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 La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre

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Tibéria de Soltariel
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MessageSujet: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeDim 14 Oct 2018 - 23:57


Après le procès

Elle eut l’impression d’avoir le souffle coupé, un peu comme si un poids terrible écrasait sa poitrine. Tibéria ouvrit la bouche pour aspirer l’air, mais rien ne passa, pas même un filet dans sa gorge si serrée. Elle s’étranglait, mais aucune main ne serrait sa gorge. Elle se mourrait, mais son cœur battait obstinément dans sa poitrine. Elle voulait qu’il s’arrête, mais la vie triomphait.

Ils avaient triomphé.

Dans un silence absolu, on la ramena à la maison Soltarii, l’une des rares possessions qu’on lui laissait. Personne n’osait parler, car tous craignaient de dire la chose qui la ferait éclater. Ils s’étaient préparés à ça, mais ils avaient vraiment cru en leur chance. L’espoir est étonnement fort et l’humain cherchera toujours à s’y accrocher. C’est dans sa nature même de ne jamais baiser les bras. C’est une force merveilleuse, mais c’est aussi sa plus grande faiblesse, car quand l’espoir se meurt, le vide qu’il laisse derrière est terrible. Voir ses espoirs s’envoler c’est perdre une partie de soi-même. C’est perdre son humanité. Tibéria n’avait pas pleuré devant la cour. Elle était restée digne. Le choc sans doute. Maintenant qu’elle était à l’abri des regards, elle fixait le vide devant elle, en faisant l’inventaire de toutes les décisions qui l’avaient mené jusqu’à cet instant.

C’était uniquement de sa faute.

Ils avaient gagné et tout ce dont elle avait rêvé n’était plus que poussière. Ses sœurs n’avaient plus de nom, plus d’avenir. Renaud rejetterait certainement Antonia maintenant. Heureusement, elles n’étaient pas là, car Tibéria ne pourrait supporter leurs regards. Cet échec, ce n’était pas seulement le sien. Tout ce qui a été fait avant serait oublié. La mémoire se souviendrait uniquement de ce procès et comment Tibéria tomba. Non, elle ne devait pas les revoir. Antonia et Paula devaient désavouer son nom, la rejeter et se bâtir un avenir avec leur nom. Elles auront toujours son soutien dans l’ombre, mais plus jamais elles ne devaient se revoir.

« Je vais rester avec vous. » Déclara Hernando d’une voix ferme, mais douce. « Je vais rester aussi. » Ajouta Cassio à ses côtés. Tibéria ne dit rien. Une quatrième personne entra dans la pièce. « Désolé, mon cher Hernando, mais je vais avoir besoin de toi avec moi. Il faut que je retourne à Thaar régler quelques problèmes et ta présence sera plus utile là-bas qu’ici. » Hernando se retourna vers Octavia. « Pourquoi? »

« Déjà, pour retrouver tes hommes qui vont partir dans tous les sens. Ensuite, il faut retracer Franco et comme Tibéria ne peut pas quitter la Péninsule à cause de sa fille, tu es le mieux placé pour le retrouver et le livrer. Peut-être que si on ramène le vrai coupable, la situation s’améliora. Je ne dis pas qu’on va retrouver Soltariel ou même Béronia, mais la vie de ces hommes est dictée par l’honneur. Il faut donc honorer cette promesse. » Emmurée dans son silence, Tibéria ignora totalement leur présence. Hernando jeta un coup d’œil en direction de la jeune femme, les sourcils froncés. Partir était bien la dernière chose qu’il souhaitait faire, mais Octavia marquait un point. Retrouver Franco allait peut-être améliorer l’opinion à propos de Tibéria. « Je vais rester si vous me le demandez... » Elle soupira, le premier son qui émanait de sa personne depuis la fin du procès. « Pars… et retrouve-le. » Hernando acquiesça d’un signe de tête. « Très bien, nous allons donc partir maintenant. Il n’y a pas de temps à perdre. » Octavia tourna les talons. Hernado s’attarda un bref instant. « Nous allons le retrouver, puis je vais rentrer et prendrai soin de vous. Je ne sais pas exactement comment, encore, mais je vous en fais la promesse. » Il adressa un signe de tête à Cassio puis quitta à son tour. « Je vais vous préparer un thé. » Devant l’absence de réponse, le serviteur se rendit aux cuisines, laissant Tibéria seule. Comme tous les autres, il n’avait pas les mots pour réconforter la jeune femme. Il servait sa famille depuis des années. Il l’avait vu grandir et devenir femme. Maintenant, il la voyait s’éteindre et ce spectacle était le plus désolant de tous. Pendant un bref et horrible instant, Cassio pensa que Tibéria aurait dû mourir au moment de son accouchement. Ce faisant, elle n’aurait jamais eu à subir cet horrible procès et serait en paix.
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MessageSujet: Re: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeLun 15 Oct 2018 - 23:45


2 jours plus tard

Cassio se pencha sur le berceau de la fillette. Sofia l’observait d’un œil endormi, l’homme n’ayant visiblement pas grand intérêt à ses yeux. L’ancien esclave se redressa, jeta un coup d’œil à gauche et à droit pour s’assurer que personne ne regarda, mais la pièce était vide. Il fit alors une grimace à la petite fille qui, peu impressionnée, bâilla. Cassio soupira, puis caressa doucement la tête de l’enfant au même moment où Tibéria entrait dans la pièce. « Les rideaux, il y a trop de lumière. Il faut les fermer. » La jeune femme n’accorda pas un regard à sa fille et alla plutôt s’assoir dans un fauteuil. Depuis la clôture du procès, plus aucun rideau n’avait été ouvert. Tibéria, elle qui aimait les espaces ouverts et la lumière du soleil, se gardait enfermée dans une pénombre perpétuelle. Elle disait que la lumière lui donnait mal à la tête. Elle n’avait pas non plus pris sa fille dans ses bras ni même posé le regard sur elle. Cassio ravala une remarque puis alla tirer le rideau. Tibéria devint alors une tache sombre dans un coin de la pièce. « Je pense à la faire adopter. » Déclara alors la jeune femme d’une voix rauque. « Quoi? »

« Sofia, je pense la donner en adoption ou la confier à un couvent. Son nom ne vaut plus rien. Elle pourrait grandir sans savoir. De toute façon, je n’ai rien à lui donner, rien du tout. »

« Si vous faites cela, vous allez le regretter toute votre vie. » Souffla Cassio, sous le choc de la révélation.

« Je regrette déjà qu’elle soit née. » Rétorqua Tibéria. « Je regrette qu’elle ait été conçue… Si je n’étais jamais tombée enceinte, tout ça ne serait pas arrivé. Je n’aurais pas été malade, j’aurais pu… l’empêcher. Je ne sais pas, les choses auraient été différentes, c’est certain. »

Cassio s’approcha de l’ancienne duchesse. « Vous ne le pensez pas. Vous essayez de vous en convaincre, c’est tout. Les choses auraient été différentes, c’est vrai, mais peut-être pas en mieux. Regardez… Dans un autre monde, je n’aurais jamais été un esclave et ma mère non plus. Dans ce cas, je n’aurais jamais travaillé avec vous… »

« Tu as perdu tes fonctions à cause de moi. »

« Non, à cause de Franco, d’une certaine Victoria qui ment comme elle respire et d’un Francesco qui n’est guère mieux. Si vous vous laissez abattre, ils auront définitivement gagné. Puis, en toute honnêteté, peu importe l’endroit où je me trouve, il me suffit d’un toit sur la tête et de la nourriture dans mon assiette. Le reste c’est sans importance. »

Tibéria ne répondit rien. Cassio la distinguait à peine dans la pénombre. Tout ce qu’il voyait c’était la masse de sa chevelure bouclée qu’elle refusait dorénavant de coiffer. Il avait renoncé à tenter de la convaincre. Elle se baignait à peine et mangeait à peine. Il avait l’impression de se tenir devant un fantôme ou un corps sans âme qui existait sans vivre. Elle pouvait passer des heures à regarder le portrait de sa famille sans rien dire. Cassio se demandait si elle reviendrait un jour ou si elle était à jamais brisée. Il y a des événements qui changent les gens et Cassio craignait que la Tibéria pleine de vie qu’il a toujours connue soit morte sous les paroles assassines de la couronne.

« Tu iras t’informer dans les couvents pour Sofia. »

« Je ne peux pas. Vous n’êtes pas en état de prendre une décision éclairée. Il faut vous laisser du temps... »

« Tu peux et tu le feras. » Coupa Tibéria d’un ton sans appel. « C’est mieux ainsi. » Elle marqua une pause avant d’ajouter. « Je dois écrire une lettre… »
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MessageSujet: Re: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeMer 17 Oct 2018 - 22:49


Le lendemain

« Le mieux est que l’enfant reste avec ses parents à moins qu’ils soient incapables d’en prendre soin. Dans ce cas, nous pourrons l’accueillir. » Cassio se balançait sur ses pieds, inconfortable comme il l’avait rarement été dans sa vie. « Je vois. Est-il possible de changer d’idée? Si, disons qu’une décision est prise en pensant que c’est dans le meilleur intérêt de l’enfant, mais que la situation change et que, finalement, il peut revenir de sa famille… »

« Ça arrive. Des parents ayant déjà plusieurs enfants font parfois le choix de céder le dernier né pour s’éviter le fardeau d’une bouche de plus à nourrir. Ou encore une mère qui se retrouve seule pour s’occuper de sa progéniture et finit par se remarier… Je crois qu’il y a autant de raison que de personne… » Elle fronça les sourcils. « Votre accent, vous êtes du sud, n’est-ce pas. » Cassio joua nerveusement avec l’ourlet de sa tunique de serviteur. « Oui. »

« Je vois. » Elle pencha la tête de côté avec le regard d’une personne qui connaît la vérité, mais a suffisamment de sagesse pour ne pas s’exprimer de façon trop directe. « La décision a-t-elle été murement réfléchie? »

« En toute honnêteté, je ne crois pas que la personne puisse correctement réfléchir en ce moment. Le choc a été terrible. » La vieille femme réfléchie un instant. « Est-ce que vous craignez pour la sécurité de l’enfant? »

« Non… Enfin, je ne crois pas qu’elle puisse allez jusqu’à faire du mal, mais elle semble totalement l’ignorer. Elle, la personne, veut donner la meilleure chance possible. C’est ce qu’elle dit. En grandissant dans un couvent ou dans une autre famille, elle aurait une vie honnête et tranquille. Personne ne saurait qui elle est. Elle n’aurait pas à porter le poids des gestes de son père. » Cassio refusait catégoriquement de porter la faute sur Tibéria. Même sous la torture, il resterait sur ses positions. « L’ignorance semble être une bénédiction pour plusieurs, mais il y a un vieil adage qui dit que tout finit par se savoir. Est-il plus facile d’apprendre à vivre avec la vérité toute sa vie où découvrir les fait bien plus tard après une vie de mensonges? Certains diront qu’il n’y a pas de bon choix ou qu’il est impossible de le savoir sans l’avoir vécu. »

Cassio ne cachait pas son air abattu. Il comprenait le point de vue de la prêtresse, mais ça n’aidait pas sa situation. Convaincu que Tibéria regretterait d’abandonner sa fille, il cherchait un moyen d’éviter que ça arrive. « Si l’enfant nous est confié, il aura tous les soins nécessaires. Il apprendra un peu à lire et à écrire. Lorsqu’il atteindra 16 ans, il devra alors se débrouiller seul. Un garçon pourra devenir apprenti avec un peu de chance, mais pour une fille… La vie peut être plus difficile. Les plus chanceuses seront servante dans les grandes maisons alors que les autres... » Elle n’avait pas besoin d’en dire plus. Cassio comprenait parfaitement. Sofia ne sera pas une servante ni autre chose qu’une noble. Avec un peu de chance, elle aura assez d’argent pour s’acheter un mariage avec un riche marchand pas trop regardant ou peut-être même un petit noble. « Essayer de gagner un peu de temps. Peut-être qu’elle reviendra à la raison. Sinon, nous la prendrons. » Cassio acquiesça d’un rapide signe de tête. « Je vous remercie, prêtresse. »
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MessageSujet: Re: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeSam 20 Oct 2018 - 22:58



2 jours plus tard (5 jours après le procès donc)

« Vous ne comprenez pas! Si vous l’envoyez dans cet orphelinat, lorsqu’elle sera plus vieille elle sera au mieux une servante, au pire… une… pu… » Cassio se refusait à prononcer ce mot, refusant d’accepter qu’un rejeton d’une famille aussi ancienne et aussi noble que les Soltari-Beronti soit réduit à écarter les cuisses pour de l’argent. L’argument toucha une corde sensible chez Tibéria qui tiqua légèrement au mot. Elle baissa les yeux sur l’enfant, l’un des rares regards qu’elle lui a accordés depuis des jours. Encouragé, Cassio continua. « Vous avez été éduquée par les meilleurs précepteurs, vous connaissez l’histoire, la géographie et le calcul. Vous savez chanter, jouer d’un instrument de musique et danser… Toutes ses choses vous pouvez les lui enseigner. »

« Ça ne lui servira à rien. Elle n’aura rien. Son nom ne vaut rien… Elle ferait mieux d’intégrer les ordres… »

« Non! Ce n’est pas vrai. Vous ne savez pas comment ça sera demain. Aujourd’hui, c’est ainsi que vous pensez, mais vous avez de la ressource et vous finirez par comprendre qu’il y a bien des choses que vous pouvez faire et que votre pouvoir est encore considérable… »

Tibéria ouvrit la bouche pour rétorquer quelque chose lorsqu’un grand fracas à l’étage inférieur l’interrompit. « Mais qu’est-ce qui se passe encore? » Gronda Cassio en sortant de la chambre comme une flèche. Tibéria regarda encore sa fille avant d’emboîter le pas à son serviteur.

« Mais faites attention! Le chien, attraper ce chien avant qu’il ne brise quelque chose. » Un bruit de verre brisé indiqua qu’il était trop tard pour ça. « Désolé, on ne pouvait pas le laisser là-bas, pauvre bête. Déjà qu’il y a toute la ménagerie qui est encore au palais. » Tibéria descendit prudemment les escaliers. Tout en bas, deux hommes en habit de voyageur s’entretenaient avec Cassio. Tibéria les reconnut. Il y a quelques jours à peine, ils portaient encore l’uniforme des gardes ducaux. « On a été chargé d’apporter quelques petites choses. Les vêtements de la dame, surtout… Des bijoux, enfin, ce qu’on a pu prendre. Je ne pensais pas qu’une femme pouvait accumuler autant de trucs… Oh, bonjour! » Il venait d’apercevoir Tibéria qui se tenait debout au milieu des marches. « Qui vous a envoyé? »

« Votre tante a pensé que vous auriez besoin de ces choses… » Le chien ayant reconnu sa maîtresse renversa presque Cassio et bouscula l’ancien garde pour aller la rejoindre. Il remuait la queue dans tous les sens, heureux d’avoir retrouvé sa maîtresse. Aucune gêne, aucun reproche ou pitié, juste de la pure joie ne brillait dans les yeux du molosse. C’était ironique que ce chien soit le cadeau de Louis de Saint-Aimé, l’homme qui la regardait avec tant de haine maintenant. La bête appuya sa grosse tête contre les cuisses de Tibéria. Il était si puissant et lourd qu’il faillit la faire tomber. « Merci pour tout. »

« Oh, ce n’est rien! » Il lui adressa un grand sourire avant de se retourne vers la porte d’entrée ouverte. « C’est bon, nous pouvons décharger! »

Tibéria descendit complètement les marches pour laisser le chemin libre. Dehors, des hommes déchargeaient les coffres avant de les monter à la chambre sous la direction de Cassio. Tous les hommes étaient d’anciens gardes ducaux. La jeune femme fronça les sourcils. « Comment se passent les choses là-bas? »

L’homme haussa les épaules. « Ça dépend du point de vue. Le château est vide. Pratiquement tous les gardes ont quitté. Certains sont simplement retournés dans leur famille, d’autres sont partis pour l’Ithri’Vaan. Vous saviez que votre tante nous avait fait une offre? Si le procès devait mal se terminer, nous avions une place parmi ses mercenaires si nous le voulions. Voilà pourquoi nous sommes là. Du côté des seigneurs qui vous ont appuyé, ils se terrent dans leur seigneurie. Ils n’ont pas intérêt à faire de bruit. J’ai l’impression que ceux qui prendront la suite risquent de se heurter à de la résistance. Déjà, si j’étais eux, je ne boirais pas l’eau du puis; des esclaves y ont jeté le cadavre d’un veau. Ils ont fait la même chose dans les bains. »

Tibéria ferma les yeux, déchirée entre un bref instant de satisfaction et la désapprobation. Quoi qu’il en soit, ce n’était plus son problème. « Rien ne vous obligeait à rester… »

Un sourire apparu sur les lèvres du mercenaire. « J’avais besoin d’un travail et c’est plutôt bien payé! Pour être honnête, ce qui c’est passé va au-delà de mon niveau de compréhension le plus élevé. Ce que je sais par contre, c’est qu’ils n’ont pas pris le vrai coupable et ça si c’est cela qu’ils appellent de la justice, c’est qu’on vit dans un monde bien pourri. »
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MessageSujet: Re: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeMer 31 Oct 2018 - 0:34



Une ennéades plus tard

Tibéria tira légèrement le rideau pour voir à l’extérieur. Après plusieurs jours — ennéades — passés dans une pénombre quasi perpétuelle, la lumière du jour lui fit mal aux yeux. Toutefois, quelque chose en elle en avait assez de cette réclusion, quelque chose qu’elle croyait mort et qui l’appelait maintenant à sortir. Laissant la fenêtre ensoleillée, Tibéria ouvrit un grand coffre et s’agenouilla devant pour fouiller à l’intérieur. Elle jeta plusieurs de ses tenues au sol avant d’arrêter son choix sur une robe plus simple que les autres. S’habiller après être resté en chemise si longtemps relevait d’un exploit que personne n’allait souligner vu qu’ils étaient tous, visiblement, occupés à autre chose. Cassio préparait comme il pouvait la maison pour passer l’hiver à Diantra et comme la ville n’était pas encore entièrement remise de sa débâcle, trouver des ressources et des vivres demandait plus d’organisations. Heureusement, il avait encore ses contacts à Soltariel et certains ne voyaient pas trop d’objections à envoyer leur marchandise à Diantra tant qu’ils étaient payés. Quant aux autres habitants de cette demeure, ils vaquaient à leurs occupations selon leurs bons désirs. Honnêtement, Tibéria s’en moquait éperdument. Tant qu’on la laissait en paix, le reste elle s’en fichait.

La robe choisit, Tibéria entreprit de la mettre pour se rendre compte bien rapidement qu’elle ne s’était pas habillée seule depuis des années. « Je ne suis pas incapable à ce point! » Gronda-t-elle en tentant vainement de nouer le corsage de la robe. Pour sa défense, même simple, les robes de la noblesse sont généralement conçues pour être mises avec l’aide d’une servante. « Mais qui a eu l’idée d’inventer un truc pareil? » Cela aurait sans doute suffi à faire taire son envie d’aller à l’extérieur si une servante n’avait pas passé la tête dans l’entrebâillement de la porte au même instant, attiré par le raffut de l’ancienne duchesse. « Vous avez besoin d’aide? » Tibéria s’arrêta net. « Non! » Évidemment que oui, mais elle n’allait pas l’admettre, surtout qu’on venait de la surprendre dans une position fort embarrassante. « Oui, bon, ne restez pas planté là et venez m’aider! » Tibéria lui fit signe d’entrer. La jeune fille ne fit pas prier et vint à la rescousse. Moins de cinq minutes plus tard, la robe était mise et l’honneur de Tibéria sauf. Elle prit une cape qu’elle passa à ses épaules. « Je sors. Je reviens d’ici une heure ou deux. » La surprise sur le visage de la servante en vexa presque Tibéria. « Voulez-vous quelqu’un pour vous escorter? » Fit-elle par dire après un trop long moment d’hésitation.

« Non, je vais prendre le chien. » Et cela coupa court à la conversation. Tibéria sortit de la chambre et trouva l’animal au pied de l’escalier. En quelques secondes, elle était à l’extérieur, le capuchon rabattu sur sa tête et la bête sur ses talons. Tibéria aurait préféré sortir sans le dire à personne, mais la maisonnée aurait ameuté toute la ville en découvrant son absence. Elle les imaginait déjà attendre son retour, le nez collé aux vitres des fenêtres, trop heureux qu’elle ait enfin décidé de faire quelque chose.

L’air était bon, quoique frais. Selon la jeune femme, dès que la température tombait sous un certain point, elle avait froid. Du coup, le reste de la population pouvait être parfaitement confortable alors qu’elle grelottait. L’hiver à Diantra promettait d’être intéressant. Autour, d’elle, les rues grouillaient d’animation, des gens allaient et venaient en vaquant à leurs occupations, mais personne ne lui prêtait attention. Elle s’imaginait qu’on allait la pointer du doigt, mais, en réalité, elle n’était qu’une femme parmi tant d’autres. En fait, si on la remarquait, c’était surtout à cause du molosse qui la suivait et qui mettait son nez un peu partout, trop heureux d’être enfin dehors. À un croisement, Tibéria dut se tasser pour laisser passer une bête de somme tirant une énorme charrette remplie de blé. « Attention, ma p’tite madame, ce n’est pas un endroit pour vous! » Elle attendit qu’il soit hors de sa portée pour souffler à l’intention du chien. « S’ils ont une récolte cet automne, c’est à cause du blé que j’ai envoyé. Naturellement, personne ne va me remercier pour ça. » Elle pressa le pas pour s’éloigner, mais tomba rapidement sur les quartiers où les Soltarii avaient fait le ménage quelques mois plus tôt. On voyait les réparations d’urgence et tout ce qu’ils avaient fait dans le but d’améliorer la qualité de vie des habitants. « Ça non plus, personne n’a dit merci. Je n’ai pas fait que des mauvaises choses. J’ai juste épousé les mauvais hommes… et j’en suis réduite à parler à un chien. À qui je pourrais parler, je me le demande… » Elle gratta la tête de l’animal. Il ne comprenait pas, mais ça n’avait pas d’importance pour lui. Sa maîtresse était là et il sentait toutes sortes de nouvelles odeurs. Il ne fallait rien de plus pour le rendre heureux.

En continuant à marcher, des cris et des rires d’enfant attirèrent son attention. Bientôt, elle découvrit une bande de gamins qui s’amusait dans les ruines d’une maison. Quelqu’un avait dégagé les débris et il ne restait plus que les demi-murs en pierre. Ils étaient assez haut pour permettre aux enfants de se cacher sans risquer de leur tomber sur la tête. Tibéria les observa pendant un moment. Ils remarquèrent rapidement la présence du chien excité par cette agitation et les cris aigus, mais il leur fallut un petit moment pour trouver le courage d’approcher cette noble inconnue. C’est finalement un garçon un peu plus grand que les autres qui s’approcha de Tibéria. « Madame, est-ce qu’on peut jouer avec le chien? » La bête, qui répondait au nom de Chien, regarda sa maîtresse, presque suppliant. « Oui. » Le chien bondit en avant et commença à courir dans tous les sens, les babines et la langue au vent. Il y avait tellement de gamins autour de lui qu’il ne savait plus où donner de la tête. On lui lança des bouts de bois sur lesquelles il se précipita comme si sa vie en dépendait et un des enfants trouva même un bout de corde. D’un côté le chien tirait de toute ses forces alors que de l’autre quatre gamins tentaient de le retenir. Pour la première fois depuis le procès, Tibéria sourit. Il y avait tellement de joie et d’innocence dans cette scène qu’elle ne pouvait pas y rester insensible.

Tibéria ne la vit pas tout de suite. Ce n’est qu’après un moment qu’elle aperçut la fillette. Ses cheveux blond sale tombaient sur ses épaules maigrelettes. Tous les enfants étaient visiblement pauvres, mais de tous, elle était la plus affectée. Elle ne s’intéressait pas aux jeux des autres, mais traçait plutôt des choses au sol à l’aide d’un bâton. Tibéria s’approcha de la petite. « Tu ne vas pas te joindre aux autres? » La petite secoua la tête. « C’est dommage, les autres semblent pourtant bien s’amuser. Qu’es-tu en train de dessiner? »

« Un soleil. » Elle avait effectivement tracé un cercle dans la terre et y ajouta tout autour des traits inégaux qui représentaient ses rayons. « C’est joli. Le soleil est le symbole de ma famille. » Elle hésita un peu avant de dire cela, mais la jeune fille la regarda avec de grands yeux comme si c’était la chose la plus impressionnante qu’on lui ait dite de toute sa vie. « C’est vrai? Il y a des hommes qui sont venus. Ils avaient un soleil là. » Elle tapa sa poitrine. « C’était votre famille? » Tibéria secoua doucement la tête. « Non, non, ils n’étaient pas de ma famille, mais ils travaillaient pour moi. »

« Ils ont chassé des méchants et donné de la nourriture. Ils parlaient fort et riaient beaucoup, sauf quand il y avait des méchants. Parfois, ils jouaient avec nous. » Tibéria sourit. « Je suis heureuse d’apprendre qu’ils ont bien fait. » La petite acquiesça d’un grand signe de tête. « Est-ce qu’ils vont revenir? »

« Je ne sais pas. Malheureusement, ce n’est plus moi qui décide. »

« Pourquoi? »

« Des histoires de grandes personnes. »

« Ah… Les grands disent toujours ça quand ils ne veulent pas expliquer. » À cette remarque, Tibéria ne put s’empêcher de rire. Cette petite avait de l’esprit. « Je me souviens d’avoir dit quelque chose de semblable à mon père, il y a très longtemps. »

« Et qu’est-ce qu’il a dit? »

« Il a pincé les lèvres et a quitté la pièce. Je ne crois pas qu’il s’attendait à ce que sa fille ait un tel sens de la répartie. »

« Répar… quoi? »

« Répartie, c’est la façon de répondre à quelqu’un d’une façon qui le surprend.


L’enfant répéta silencieusement le mot avant de sourire. Il lui manquait quelques dents. C’était sans doute ses dents d’adulte en train de pousser, mais Tibéria avait du mal à estimer son âge. Elle était vraiment petite, rachitique même et elle sentait mauvais. Elle devait vivre dans la rue. Où était donc sa mère? « Quel est ton nom? »

« Néry. »

« Néry, c’est très joli! Mon nom est Tibéria. Dis-moi, où est ta maman? » L’enfant haussa les épaules. « Elle n’est pas là, mais elle va revenir. » L’enfant n’en dit pas plus et continua à dessiner a tracer des formes avec son bâton. Bientôt, une fleur accompagnait le soleil. Sachant très bien que Néry ne risquait pas d’en dire plus, Tibéria prit aussi un bâtonnet et traça les lettres de son nom. Cela piqua aussitôt sa curiosité. « Qu’est-ce que c’est? »

« Mon nom. Et ça... » Elle écrivit celui de Néry. « C’est le tien. » Tibéria épela chacune des lettres et montra à Néry comment tracer celles de son nom. La fillette avait tout juste eu le temps de se pratiquer qu’un garçon plus vieux l’appela. « Je dois y aller. » Sans plus d’explication, elle fila comme un lapin. Tibéria n’eut même pas le temps de la saluer qu’elle avait déjà disparu. La jeune femme baissa les yeux une dernière fois vers le dessin de soleil avant de retrouver les gamins qui, entre temps, avaient épuisé le chien avec leurs jeux. La pauvre bête était étendue au sol et n’aspirait qu’à faire une longue sieste en paix. « Eh bien, il faudra bien que tu rentres si tu veux avoir ta ration... » L’appel de la nourriture fut plus fort que tout.

En faisant route vers la maison, Tibéria réalisa soudainement qu’elle n’avait pas du tout pensé à sa situation pendant tout le temps passé avec Néry et les autres enfants. Voir la gamine mettait certainement les choses en perspective : des gens, des enfants même, vivaient des situations nettement plus difficiles que la sienne. Du coup, elle n’avait pas le droit de se lamenter sur son sort ni même de se morfondre. Elle avait encore la possibilité de faire quelque chose, mais ce n’était pas en fixant les murs de sa demeure qu’elle allait y arriver. Elle ne savait pas exactement quoi faire ni comment, mais l’idée germait doucement dans son esprit. Une chose était certaine, demain elle sortira encore avec le chien pour aller au même endroit en espérant y retrouver les enfants et Néry.
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MessageSujet: Re: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeVen 2 Nov 2018 - 0:59


Trois jours après

« Est-ce que ce sera ainsi tout l’automne et tout l’hiver? » Tibéria regardait par la fenêtre de sa chambre, la vue sur la rue brouillée par la pluie qui s’abattait sur la ville depuis trois jours. « Non, l’hiver ce sera de la neige. » Fit remarquer Cassio, occupé à faire l’inventaire des tenues de l’ancienne duchesse. « Il vous faudra des vêtements mieux adaptés à la température hivernale. Cette robe, en plus de choquer la fausse pudeur de ses bonnes âmes du nord, risque de vous donner la consomption. C’est également vrai pour toutes les autres que vous possédez. » L’ancienne duchesse se retourna pour regarder la superbe rode de soie que tenait l’ancien esclave. Le tissu était si léger et souple qu’il suivait toutes les courbes de son corps. « J’adore cette robe. En plus d’être superbe, l’été lors des grandes chaleurs, il n’y a rien de mieux. Je ne comprends pas ces femmes qui acceptent de porter des vêtements aussi contraignants. » Elle portait justement l’une de ces robes à la mode diantraise, mais si le tissu n’était pas moche du tout, il était plus épais et lourd. « Que fait-on avec? »

« Je la garde, bien évidemment. » Cassio soupira. « Vous ne pouvez pas toutes les garder. Nous avons un souci d’espace et vous le savez. Et je suis sérieux pour la consomption. » La jeune femme haussa les épaules. « Alors je mourrai bien habillé! Rien ne dit que je ne retournerai pas au sud, éventuellement. Je ne vais pas gaspiller mon argent à refaire une garde-robe chaque fois que je bouge. » Elle prit la robe et la jeta dans la pile des effets à conserver qui, comme l’avait fait remarquer Cassio, ne cessait de grossir. « Ce n’est pas non plus comme si nous allions donner ces robes à la charité. » Ajouta Tibéria en prenant une autre robe des mains de son serviteur pour la jeter par-dessus la précédente. « Celle-là, c’était un cadeau d’Antonia. » Cassio regarda sa maîtresse, surpris. L’ancienne duchesse avait peut-être repris du poil de la bête, elle avait aussi changé. Dans sa façon de s’exprimer, il sentait un détachement qui n’était pas là avant, comme si elle se moquait de tout. « Une bonne couturière pourrait réutiliser le tissu pour Sofia… » Commença l’ancien esclave qui voulait vraiment pousser Tibéria à se débarrasser de certaines choses au risque d’envahir la maison.

« Je t’arrête tout de suite, si ma fille porte quelque chose, ce sera des vêtements neufs, rien d’autre. C’est une Soltari-Beronti, pas une miséreuse. »

Sofia… Cassio avait réussi à lui éviter l’orphelinat. En désespoir de cause, il avait pris le bébé pour l’installer dans sa propre chambre. Tibéria ne s’était rendu compte de rien, convaincue que son serviteur lui avait obéi et ce manège dura jusqu’au jour où elle mit les pieds dehors. Dès qu’elle fut rentrée avec le chien, elle demanda à voir sa fille, sans plus d’explication. D’abord il lui dit qu’elle était à l’orphelinat et lorsqu’elle menaça de mettre la ville à feu et à sang pour la récupérer, il lui avoua l’avoir caché avec l’aide de la nourrice, sachant que le jour où elle voudrait à nouveau s’occuper d’elle viendrait éventuellement. Elle ne fut guère tendre envers Cassio pour lui avoir menti, mais au fond elle était soulagée. Elle avait vu la misère des enfants de la ville et ça l’avait fait réfléchir. Cela dit, le serviteur n’était pas dupe. Le soir même, il surprit Tibéria en train de parler à sa fille. Elle lui racontait à quel point le procès avait été horrible, que Victoria di Maldi et Francesco di Castigliani pour l’outrage à leur famille et que ça sera son devoir, un jour, de se faire justice pour ce qui aurait dû lui revenir. Certes, le bébé ne comprenait rien, mais les paroles de Tibéria étaient hautement symboliques. Sofia ainsi que tous les enfants qui naîtront des sœurs Soltari-Beronti, seront nourris de cette rancœur et grandiront en haïssant profondément les responsables de cet affront jusqu’au jour où le sang sera versé pour réparer le méfait.

« Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, mais nous manquons de place et nous n’avons plus Beronia pour faire disparaître les trop-pleins de garde-robe. »

Elle explosa

« Je sais que je n’ai plus Beronia, pas besoin de me le rappeler! Je n’ai pas non plus Soltariel, je n’ai rien. Une noble sans-terre, ce n’est pas un noble. Ils se croient peut-être miséricordieux dans leur jugement, mais ils ne le sont pas. Ils sont cruels et perfides. Ce petit chancelier doit être en train de lécher les pieds de cette catin de Victoria et ce Francesco… Il peut s’enfoncer ses bateaux là où je pense. Et Ange… Ange, ma chère cousine, celle qui a promis de rester à mes côtés pour me trahir ensuite avec le premier homme qui lui a susurré de douces paroles à ses oreilles… Elle a trahi son sang et elle en mourra. Ils vont tous regretter ce qu’ils ont fait, j’en fais le serment et quand ils comprendront à quel point ils ont été stupides, il sera trop tard. Maintenant, si c’est pour me faire une autre remarque du genre, tu peux quitter cette maison. Tu as compris? Laisse-moi tranquille! »

À la fois blessé et effrayé par la véhémence de Tibéria, Cassio balbutia des excuses et quitta la pièce précipitamment. La jeune femme resta debout au milieu de la pièce, le souffle rapide et le sang rugissant dans ses veines. Jamais elle n’avait éprouvé tant de haine. Jamais elle n’avait autant désiré la mort de quelqu’un. Quelque chose était brisé en elle, quelque chose qui ne se réparera jamais vraiment. Elle voulait la paix, elle a eu la guerre, elle va donc leur donner un enfer. Peu importe le temps que ça prendra, dès le lendemain le processus se mettrait en marche.
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MessageSujet: Re: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeSam 3 Nov 2018 - 1:54


Un soleil timide apparu enfin entre les nuages après 4 jours de pluie et de vent. Lasse d’être enfermée entre quatre murs, chaque membre de la maisonnée se trouva une excuse pour aller dehors. Que ce soit pour aller faire des achats, laver le linge ou juste prendre l’air, la demeure se vida rapidement de ses occupants et dans la petite cour attenante, s’élevait un flot perpétuel d’injures plus colorées les unes que les autres. « Espèce de corniaud, t’as autant d’charisme qu’une huître malade et t’penses pouvoir m’donner la l’çon? ». Deux épées s’entrechoquèrent sous les encouragements des servantes occupées à laver les draps. « Et toi, t’as l’jeu de jambes d’une coureuse des remparts! ». Quand la température le permettait, il n’était pas rare de voir les anciens gardes ducaux s’exercer dans la cour. Quatre d’entre eux restaient officiellement à la maison afin de protéger ses occupants contre un éventuel sale coup. En général, l’exercice se terminait dans une guerre d’injures à faire rougir les oreilles les plus chastes. Étonnant quand même que ces hommes aient été réputés pour être les meilleurs parmi les meilleurs. « C’quand la dernière fois qu’ta été assez près d’une gueuse pour le savoir? C’pas avec le p’tit asticot que t’as dans le pantalon que t’vas satisfaire ces m’dames. »

« Bha moi au moins, y s’lève pis y s’tient bien droit quand y faut, peu importe l’heure. C’pas comme certains qui doivent l’astiquer pour qu’il s’redresse. » Les lingères gloussèrent de rire. Piqué au vif, le malheureux visé par cette remarque voulut aussitôt défendre son honneur, mais il fut aussitôt interrompu par l’arrivée de Tibéria… en pantalon. Elle portait ce qu’elle appelait sa tenue de cavalière. Il s’agissait en fait d’une sorte d’armure légère en cuir qui n’offrait pas vraiment de protection contre les armes, mais qui restait nettement plus pratique qu’une robe pour voyager. « Désolée d’interrompre votre discussion sur vos exploits sexuels, mais j’ai besoin de vous. »

« Vous désirez aller quelque part? » Elle fit non de la tête et désigna plutôt son épée qu’il tenait toujours à sa main. « Montrez-moi. »

« Quoi? »

« Je veux apprendre à me battre à l’épée, montrez-moi. »

« Êtes-vous seulement capable d’en tenir une? » Le foudroyant du regard, la jolie brunette s’approcha de l’ancien garde pour lui prendre son arme des mains. Plus lourde qu’anticipée, elle faillit l’échapper au sol. « Il doit certainement en avoir de plus légères. Alors, vous pouvez m’apprendre? »

« Hernando va nous écorcher vif. »

« Il n’est pas là et c’est moi qui vous le demande. Par quoi on commence? »

L’ancien soldat regarda Tibéria des pieds à la tête en se grattant le crâne. « Il faudrait déjà commencer par vous renforcer un peu. C’est qu’vous êtes petite hein, toute délicate. S’il y a des femmes qui savent se battre à l’épée, elles font facilement le double de votre taille, autant en hauteur qu’en largeur. »

« Pour la grandeur, j’en suis consciente, merci. Pour le reste... » Elle fronça les sourcils, peu enthousiaste à l’idée de prendre du poids. « Bon, arrêter de tourner autour du pot et montrez-moi. Je ferai ce qu’il faut. »

Ainsi commença l’improbable première leçon de maniement d’armes de Tibéria qui se rendit rapidement compte de ses limitations. Épargnée toute sa vie du moindre effort physique, elle n’était pas du tout en forme et non seulement s’essouffla-t-elle rapidement, mais ses muscles ne firent guère mieux. Bientôt, elle fut à peine capable de soulever ses bras et ses cuisses étaient en feu à force de faire des fentes. « Nous ne sommes pas équipés pour former un débutant. » Déclara l’un des mercenaires alors que Tibéria massait l’un de ses bras en grimaçant. « Alors il faudra se procurer ce qu’il faut, car je n’ai pas l’intention d’arrêter. Comment faites-vous pour ne pas être essoufflé? »

« En fait, Hernando nous faisait régulièrement courir. » Tibéria se souvenait d’avoir effectivement vu les gardes courir en petits groupes autour du château. Hernando les suivait en les couvrant d’insultes. Du coup, l’ancienne duchesse avait vu cela comme une punition que leur imposait leur chef et non pas comme un entraînement quelconque. « Combien de temps? »

« Aussi longtemps que nos jambes pouvaient le supporter et plus encore. Étrangement, ça devient de plus en plus facile, mais il ne faut pas arrêter. »

Tibéria n’avait pas du tout envie de courir, mais si c’est cela qu’il fallait faire. Elle avait une idée en tête et, comme d’habitude, elle irait jusqu’au bout. « Très bien, alors on y va… tous. »

~~~~~~

Quelques heures plus tard


En fait, Tibéria fut incapable de rentrer d’elle-même à la maison. L’un des anciens gardes dut la porter, car ses jambes ne supportaient même plus son propre poids. Pour une première fois, elle avait voulu trop en faire. Du coup, elle avait la vague impression qu’une charge de cavalerie venait de lui passer sur corps. Après un long bain chaud à la limite du supportable, elle s’écroula sur son lit en sachant pertinemment qu’elle ne pourrait pas s’en relever sans aide. Elle somnolait lorsque la porte de la chambre s’ouvrit. « Je vous dérange? » Elle releva la tête pour apercevoir Cassio qui se tenait respectueusement à distance du lit. « Non… J’ai mal partout. » Avoua-t-elle piteusement. « On m’a raconté. » D’abord, il n’y avait pas cru, puis il fut bien forcé lorsqu’il vit Tibéria ainsi affalée dans son lit dans un état d’épuisement extrême. C’était bien elle de se lancer à corps perdu dans une entreprise aussi folle.

« Cassio, je voulais te dire… Je suis désolé, vraiment. Je ne pensais pas ce que j’ai dit... »


« Oh oui, vous le pensiez. » Rétorqua l’ancien esclave en s’approchant du lit. Il aida Tibéria qui se redressait péniblement pour mieux le regarder. « Mais je vous comprends. Vous êtes blessé et c’est normal. C’est encore tout nouveau et je n’aurais pas dû dire ce que j’ai dit non plus. J’ai aussi besoin de m’adapter à ce changement. »

« À vrai dire, Cassio, la seule chose que je veux vraiment… Je m’en moque du titre. Ça n’a pas d’importance… Tout ce que je veux, c’est rentrer à la maison. Je veux rentrer chez moi. » Son visage se froissa et les larmes inondèrent ses joues. « À l’accouchement, j’ai fait ce rêve… J’étais à Beronia. Il y avait ce magnifique coucher de soleil. La villa flamboyait. Tu sais comment ça peut être joli... Il y avait de la musique et des rires… Puis mon père était là aussi. J’aurais pu rester là-bas. J’ai fait le choix de ne pas le faire, pour Sofia. Je ne pensais pas à ce moment-là que je ne reverrais plus jamais… jamais la plage et les jardins, la bibliothèque et la salle de musique… Et… et... » Elle s’essuya les yeux. « Qu’on m’ait enlevé le titre, je m’en fou… Mais qu’on m’ait enlevé ma maison et mes souvenirs… Avoir su… Je serais resté là-bas… Ils n’auraient pas pu m’atteindre. Je sais, c’est égoïste, mais… ma famille ne serait pas déçue et je serais chez moi. Peut-être même que ça aurait été mieux pour Antonia et Paula que je sois morte ce jour-là... »

Elle ne l’avait dit à personne. Ce rêve, en était-ce vraiment un? Il lui avait semblé si réel. Elle pouvait presque sentir encore la brise sur sa peau et le son de la musique. Cassio se démena pour trouver un mouchoir et avec une grande délicatesse, il essuya les joues de la jeune femme. « Ne dites pas cela, je vous en pris… Le monde aurait perdu quelqu’un d’immensément bon. Ça ira mieux avec le temps… Et j’ai bien peur de ne pas pouvoir vous aider plus que ça. Je le regrette, je ne suis pas un chevalier dans une armure brillante ou un puissant seigneur avec toute une armée… Je ne suis qu’un serviteur et mon plus grand combat en ce moment est contre un chien qui gruge les pattes des meubles. »

Pourtant, dans l’esprit de Cassio, il y avait le souvenir d’un petit garçon qui avait aussi pleuré pour rentrer à la maison...

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MessageSujet: Re: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeJeu 13 Déc 2018 - 2:03


"We all change, when you think about it. We’re all different people all through our lives. And that’s OK, that’s good, you gotta keep moving, so long as you remember all the people that you used to be."

Lorsque Christian franchit les portes de Diantra, il fut surpris par l’état des lieux. Certes, toutes les cicatrices n’avaient pas été effacées et certaines ne disparaitront jamais, mais les habitants de la capitale déployaient tous les moyens nécessaires pour faire oublier le mauvais moment qu’a traversé la capitale. L’activité y était encore timide et l’enthousiasme prudent, mais les gens se tournaient vers l’avenir et ce petit roi caché entre les murs épais de son palais à moitié en ruine. Christian avait une dent contre Bohémond ou plutôt ces bonnes âmes qui parlaient en son nom. Ils avaient rendu un jugement qu’il estimait injuste et qui, surtout, ruinait ses chances d’un jour surpasser ses frères. C’était passé si près! Un peu plus et il posait ses jolies fesses sur un fauteuil de conseiller en tant qu’agent officiel des mages de Soltariel. Son frère aurait eu le bec cloué et lui, et bien il aurait eu la belle vie. Plusieurs portaient volontiers le blâme sur Tibéria, mais ces gens n’ont aucune idée de comment les choses se passent à Soltariel. Derrière les portes closes de ses riches demeures, les complots s’échafaudent et les allégeances changent au même rythme que les marées. Certes, elle n’était peut-être pas blanche comme neige, mais personne ne l’est à Soltariel. Puis bon, il pouvait difficilement être en colère contre la belle pour la simple et bonne raison que dès qu’il posait les yeux sur cette femme, il la voulait dans son lit. La dernière fois qu’il s’était entretenu avec Tibéria, elle était ronde comme un baril de vin, ce qui avait grandement tempéré ses ardeurs. Depuis, elle avait expulsé le marmot et, selon ce qu’il avait entendu entre les branches, retrouvé ses formes. Cela dit, il n’avait pas fait le voyage depuis Soltariel simplement pour la consoler. Il avait vraiment des nouvelles à lui transmettre, mais si la jeune femme manifestait l’envie d’être réconforté, Christian serait son obligé. Avant cela, il devait encore trouver l’endroit où elle logeait. Il savait que la famille possédait une maison dans la capitale, mais où? Sans doute dans les beaux quartiers, mais il y avait plus d’une demeure serrée les unes contre les autres avec des styles très semblables. Quel ennui! Nous ne sommes qu’à quelques jours de Soltariel et me voilà dans un monde où les mots fête et amusement ne doivent pas exister. « Tout est si… solennel. » Pensa-t-il alors qu’il remontait une rue pavée de pierre. Il fixait chaque devanture à la recherche du détail qui trahirait l’origine de ses occupants.

Pendant une bonne demi-heure, il ne vit rien. Le mage aurait pu demander son chemin, mais il ne tenait pas à se faire remarquer ni à subir la mauvaise foi des habitants du coin. Au bout d’un moment, Christian se demanda même si cette maison existait vraiment lorsqu’il l’aperçut enfin. Elle était semblable à toutes les autres avec sa devanture en pierre — morne selon les goûts soltarii — mais sa porte en bois la rendait plus intéressante. Le détail était subtil et il fallait s’approcher pour bien voir, mais sur le panneau, un artiste avait ciselé un soleil en bas-relief, le symbole de la famille Soltari-Beronti. C’était donc là que se cachait la jeune femme. Elle devait se sentir étouffer dans un endroit pareil. Pas de balcon, pas de grands jardins avec ses arches et ses fontaines, c’était un endroit bien morne, même pour une noble dépossédée. En fait, d’un point de vue purement soltarii, ce n’était pas tellement mieux qu’une prison. Si jamais son instinct se trompait, il pourra toujours demander son chemin, mais à sa grande satisfaction, la porte s’ouvrit sur un visage familier. « Que faites-vous ici? » Aboya Cassio comme parole de bienvenue. Christian haussa un sourcil. « C’est ainsi que vous recevez vos invités? Laissez-moi vous dire que ce n’est pas tellement digne d’une maison du sud. »

« Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais nous sommes à Diantra. »

« Certes, mais la maison est habitée par des Soltarii à ce que je sache. Alors, vous me laissez entrer ou dois-je faire le pied de grue devant la porte? J’ai des nouvelles à transmettre à la dame de la maison. »

« Pourquoi ne pas l’avoir fait dans une lettre? »

Cassio n’aimait pas Christian. Il entretenait de sérieux doutes sur les intentions du mage depuis le jour où il se présenta à Tibéria. C’est que le noble avait une réputation qui le précédait, celle d’un tombeur invétéré partageant son temps entre les bordels et les fêtes les plus démentes. Son frère ayant œuvré à la chute de sa maîtresse, Cassio avait désormais une raison de plus de le haïr. Pourquoi était-il ici? Pourquoi tenait-il tant à parler à Tibéria? Venait-il pour se moquer d’elle et ainsi rapporter à son frère les conditions dans lesquelles l’ancienne duchesse vivait maintenant?

« Je ne suis pas ici au nom de mon frère si c’est cela qui vous inquiète. » Cassio fronça les sourcils. Les mages peuvent-ils lire dans les pensées? « Voyez-vous, Tibéria et moi nous nous entendions plutôt bien du temps où nous travaillions ensemble à rassembler les mages. Je suis venu rendre visite à une amie qui vit des moments difficiles. À ma connaissance, ça ne fait pas de moi un criminel. »

L’intendant releva le menton, bien décidé à ne pas le laisser passer qui à tomber dans les coups bas.

« Si elle est vraiment votre amie, pourquoi n’étiez-vous pas au procès? »

Un soupir.

« Ma présence n’aurait rien changé à la situation et vous le savez très bien. » Commença-t-il lentement. « Maintenant, cessez d’être ridicule et laissez-moi entrer. Il n’y a qu’une personne ici qui peut juger si ma présence est indésirable ou non et c’est Tibéria. Empêchez-moi et je ferai en sorte que toute la ville soit au courant. Je suis particulièrement doué dans les scandales! » Christian ne cachait pas son agacement devant le serviteur un peu trop protecteur, et il n’hésitera pas à mettre ses menaces à exécution. Cassio le cru aussi et, après un bref instant d’hésitation, se retirer enfin pour le laisser passer.

L’intérieur de la maison ne l’éblouit pas particulièrement. Certes, elle était décorée avec bon goût et l’influence suderonne se faisait sentir dans chacune des pièces, mais justement, ces dernières étaient petites et confinées. Même si un effort fut fait pour profiter au maximum de l’ensoleillement, ça n’avait rien à voir avec ce que l’on pouvait voir au sud.

« Tibéria se trouve présentement dans la cour » Indiqua Cassio en se plantant devant lui. « Je vais aller la chercher. »

« Oh non, pas besoin, je peux aller la rejoindre. »

Sans plus attendre, Christian contourna Cassio en lui offrant son plus gracieux sourire et longea le couloir au bout duquel se trouvait l’accès de la cour adjacente à la maison. Il tomba alors sur un spectacle fort étonnant. Comme le serviteur l’avait annoncé, Tibéria s’y trouvait bel et bien. Debout au milieu de la cour, elle avait troqué ses habituelles robes pour un pantalon et une tunique. Ce simple détail était extraordinaire en soi et laissait Christian sans voix, mais plus surprenant encore était ce qu’elle y faisait. Armée d’une simple épée en bois, elle attaquait férocement l’homme qui lui faisait face et qui paraît ses coups maladroits tandis qu’un second commentait les performances de l’ancienne duchesse par des paroles encourageantes. Elle était terrible. Christian avait assez d’expérience en la matière pour le voir. Comme ses autres frères, il avait subi de longues et pénibles leçons avec les meilleurs instructeurs que la fortune familiale pouvait payer, mais ça ne l’avait jamais vraiment passionné. Malgré cela, il avait bel et bien retenu certaines techniques de ce noble art et, en l’occurrence, Tibéria ne les appliquait pas du tout ou ne faisait pas le moindre effort de le faire. Pourtant, cette absence de grâce était compensée par la férocité de la jeune dame. Elle y mettait littéralement toutes ses tripes. Elle frappait encore et encore avec une hargne qui aurait fait reculer n’importe qui. Tibéria se moquait bien de la méthode, elle voulait détruire. Pour Christian, il n’y avait aucun mystère quant à l’identité de la personne qu’elle imaginait lui faire face. Cette colère tranchait avec l’image maîtrisée qu’il lui connaissait depuis toujours, invariablement parfaite dans ses robes sans faux-plis et ses cheveux soigneusement coiffés. Ses cheveux, il fallait en parler. Cette masse de boucles noires échappait maintenant à tout contrôle et tombait librement sur ses épaules et son dos. Voilà donc comment était Tibéria sans ses artifices. La vraie Tibéria, sauvage, déterminée et prête à mettre le monde à feu et à sang. Christian en frissonna et lorsqu’on signala enfin sa présence et qu’elle tourna vers lui un visage luisant de sueur et rougi d’effort, il l’imagina sans peine dans un tout autre contexte au point d’en perdre pratiquement la voix. « Christian, que faites-vous ici? » La surprise sur son visage ne suffisait pas à cacher la méfiance qui brillait dans ses yeux.

« Je… heu... » Peut-elle l’avait-il vraiment perdu. « Je tenais à vous rendre visite et voir comment vous vous portez. Je constate que vous avez retrouvé votre énergie. Vous êtes resplendissante! » Idiot, Christian se serait frappé lui-même, mais il se contenta de sourire en espérant ne pas avoir l’air niais.

« Je vais bien, merci. Votre frère sait-il que vous êtes ici? » Polie, comme toujours, mais un mur invisible venait de s’ériger entre eux. Il n’était pas encore le bienvenu dans cette maison.

« Oh, ça le fera certainement grogner de l’apprendre, mais, pour être honnête, je m’en moque. Je vous ai apporté un cadeau, ainsi que quelques nouvelles de Soltariel si cela vous intéresse. C’est à propos des mages. »

Tibéria rendit son épée factice à l’un de ses instructeurs. « Je vais aller me changer. Attendez-moi dans le salon, j’en ai pour un moment. » Trop bien élevée pour simplement le mettre à la porte. Le mage s’interrogeait maintenant à savoir s’il avait eu une bonne idée ou pas. Pourtant, il faillit bien proposer de l’accompagner, mais il retint sa langue juste à temps. « Bien sûr, prenez votre temps. »

Les bonnes manières auraient exigé qu’il s’annonce avant de se présenter, mais il ne l’avait pas fait. Maintenant il s’en félicitait, car il ne l’aurait jamais été témoins de cette scène sinon. Du coup, il ne posa aucune question ni ne se montra impatient pendant l’heure qu’il attendit au salon que l’ancienne duchesse ne vienne à lui. Il examina plutôt le portrait de famille accroché au-dessus du foyer et fit les cent pas jusqu’au retour de la jeune femme. Cheveux coiffés et robe élégante, Tibéria avait repris son rôle d’apparat. Jolie, certes, mais bien terne comparativement à la fougueuse créature de tout à l’heure. « Maintenant, pouvez-vous vraiment me dire ce que vous faites ici? » Pourquoi se perdre en politesses inutiles lorsque l’on peut aller directement au but?

« Je vous l’ai dit, j’ai quelques nouvelles à vous apporter, mais je voulais surtout voir comment vous vous portiez. »

« Bien, je suppose. » L’agacement était palpable dans la voix de Tibéria. Christian décida donc d’y aller franchement, lui aussi.

« Vous êtes fâché contre moi. »

« Non! Non, je ne le suis pas. Enfin, si… » Le chat sortait du sac « Peut-être un peu, mais je sais que vous n’y êtes pour rien. C’est juste que vous êtes le frère de l’un des signataires et vous vous présentez à ma porte. Comment suis-je censé réagir? »

« Ça fait de moi le bouc émissaire idéal, naturellement. C’est la tête de mon frère que vous imaginiez frapper tout à l’heure? »

Tibéria grimaça, consciente que son comportement n’était guère digne de sa personne même si elle avait toutes les raisons du monde d’être en colère.

« Non, mes préférences vont à une certaine comtesse et à un vice-amiral, amiral ou je ne sais plus trop quoi. On l’a certainement récompensé pour le courage dont il a fait preuve en faisant face à une femme seule. Il doit se sentir comme l’incarnation même de la virilité, lui ainsi que son frère. Ce sont de véritables héros, à n'en point douter.» L’ironie était à peine perceptible, vraiment. Christian rit doucement, heureux de sentir en elle cette once de combativité plutôt que de la voir se morfondre toute seule et ruminer de sombres pensées. « Et ça vous aide? »

Elle haussa les épaules.

« Oui… Enfin, ce n’est pas aussi satisfaisant que si c’était vraiment leur tête que je frappais, mais ça fait du bien. Donc, ces nouvelles? »

Tibéria lui fit signe de prendre place dans l’un des fauteuils. Il s’exécuta au même moment où elle prenait place face lui.

« Oui! En fait, c’est à propos des mages. Dès que la nouvelle du verdict fut transmise, certains sont venus me voir en me demandant ce qui allait advenir du projet de l’Académie. Je leur ai dit qu’il n’y aurait probablement pas de suite et qu’ils étaient maintenant libres de faire ce qu’ils voulaient. J’en suis certain, ils reprendront rapidement leurs bonnes vieilles habitudes de se taper mutuellement sur la tête. »

« Et vous avez fait tout ce chemin pour me dire ça? »

Le mage haussa les épaules d’un air coupable.

« Pour être parfaitement honnête, je voulais surtout prendre de vos nouvelles. Je ne peux qu’imaginer comment l’on peut se sentir lorsqu’on vous fait payer pour les actes d’un autre. Le mot terrible me vient à l’esprit, mais je ne suis pas certain qu’il s’approche de la vérité. »

Le regard de Tibéria se fixa au sien avant de se détourner. De prime abord, tout laissait croire qu’elle allait assez bien, mais Christian savait trop bien que les apparences ne sont pas toujours ce qu’elles sont. Elle semblait tout à coup attristée comme si la carapace se fendait et laissait voir émotions que la jeune femme peinait encore à maîtriser. Il regrettait maintenant d’être venu et il ne souhaitait absolument pas aviver de mauvais souvenirs.

« Je suis triste de savoir que tous les projets que j’avais en tête ne se réaliseront pas... » Dit-elle enfin après un long moment de silence. Christian ne la força pas à parler, mais si elle souhaitait le faire, il était là pour l’écouter.

« Je ne voulais pas vous peiner en venant ici, croyez-moi. »


Elle secoua la tête vivement avant de se forcer à sourire, comme si cela suffirait à le convaincre.

« Il y a de bons et de mauvais jours. C’est un deuil à faire et ce n’est pas de votre faute. »

« Certes… Et un deuil peut être long à traverser et certaines choses peuvent aider. Je suppose que c’est ici que mon cadeau trouvera toute son utilité! »

Il se leva de son fauteuil et traversa le salon pour prendre les deux bouteilles de vin qu’il avait précédemment posé sur une desserte.

« J’ai le souvenir d’un repas où vous avez affirmé apprécier particulièrement ce vin. » Dit-il en lui donnant l’une des bouteilles. « Je dois dire que cela m’étonne, car c’est un produit corsé qui ne plaît pas à tous les palais, encore moins celui des femmes. Même moi j’ai pris du temps à l’apprivoiser. »

« Et parce que je suis une femme, je devrais aimer les vins doux et sucrés, c’est cela? »

« Non non, je dis simplement que vous ne cesserez jamais de me surprendre! »

Un sourire fleuri sur les lèvres de Tibéria. Christian la sentait toujours à fleur de peau, mais un peu moins sur la défensive. Il était impuissant face à sa situation, mais s’il pouvait au moins lui changer les idées, même brièvement, ça serait une victoire en soi.

« Je suppose que vous resterez pour le dîner? »

« Si vous voulez de moi, bien entendu. »

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MessageSujet: Re: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeJeu 20 Déc 2018 - 2:33


“Great men are forged in fire. It is the privilege of lesser men to light the flame.”


Plus tard ce soir-là

« Vous êtes saoule. » Christian la pointait du doigt, à moitié affalé sur le canapé, une coupe de vin presque vide à la main. Son regard brillant ne mentait pas sur son état ni ses vêtements débraillés. Il avait chaud et c’était autant à cause de l’alcool que de la présence de Tibéria.

« Pas plus que vous. » Rétorqua l’ancienne duchesse dans un état guère plus brillant que celui de son invité. Le mage renversa la tête vers l’arrière en éclatant de rire.

« Point accordé! »


Christian gloussait encore alors que Tibéria vidait d’un trait le restant de sa propre coupe. Après avoir mangé ensemble, ils s’étaient retirés au salon pour discuter. Plus le temps passait, plus le vin coulait à flots, déliant les langues et les bonnes manières. Les tensions de l’après-midi étaient oubliées depuis longtemps.

« Vous savez, Tibéria, j’envie votre situation! » S’exclama Christian après un moment de silence.

La jeune femme éclata de rire.

« Vous voulez dire que vous aimeriez être dépouillé de vos biens, de votre nom et de risquer l’indigence si je ne trouve pas un moyen de faire moi-même de l’argent? Vous ne pouvez pas être sérieux! »

Christian secoua vivement la tête ce qui s’avéra être une mauvaise idée, car toute la pièce commença à tourner.

« Vous n’êtes pas pauvre, vous avez encore un toit sur la tête et un personnel à votre service, non? Ce n’est pas comme si je vous aurai retrouvé en train de mendier dans la rue. En plus, vous avez bien cette tante qui vit du côté de Thaar… Vous pourriez prendre sa relève. »

« Je n’ai plus les revenues de Beronia. Quant aux activités de ma tante, elle n’est pas éternelle et je ne crois pas avoir l’étoffe de prendre sa suite. Le personnel a fortement été réduit et si j’ai encore un trésor qui me permet de vivre confortablement dans l’immédiat, celui-ci n’est pas sans fond. Il finira par disparaître si je ne trouve pas le moyen de le faire fructifier. Honnêtement, je ne vois pas ce que vous enviez à ma situation… »

Jusqu’à présent, Tibéria passait une excellente soirée. Christian arrivait à lui faire oublier tous ces problèmes pour ensuite les lui rappeler. Elle voulait juste penser à autre chose, ne serait-ce que pour quelques heures, avoir un moment de répit où elle aurait l’impression que tout va bien.

« Vous voyez le verre à moitié vide! Moi, je vois une infinité de possibilités, mais surtout aucun compte à rendre. À partir de maintenant, vous pouvez être qui vous voulez, littéralement, à condition d’en avoir le cran. N’est-ce pas fantastique? »

Elle haussa un sourcil. Décidément, l’alcool donnait de drôles d’idées à cet homme même s’il y avait quelque chose de séduisant dans ses propos.

« Qui je veux? »

« Tout à fait! Lorsque je vous ai vu cet après-midi, les cheveux au vent, vêtu d’une tunique et d’un pantalon, j’avais devant moi une fougueuse aventurière prête à prendre le monde d’assaut! » En fait, l’alcool le rendait grandiloquent, mais Tibéria trouvait cela amusant.

« Je suis terrible avec une épée. »

« Je n’osais pas le dire, mais vous pouvez apprendre. Quant à vos revenues… »

Il balaya la pièce d’un regard en quête d’inspiration. Il vit la bouteille de vin à moitié vide et eut une idée.

« Pourquoi pas la production d’alcool? Ou la vente, je ne sais pas quoi… Investissez votre trésor en achetant aux producteurs et en faisant de l’exportation. Faites connaître les produits rares et peu communs au reste du monde! Votre famille n’était-elle pas constituée de marchands? Qu’avez-vous à perdre? »

« Le peu d’argent qu’il me reste? Vous avez raison pour ma famille, mais ça ne signifie pas que j’ai cela dans le sang. Surtout que maintenant, je pars de zéro. Soyons honnête, la fortune de ma famille c’est bâtie sur plusieurs générations. » Un travail de longue haleine qui profitera à quelqu’un d’autre.

« Soyez un peu plus positive! Surtout, sachez prendre des risques. Vous êtes une femme magnifique! Séduisez vos partenaires d’affaires et ils vous mangeront dans la main. On s’en moque de ce que les autres penseront. Ce sont tous des casse-pieds de toute façon. »

D’un naturel exubérant, Christian tendait à parler énormément avec ses mains, faisant de grands gestes pour mettre l’emphase sur ses paroles. Il partageait se trait avec de nombreux Soltarii. Cela dit, saoul, Christian en devenait étourdissant.

« Je ne suis pas si… jolie que ça. Trop petite déjà… »

« Baliverne! Sottise! »

Tibéria aurait pu lui avouer qu’elle était un homme et le mage aurait sans doute réagi de la même façon. Scandalisé, Christian se leva d’un bond pour mieux se jeter aux pieds de Tibéria, toujours assise dans son fauteuil. Dans le processus, il renversa le reste de sa coupe de vin sur le tapis hors de prix, mais ni lui ni la belle ne sembla le remarquer. Non, il la regardait plutôt avec une envie non dissimuler. Christian voulait toucher son visage, ses lèvres et son cou gracile, mais il agrippa plutôt les bras du fauteuil pour résister à ses pulsions nourries par l’abus d’alcool.

« Vous êtes sublime, ce regard… » Lui assura Christian en la regardant droit dans les yeux. « Vous n’avez aucune idée à quel point vous me faites languir et je ne suis pas le seul. Vous êtes une femme magnifique. Naturellement, si vous n’avez pas foi en ce que vous possédez, pourquoi me croiriez-vous si je vous disais que chaque centimètre de votre corps devrait être honoré avec la même dévotion que l’on accorde à une déesse. »

Devant ses yeux, Tibéria rougit.

« Vous n’êtes qu’un beau parleur qui a bu beaucoup trop de vin. Faites attention, vos paroles frôlent le sacrilège. »

Un sourire ravageur se dessina sur les lèvres de Christian, peu ému à l’idée d’offenser les dieux. Le fait de la voir ainsi embarrassée devant ses propos l’encourageait à aller plus loin encore.

« Peut-être, mais ne vous l’ai-je pas dit que vous refuseriez de me croire? Pourtant, quand vous souriez, vous illuminez le monde autour de vous et mon cœur s’emballe dans ma poitrine, menaçant d’en sortir. Votre peau est plus douce encore que les plus riches étoffes du Langehack et porte l’éclat subtil du soleil. Même au plus froid de l’hiver dans ces contrées sombres, vous serez une beauté du sud que les ténèbres ne faneront jamais. Mes pensées ne peuvent que s’enflammer lorsque j’ose imaginer ce qui se cache sous le tissu de vos robes et l’interdit que cela représente. Dois-je continuer? »

Pour son plus grand plaisir, Tibéria éclata de rire.

« Vous êtes épouvantable! »

Un sourire goguenard sur les lèvres, il se releva sans toutefois la quitter des yeux. La mollesse de ses protestations lui indiquait qu’elle prenait plaisir à se faire ainsi couvrir de compliments bien qu’il soit en train de tomber dans la caricature de l’homme séducteur. Ça l’amusait et s’était tout ce qui comptait.

« Et ce n’est rien… Si vous saviez toutes les pensées qui me traversent l’esprit en ce moment sur toutes ses choses que j’aimerais vous faire. » Il s’arrêta brièvement, évaluant le risque de se montrer aussi franc avant de reprendre d’une voix à peine plus haute qu’un murmure. « Je boirais le miel de vos lèvres jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une goutte... »

« Suis-je censé être capable de respirer? » Gloussa-t-elle, ses joues se colorant un peu plus de rouge.

Christian plissa les yeux, son expression à mi-chemin entre celle d’un homme simplement amusé et celle d’un prédateur.

« Soit c’est le manque d’expérience, soit c’est l’imagination qui est déficiente... »

Avec Tibéria, il était si facile de savoir ce qu’elle pensait. Son visage expressif la trahissait et l’alcool n’aidait en rien sa condition. Ainsi, Christian vit clairement le fil de ses pensées tandis que ses propos prenaient peu à peu leur sens dans ses pensées. Elle passa en l’espace de quelques secondes du questionnement à la surprise puis à l’indignation.

« Vous êtes un goujat! Le pire de tous! Comment osez-vous parler à une femme de cette façon? »

Elle le frappa sans grande conviction sur le torse avec le plat de sa main, le faisant rire.

« Un homme vous a-t-il déjà parlé de cette façon? »

« Non, parce que ça ne se fait pas! »

« Ça, ma chère, c’est sujet à discussion. Vos époux n’ont aucune idée de ce qu’ils ont perdu… Et un bon époux ne devrait pas se contenter de remplir son devoir. Il devrait… savourer le corps de son épouse et l’honorer comme il se doit. Sauf si elle est moche bien sûr. Là, il a la permission de fuir en courant. C’est la punition pour désirer une terre ou l’argent plutôt que de profiter de la vie et de ses petits plaisirs. Aucun de mes frères ne s’est marié par amour ou par désir, si je peux dire les choses ainsi. C’est à peine s’ils peuvent supporter leurs épouses et vice versa. »

Tibéria secoua la tête, exaspérée.

« Vous êtes un homme impossible et très déplacé. Je suis certaine que vos frères avaient de bonnes raisons d’épouser ces femmes même s’il n’y a pas de complicité entre eux. Dans la noblesse, on ne se marie pas par amour, sauf pour quelques rares exceptions. Les histoires d’amour finissent souvent de façon tragique de toute façon. »

Fallait-il que cette femme ait souffert pour être désabusée à ce point et reléguer ainsi l’amour à une simple source de problèmes. Christian aurait voulu lui dire que c’était faux et qu’elle ne devait pas mettre tous les hommes dans le même panier, mais il n’était peut-être pas le mieux placé pour ce genre de discours.

« Je crois que je peux dire sans me tromper qu’un mariage de raison peut très bien tourner au drame, non? »

Tibéria le foudroya du regard et Christian crut pendant un instant qu’elle allait lui lancer des bêtises à la tête. Heureusement, elle se contenta de grimacer.

« Point accordé. Doublement accordé même… »

Le soltarii sourit.

« Bien! Selon mes calculs, je suis donc en avance! »

Il prit la bouteille de vin et remplis son verre avant d’en faire de même avec celui de Tibéria.

« Vous savez, je ne crois pas qu’Arichis ait été un mauvais homme. Il était ambitieux, mais on ne peut pas reprocher à quelqu’un de l’être, sauf si ça mène à de mauvaises décisions, naturellement. Il a toujours été bon avec moi… J’aurais pu l’aimer, je crois… même s’il était nettement plus vieux que moi. Il a été un amant fort attentif… »

« Je n’en doute pas un seul instant, il a eu combien d’enfants déjà? Cinq? À ce stade, je crois qu’il comprenait le fonctionnement! Maintenant que vous vous êtes volontairement aventurée sur ce terrain, parlez-moi des performances de notre bien-aimé Franco. »

« Il ne m’a touché qu’une seule fois et je ne m’en souviens pas; J’étais vraiment saoul. Bien plus que je le suis maintenant, pour être honnête. C’était le soir du bal de printemps… »

« C’est malheureux, mais il m’a toujours paru aussi chaleureux qu’un bloc de glace. Et il n’y a eu personne d’autre? »

Tibéria secoua doucement la tête.

« Non, personne d’autre… »

« Ici disparaît la rumeur qui dit que la duchesse de Soltariel collectionnait les amants! »

Il tendit la main à Tibéria pour l’inviter à se lever. Elle hésita un peu avant de la prendre. Christian se glissa ensuite derrière elle et se pencha sur la jeune femme, ses lèvres effleurant à peine la courbe de son oreille.

« Vous êtes loyale, fière, magnifique et passionnée. » Il la sentit frémir dans ses bras, ce petit brin de femme brisée, mais encore assez forte pour sourire. Il l’admirait tout autant qu’il la convoitait. « Et je crois avoir été assez clair sur le désir que j’éprouve envers vous… » Le noble délaissa son oreille pour glisser vers son cou et y déposer un baiser sur sa peau parfumée de jasmin. Christian avait parfaitement conscience qu’il jouait à un jeu dangereux. Tibéria pouvait le repousser violemment et le forcer à quitter sa demeure, mais il en avait tellement envie et son instinct lui disait que c’était réciproque. S’il pouvait lui offrir un bref moment de paix et lui faire oublier cette cruelle injustice, Christian était plus qu’heureux de se sacrifier à la tâche…

Et aussi simplement que ça, il la sentit fondre entre ses bras. Aucun homme ne l’avait touché depuis longtemps et, pour être honnête, elle en avait aussi envie. Christian se sentait privilégié et il va sans dire que son orgueil de mâle s’en trouvait flaté. Ses mains la touchaient à peine, mais ses lèvres continuaient inexorable leur descente jusqu’à atteindre son épaule qu’il baisa à travers le tissu de sa robe. Un soupir franchit les lèvres de la suderonne, puis quelques mots, une invitation. « Ma chambre se trouve au dernier étage. »

« Beaucoup trop d’escalier à monter... » S’exclama Christian, un large sourire sur les lèvres.

« Vous renoncez aussi facilement? »

« Ciel non! J’aurais gravi tous les escaliers de Soltariel sur les genoux pour entendre ces mots prononcés de votre bouche. »

« Je ne suis pas certaine que vous auriez pu accomplir grand-chose après un tel exploit. »


La secousse d’un rire résonna dans la poitrine de Christian.

« Montrez-moi le chemin... »

Après moult crises de fou rire, le couple atteignit enfin la chambre tout en haut de l’escalier. Ils avaient la tête qui tournait autant à cause de l’alcool que l’anticipation de ce qui allait se passer une fois la porte close. Avant, Tibéria n’aurait jamais fait cela, mais là, elle s’en moquait totalement. Elle voulait simplement profiter du moment, avoir du plaisir et ne pas penser à ce qui l’attendait demain. Tibéria, tout comme Christian, savait très bien que cette nuit n’allait mener à rien. C’était deux adultes qui n’en avaient rien à faire de ce que les autres pourraient penser. La jeune femme n’avait plus de compte à rendre à personne. On l’avait déjà jugé et condamné, qu’ils aillent moisir en enfer s’ils osaient encore la pointer du doigt.

Et Christian fut parfaitement à la hauteur de ses promesses. Il traduisit chacune de ses belles paroles en gestes concrets. Il l’honora comme elle le méritait, chaque centimètre de son corps ne fut point épargné et lorsqu’ils s’endormirent enfin, l’aube pointait à l’horizon.

++++

Ailleurs dans la maison

Fidèle à ses habitudes, Cassio se leva à l’aube. Il passa un linge mouillé sur son visage puis enfila sa livrée de serviteur. Avant de quitter sa chambre, il s’assurait toujours d’être impeccable, car il était, après tout, celui que les gens rencontraient en premier lorsqu’ils cognaient à la porte. À cette heure, la maison était encore silencieuse, mais ici et là, le personnel commençait à s’activer. Les journées de Cassio n’étaient jamais exactement les mêmes, ponctuées par les innombrables problèmes qu’engendre l’entretien d’une demeure, mais elles commençaient toujours par un tour des lieux afin de s’assurer que rien n’était arrivé pendant la nuit. Lorsqu’il arriva au salon, l’ancien esclave le découvrit dans un triste état. Des bouteilles de vin gisaient ici et là et quelqu’un en avait renversé sur le tapis. « Bon sang… » Il se massa les tempes. À la quantité d’alcool ingurgité, que Tibéria se soit rendu jusqu’à sa chambre relevait du miracle. Y était-elle vraiment parvenue? Cassio voulait en avoir le cœur net. Il n’avait qu’à monter et entrouvrir un peu la porte, juste pour s’assurer qu’elle soit bien dans son lit et non pas en train de vomir ses tripes dans le pot de chambre.

Il n’entendit aucun bruit suspect au travers de la porte, mais ça ne voulait rien dire. Il tourna prudemment la poignée et l’entrouvrit juste assez pour voir à l’intérieur…

Et le monde de Cassio s’écroula.

Tibéria dormait paisiblement dans son lit, blotti dans les bras de Christian. Le drap la couvrait qu’à moitié et si son bras n’avait pas été bien placé, il aurait vu sa poitrine nue. D’ailleurs, l’air frais ambiant la dérangea, car elle fronça les sourcils et se rapprocha de cette source de chaleur qui partageait son lit.

Ce goujat!

Cassio savait! Il n’était pas bête! Christian devait avoir saoulé Tibéria pour profiter d’elle. Cet homme n’avait aucun scrupule! Combien de jeunes femmes avait-il déshonorées de cette façon? Il devait faire quelque chose, mais quoi? Il réfléchit un instant, mais une seule chose lui venait en tête. Ainsi, il hurla. Oui, il hurla. Assez fort pour réveiller les amants qui ne s’était endormis qu’une heure ou deux plus tôt. Assez fort pour que tout le monde dans la maison l’entende et que, dans une autre pièce de la demeure, la petite Sofia commence aussi à crier. S’en suivit un mouvement de panique dans la chambre. Tibéria se réveilla en sursaut et ramena les couvertures sur elle. Christian bondit du lit prêt à se défendre malgré sa plus totale nudité. « Cassio! » S’écria Tibéria, le visage aussi cramoisi que celui de son serviteur. « Mais quelle mouche t’a piqué? »

« Ce… Ce rustre a abusé de vous? »

« Je n’ai abusé de personne! » Rétorqua Christian visiblement vexé qu’on l’accuse d’un tel crime.

« Il ne m’a pas forcé à quoi que ce soit! Maintenant, quitte cette chambre! » Tibéria avait tellement mal à la tête qu’elle craignait que son crâne fende en deux. Elle n’avait pas vraiment envie d’argumenter avec Cassio, mais ce dernier ne semblait pas partager son avis. « Mais vous n’auriez jamais fait cela avant! »

« Ce que je fais ou non ne regarde que moi! J’ai dit sort! » À un autre moment, elle aurait peut-être compris la détresse de Cassio, mais là, elle était trop fatiguée pour ça. Franchement, elle s’en moquait éperdument. Pour montrer qu’elle en avait terminé, elle s’enfouit sous les couvertures. L’ancien esclave comprit le message et claqua la porte.

« Vous pouvez revenir dans le lit. » Marmonna Tibéria, sa voix étouffée par les couvertures. « Oui, mais pas avant d’avoir parlé à ce Cassio. Je n’aime pas qu’on m’accuse de ces faussetés. »

Christian était aussi amoché que l’ancienne duchesse, mais là, Cassio dépassait les bornes. Il récupéra son pantalon abandonné la veille en plein milieu de la chambre et sorti en catastrophe juste derrière le serviteur frustré. N’ayant pas le temps de le mettre correctement, le mage devait tenir le vêtement pour éviter qu’il ne tombe sur le sol. « Cassio! Attendez une minute. Je dois vous parler. »

« Je n’ai pas envie de vous parler, monsieur! »


« Ça, je l’ai compris, mais pourtant, il le faut. Écoutez-moi bien : je n’ai pas forcé Tibéria dans son lit. Est-ce clair? »

« Ça ne serait pourtant pas la première fois. Vous avez une réputation qui vous précède! »

Christian plissa les yeux.

« Votre mère ne vous a-t-elle jamais dit qu’il ne faut pas croire tout ce que l’on raconte? Je reconnais avoir un mode de vie décousu, mais de là à abuser d’une femme… Moi, je sais d’où vient votre colère. Vous êtes frustré! Vous aussi, vous avez énormément perdu dans cette histoire. N’étiez-vous pas l’éminence grise du palais, celui qui organisait tout dans les coulisses? Vous voilà maintenant ici avec une poignée de personne sous vos ordres sans savoir ce que l’avenir vous réservera! Je ne peux rien pour vous, sauf m’excuser. Ça ne changera rien à la situation, mais je suis sincère. Quant à Tibéria… Vous avez dit qu’elle n’aurait jamais fait cela avant… C’est peut-être vrai, mais il faudra aussi vous rentrer dans le crâne qu’une personne ne peut pas traverser ce qu’elle a vécu sans en ressortir changer d’une façon où d’une autre. Les points de vue vont varier à ce sujet, mais elle n’a rien fait de mal. Même que, pendant quelques heures, j’ose croire qu’elle a cessé de penser à ça. Elle a eu du plaisir, elle a ri! Vous préférez peut-être la voir se morfondre dans son coin, peut-être? Maintenant, ravaler votre fierté blessée et aller de l’avant. Je ne dis pas que ça sera facile, mais tant que vous vous accrocherez à ce que vous avez perdu, vous ne pourrez pas être heureux. Aussi gentille et généreuse qu’elle puisse être, si vous continuez à attaquer tout le monde comme vous le faites présentement, Tibéria pourrait sévir et c’est vrai qu’il ne vous restera plus rien! »

Cassio fixait le noble, le visage toujours aussi rouge de colère. Toutefois, il ne dit rien et se contenta de reprendre son chemin, laissant Christian à moitié nu sur le palier. Le mage le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il ait disparu puis retourna à la chambre.

« Quelle est la probabilité que Cassio mette du poison dans ma nourriture? » Demanda Christian en refermant la porte.

« Il ne fera rien de la sorte… J’ai entendu ce que vous avez dit et vous avez raison… S’il continue ainsi... »

« Oh, il lui faut juste un peu de temps. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un amant aussi splendide et doué que moi pour vous changer les idées. Mon dos brûle encore des lacérations que vous y avez faites avec vos ongles. »

« Je n’ai pas... »

« Oh si! Vous n’aimez pas la douceur. »

Christian laissa tomber son pantalon au sol et se glissa sous les draps aux côtés de Tibéria.

« Dès que j’aurais dormi quelques heures et que mon mal de tête sera passé, je suis très tenté de recommencer l’expérience... »

La jeune femme sourit.

« Ça tombe bien, j’allais vous proposer quelque chose. J’aimerais que vous m’enseigniez la magie... »

Christian haussa un sourcil, surprit par la demande.

« Je ne suis pas un maître. De plus, mon élément est le feu alors que le vôtre est l’eau… L’enseignement de la magie est assez personnel. Votre ancien maître est-il toujours de ce monde? C’est sans parler que je ne peux pas rester indéfiniment, peut-être une ennéade, tout au plus. »

« Je ne sais pas, mais vous pouvez quand même m’aider à travailler ma concentration et ce genre de chose. »

Il se gratta la joue où sa barbe naissante commençait à le démanger.

« Oui… je peux peut-être vous aider sur ces aspects, mais pour le reste, il vous faudra quelqu’un de plus qualifier qu’un mage avec une grande gueule tel que moi. J’ai peut-être un ami qui acceptera de vous aider. Je peux aussi voir pour retrouver votre ancien maître. Malheureusement, Diantra n’est pas un endroit pour les mages. Je ne peux rien vous promettre. Je sais que nous en avions déjà discuté par le passer et je suis désolé de ne pas avoir rempli ma part du marché. »

« Ça va… Ce n’est pas comme si j’aurais eu du temps à y consacrer, de toute façon. Nous en rediscuterons plus tard... »

Tibéria vint se presser contre lui, la tête appuyée contre son torse.

« Je suis entièrement d’accord… Dites-moi, est-ce que la baignoire est assez grande pour deux personnes? »
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MessageSujet: Re: La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre    La volonté seule n'arrête pas un coeur de battre  I_icon_minitimeMer 2 Jan 2019 - 17:15



"Remember, hate is always foolish, and love is always wise. Always try to be nice, but never fail to be kind."

Le silence. Tibéria détestait le silence. Lorsqu’il n’y avait aucun bruit, rien pour attirer son attention, ses pensées commençaient à dériver et elle sentait à nouveau ce vide dans sa poitrine. Elle ne ressentait rien. Ni joie, ni colère, ni tristesse. Il n’y avait rien, juste le vide. Comment les gens pouvaient ne pas remarquer ça? En même temps, comment les blâmer alors que Tibéria leur mentait en plein visage. Il était si facile de sourire. Si facile de faire semblant… Il suffisait qu’elle se lance à corps perdu dans la première activité qui lui venait à l’esprit : escrime, magie, de longues balades en ville, le sexe… Les gens croyaient qu’elle allait mieux, que lentement elle prenait le dessus pour redevenir celle qu’elle était avant. Ce n’était pas le cas, enfin pas vraiment. Tibéria essayait, bien entendu. Pas seulement pour elle, mais pour sa fille et pour tous les gens qui tenaient à elle. Elle ne voulait pas voir le pli soucieux sur le front des gens qu’elle appréciait, pas plus qu’elle ne pourrait supporter être la source de leur détresse. Donc elle mentait. Elle racontait des histoires en espérant se convaincre elle-même, mais le vide était toujours là et dès que le silence s’installait autour d’elle, Tibéria le sentait plus que jamais.

En ce matin brumeux, Tibéria prenait son bain dans une eau presque trop chaude. Elle s’enfonça dans le bain, jusqu’à ce que seul son visage soit hors de l’eau. La chaleur la faisait somnoler. Tibéria ferma les yeux, jonglant avec l’idée de simplement s’endormir quand elle entendit la porte de sa chambre s’ouvrir. C’était Christian, car Cassio aurait frappé à la porte alors que le mage allait et venait comme s’il était chez lui depuis près d’une ennéade.

Christian…

Ce drôle d’homme était entré dans sa vie par intérêt et elle le savait. Le mage à la personnalité flamboyante aurait pu tourner les talons comme l’avaient fait tous les autres, mais il s’était présenté à sa demeure pour lui parler et plus encore. Il n’était rien de plus qu’un ami, mais elle était contente qu’il soit là. Il meublait les silences de cette maison en plus de lui changer les idées, ce dont elle avait désespérément besoin. Avec lui, il était facile de sourire, mais Tibéria savait qu’il devait partir bientôt et elle redoutait le moment de ce départ. Christian traversa la pièce, sans doute pour se prendre un livre — le mage ayant passé ses temps libres à éplucher sa bibliothèque — avant de tirer un fauteuil tout à côté du bain et de s’y installer. « Je suis dans mon bain. » Lui fit remarquer l’ancienne duchesse en se redressant légèrement. « J’ai vu votre corps nu sous tous les angles possibles depuis près d’une ennéade. Si vous avez soudainement un excès de pudeur, il y a matière à se poser des questions! » Répondit-il joyeusement en appuyant ses pieds sur le bord de la cuve. « Point accordé. »

« Hum, je suis toujours en avance, non? »

Tibéria réfléchit un instant.

« Oui, il n’y a pas eu d’autres points depuis le premier soir sauf au moment où vous avez parié que je ne pouvais pas faire certaines choses avec ma bouche... »

« Et vous vous êtes montrée fort compétente en la matière! » Le sourire sur les lèvres de Christian en disait long sur son degré de satisfaction toute masculine et Tibéria aurait pu rougir si elle n’avait pas été fière elle-même. La dernière ennéade fut scandaleuse à plus d’un niveau. Elle s’est donnée à cet homme comme elle ne l’avait jamais fait avec aucun autre, pas même ses époux. Et elle en redemandait encore. Un seul regard sur Christian et elle voulait lui arracher les vêtements de sur le dos. Ce n’était pas le désir en tant que tel qui la motivait, mais lorsqu’il la prit lors de leur première nuit ensemble, lorsqu’il fut au plus profond d’elle, Tibéria eut l’impression que le vide en elle s’était refermé. Pendant un moment, elle avait ressenti quelque chose qui allait au-delà du simple plaisir physique; elle était entière. Mais ça ne durait jamais bien longtemps et ce n’était pas suffisant. Dès que les amants s’écroulaient de fatigue, le corps couvert de sueur, sa poitrine s’ouvrait de nouveau. Elle ne disait rien. Elle se contentait de sourire et de jouer les femmes comblées. Inutile de blâmer Christian; il était un amant fort compétent attentif à ses moindres désirs. Du plaisir, elle en avait eu. Elle ne pensait pas que ça puisse être aussi agréable. Arichis, à l’époque, lui avait fait miroiter tous ces plaisirs, mais ça n’avait pas duré assez longtemps pour qu’elle y prenne vraiment goût. Christian avait fait changer cela.

« Je suis ici pour vous annoncer une nouvelle. Demain, il me faudra repartir pour Soltariel. Aussi délicieux que fut mon séjour ici, je dois rentrer. » Sur le coup, Christian semblait attristé en prononçant ses mots. Il partait à regret en sachant qu’il laissait derrière lui une femme souffrante malgré ses sourires. Cette annonce lui donna un coup dans l’estomac, mais Tibéria ne le laissa pas paraître. Elle s’y attendait. « Déjà? Vous allez me manquer... »

« Oh, le sentiment est réciproque! Aucune femme ne vous arrive à la cheville, Tibéria. »

« Merci. »

Elle regarda le mage qui feuilletait d’un air absent le livre posé sur ses cuisses. « Je dois vous parler avant votre départ… En privé, mais pas maintenant. Ce soir, ici dans ma chambre... » Christian sentit une tension dans la voix de Tibéria, mais il se contenta de sourire avec son air charmeur habituel. « Naturellement, je ne vais pas partir sans partager une dernière fois votre lit. Je souhaite garder le souvenir aussi frais que possible à ma mémoire. »

« Certes, mais ce n’est pas de cela que je veux parler. Comme je vous l’ai dit, ça attendra à ce soir. »

Christian acquiesça lentement d’un signe de tête. Que pouvait-elle vouloir lui dire pour avoir un air si grave sur son visage? Il n’était pas idiot. Il savait qu’elle cachait quelque chose. Cette femme était un livre ouvert, mais les gens avalaient ses histoires pour ne pas la blesser plus qu’elle ne l’était. Cette maisonnée n’était qu’un vaste mensonge où tout le monde marchait sur une corde raide, mais Tibéria n’était pas non plus une petite créature fragile qu’il fallait protéger à tout prix.

« Bon! Si je suis ici, ce n’est pas pour vous admirer bien que je pourrai aisément passer des heures à contempler ce corps sublime qu’est le vôtre. Je souhaite reprendre nos petites leçons de magie. Il vous fait travailler votre concentration. Comme vous êtes dans votre bain, donc votre élément, j’ai pensé que c’était le moment idéal pour le faire. Fermer les yeux! »

Tibéria obtempéra aussitôt.

« Vous sentez cette énergie en vous, n’est-ce pas? Libérer votre esprit de toutes vos pensées pour vous concentrer sur elle. Vous devez apprendre à faire abstraction du monde qui vous entoure. »

« Je n’ai pas mon focaliseur sur moi... »

« Je ne vous demande pas de lancer un sort, mais de vous concentrer. Respirer profondément. La maîtrise de soi est un élément clef. Si vous laissez vos émotions prendre le dessus, vous allez perdre le contrôle et un mage qui ne se maîtrise plus est extrêmement dangereux. »

« On m’a déjà enseigné tout cela... »

« Je n’en doute pas un seul instant, mais vous devez admettre que vous possédez un certain tempérament. On pourrait croire que les élémentaristes du feu sont de loin les plus sulfureux, mais ceux qui affirment cela n’ont jamais vu de près un océan déchaîné en pleine tempête. Personnellement, je crois que tous ceux qui ont une affinité à manipuler les éléments sont des êtres caractériels à divers degrés. Quelqu’un qui n’apprend pas à se maîtriser lorsque la situation ne va pas en son sens risque de faire la bêtise de trop. D’où l’intérêt de se détendre et de se concentrer. »

Tibéria soupira, mais ne dit rien de plus. Elle avait demandé pour ces leçons. Christian lui offrait son aide gracieusement. Elle serait ingrate de le contredire.

« Respirer profondément et rester concentré... »

Après un moment de silence, une main inconnue se glissa dans l’eau chaude du bain pour la toucher à un endroit très sensible de son anatomie. Tibéria sursauta obligeant Christian à se rétracter.

« Vous devez rester concentré, peu importe ce qui arrive autour de vous! »

« Vous êtes un animal! » Sur ces belles paroles, Tibéria l’éclaboussa copieusement.

À la nuit tombée, Tibéria était dans sa chambre, assise devant le foyer à siroter une infusion. Pour l’instant, elle était seule et laissait ses pensées vagabonder en fixant les flammes danser dans l’âtre. Un instant plus tard, la porte de sa chambre s’ouvrit sur Christian. « Désolé, je devais voir à certaines choses avant mon départ de demain. » Elle sourit. « Ce n’est pas grave… Êtes-vous prêt? » Christian s’installa dans le fauteuil à côté du sien. « Je crois oui. J’espère que vous ne serez pas vexé si je vous dis qu’il me tarde de retrouver un climat plus clément... »

« Je ne le suis pas… et je vous comprends parfaitement. Je crains l’arrivée de l’hiver. Je n’ai jamais vu de neige de ma vie. »

« C’est froid… et mouillé. Certains vont dire que c’est joli, mais si ce l’est pour quelques jours, on s’en lasse très vite. On commence rapidement à se plaindre des pavés glacés et de nos chausses mouillés. Faites attention à vous, je n’aimerais pas apprendre que vous ou Sofia souffrez d’une affection des poumons. Vous ne pouvez vraiment pas prendre des arrangements pour passer l’hiver plus au sud, au Langehack peut-être? »

« J’y ai pensé, mais je n’ose pas. J’ai l’impression que ma présence est indésirable et si je vais quelque part, que ce soit interprété de la mauvaise façon. C’est trop tôt encore. Peut-être plus tard, mais pour l’instant, je préfère éviter les ennuis et rester ici. »

« Vous êtes pourtant libre de circuler, il me semble. »

« Circuler, oui, mais s’installer est une autre chose. On m’a fait une offre, le jeune Gaël de Laval, mais j’ai refusé. Je ne voulais pas lui causer plus d’ennuis. Il est fiancé à Linaëlle de Lancrais… Juste ça, il doit en avoir plein les bras. »

« Probablement.»

Christian regarda Tibéria du coin de l’œil. Elle avait toujours le regard fixé sur le feu, pensif.

« Vous vouliez me parler? »

« Oui... »

Elle tourna la tête en sa direction. « Mais honnêtement, je ne sais pas par où commencer. »

« Généralement, on commence par le début, mais si tout est trop mélangé dans votre tête, dites simplement ce qui vous vient à l’esprit et on tentera de mettre de l’ordre dans tout ça ensemble. »

Un faible sourire dansa sur ses lèvres.

« Je ne suis pas certaine de ce que j’ai en tête, pour être honnête. Je… Toute cette ennéade a été... »

« Une erreur? »

« Non! » Christian fut soulagé d’entendre ça. L’empressement dans la réponse de Tibéria était sincère. « Non, pas du tout… Ce fut loin d’être une erreur, mais ça m’a fait réaliser certaines choses. Il y a beaucoup de choses que je ne dis pas... »

« Vous voulez la vérité? Je le savais. Il faut être un idiot pour ne pas le voir, mais personne ici ne veut vous faire parler de force. Du coup, ils attendent... »

La jeune femme soupira. Elle sentait sa gorge se serrer. Elle ne voulait pas être émotive. Elle ne voulait pas pleurer. Tibéria avait l’impression de n’avoir fait que ça pendant beaucoup trop longtemps.

« J’ai l’impression… J’ai l’impression d’être vide à l’intérieur. De ne rien sentir... » Elle posa une main sur sa poitrine. « Comme si tout ce qui se passait n’avait pas d’importance. J’aurais pu me laisser couler dans le bain plus tôt et m’y noyer et cette pensée ne me fait ni chaud ni froid. Je m’en moque... »

« Je crois, au contraire, que vous vous préoccupez beaucoup des gens qui vous entourent. Vous venez de me dire que vous ne voulez pas causer de problèmes en voulant passer l’hiver ailleurs. De plus, vous avez passé les derniers jours à vous assurer que votre personnel aura des vêtements adaptés pour les températures plus froides. Ce n’est pas l’attitude d’une femme qui se moque de ce qui se passe... »

« Je me préoccupe des autres, mais pas de moi… De plus, ce n’est pas tant ça… Je suis ni triste ni heureuse ou en colère. C’est de l’indifférence face à mon propre sort. Vous m’avez dit que j’étais maintenant libre de faire ce que je voulais, mais... » Elle haussa les épaules. « Je m’en moque… Cette idée ne m’apporte rien, ne fait rien naître en moi. Je ne sens rien… Comme si j’étais vide, comme si j’étais morte à l’intérieur. Je n’arrive pas à l’expliquer. Je me sens juste… vide. »

Christian tendit la main pour attraper celle de Tibéria.

« Ce n’est pas vrai. J’entends dans votre voix le trémolo de votre gorge serrée. Vous êtes triste et apeuré devant un avenir qui n’est plus tracé d’avance. Vous avez l’impression de ne pas savoir où vous allez et c’est normal… Je vous en pris, ne baisser pas les bras. Ne laissez pas gagner ces gens... »

« Ils ont déjà gagné... »

« Non, tant que vous vivrez, tant que vous aurez la force de mettre un pied en avant de l’autre, ça voudra dire qu’ils ne vous ont pas détruit et qu’ils n’ont pas gagné. Vous chasser de Soltariel n’est pas une victoire en soi et même s’ils obtenaient le pouvoir suite à cela… Rappelez-vous de vos livres d’histoire, ils ne seront rien de plus que des opportunistes à avoir saisit leur chance. Ils ne sont ni mieux ni pire. Dans 5 ou 10 ans, ils peuvent aussi bien tout perdre. Honnêtement, j’ai beau vouloir tirer mon épingle du jeu, jamais je n’oserais convoiter le titre de duc de Soltariel. Il faut être un idiot imbu de sa personne pour poser son derrière sur ce trône maudit. Les familles se sont peut-être unies pendant un temps, mais Soltariel restera toujours Soltariel… Bien assez vite, ils se poignarderont dans le dos. Vous êtes trop bonne pour ces gens-là… Beaucoup trop... »

« Vouloir le titre a été la pire erreur de toute ma vie, mais j’avais de bonnes intentions… Ce n’est pas tant le pouvoir que je voulais. Je désirais seulement faire une différence. »

« Certaines personnes ont fait des choses terribles avec de bonnes intentions. Je ne dis pas que vous êtes horrible, mais plutôt que la notion de “bonne intention” est plutôt vague en plus d’être sujette à interprétation. Quelque chose qui va plaire à quelqu’un ne plaira pas nécessairement à un autre. Il est impossible de plaire à tout le monde, surtout à Soltariel. Le seul moyen d’être respecté là-bas, c’est d’être craint. Si vous donnez l’impression que vous pouvez leur botter les fesses sans que ça vous fasse ni chaud ni froid, là on va vous écouter. En même temps, c’est une très fine ligne à ne pas franchir. Il suffit de faire un pas de trop et tout le monde va vous tomber dessus. Mais tout ça, Tibéria, ça n’a pas d’importance. Ce procès était injuste. Vous avez été jugé pour votre mari. Ce n’est pas vous la coupable, mais c’est ainsi que la loi fonctionne. Vous payez pour lui et c’est horrible. Des gens vont saisir cette opportunité pour prendre votre place et c’est aussi horrible. Les Hommes sont faits ainsi et je parle de l’humanité en général. Ça ne changera pas, car vous versez des larmes. Cela dit, vous êtes encore ici. Vous êtes encore de ce monde et je crois, sincèrement, que vous avez tout entre les mains pour mener la vie que vous voulez. Il n’y a que vous qui pouvez le faire. Ça demandera du temps et des efforts… Ça ne sera pas facile, mais il n’y a que vous qui pouvez vous reconstruire. En faisant cela, vous prouverez au monde que vous êtes bien plus forte et bien meilleure qu’ils ont osé le croire. »

Les mots refusaient de sortir de sa gorge nouée. Après un moment de silence, elle souffla néanmoins d’une voix cassée.

« Mais c’est tellement difficile... »


« Évidemment que c’est difficile. Les grands hommes sont forgés dans les flammes. Comment prouver notre valeur si jamais rien ne nous arrive? Vous allez y arriver. Il faut que vous vous laissiez le temps… Sachez aussi que je serai toujours là pour vous aider. Ce trou béant dans votre poitrine, remplissez-le avec vos petites victoires, vos petits bonheurs, une pierre à la fois… Le bonheur ne se trouve pas nécessairement dans des coffres pleins et dans un titre… Je sais que je verrai un jour un sourire sincère sur vos lèvres... »

Cette nuit-là, ils dormirent enlacés l’un contre l’autre en toute simplicité. Au matin, Christian termina ses préparatifs pour son départ. Tibéria s’assura qu’il ait des provisions pour le voyage même s’il lui assura qu’il comptait s’arrêter dans des auberges sur la route pour se nourrir. Le temps était bien maussade pour les déplacements, mais si Christian tardait trop, la température irait qu’en se dégradant. Il devait absolument rejoindre le sud avant les premières neiges. Christian vérifiait les sangles de son cheval lorsque Tibéria vint le rejoindre. « Vous êtes prêt? »

Dans ses vêtements de voyage, le mage avait l’air d’un aventurier venu de terres exotiques. Il était bel homme, Tibéria ne pouvait pas le nier.

« Je crois, oui. Je l’ai déjà dit, mais vous allez me manquer. »


« Je vous l’ai déjà dit, mais le sentiment est réciproque... »

Christian se hissa sur sa monture. Du haut de son cheval, il regarda Tibéria, un vague sourire sur ses lèvres.

« Vous savez, je vous ai dit de ne pas vous attarder sur ce qui aurait pu être, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer ce qu’aurait pu être notre vie si vous et moi nous nous serions marier. »

« N’avez vous pas dit que vous ne voulez pas du titre de duc? »

« Certes, mais disons que vous n’êtes jamais devenu duchesse et que vous êtes à Béronia... »

« Dans ce cas, ma sœur Marguerite aurait hérité de Béronia. Je ne crois que mon père aurait laissé cette alliance ce faire... »

« Disons que Marguerite n’a jamais existé... »

« Ça fait beaucoup de supposition... »

« Bon sang! Jouer un peu le jeu! »

« Je vous taquine… Je comprends ce que vous voulez dire... »

« Nous aurions formé une sacrée paire... »

« Sans doute! »


« Avec les fêtes les plus déjantées, scandaleuses et les plus courus de tout Soltariel... »

« En étant marié à moi, seriez-vous resté sage? »


Christian éclata de rire et l’écho résonna dans toute la rue.

« La vraie question, Tibéria Soltari-Beronti, c’est : vous, seriez-vous resté sage avec moi dans les parages? Mon dos brûle encore, vous savez et j’ai des marques de morsure sur les épaules… En fait, je ne crois pas que j’aurais survécu très longtemps à un tel mariage... »

Tibéria se pencha pour prendre un caillou et le lui lancer, faisant rire le mage un peu plus fort.

« Faites attention, il risque de pleuvoir. »

Christian leva les yeux vers le ciel.

« Peut-être pas, regardez! »

À travers les nuages, quelques éclats bleus perçaient comme autant de lueurs d’espoir. Le temps allait peut-être se dégager.

« À très bientôt Tibéria. Que les Cinq vous gardent. »

« Que les Cinq vous gardent aussi, Christian. Soyez prudent sur la route... »

Un dernier au revoir de la main et le mage prit la route. Tibéria resta là jusqu’à ce qu’il soit totalement disparu. En fait, Christian lui avait bel et bien apporté quelque chose pendant cette ennéade. Plus que le plaisir physique, plus qu’une distraction, il lui avait apporté l’espoir.

Fin
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