[Monts Corbeaux] Des nouvelles à Milluzizril-Azad [solo]

Début de la 1re ennéade de Bàrkios, an 9 du XIe cycle.

Sous les rayons perçants du Soleil levant, Gorkim se réveilla et sortit de sa tente. S’étendaient devant lui les montagnes et derrière le marquisat de Sainte-Berthilde. Le début du deuxième mois d’automne avait commencé. Après la discussion infructueuse de Gorkim et Thibaud, pendant deux ennéades, le nain était passé par trois villes pour trouver des ouvriers et mineurs humains. Dans l’ordre, il fit Kelbourg – où il séjournait –, Hautségur puis Laraus. Il avait finalement réussi à convaincre une douzaine de personnes pour creuser cette falaise. Rendu vers la fin du mois de Favriüs, les hommes venaient de commencer à creuser de leurs burins et de leurs marteaux et les dix-huit nains les accompagnaient. Mais ils ne travaillaient pas tous en même temps; quatre humains (ou trois nains) pouvaient miner en même temps l’entrée, et ils faisaient ainsi des rotations. Cela créait une ambiance bien étrange, mais chacun des trente individus travaillait autant qu’il pouvait et sans accrochages.

En ce premier jour du mois de Bàrkios, donc, l’entrée était avancée à environ quatre mètres. Encore un autre et ils pouvaient commencer à élargir pour créer la salle principale. Les nains et les humains suivaient le plan que Thur Marche-Sang et son fils Litrak avaient conçu. À ce rythme, au début de l’hiver, ils auraient probablement terminé la salle principale.

Alors que Gorkim mangeait un morceau de viande pendant sa pause, Kral vint le voir.

« Gorkim, je dois te parler, dit-il d’un ton sérieux. Et il amena le forgeron un peu plus loin, à l’abri des oreilles trop curieuses et suffisamment éloigné des ouvriers humains.

– Qu’y a-t-il? demanda le forgeron.

– Je commence à être usé, Gorkim. Mes articulations se détériorent. Je m’apprête à partir.

– Mais pourquoi? s’enquit Gorkim. Tu peux rester quand même.

– Ne me retiens pas, insista-t-il. Je vais finir ma vie loin d’ici. »

Sans laisser un seul autre mot, il partit calmement ses bagages sur le dos. Le forgeron resta abasourdi et ne bougea pas pendant de longues minutes. Le thane du Kalanvarn s’en était allé pour toujours, laissant les autres sans chef.

Des dizaines de questions se bousculaient dans la tête du nain. Des question comme « pourquoi s’en va-t-il », car évidemment le fait que ses « articulations qui se détérioraient » n’était pas la vrai raison, du moins Gorkim en doutait fort, ou encore des questions comme « pourquoi il ne l’a pas dit aux autres », « où va-t-il » et « qui s’occupera du clan désormais ».

Le forgeron avait du mal à faire le tri. Il décida finalement de se poser sérieusement les questions les plus importantes et de « garder » les autres pour plus tard. Pourquoi Kral n’avait pas parlé de son départ aux autres? Gorkim avait sa petite idée là-dessus.

Lorsque les nains avaient fait le voyage, personne ne se connaissait excepté ceux qui étaient amis auparavant ou les membres du même clan. Le forgeron a rapidement monté dans l’estime de Kral et c’était avec lui que le thane parlait le plus souvent. Gorkim pensait que c’était donc pour cette raison que Kral avait seulement parlé à lui avant son départ.

Mais il restait une question plus importante encore. Maintenant que le thane était parti, il n’y avait plus personne pour gérer le clan. Et ils ne pouvaient pas se permettre de rester comme ça très longtemps ; il leur fallait un chef pour les guider, un chef pour s’occuper des relations avec les humains. Mais ils étaient beaucoup trop occupés pour l'instant. Avec l'hiver qui approchait, les travaux en cours et bien qu'il ne fallait pas que les nains oublient cette question, ils ne pouvaient pas élire un nouveau thane maintenant. Ils avaient déjà du pain sur la planche et nommer le nouveau chef de clan demandait beaucoup d'organisation. De toute façon, leur clan était encore petit et les nains étaient en mesure de prendre des décisions sans chef vu leur nombre.

Gorkim se trouvait toujours là où Kral l'avait laissé quelques minutes plus tôt. Il sortit de ses pensées et retourna voir les travailleurs. Au lieu de dire publiquement aux nains, devant les humains, que Kral s'en était allé, il alla voir ses compagnons et leur annonça la nouvelle un à un. Quand cela fut fait, et que l'information fut digérée – ce qui ne fut pas aisé, puisque Kral était apprécié de tous ses confrères et avait remonté leur moral mainte fois – le forgeron se remit au travail.

Et dans quelques mois les nains seraient en mesure de se concentrer sur le choix de leur nouveau thane.