn Merileryn, Celle qui Guide, se Souvient et Raconte, demandant une audience aux anciens du clan. La Symphonie semblait se déformer autour d'Elle et le chant des Arbres redoublait lorsque l'on se trouvait à moins d'une demi-lieu d'Elle. Lors de la petite réunion où seul le chef guerriers, sa femme, prêtresse de la Déesse, leur fils Ëninríl et la Druidesse auparavant son mentor furent conviés. Les deux femmes et le druide comprirent tout de suite à qui ils avaient à faire, à cette elfe qui inspirait dès le premier regard un sentiment de bien-être envoutant et dès les premières paroles une attention hypnotisant. Tout dans son attitude, de sa démarche féline à ses traits semblant éternellement gravés dans le marbre imposait le respect que l'on éprouve pour une Déesse. Elle s'assit au pied de l'Arbre Mère, qui trônait au centre de la clairière et tous purent entendre et ressentir l'Ëala qui l'habitait se réveiller au contact de sa Sœur. Tous comprirent alors Sa nature.

Personne, pas même les deux druides, ne souhaitèrent approcher l'Esprit au corps d'elfe qui était apparu dans le camp. La vie de la Noss était suspendue par sa simple présence. C'est alors que les enfants s'approchèrent. Elle se tourna vers eux et leur conta une légende, comme seul les hérauts d'Anaëh savait les conter, mais cette fois avec bien plus de passion que ne pouvais en fournir la druidesse du clan. Une grande nostalgie s'installait alors sur Son visage, alors que ceux des enfants étaient littéralement captivés par Ses lèvres qui remuaient pour sortir des notes merveilleuses. Et chaque nuit elle veillait là, au pied de l'Arbre, alors que la clairière s'endormait, charmée par les paroles divines dans lesquelles elle avait enveloppé les Ornedhels.

L'un de ces jours, lors de la huitième ennéade, Ëninríl se posta derrière Elle et attendit, en fermant les yeux pour laisser la Mélodie le pénétrer, que l'elfe ait fini ses récits aux mille merveilles. Elle conclut par une phrase que nul ne comprit sur le moment, mais resta sans doute gravée dans les esprits.

"_ Ce chant ne lui appartiendra peut-être pas mais croyez-le, ils n'évoquent que rarement ces temps, ça n'est pas pour en détériorer le souvenir."

Le druide se rapprocha, en silence jusqu'à se tenir à portée de bras. Il repassa alors devant Elle, s'exposant à sa vue et à son regard pénétrant. Lui ne broncha pas, et pris silencieusement la main d'Aerlinn, en la fixant de ses prunelles vairons. Ainsi sous l'Arbre Mère, silencieux, les deux êtres se regardaient. Sous l'influence de l'un ou de l'autre, ou peut-être même de l'Ëala qui habitait ce lieu sacré, une branche vint à ployer, offrant aux deux elfes la douceur du toucher des jeunes feuilles.

"_ Marchons un peu, si vous le voulez bien", déclara le druide, brisant le silence.

Elle avait oublié pourquoi elle s'était toujours plu, dans une vie passée, à instruire et à partager une sagesse acquise par l'expérience de nombreuses vies autant que par le partage et le récit, mais en ce lieu, à cette occasion, la chose lui était revenue.
La jeunesse s'émerveille et se réjouit d'un rien, elle ne doute pas et ose tant. Ces Filles et ces Fils se moquaient qu'elle put être une Eäla, ils ne redoutaient pas son contact, ne tremblaient pas à l'idée de s'adresser à elle, ils ne voyaient en elle qu'une conteuse aux innombrables histoires qu'ils prenaient plaisir à éntendre, mais elle était également celle qui les écoute, les conduisait à le faire en évoquant ceux qui les précédèrent dans sa mémoire ainsi que leurs modestes aventures.
Et tout cela, le temps semblait l'effacer… Et la joie et l'opportunité saisit sans hésitation faisait place à une crainte respectueuse qui lui semblait tellement ennuyeuse… Ces Filles, ces Fils n'avaient pas connu un cycle et il semblait pourtant déjà épuisé par une vie qui ne les surprenait plus.

Lorsque la dernière histoire du jour fut achevée et que son jeune auditoire s'était éparpillé, un Fils sembla avoir décider de braver sa crainte et poussait plus loin sa curiosité, jusqu'à lui prendre la main… A ce contact qu'elle lui autorisa, dans cet instant qu'elle permit, que pouvait bien ressentir le Fils ? Il lui semblait qu'il empruntait un sentier qui ne le conduirait qu'à la déception et à la douleur, lorsqu'il comprendrait qu'elle n'en partageait pas l'intention… Tout ceci appartenait à une autre vie, c'était une émotion propre à la jeunesse. Elle le laisserait s'y essayer, elle le laisserait espérer, si d'aventure il décidait de s'y égarer, mais ce qui se trouvait au bout de ce chemin, elle en connaissait déjà la nature. L'expérience fait parti de l'apprentissage.

Elle rompit le contact une fois sa demande formulée, se détournant de lui pour récupérer ses quelques affaires, posant une main sur le tronc de l'Eäla, fermant les yeux et formulant comme à son habitude une vieille formule, avant de se retourner vers le Fils.

« Guide nous, Fils. »

"Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage."
Proverbe Sylvain

Aerlinn lacha sa main et invita le druide à la guider. Lui, enivré par la simple présence de l'Ëala, acquiesça d'une geste absent de la tête. La bulle spirituelle qui entourait la druidesse millénaire faisait retentir la Symphonie de façon particulièrement harmonieuse, lui faisait revêtir ses plus belles parures aux oreilles d'Ëninríl. Il sentait également l'influence de l'Arbre Mère derrière eux qui semblait accompagner la Mélodie de la Soeur. Plongé entre ces deux sources du Chant, l'Ornedhel semblait en transe. Tandis qu'il avançait vers l'orée de la clairière, il s'immergea plus profondément encore dans la Symphonie et découvrait des aspects inconnu. Jamais auparavant, excepté lors de son Épreuve et du Cycle, il n'avait ressenti une telle connexion avec Anaëh, connexion qu'il intégrait au plus profond de lui même, et qui décuplait son pouvoir druidique. Il le sentait. D'une voix détachée et pourtant emplie des accents de son allégresse intérieure, il dit :

"– Je ne suis pas votre Fils, je suis votre Frère.," dit-il avec une infinie douceur.

Il chercha à nouveau le contact de l'Esprit, et le temps sembla s'arrêter. L'Harmonie qui regnait dans l'esprit de l'Ornedhel redoubla en intensité. A ce moment, il ressenti comme un appel de la Forêt venant du plus profond de ses entrailles, une invitation à faire pousser ses ailes et à s'envoler au dessus de la cime des arbres. Sa conscience animale voulu prendre le dessus sur celle elfique. En un éclair, le druide aperçut un retour à la vie animale. Douceur, Liberté ou Douleur et Entrave, il pouvait choisir. Dans un instant de lucidité, l'elfe parla le premier, et le druide se força à rompre le contact. Il relacha la connexion qu'il avait quelques secondes auparavant avec Anaëh et la voix de sa mentor résonna dans son esprit : "Toute ta vie, tu devra résister à cette tentation permanente. ton âme animale voudra constamment se réveiller et prendre le dessus. Elle te promettra liberté et multiples autres aspects, mais tu quittera alors définitivement ton corps d'elfe et tu ne pourra plus remplir la mission pour laquelle Kÿria t'a destiné : protéger Anaëh. Résiste à la tentation, mon enfant.".

Ëninríl parvint à sourire. Il se tourna vers l'Ëala et lui dit, presque puérilement :

"– Voulez-vous apprécier l'un des plus beaux spectacles qu'Anaëh a à nous offrir ?"

Les Noss derrière eux sortait de leur torpeur et s'attachait aux derniers détails pour la plus grande fête pour la Noss : la Lothod Mereth.

HRP:

Elle s'était finalement éveillée, il y a quelques ennéades de cela, pareil au papillon quittant sa chrysalide, elle contemplait et foulait de nouveau de ses propres pas les sentiers sauvages de la Première Fille, appréciant la mélodie de ses Frères plutôt que d'en percevoir comme un faible écho, lointain, distant, étouffés par les feuillages et les racines de ce qu'elle désignait sobrement comme l'Esprit, Celui qui fut son Cocon, un millénaire durant… Elle s'était laissée aller à un bien trop long sommeil, épuisée par des siècles à devoir endosser le rôle de Favorite, Son Oreille et Sa Voix, mais c'était désormais derrière elle, endormi sous les traits d'une Fille de Kÿria, elle s'était éveillée selon le vœu qu'elle avait formulé au moment de s'éteindre.
Le jeune Fils qui la guidait à présent, tout autant que les visages qu'elle contemplait à présent chaque jour, lui évoquant la multitude des visages et des noms embrouillés, confondus dans sa mémoire, la confortait dans le choix qu'elle fit un cycle plus tôt, de demeurer sous ces traits et poursuivre cette tâche qu'elle s'était donné, il y a plusieurs vies.
Qu'importe les siècles auxquels il pouvait d'ailleurs prétendre, ce qu'elle observait chez lui, percevait, c'était une excitation de jeune garçon, non pas la surprenante lassitude, cette impression que donner les « Anciens » de ne plus s'étonner de rien, de ne plus autant apprécier le temps accordé, l'opportunité offerte et les plaisirs de l'expérience ou de la contemplation. En cela, comme les autres jeunes qu'elle avait retrouvé avec plaisir dans ces camps, elle lui devait une volonté parfaitement retrouvé, préservé malgré des siècles de répétitions qu'on pouvait croire l'avoir usé.

« Tu n'es pas notre Fils pas plus que tu n'es notre Frère. » Y verrait-il un rejet ? Il s'appropriait et détournait la façon qu'elle avait de désigner les choses, mais en comprenait-il seulement le sens ? Qu'il emploie ses propres mots, ses propres désignations, mais qu'il ne la reprenne pas. « Tu as tes mots, tes considérations, ta manière de désigner le monde qui t'entoure, Fils, nous avons les nôtres, ne l'oublie pas… Ne prétends pas mieux savoir que nous. »

Ça n'était pas dit avec agressivité, c'était simplement énoncer des faits, une réalité, quand bien même celui qui semblait vouloir se rapprocher y verrait les signes d'une distance maintenue. Elle était Celle qui Guide et Raconte, en aucune manière Celle qui s'Attache, ça n'était pas là le genre de relation qu'elle aspirait à nouer… C'était là les préoccupations de Celle qui fut Aerlinn, ce sont celles, parfois, de la Blanche, mais aucunement d'elle-même, même aujourd'hui qu'elle s'épanouissait à nouveau.

« Tu sembles t'égarer, Fils… Leurs Chants t'affectent-ils tant ? »

Elle ignorait le sujet de ses égarements, elle ne pouvait que les constater, de diverses manières.
Derrière eux s'agitaient les Filles et Fils en vue des ultimes préparatifs de ce qu'il présentait comme l'un des plus beaux spectacles que la Première Fille avait à offrir.

« Si jeune... »

Si ignorant… Si il était vrai que cette célébration, pour y avoir assisté à de nombreuses reprises, tant qu'elle en avait perdu le compte, valait le détour, qu'elle méritait qu'on s'y arrête, qu'on y participe, de là à la classer parmi les plus belles choses que pouvaient offrir l'Anaëh… Dans quelle ampleur s'étendait la liste de ces spectacles ? C'était un enthousiaste, mais c'était un jeune, et elle l'avait a de maintes fois observé, ou contempler à travers l'Esprit ce trait… Les Filles et Fils étaient devenus impatients, même au sein des Noss, quand bien même il existait de superbes choses à contempler, dès lors qu'on y prêtait le temps et l'attention que cela exigeait.

« Vous semblez avoir aussi bien prit soin de lui que lui de vous… Il se porte bien, et depuis notre dernière venue, il s'est encore davantage épanouit, déjà magnifique alors, le voila véritable souverain en ces bois, majestueux… »

C'était de lointain souvenir qu'elle remontait… Avant de devenir l'Esprit, avant de devenir Sa Favorite… Dans une vie qui a précédé celles-ci, il était loin d'avoir l'allure de ces jours, bien que déjà alors, il se destinait à être un géant.

De famille en famille les valeurs restaient. De famille en famille l’amour disparaissait. Des Noss aux cités il y avait tout un univers, mais d’une Noss à l’autre il restait un monde. Les druides et eux seuls savaient transplaner, car leur condition transcendait les barrières. D’une Noss à l’autre parfois les flèches se pointaient et les lames s’entrechoquaient, mais grâce aux Druides, les mythes se partageaient. Les secrets des uns devenaient les légendes des autres. Le trésor des uns devenait la convoitise des autres. Les habitants de la forêt, si claniques qu’ils puissent être, sont un seul et grand peuple au même titre que ceux des villes, partageant à leur manière savoirs, techniques et ressources. Contrairement à ce que les citadins aiment penser, les Noss ne dévaluent pas la vie des elfes externes à leur clan. Ils ne tuent pas par pur plaisir Xénophobe. Les Noss sont farouches, pas cruels.

Et c’est pour cette raison que tes paumes se tournaient vers des frères dont les arcs étaient pointés sur ton visage. Les histoires qui planent autour des Wen’Döril sont passionnantes, et longtemps tu les as écouté sans trouver le temps, plongé dans d’autres questionnements, de t’y intéresser. Bientôt, tu le sais, la liberté viendra à te manquer, et peut-être même ta vie devras-tu abandonner. Bientôt, pour un temps dont tu ne saurais deviner l’étendue tu devras abandonner la féerie de l’Anaëh pour l’horreur de la guerre. Aujourd’hui tu prenais le temps de contempler la magnificence de ce que demain tu te battrais pour protéger. Le champ de bataille était tellement près…

…Et à la fois tellement loin. Les légendes ne mentaient pas, c’est un chant bien différent qui tintait en ces contrées. Une mélodie paisible, une musique dont les vibrations avaient la chaleur d’un foyer. La chanson de celui qu’ils appelaient l’Arbre Maison, les cloches du Lothod Mereth. Demeure millénaire de l’Eäla qui donna autrefois son nom à leur clan. Tu y étais un intrus. Tu y étais un danger. Ainsi de la pointe de leurs flèches ils ont cherché à te chasser. Tu ne t’es pas rebellé, tu as continué à avancer, lentement, paumes dévoilées et yeux fermés, aussi fragile que la fine tunique de coton qui seule était ta protection. Dans le silence. Sans aucune animosité. Aucun empressement. À la manière des druides, tu venais pour partager et pour observer.

Les arcs se sont baissés, et les tensions sont retombées. Les visages se sont décrispés, et à la faveur presque amère du clan tu as obtenu droit de séjourner. Assis parmi les Wen’Döril comme si tu leur appartenais, ce n’est qu’à présent que tu t’armais. Une plume saignant le papier, lui coulant dans les veines mille et une teintures. Tu t’attaquais à un monument. De trait en trait, tu cherches à rendre justice à la Création. Mettre ce souvenir en image, voilà ton ambition. Les enfants, motivés de curiosité et d’innocence ont été les premiers à entourer celui qui leur était étranger. Ils sont les premiers à juger de leurs yeux malicieux le portrait que tu fais de leur foyer. Jeunes, observateurs, et conscients de la beauté de l’Arbre. L’un te suggère une couleur tandis que l’autre guide tes traits pour qu’une fois obtenu le résultat crie de vérité.

Lothod Mereth va bientôt commencer, mais à en croire la puissance de la mélodie, l’Eäla de l’Arbre-Maison n’est pas la seule à fouler la clairière. À la croisée des bois t'attends une rencontre inespérée.

"Kÿria, qui ne nous a donné qu'un seul organe pour la parole, nous en a donné deux pour l'ouïe, afin de nous apprendre qu'il faut plus écouter que parler."
Proverbe Noss

Non, il n'y vit pas un rejet. Peut-être naïvement, Ëninríl répondit : " Alors, vous êtes ma soeur." Son regard se perdit dans le flou des préparatifs de la Lothod Mereth. Il ajouta, presque inconsciemment, plongé dans ses pensées : " Un elfe est un frère, donné par la Nature...". Mais son esprit empruntait déjà des sentiers mentaux plus tortueux.

Les Wen'Döril accueillent souvent dans leur rangs des invités venus de toutes les terres d'Anaëh admirer et célébrer la fête. En ce jour, tensions s'effaçaient et régnait sur la clairière non pas une attitude de survie en milieux hostile mais bien une allégresse peu commune. Dans ses conditions seulement la trouée abritait les représentant des autres clans. Aujourd'hui un invité spécial fut toutefois remarqué. Ses cheveux blonds et sa grande taille ne trompèrent personne quant à son origine. Des arcs se tendirent à son arrivée mais aucune flèche ne bougea de leur corde. Quand il se fut présenté, on le lui donna autorisation d'assister au spéctacle en ui ayant retirer toute arme. Mais le chef du clan ne voyait pas l'inconnu de cet oeil. Son aversion à l'égard des Citadins le mettait en garde. Et tout dans l'attitude d'Estiam montrait que le danger ne viendrai pas d'une lame.

Un chant particulièrement puissant affectait toujours Ëninríl, bien plus qu'il n'aurait voulu l'avouer. Sa partie bestiale au bord de submerger son esprit, la phrase de Aerlinn le ramena une fois encore à la réalité.

"– Vos chants m'affecte toujours, Fils de l'Ainée. Sinon, quel héraut suis-je pour la Mère ?"

Sa voix était atone, presque cassée. Ses yeux ne regardaient nulle part mais un sourire illuminait son visage. Puis il sembla reprendre le contrôle de son corps. Il posa son regard sur le corps matériel de l'Ëala. Ses mains saisirent une nouvelle fois l'une des siennes et il la serra un moment. Ëninríl n'attendait rien de ce contact. Il n'avait pas d'autre sens que celui qu'il voulait lui donner. Puis il relâcha la pression sur les doigts de l'Ëala et s'en détourna.

Le visage toujours marqué par l'allégresse, il ouvrit la porte de son esprit au Chant de ses Frères. Dans l'harmonie quasi divine que dégageaient la réunion de deux Esprits d'Anaëh, on remarquait des contours, des formes imaginaire mais qui représentaient une réalité bien tangible. Le drudie se dirigea vers l'une d'entre elle. L'elfe en question semblait parcourir la distance qui séparait la clairière des deux druides qui s'étaient éloignés. Il était habillés de vêtements des Cités en coton qui frottaient contre le sol.

"– Où vas-tu comme cela, mon Frère ? Le spectacle va s'ouvrir devant tes yeux, alors fais en sorte qu'ils soient tournés vers l'Arbre Mère pour l'admirer."

Presque comme invoqué par les paroles du héraut, la première fleur blanche s'ouvrit et tomba lentement. Idril, druidesse des Wen'Döril, alla la ramasser et annonça le début des festivités. Ses paroles résonnèrent dans la clairière et d'autres fleurs virevoltèrent dans l'air pour lui faire écho. La Lothod Mereth commençait.

HRP:

Une clameur de déception se dresse au même temps que tes jambes. Les enfants déjà pris au jeu des lignes et de l’encre fulminent, impatients de voir ce qu’il adviendra de la représentation de leur foyer bien aimé. Mais la mélodie s’écartèle et s’enchevêtre, car en cet instant deux sources s’en disputent l’adoration. D’un côté l’Arbre-Mère voit s’ouvrir la première de ses immaculées inflorescences ; de l’autre se dressait un être d’exception, contant sans paroles ses savoirs millénaires. L’espace d’un instant tu es perdu, partagé par l’émotion similaire que t’insufflent les deux enfants de la Prime Déesse. Tu flottes dans un océan d’hésitation, bouleversé par le destin, qui décidé à agir contre ta nature elfique, t’aura trop offert en trop peu de temps.

L’horloge joue contre toi d’une bien curieuse manière, et l’ultimatum implicite qu’elle t’aura fixé est une énigme sans résolution pour ton esprit embrumé. Là où la musique égare, les voix heureusement savent guider. C’est le verbe d’un jeune druide qui en faisant écho par-dessus tes pensées, aura su te ramener à l’empirique réalité. Tu souris, te retournant prestement vers le végétal en floraison, le couple de druides toujours accroché au coin de l’œil.

- Il arrive parfois que la Symphonie nous chante tant de belles choses qu’il est ardu de choisir devant quoi être subjugué.

Tu te rassieds, retournes à ton papier et à tes encres, rapidement à nouveau entouré de ces même petits êtres curieux qu’au commencement. Le temps… le temps aura beau se montrer farceur à l’occasion, il ne te manquera jamais. Pas plus qu’il ne leur manquera à eux. Les druides, le jeune comme la millénaire auront toujours le temps d’instruire l’un de leurs frères, puisque c’est là une partie de leur vocation. Pour l’instant, le moment n’est pas aux questions et aux réponses, mais à la contemplation. Les pétales s’ouvrent et meurent plus vite que tu n’arrives à les dessiner et le spectacle de la Lothod Mereth se trouve être une image douée d’un dynamise à la fois inespéré et accablant. Ton œil se voit forcé d’imprimer un millier d’instants différents pour tous les retranscrire à travers un seul, mais chaque ligne que tu traces, tu le fais avec satisfaction. Les enfants gloussent d’excitation au fur et à mesure que tu avances, visiblement satisfaits de ton œuvre. Et lorsque la dernière fleur de teinture s’envole, la cérémonie des Wen’Döril bat toujours son plein.

Te voilà maintenant déchargé de toute pression, profitant avec eux de cet intense moment de joie, yeux rivés sur l’Eäla changeant de robe. Les pages du manuscrit se referment sur ton souvenir, les plumes regagnent leur fourreau, et à nouveau tu te lèves, pour venir prendre place auprès du frère qui t’as rappelé d’une phrase aussi simple que pleine de sens, qu’il t’était donné de prendre ton temps.

Frère.

Nombreux sont les Sylvains qui hésitent à t’appeler leur frère. Tu ne peux t’empêcher de te demander s’il y avait eu totale gratuité à cette appellation, ou si les marques découvertes par l’épaule que ta toge laisse à nu avaient eu leur rôle à jouer. Avait-il su reconnaître ta part forestière ? Aurait-il appelé frère un elfe qu’il était convaincu venir d’entre les pierres ? Les Wen’Döril étaient-ils à ce point accueillants durant la Lothod Mereth ? Peut-être bien. Et c’était tout à leur honneur. Tu t’inclines légèrement face au jeune druide en signe de respect au héraut de la Mère.

- Je vous remercie sincèrement de m’avoir accordé de profiter d’un si splendide spectacle. Mon Frère.

"La fête est l'occasion de pardonner, d'oublier por un temps les horreurs des la vie"
Maxime célèbre.

«– La Fleur de Döril a éclot. Bénis soient les habitants qu'Elle protège ! »

Idril scanda, reprise par tous les Ornedehls présents et coutumiers de la cérémonie. La seconde fleur tomba, puis la troisième. Les cris redoublaient de force et de conviction. Puis, comme les danseuses d'un ballet complexe et harmonieuse, une pluie de pétales blancs tombèrent sur toute la clairière. Ëninríl s'approcha de son mentor, qui avait arrêté de crier pour s'agenouiller près de l'Arbre Mère. Elle s'était coiffée de la Prime fleur et la porterai ainsi jusqu'à ce qu'elle fâne. Sentant la présence de son protégé près d'elle, elle ouvrit les yeux. Elle déposa une fleur sur la tête du jeune druide et l'invita à se mettre à genoux. Ensemble ils récitèrent les prières traditionnelles.

"– Döril ! Döril ! Entends Ses enfants s'agenouiller devant toi. Döril ! Protectrice des Wen'Döril ! Elue de l'Aînée ! Entends Ses enfants te prier devant toi ! Döril ! Renouvelle sur eux ta protection, donne leur le courage d'affronter les saisons, enseigne leur les volontés de la Mère ! Döril ! Choisie des Fils ! Prime Fille de la Créatrice !"

La Symphonie, mélodie sauvage mais empreinte d'une beauté singulière, se mèle aux paroles de joies des Ornedhels. Tous regardent avidement la dernière fleur tomber de l'arbre et compléter le tapis blanc sur lequel les enfants s'amusent. L'heure n'est plus à la prière. L'heure est à la joie, à la fête. Les chasseurs ramènent un cerf que leurs flèches ont transpercé devant la druidesse, qui le bénit pour que son âme rejoigne Tari. Les guetteurs quittent leur poste, les guerriers lâchent leurs armes. Ëninríl, le sourire le plus éclatant sur les lèvres qu'on ne lui avait jamais connu, parcourait entre les elfes, accordant ici une bénédiction, là un coup de main.

Il aperçu le demi-sang, qui, assit, dessinait le spectacle qu'il venait de voir. Il s'approcha de lui, réalisant qu'il l'avait abandonné. Il s'accroupit à ses côtés et l'observa mettre sur le papier ses arabesques singulières qui mettient en scène la plus grande fierté du clan. Les enfants s'amusent autour de lui, à regarder cet art qu'ils n'ont jamais vu auparavant. Mais le dessinateur mit fin à leur contemplation et refermant son manuscrit et les bambins retournèrent jouer dans cette ambiance festive. Estiam remercia Ëninríl et celui-ci lui retourna en lui disant d'avoir été honoré de sa présence pour admirer un tel spectacle.

"– Resterez-vous avec nous pour la nuit ? Il sera tard lorsque les festivités finiront et les deux lunes seront bien hautes dans le ciel. Restez avec nous, mon Frère, aujourd'hui les Wan'Döril mettent leur rancœur de côté."

Refuses l’invitation et tu seras un ingrat, accepte-la quand tu n’as rien à donner et tu pourrais devenir un parasite. Les propositions les plus sincères sont parfois celles auxquelles il est le plus ardu de donner suite. Il t’est bien aisé d’imaginer les efforts déployés par les membres de la Noss pour rassembler les ressources nécessaires aux festivités, et tout aussi aisé de savoir quel serait leur agacement si tu venais à remettre en cause leur générosité, enlevant autant de poids aux dits efforts.

- C’est avec le plus grand des plaisirs que je me joindrais à vous pour le temps que dure les réjouissances.

Sourire calqué sur celui du jeune druide, tu laisses ton oreille traîner à la lisière entre clameur Sylvaine et Symphonie, t’imprégnant de ce particulier mélanges de sons, de la joyeuse ambiance régnant sous les feuillages, et bientôt te laissant aller à la même liesse que les membres du Wen’Döril eux-mêmes. Des plaisanteries des uns tu ris gaiement, des histoires des autres tu t’instruis, échangeant autour du repas et de la boisson les savoirs que t’ont prodigués tes voyages avec certaines des plus obscures comme des plus palpables des légendes transmises à travers les générations du clan. Plusieurs fois tu reprends plume, encre et cahiers pour immortaliser les images les plus marquantes de la cérémonie. Aux côtés de Döril et de ses fleurs et à travers les pages jouaient maintenant les enfants du clan, priait la druidesse aînée et se sustentaient les guerriers. Dernière de tes œuvres se dessinait la figure du jeune druide, chevelure fleurie et sourire aux lèvres.
Puissent ces images te rappeler durant les temps à venir comme l’Anaëh peut aussi être joie.

- Vois Döril, comme ses enfants t’aiment. Vois Elue de la Mère, comme tes fleurs leur inspirent la joie. Puisse ton étreinte à jamais les écarter de la peine et puisse ta mémoire, de chacun conserver le bonheur à travers les cycles. Que les chatoyantes couleurs de tes pétales en se diluant puissent à nouveau colorer ces sombres temps.

Ceux du Wen’Döril sont des Ornedhels au grand cœur, probablement parmi les moins farouches des Noss circulant dans l’Anaëh. C’est donc avec un fort sentiment d’appartenance qu’en leur compagnie tu fais cette prière avant de fermer les yeux devant la lueur des deux lunes filtrant à travers la canopée et de te laisser bercer par les murmures des arbres. Demain ce sera à toi l’invité de te faire valoir auprès d’eux, et de leur rendre une part de ce qu’ils t’ont offert.

"Explore la Forêt, mon petit. Regarde la s'épanouir sous tes yeux et apprécie ce spectacle : c'est le plus beau qui existe en ce monde."
Idril Lisseul

L'acquiescement du mage fit sourire Ëninríl. Le druide réajusta sa coiffe improvisée sur sa tête et invita Estiam à le suivre par delà les sentiers de l'Anaëh. Ils s'éloignèrent quelque peu de la cacophonie générale à travers les fourrés. Le jeune elfe respira profondément l'air frais de début de soirée. Le murmures de ses Frères redevient une calme mélodie et, comme au premier jour que ses oreilles se sont ouvertes à la Symphonie, il admira leur harmonie. Ici, terre de quiétude qui l'avait vu naître et grandir, allait bientôt le voir partir. Il regarda Estiam de ses prunelles vairons et s'assit sur la souche d'un vieil hêtre tombé voila plusieurs années.

"– Comment vous nomme-t-on, dans les contrées de Kÿria ? Qu'amène un demi-sang parmi les Wen'Döril ?"

Il avait prononcé ces derniers mots sans agressivité. Le mage était un demi-sang, rien de plus, rien de moins. Le parlé des Ornedhels est toujours franc : personne ne se laisse abuser par les apparences trompeuses que l'on veut bien se donner dans les Cités. Demi sang il était, Demi sang il restera, et ainsi le druide l’appellera.

Ëninríl détaille la thaumaturge de la tête au pied. C'est un pratiquant des arcanes, il en était sûr au premier regard. Il dégageait cette énergie particulière qui caractérise les mages. Cette façon de se tenir, d'observer le monde et de le figer sur le papier. Il est droit, le menton haut. Ses bras décontracté. Il n'est pas inquiet de la Nature. C'est sa maison, elle ne lui fait pas peur. Après tout, il est peu être plus Ornedhel que le druide avait pu le penser. Ses cheveux blonds cascadent sur ses épaules. Sur ses joues les années n'ont pas creusé de rides, pourtant on pouvait lire dans ses yeux la sagesse que seul l'âge donne.

Le héraut de Kÿria se relève, satisfait de ce qu'il voit. Il se sait observé. Lui aussi est jugé, il s'en fiche. Il pose un pied devant l'autre, assuré, et s'enfonce dans la brousse. D'un signe de tête et d'un sourire, il entraine Estiam à sa suite. Anaëh regorge de secrets en ces terres, et il compte bien que ses Frères en profitent.

N’enlevons pas aux elfes leur perspicacité. Une race identifiant l’âge de ses membres à la lueur des yeux ne peut être que trop difficile à duper. Croisez leur regard et ils vous inspectent, de vos origines à vos motivations, de votre paraître à votre être ; et ce que leur perçante vue n’aura su décoder, c’est leur ouïe qui va le leur révéler. Les lignes Symphoniques qui entourent chacun disent bien plus qu’on ne saurait l’imaginer. Les frères et sœur feuillus et branchus que vous avez toute votre vie côtoyés, ont eu bien le temps de construire votre souvenir, et ils sont prêts dans leur langage codé, à le partager avec quiconque sait les écouter. Tu restes convaincu cependant, que ce ne sont pas tes frères tréants qui t’ont percés à jour, lorsque l’appellation de demi-sang t’est adressée. On pouvait peut-être un instant hésiter, mais quand ta blondeur détonne d’autant avec ton teint basané, que ta hauteur accompagne une carrure qu’il est bien plus facile de développer pour ceux des forêts, que ton habit reprend des codes et de la terre et de la pierre, mais surtout… quand ton bras est ainsi marqué. Il est bien simple d’un coup d’œil averti de comprendre dans quel contexte déchirant tu as été élevé.

- Je suis Faerin Estiam, de la Lin’Serindë. Tu accompagnes ta présentation d’une courte révérence Il me semble inutile maintenant de vous en dire d’avantage. Vous paraissez d’ores et déjà avoir décodé le secret de mes origines.

Et tu ne t’en formalise pas, parce que tu les a déjà embrassées. Ton sang est de Pierre autant qu’il est de Terre, et si tu restes plus attaché à la forêt que tu ne l’es à la cité, une importante part de ta vie s’est jouée de l’autre côté des murs, tu ne peux le nier. Les Ornedhels t’ont sculptés, les Taledhels t’ont polis, et les terres étrangères t’ont maturé. Tu es un demi-sang, alors pourquoi t’en sentir vexé ? Surtout lorsque d’autres t’ont déjà appelé traître à l’Anaëh.

- Je crains fort de n’avoir emmené que peu pour finalement prendre beaucoup. Il est énormément des secrets de l’Anaëh que l’on ne connaît que grâce aux contes et aux légendes, la Lothod Mereth est l’un de ceux que je voulais avoir vécu par moi-même avant de risquer mes derniers jours à la guerre.

Le jeune druide te jauge autant qu’il te juge, à priori quelques peu perplexe face à ta part citadine et déstabilisé par ton assurance en ces lieux, digne de n’importe quel Ornedhel. Il n’en reste que la facilité avec laquelle le jeune druide t’a abordé malgré les apparences dénote tout de même d’une certaine aise en compagnie de ses cousins d’entre les murailles. Ce n’était pas la première fois qu’il avait affaire à l’un d’entre vous… et la guerre y est malheureusement probablement pour quelque chose. Tu sens en lui encore présente la fougue de la jeunesse, ce regard porté sur plusieurs directions à la fois, amplifié par ses iris asymétriques. Et à défaut de suivre son regard, tu suis son pas, curieux des mystères que referme ici la Prime Forêt, et dont il est le gardien.

"Quand tous les hommes se décideront à se traiter en frères, nous n'auront plus rien à craindre les uns des autres."
Ëninríl Il'Dolwen

Estiam lui plait déjà. Son sang à demi Citadin ne rebute pas du tout Ëninríl, plutôt admiratif de voir comment celui qui s'est vu naître à moitié entre des murs de pierre sait s'adapter. Il connait peu la Noss que le mage lui cite, mais il est persuadé être déjà passé parmi ses membres au cours de ses pérégrinations solitaires. Le nom de Faerin ne lui évoque guère quelque chose, pourtant. Lui aussi se présente brièvement : Ëninríl Il'Dolwen des Wen'Döril, Gardien de la Création. Il sait qu'Estiam le connait déjà, il a pu entendre son nom dans la clairière.

"– Nous ne nous en formalisons pas aujourd'hui, Estiam Faerin de la Lin’Serindë. Prends ce que tu es venu chercher, et plus encore. Comment rendre à Kÿria l'amour qu'elle a mis dans Sa Création qu'en se la partageant entre nous, Ses enfants ?"

Le tutoiement était naturel. Le demi-sang était de loin l'aîné du druide, mais celui-ci ne s'en formalisai pas. Ils étaient tout deux des Frères : quel enfant vouvoie son frère ?

Ëninríl sourit. Il reprends la marche. Ses grigris s'entrechoquent à sa hanche, les plumes de sa capuche bruissent dans le vent. Le Héraut de Kÿria guide le Thaumaturge entre les fourrés. Derrière lui, Estiam a le pas sûr, assuré. Les racines sur le chemin ne le font pas trébucher, les branches ne lui fouettent pas le visage. Cherchait-il à le tester ? A voir à quel point était-il elfe des bois plus qu'elfe de pierre ? A savoir si le mage est digne des secrets de l'Anaëh ? Lui même ne le sait pas.

Ensemble, ils marchent pendant plusieurs minutes, où la silence a pris le pas sur les paroles. La Symphonie a envahit leur esprits, ses murmures les accompagnent dans leur court voyage. Ils arrivent devant un grand chêne, qu'Ëninríl contourne. Une minute plus tard, ils arrivent à l'orée de ce qui semble être une petite clairière. La trouée est baignée de lumière, elle tranche avec l'obscurité de sous la canopée. Le druide avance. Devant lui trône un petit autel de bois. Il semble avoir poussé de terre lui-même, tant les branchent qui le composent s'agencent de façon naturelle. A gauche du lieu de culte oublié coule un petit ruisseau, qui chante en coulant dans la terre. Il disparait quelques pas plus loin sous une pierre plate et on devine au son qu'il tombe dans une cascade plus loin encore. Un dernier détaille vient fignoler ce petit bout de paradis en pleine forêt : un érable aux feuilles rougeoyantes déploie ses branches au dessus de la petite clairière, laissant filtrer la lumière par ses feuille.

Le druide s'approcha de l'arbre. Il laissa courir sa main sur l'écorce et trouva la prise qu'il cherchait. Il banda ses muscles et jeta ses jambes sur une branche basse. Par des gestes assurés, il grimpa le long du tronc. Lorsque les feuilles allaient presque couper sa vision sur l'elfe en contrebas, il lui jeta un regard malicieux, comme une invitation à le suivre, et poursuivit. Un nouveau test ? Peut-être bien...

- J’espère ces mots être une invitation à renouveler le contact entre nos deux clans. Les Lin’Serindë tiennent leur fierté de leur lignée de tisserands dont tu oublieras soigneusement de te revendiquer l’héritier et les fleurs de Döril pourraient être une inouïe source d’inspiration pour la confection de soieries.

S’il vous promène sans réel but ou sait pertinemment où il t’emmène, tu ne saurais vraiment le dire, mais Ëninrìl avance d’un pas de plus en plus léger, et de plus en plus hâtif, sans pourtant perdre cette cadence propre à la contemplation. Parce que lui comme toi prenez le temps de vous imprégner de vos alentours. Chaque parcelle de l’Anaëh est un joyau de nature, une perle de vie et une larme de mort. L’œuvre de Kÿria est un tableau que l’on regarde autant qu’on l’écoute, et c’est pour cela que les derniers pas se sont faits dans votre silence. Bruissements de feuilles, craquements de branches, chants d’oiseau et vocalises de Liltalaima rythme à présent votre balade. Parfois une vrille lyrique particulière attire ton attention, et tu te laisses aller à doucement la fredonner. D’autres fois la Symphonie te transmet un frisson, et tu te demandes s’il t’es destiné ou si tous l’ont ressenti, le druide qui t’accompagne en particulier.

Il est plus jeune, c’est vrai, mais que l’on ne se trompe pas, il est probablement plus éveillé. Si ton oreille est fine, la sienne doit être tranchante. Les druides sont les elfes les plus proches de la voix de la Mère, les plus en phase avec la Prime Forêt. Que pouvait donc entendre ton hôte de différent de toi ? Pouvait-il comprendre des phrases claires là où seuls des pressentiments t’atteignent ? Comprend-il les arbres comme tu le comprends lui ? Ou alors n’est-il que plus touché par le langage émotionnel de cette musique de toute heure ? Puisque tu n’es pas lui, tu ne le sauras jamais.

Coupée dans sa continuité par les rayons du soleil, la partition laisse première place à l’œuvre visuelle. Baignée de l’or coulant de l’astre du jour, plongée dans le scintillement des reflets du ruisseau, la clairière où autrefois fut rendu un culte est l’un de ces nombreux lieux perdus dans l’immensité de la forêt, qui même aux vieilles âmes habituées arrache un soupire satisfait. En maître ici règne l’érable à la houppe flamboyante, invitant sans geste ni mot frères de chair à venir s’y brûler. Ëninrìl ne peut résister à l’appel bien longtemps, et toujours de sa démarche leste s’élance entre les branches avant de glisser le long du tronc. Tu le regardes d’un œil amusé, tenté de l’imiter… et si tu comprends bien ce que traduit ce brin d’espièglerie, t’y voilà même forcé.

Faire exactement les mêmes gestes ne serait pas bien difficile, et jouer la carte de l’entière imitation serait une éventualité ; si seulement le chemin qu’il a emprunté avant toi n’était pas si frêle. Même en y allant d’un pas léger, faute à ta haute taille et à ta forte carrure, certaines des fines dichotomies empruntées par ton guide auraient tôt fait de se briser. C’est donc autrement que tu devras commencer ta montée, pour atteindre les plus forts des branchages.

Tu t’élances, d’un puissant saut vers le vide. Dans la plus grande des confiances, tu termines ton ascension et entame ta chute. Un fou pensant s’envoler, en auraient témoigné certains, si la terre n’avait pas décidé de s’ériger en une fausse tige feuillée pour t’accueillir avant que tu ne perdes en altitude. Ton pied trouve support à la cime de l’arbuste de glaise, ta traîne claque alors que tu prends un second élan, et ta sculpture redevient poussière à peine libérée de ton poids. Cette fois tu te diriges vers le véritable tronc, sans pourtant avoir comme objectif de t’y accrocher. Forts de l’inertie, tes orteils y trouvent appui, et aussitôt l’écorce touchée voilà que tu rebondis, vers une branche enfin à ta convenance, mais à une distance ne t’autorisant qu’à l’empoigner de tes mains. Utilisant ta vitesse à bon escient, tu ne refermes pas totalement ta prise, laisse le reste de ton corps jouer les balanciers, jusqu’à pouvoir te propulser cette fois vers le haut, et te retrouver sur cette même branche, non pas pendu, mais bel et bien debout.

Légèrement au-dessus du druide, c’est à toi de faire l’enfant et de sourire cette fois. Puis au détour d’un regard voilà ton œil attiré. Une toile d’araignée. Une œillade furtive à Ëninrìl, vérifiant si tu avais son attention, et voilà que doucement, tu te mets à tapoter l’ouvrage de l’arachnide. Aléatoirement pour qui ne serait pas initié, mais avec une précision de maître pour qui sait. En vibrations, tu parles à l’animal, et pour te répondre, une fois ton message terminé, il vient prendre place dans ta main et y dérouler un fil de soie, avant de se jeter dans le vide en direction de la paume du druide. Voilà que la bête timidement court autour des doigts du Gardien de l’Anaëh avant de finalement et avec empressement remonter le fil qui relie la main du druide à la tienne, celui qui relie ta main à sa toile, et de sectionner ce dernier.

Non, tu n’es pas un druide. Ce n’est pas pour autant qu’avec certains des autres habitants de ton foyer tu n’as pas bâti de complicité.

"Ils n'étaient qu'un et même peuple. Noss et Cités, aucune différence pour la Mère. Mais l'esprit des créations et faillibles, et bien vite ils oublièrent ce lien de sang, sombrant dans un conflit invisible qui divise le peuple immortel."
Chroniques d'Anaëh

L'Ornedhel regarda le Demi-Citadin monter l'arbre sur lequel il s'est perché. Amusé, un franc-sourire sur le visage, il voit Estiam se soulever sur ses bras aux branches les plus solides, craignant à toute instant que son poids et sa carrure ne l'emporte vers le sol. Mais c'est avec le sourire qu'il dépasse Ëninríl pour s'approcher d'une fine toile d'araignée.

Le druide aime cet animal à huit patte, dont la création, si anodine soit-elle, est une oeuvre d'art à elle-même. Il aime voir l'araignée accourir agilement à chaque frollement de la toile. Estiam tapote contre la toile des petits coups feutrés qui se fondent dans le murmure de la symphonie, pour ne faire plus qu'une mélodie qui attire l'arachinide hors de sa cachette. Elle se loge dans la main du demi-sang qui la lance à son tour dans le vide. Elle réattérit dans la main du Héraut de Kÿria, qui s'amusa, un sourire candide sur les lèvres, à la faire tournoyer entre ses doigts. Si il y avait un test, Estiam l'avait passé avec succès.

Après cet instant d'innocence, le druide se hissa à hauteur du mage. Ils échangèrent un regard complice. Il reposa le petit animal sur sa toile. L'arachnide fila se réfugier sous une feuille de l'érable. Puis ils continuèrent leur ascension. En quelques minutes ils avaient franchi les trente pieds de hauteur et avait atteint la cime de l'arbre. De là ils avaient une vu magnifique sur la vallée aux abord d'Eteniril. Au loin, dans la brume crépusculaire qui se formait, on distinguait l'Abre Mère qui avait revêtu sa robe verte pour passer l'été. Les deux elfes embrassèrent la vue. Le paysage, l'odeur de la forêt, la sensation du vent sur leur joue. La Symphonie chantait dans leurs oreilles pointues. En silence ils profitaient des spectacles de l'Anaëh.

Aussi soudainement que l'idée jaillit dans l'esprit d'Ëninríl, l'Ornedhel ouvrit la bouche. Sa voix de tenor amplit l'air, chanta les louanges de la Mère, les supplique de Ses Fils et le dernier Voile. Il chantait, sans que rien ne vienne le déranger.

Une aube se leva,
Sur la verte canopée
Des arbres d'Anaëh.
Dans le crépuscule brilla
La clarté de l'Ithil.

Lorsque la nuit tomba,
Un règne sans fin elle installa.
Ainsi fut le Onzième Voile.

La Mère apparut à ses fils,
Aînée de tous les dieux,
Reine parmi les cieux,
Prime Créatrice.

Dans l'obscurité,
Les arbres eurent leur splendeur,
Les plants devinrent fleurs.
Kÿria reprit ses droits en Anaëh.

Pendant trois mois dura,
La dix millième nuit.
Et quand l'aube se leva,
Deux lunes se couchèrent.

Puis la voix s'éteignit. Le Chant des Frères reprit ses droits. Un sourire réapparu sur la face du druide. Il se laissa un second moment de contemplation passive, se contentant de recevoir tout ce que la Forêt avait à lui donner. Puis il interrompit ce moment.

"– Rentrons, Estiam, la nuit va tomber. Les Wen'Döril vous accueillent pour ce soir."

Les deux lunes se levaient, à l'Est. Amorçant une descente, Ëninríl entraîna Estiam avec lui d'une accolade amicale sur l'épaule.

La contemplation pure et simple d’un paysage que l’on connaît déjà. L’appréciation de la beauté sans le besoin de la nouveauté. Prendre un instant de pause, s’arrêter de réfléchir à demain, et sourire. Parce que l’Anaëh est magnifique. Parce que l’Anaëh est grande. Parce que la Prime Forêt est éternelle. De votre perchoir par-dessus la canopée vous baigniez dans la douce lumière de l’astre du jour tombant, si rare au sol, filtrée par le couvert végétal. De là-haut, vous souriiez en silence devant le spectacle de la vallée, gagnée précocement par la nuit sous la brume du couchant, dominée par l’Arbre-Mère profitant des derniers baisers du soleil. Perchés à une hauteur à en défier le ciel, vous profitiez des vents que brise la forêt, et de l’éveil des sens chatouillés par les alizés.

L’air, seul des quatre éléments te semblant hors de portée. Seul fondamental de l’univers que tu n’arrives pas à sculpter, et pour cause. Le vent porte à vos narines les senteurs de la forêt. Le vent souffle vers vos oreilles le chant de vos frères. Le vent caresse votre peau de son gant sans consistance. Le vent fait tout cela à la fois, parce que le vent est partout. L’air vous entoure et vous enferme sans vous priver de liberté. L’air est la matrice dans laquelle vous êtes nés. Là où vous voyez le vide, l’air est ; et c’est pour cela que tu n’arrives pas à l’agripper. Le vent, tu ne peux pas le sculpter, tu n’en a pas le droit. Le vent est ton vecteur. Il est celui qui porte la musique à ton oreille, et t’autorise à retranscrire les partitions de ses camarades. Tu ne saurais maîtriser le vent, car en un sens, c’est lui qui te maîtrise.

Il te maîtrise à travers ses chants comme il maîtrise ton jeune camarade, emporté par la forêt dans une douce litanie. En de neuves paroles nées d’un amour aussi vieux que le monde, le druide chante le onzième renouveau de l’œuvre. Habitué à seconder tes basses et barytons de compères, la haute tessiture d’Ëninrìl te surprend un instant, mais rapidement tu glisses en un léger falsetto, donnant la soprane à son ténor pour l’accompagner en de complexes harmonies dont tu as le secret. Point de mot réchappé d’entre tes lèvres, tu laisses ce loisir au soliste. Ton chœur est à lui seul assez plein de signification. Pour décoder ton message, à la manière d’un chant d’oiseau, il faut habituellement en comprendre les lignes mélismatiques, les tonalités et les arpèges, mais pour cette fois, il suffisait d’écouter celui que tu ne fais que traduire.

Ta voix de flûte traîne une poignée de mesures après que celle du héraut d’Anaëh ne se soit éteinte, cherchant à totalement se fondre avec celle de tes frères-arbres, jusqu’à finalement s’étioler à son tour. Et vous voilà à nouveau face à face avec le tout relatif silence de la forêt.

À défaut de paroles, tu présentes tes remerciements à l’invitation de ton hôte d’une courte révérence. La confirmation de ton passage au test est, elle, des plus inattendues. Tu n’aurais pas imaginé si vite gagner la sympathie de ton frère, mais l’accolade ne t’en est pas moins agréable. Presque par réflexe, ta main trouve le chemin du sommet de son crâne. À défaut de sa chevelure, tu flatteras au moins les plumes de la capuche que tu devines faire tout autant partie de son être. Ce n’est qu’à nouveau à terre que tu daignes reprendre la parole.

- La faveur que ton clan et toi m’offrez aujourd’hui. Sois certain qu’un jour je te la rendrai. D’une manière ou d’une autre.

PS:

PPS:

» Te souvient-il... | Ode
» [Anecdotes d'antan] Le siège d'Amblère: La piétaille raconte...
» Celle qui rêvait de Paix
» Une nouvelle ère commence, celle du Terrible.
» Un chevalier n'a de peurs, que de revoir celle qu'il a abandonné. [ Isandre ]

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