la Meute

2e ennéade Karfias de l'an 9 du XIe Cycle

Au dessus de lui, l’œil pâle jouait à cache cache avec des traînés de fourrure duveteuse dans le Grand Au-dessus. La terre mourrait une fois de plus. Froide. Mouillée. Il s'ébroua, sa fourrure blessée gonflant pour combattre la nuit qui gagnait du terrain. La truffe au raz du sol, les feuilles voltigeaient avec légèreté, arrachées aux banche par une brise changeante. Les proies étaient moins abondantes ici. Elles l'obligeaient à courir plus loin. D'autant plus loin que les territoires qu'il avait traversé pendant un temps étaient couverts d'une odeur de vieille mort, lourde et dégoûtante.

Il redressa soudain la tête à un son bien particulier. Une cavalcade de deux pattes hurlants quelque part en aval. Depuis sa rencontre avec les deux-pattes, il s'était tenu loin d'eux. Au moins, ce jour là, il n'avait pas eu faim.

L'odeur qu'il suivait depuis un cycle infini d'ombres et de lumières se faisait plus forte. Il se sait dans leur territoire. Il connaît leur odeur. Il devine leur nombre. Il ne pouvait pas s'éloigner de leur trace, pas maintenant. Seul, chaque chasse lui coûtait. Son flanc marqué de noir lui brûlait quelques fois. Son ventre grondait de plus en plus souvent. Alors il s'esquiva silencieusement sans pour tant prendre la direction opposée. Les bois défilaient autour de lui, laissant des espaces bien plus large que ce a quoi il était habitué.

Là !

Il s'immobilisa, baissant une nouvelle fois la tête avançant au ras du sol, soufflant sur l'humus pour en faire jaillir les parfums les plus précis. Et la course reprend avec au cœur l'exaltation de celui qui se sait toucher au but. Le jour tombe. L'ombre s'installe, colorant les futaies d'un gris aux milles nuances de couleurs. Ses oreilles se dressent. Les hurlements qu'il entendait dans le lointain avant sont proches. Très proches.

Il s'immobilise.

Un bref aboiement.

Un léger grondement monte dans sa gorge. Neutre. La tête portée. La queue à l'horizontale. Fier et non menaçant. Contrairement aux jeunes qui se condamnent eux-même à la solitude dans l'espoir d'asseoir leur domination sur une meute, il veut réellement trouver sa place. Cela fait trop longtemps qu'il hère. Il attend.

Autour de lui, entre les troncs, il les voient tourner. De plus en plus proche. Un mâle trapus à la fourrure grise et épaisse s'approche. Tête levée. Queue dressée. Le Dominant.

Ils se jaugent. Il est jeune... les à priori du vieux solitaires le tendent légèrement. Tout ce chemin pour une meute placée sous l'autorité d'un être à l'expérience limité qui ne doit commander que par la force... Mais cela reste une meute.

L'Alpha gronde.

Doucement. Peu désireux de se battre, le loup blanc s’assoit et présente sa gorge.

Cela ne semble pas suffire. Quelque chose les rend nerveux... Les yeux du voyageurs se posent sur ces loups qui restent dans l'ombre, observant leurs déplacement, leur façon de bouger. Il tourne la tête. Sûrement un peu trop.

Une masse bondit vers lui. Le bond leste et le coup de crocs qui l'interceptent sont de pur réflexe de survie. Trop longtemps gardé loin du sang et des lois des siens, il n'a pas réfléchit. Ses crocs se perdent un instant dans la fourrure de l'Alpha alors que qu'un puissant coup de patte s'abat sur sa hanche. Il n'en faut pas plus pour que cela dégénère, évidement.

Le combat s'engage. Griffe et crocs. Un réflexe pour Randil, une volonté de survivre plutôt qu'une envie d'imposer sa force. On attaque l'étranger à la jugulaire. Il a vu trop de combat... mais bien peu face à des êtres de sa carrure. Le dominant prend l'avantage. Il se défend. La tendance s'inverse peu à peu. La douleur, la rage, la peur, la déceptions. Tout cela se mêlent à chaque coup. Chaque morsure. Il se fait plus violent. Les grondements de la meute alentour lui parviennent à peine. Ils n'interviendront pas. Les yeux jaunes du Dominant repèrent finalement l'angle mort auquel le condamne son œil laiteux. Une leur bleutée entoure les deux combattants. L'affrontement se fait plus violent.

Il parvint à faire s'asseoir le Chef. La victoire n'est qu'à un croc... Un croc qui vient lui saisir la patte avant. Il glapit. Il doit faire vite. Il se souvient d'Unmiriel. De sa patte décharnée. Il cesse de se débattre. Son adversaire en profite pour se relever et le pousser sur le dos. Le cœur battant. Le museau dans la gueule de cet autre aux crocs émoussés mais à la large carrure, le loup blanc ne tente pas de repartir à la charge, exposant son ventre jusqu'à ce que le dominant recule.

Pas de grondements.

Des petits loups l'auraient achevés ou chassé, mais sa race n'était visiblement pas aussi barbare. Intrigué par son comportement... Et par autre chose, il leva les oreilles de surprise lorsque l'Alpha se pencha pour lécher la marque sur son flanc qui redevenait doucement noir. Randil tenta de se relever mais se retrouver une nouvelle fois avec la truffe dans la gueule du dominant lui fit comprendre que ce n'était pas encore le moment.

Les autres approchaient. Certains méfiants. D'autres, plus jeunes, bien plus curieux qu'ils n'auraient du. Tête posée au sol, il observait, frémissant. Le Dominant et lui étaient blessés au sang. Mais rien que le temps ne pourrait guérir.

Enfin, il fut autorisé à se relever, incertain.

De nombreux visages tournés vers lui. De nombreuses truffes l'inspectant avec insistance dans une bousculade qu'il n'avait pas connu depuis sa plus tendre enfance. Sur la réserve, il n'osait réellement bougé, répondant à peine à certains jappements pour le moins joyeux.

L'Alpha, à quelques pas, hurla.

La louve la plus proche du Solitaire hurla.

Le Vagabond hurla.

La Meute hurla.