Régnons en souverains

Crainte et respect avaient trouvé un souffle nouveau à l’annonce de la renaissance des Baenfere. Le sang de Khernal, éprouvé par la rudesse de la Mère entre les mains de Sa Haute-Prêtresse, ne pouvait être contesté.
Une inspiration, délice.
Nul enfant n’avait été enfanté dans pareil souffrance depuis la libération du Linoï. Péché d’orgueil.

Dans le rouge des prunelles de ses subalternes, le Ditronw Da’re discernait l’appréhension, la fierté pour d’autres. Qui, de tout le Puy d’Elda, ignorait ses plans à présent ? Ils étaient connu jusqu’en pays dwen'del. Le trône de l’Ust Melzar tendait les bras à l’audacieux qui saurait saisir l’opportunité. Le Prima Sanguis serait cet audacieux.
Il sourit, et son émail d’albâtre étincelait. Les ennéades avaient passé, depuis le Rite ; assez pour que les muscles endoloris retrouvent de leur souplesse. Les violentes tractions, douloureuses, l’avait d’abord mis au supplice. Mais c’était la règle eldéenne que de se remettre aussi vite que possible d’une blessure. Pour celui qui avait en quelques jours attiré tous les regards, cette règle avait force de loi.

En quelques levers de l’Astre seulement, la fièvre du sang s’était emparée du Puy d’Elda. Le culte d’Uriz, au tapis depuis la mort du Haut-Prêtre et frère d’arme Velkyn, tentait d’imposer de nouveau sa voix au chapitre. Les cultes Piliers et Alliés s’accrochaient sans cesse, espérant gagner cette lutte risible pour le pouvoir vacant. L’Olath Blada, amuïe par l’absence de son Karliik Glenn, se taisait. Et dans la tempête des protestations des cabales renégates, seul restait le froid clergé de la Dame aux Ombres, enfin débarrassé de importune Hune'Baenre.

Le Seigneur-mage tourna la tête vers Stilh'Guar, roidement posté à l’entrée du boyau. Le Phord’ur le fixait, lui aussi, et leur regard s’affrontèrent un instant, avant que la discipline ne rappelle l’officier et qu’il ne baisse les yeux devant son supérieur.
«– Mon Seigneur ?

Deux billes incandescentes semblaient excaver la moindre pensée, le moindre sentiment du plus profond des méninges du Phord’ur.
«– Tes ambitions sont légitimes, Phord’ur. Mais n’espère pas profiter du Chaos pour me planter ta lame dans mon Feu. Tu auras ce que tu voudra en temps utile.

Les deux eldéens partagèrent un rictus et le second laissa le chef à ses rêves de grandeur.
Prime sorcier. Oui, c’était son rêve.
Les pas de Stilh’Guar se fondirent dans le flux qui régnait habituellement au C’nros. Les siens rejoignirent bientôt ce brouhaha. Sa démarche alliait arrogance et mépris, dans une parfaite alchimie forgée par les ans. Pourtant, lorsque l’immense porche basaltique du temple de la Rusée, ses traits se vêtirent d’humilité.
Il n’avait manqué nulle office, avait concédait à tous les sacrifices et n’avait jamais failli à la prière depuis que Teweion Danath’Koor l’avait relevé en le Berceau. L’eau ruisselante dans les rigoles accompagna le Ditronw Da’re jusqu’aux pieds de l’immense idole, où ses genoux ployèrent pour une prière zélote.