Des retrouvailles inespérées [Sauveur]

Karfias, milieu de la troisième ennéade
An dix-sept du onzième cycle

Ce n’était pas le Daedhel argenté qu’Aerianna avait envoyé retrouver Sauveur, elle ne voulait pas l’effrayer et un visage ravagé était la meilleure façon de faire paniquer un amant qui attendait des nouvelles de l’objet de son amour. Non, à la place venait Tadeo, un Thaari tout ce qu’il y avait de plus Thaari, un Thaari qui n’avait jamais mis les pieds hors de Thaar, même pas à Geresh alors que sa loyauté était toute acquise à sa Princesse. Une loyauté qui n’était vraiment due qu’au salaire qu’il percevait pour son service, bien sûr, c’était un Thaari après tout. Et en son service il n’était entré que quand la Princesse de Geresh avait tenu à recruter un entourage Thaari entre cette soirée où elle s’était dévoilée aux yeux des Princes de la cité et ces Grands Jeux où elle avait amené son champion jusqu’à la finale. Si elle n’était pas revenue à Thaar depuis – principalement à cause de troubles à Geresh – elle comptait bien s’y faire beaucoup plus présente. On disait même qu’elle y cherchait un palais et qu’elle ne se contentait plus d’être cliente de sa propre auberge, celle luxuriante où Tadeo avait servi en attendant ce retour.

Tadeo avait une bonne mémoire en tout cas, et il avait retenu les indications du Daedhel argenté et de sa Princesse pour pouvoir les suivre à la lettre et retrouver cette porte derrière laquelle on lui avait promis la présence de Sauveur Hadjaoui. Il n’y frappa pas tout de suite, vérifiant plusieurs fois à force d’allées et venues qu’il ne s’était pas trompé. Un perfectionnisme idiot qui le poussa même à se rendre quelque part de plus dégagé pour vérifier où était le soleil et si c’était en accord avec les disponibilités qu’on lui avait communiquées. Il répéta même une dernière fois ce qu’il devait dire, pour être sûr. Il n’était pas toujours comme ça, mais c’était la première fois qu’on lui demandait à lui directement de faire quelque chose pour Aerianna Hiisi, et la dernière chose qu’il voulait faire était la décevoir, car il jouait tant qu’elle était dans la cité sa place dans ce futur entourage Thaari. Ou en tout cas il en était convaincu, et ça lui suffisait pour l’instant.

Il frappa donc avant d’attendre que cette porte s’ouvre éventuellement sur un visage qu’il ne connaissait pas mais qu’il serait à même de revoir bien souvent, si ce qu’on lui avait raconté était exact.

***

Cet établissement était un bel endroit et il n’avait pas perdu de sa superbe, mais je n’étais pas aussi enjouée que j’aurais dû l’être. Toutes ces affaires me fatiguaient vraiment, et si je pouvais les repousser pendant les heures de liberté dont j’avais besoin elles reviendraient à la charge pour me pourrir la vie. Je lâchai un soupir, c’était de ma faute que j’avais encore à m’en préoccuper, après tout. Au final rien n’allait mais il n’y avait sûrement qu’une chose dont j’avais besoin pour faire en sorte que tout aille. Une présence qui m’avait manqué. Une présence qu’on était allé chercher pour moi il y a déjà un moment. J’espérais que tout se passe pour le mieux et que ce soit Sauveur qui me rejoigne quand il le voudrait bien. L’établissement avait été en partie fermé à cause de ma présence ici et j’attendais dans une des loges à moitié ouverte sur l’extérieur de Thaar, assise dans un fauteuil particulièrement confortable, regardant un ciel radieux d’un jour chaud d’été qui tirait sur sa fin.

Et le pire, sûrement, c’était que je n’avais jamais pensé à constituer une garde robe à Thaar, que tous les vêtements que j’avais pris avec moi avaient été détruits sur la route, et que ceux dont la mission avait été d’en trouver une digne de moi n’avaient pas réussi à suivre des consignes simples et claires. D’accord, les consignes n’avaient pas vraiment été claires, mais ils étaient censé connaître mes goûts, et un peu de bon sens les aurait dissuadé de choisir autre chose que du blanc. Je ne savais pas si j’avais laissé filer à cause de la fatigue ou si quelque part de moi appréciait beaucoup ce violet pourpré. Plus que la couleur c’était la coupe qui aurait pu me faire changer d’avis, alors qu’elle dissimulait mal les cicatrices que je n’avais pu encore faire retirer sur mes bras ou sur mon flanc gauche, et on en voyait même une remonter jusqu’au haut de ma poitrine. Mais ces blessures étaient miennes et je ne voulais pas non plus faire semblant que rien ne s’était passé, aussi avais-je fini par accepter cette robe.

Mais il n’était pas vraiment question de robe, c’était juste le sujet que mon esprit faisait tourner pour me permettre d’oublier le reste, et surtout, d’oublier l’impatience.

La robe en question (sans gants, sacoche, colliers, truc sur la tête, …) :

Sauveur suivait l’homme qui était venu lui transmettre le message lui faisant savoir qu’Aerianna était en ville et qu’elle demandait à le voir. Le mercenaire ne fut pas tellement surpris par la formulation étant donné les derniers mots qu'ils avaient échangé. Aucun d’eux ne voulait quitter l’autre et les quelques jours qui avaient suivi son départ de Geresh avaient semblé bien longs à l’Hadjaoui. Sans doute moins qu’à la Princesse, assurément… Car lui avait de quoi s'occuper après le travail avec une compagne et deux enfants.

Il s’était passé tant de choses en si peu de temps… Il avait beaucoup à raconter à l’héritière et il espérait qu’elle n’en avait pas vécu autant que lui durant ces quelques jours. Ou alors que les nouvelles étaient bonnes de son côté.
Sans un mot, Sauveur emboîta le pas au thaari lorsqu’il entra dans une auberge plutôt cossue. Ce dernier n’avait pas tellement su où se mettre en découvrant celui qu’il était venu chercher. Quand la porte s’était ouverte, le pauvre s’était retrouvé face à une haute masse de muscles aux yeux assombris par la fatigue. Quel accueil ! Depuis, le mercenaire était bien plus neutre mais cette entrée en matière avait plutôt refroidi l’employé d’Aerianna qui était plus que nerveux.

Finalement, le thaari laissa Sauveur devant une porte au bout d'un couloir et s’en alla. L’Hadajoui le regarda partir avant de se tourner vers le pan de bois et d’y frapper trois coups. Il entra dès qu’il en eut la permission. A peine eut-il mis un pied à l’intérieur qu’il chercha la silhouette qui allait avec la voix qu’il avait entendue. Dès qu’il aperçut Aerianna, un sourire heureux et tendre étira ses lèvres. Il acheva de pénétrer dans la pièce et ferma derrière lui. Il eut tout juste le temps de se retourner que la jeune femme était déjà près de lui et lui sautait au cou. Il la rattrapa aussitôt et l’embrassa avec amour, l’étreignant avec cette force et cette douceur qui caractérisaient chacun de leurs câlins. Cela dura quelques instants avant qu’il ne rompe enfin le contact de ses lèvres sur les siennes, mais seulement pour un bref instant. Il demeura si près d’elle qu’il garda les yeux fermés avant de se libérer d’un soupir.

-Tu m’as manqué… Mon amour… Susurra-t-il.

Puis il l’embrassa de nouveau, prenant le temps de se rassasier de sa présence avant d’envisager de prendre des nouvelles d’elle.

Il était là, il était vraiment là. Il n’avait fallu qu’un pas pour que je me retourne, que je le remarque, que je me lève et que je me jette à son cou, les battements de mon cœur se faisant de plus en plus rapide au fur et à mesure de ma réaction. Je l’embrassai sans aucune hésitation, je m’abandonnais à son étreinte, il était là… J’avais douté, légèrement, même si notre séparation n’avait pas duré, pendant ces quelques jours il avait retrouvé sa… il lui avait peut-être… Non, arrête, s’il te plaît. Il me fallut toute ma discipline pour oublier tout ça et rester concentrée sur le moment présent. Et puis, il était là, c’était la plus importante des confirmations, non ? Et je lui avais manqué, et il m’avait une nouvelle fois désignée par ces mots que j’aimais tant. J’allais pour lui répondre mais me laissai embarquer par un nouveau baiser, m’y abandonnant sans une once d’hésitation, il savait de toute façon, il savait exactement quelles émotions je ressentais à cet instant précis, il les connaissait car il les partageait.

Et quand il me laissa le temps de respirer je lui fis la déclaration que je voulais lui servir. Ou plutôt, j’essayai, avant que les mots ne se coincent au travers de ma gorge. Je me souvins soudainement avoir failli perdre ça pour toujours juste après que ça ait commencé, et aucune discipline n’allait me laisser le mettre de côté cette fois. Le feu revint, et mes cicatrices semblaient me brûler à nouveau, comme si des flammes les léchaient encore, sauf que cette douleur fantôme n’était pas de celles qui me faisaient du bien. Je grimaçai un instant avant d’enfouir mon visage dans le cou de Sauveur, comme pour m’y réfugier. Où était cette protection quand j’en avais eu besoin ? Et le blâme n’était pas à l’endroit de Sauveur. Le blâme je le portais sur mes épaules, alors que j’avais refusé de partir avec lui directement, alors que j’avais laissé à l’univers beaucoup trop d’opportunités pour qu’il fasse tout mal tourner, que j’avais laissé cette séparation se produire.  

Et là, sans prévenir les larmes se mirent à couler, sans prévenir je me mis à trembler, sans prévenir des hoquets vinrent me secouer dans ses bras. Je murmurai quelques mots, parmi lesquels "désolé" et "je ne voulais pas que tu me voies comme ça" se trouvaient. J’étais là, vulnérable, à lui montrer à quel point j’avais besoin de lui, et tout ce que je trouvais à faire était de m’excuser, alors que le mal était passé et que j’aurais dû pouvoir m’en servir pour être plus forte. Mais je n’étais pas forte, pas le moins du monde.

Une fois suffisamment rassasié de ses lèvres -s’en gardant aussi pour plus tard-, Sauveur détacha son visage de celui de la Princesse pour plonger son regard dans le sien. Son sourire était aussi radieux que sincère. Il avait vu le temps s’écouler malgré tout, et bien trop longuement à son goût. Mais alors qu’il la regardait, il remarqua bien vite que quelque chose n’allait pas… Il sentait qu’elle avait envie de parler mais que rien ne voulait sortir de sa gorge. Il eut tout juste le temps d’apercevoir sa grimace qu’elle vint dissimuler son visage dans son cou.

-Aerianna ? Demanda-t-il doucement.

A peine avait-il posé la question que la jeune femme se mit à pleurer et à trembler. Il la serra un peu plus fort dans ses bras pour lui offrir un cocon protecteur.

-Mon amour, parle-moi. Qu’est-ce qu’il y a ?

Mais tout ce qu’il obtint furent davantage de larmes et des bribes de phrases entrecoupées de sanglots. Elle ne cherchait pas à lui expliquer quoi que ce soit, seulement à s’excuser qu’il la voit dans cet état… Il lui répondit que ce n’était rien. Il prenait sur lui pour ne pas lui faire ressentir son inquiétude quant à ses larmes incontrôlées, cela ne l’aiderait en rien.
Après un moment, il finit par se pencher pour passer un bras sous les jambes de la jeune femme et il la souleva. Avec délicatesse, il la porta jusque sur le canapé où il la déposa avant de venir s’asseoir à côté d’elle. Il la prit à nouveau dans ses bras et entreprit de la calmer en la berçant de gestes et de mots tous plus tendres les uns que les autres. Et si elle devait s’excuser encore, il lui répondrait qu’il était aussi là pour cela… Pour être une épaule sur laquelle elle pouvait pleurer, se poser, parler…
Tandis qu’il s’efforçait de l’apaiser, il remarqua quelques unes des cicatrices que sa robe ne cachait absolument pas. Il était bien placé pour savoir qu’elles n’étaient pas là lorsqu’ils s’étaient quittés… C’était très récent et il ne doutait pas qu’elles avaient un lien avec l’état dans lequel se trouvait sa bien-aimée en cet instant. Il lui répéta qu’il était là et qu’elle n’avait rien à craindre. Qu’elle était en sécurité. Car elle avait visiblement besoin d’évacuer mais aussi d’être rassurée.

Après un long moment, les pleurs et les tremblements cessèrent. Sauveur resta là, sans bouger ni parler. Seules ses mains demeuraient activent, prodiguant quelques caresses à sa bien aimée pour achever de l’apaiser et lui rappeler avec qui elle se trouvait. Finalement, il perça le silence en parlant à demi-voix. Il appréhendait une nouvelle crise de larmes en brisant le calme qui les enveloppait désormais.

-Tu veux un verre d’eau ?

Il m’apporta exactement ce dont j’avais besoin mais je ne le remarquerais qu’après qu’il soit parvenu à calmer mes pleurs. Pendant, je l’écoutais essayer de me rassurer, je le laissais me soulever sans un mot, j’osais le lâcher alors qu’il me reposait, je m’agrippais à lui en espérant qu’il ne me lâche plus jamais, parce qu’il représentait mon seul support fiable, que c’était le seul à ne jamais avoir échoué, que c’était le seul à pouvoir m’assurer cette sécurité. Et quand il parvint à me calmer, je compris pourquoi il avait ce pouvoir, je compris pourquoi je donnais toute cette valeur à nos étreintes et à sa présence. J’étais aussi importante pour lui qu’il ne l’était pour moi, et cela faisait bien longtemps que je n’avais eu personne comme lui, personne qui ait ce rôle. Et ses caresses, en plus de réveiller autre chose – la seule frustration que j’aurais dû éprouver en le voyant après quelques jours loin de lui – me rappelaient que malgré ça, malgré des pleurs qu’il ne comprenait pas, il continuerait à avoir ce rôle.

« Non… » D’une petite voix je répondis à sa question, de peur qu’elle l’éloigne de moi, de peur qu’elle le pousse à aller chercher de l’aide et à dévoiler quelque chose aux autres que je ne voulais montrer qu’à lui. Je patientai quelques instants supplémentaires avant de reprendre la parole de manière décousue pour essayer de lui expliquer ce qu’il s’était passé. « Le feu… » Je manquai retomber dans l’émotion négative de précédemment en voyant à nouveau les flammes dans mon esprit et les corps calcinés, mais il était là, et il n’était pas parmi ces corps, et je m’agrippai plus fort à son vêtement pour le confirmer. « J’ai failli te perdre… » Je marquai une longue pause après ces quelques mots, c’était ça, le cœur de mes émotions, c’était ça qu’il fallait que j’évacue en le regardant et en posant ma respiration, ce que je fis, avant de reprendre par le plus construit des récits que je peux lui servir. « Il a attaqué sur la route… Ils sont tous morts… Il m’a brûlée, j’ai… Celui de qui tu t’es moqué, après… notre première fois… je l’ai vu… » Ma voix s’étrangla dans ma gorge avant que je ne puisse finir, je l’avais vu, lui le premier, en pleine combustion.

Mais je décidai me faire paraître plus forte et fermai les yeux pour quelques respirations profondes, avant de finir mon récit sans que ces hésitations et hoquets – seuls vestiges de mes pleurs – n’entrecoupent mes mots. C’était plus simple aussi, car je ne parlais plus que du positif, comment Noruì avait surgit de nulle part pour me sauver de l’incendie de ma robe, comment la plupart des hommes vivants – une poignée sur une trentaine au départ – avaient regagné Geresh, comment j’avais fait la rencontre d’un animal des plus curieux, un gros félin, celui de Noruì, et comment je l’avais monté pour rentrer à Thaar. J’oubliai commodément de mentionner l’assaillant dans mon récit, et quand je m’en rendis compte après avoir terminé je lui servis une moue un peu gênée, alors que ce n’était pas par malice. Je conclus donc par une seule phrase simple et directe. « Et nous avons capturé le mage. » J’allais mieux et assez bien pour m’autoriser une expression un peu moins morose alors qu’un petit sourire avait remplacé le reste. Un sourire qui restait sous des yeux humides, mais un sourire quand même. « Mais… je… tu es là, et je t’aime toujours autant. »

Il commencerait éventuellement à se faire à ces changements d’humeur presque trop rapides, mais après tout c’était par sa présence que tout s’était réveillé si rapidement, et c’était lui qui avait réussi à me calmer.

Alors qu'elle reprenait la parole, Sauveur crut un instant qu'Aerianna allait sombrer de nouveau. Ses premiers mots étaient confus et désordonnés. Qui les avait attaqués ? Qui était mort ? De quoi parlait-elle ?
A mesure que le récit de la Princesse se faisait plus clair et dévoilait les réponses à toutes les questions qu'il se posait, le visage de Sauveur se ferma. Il ignorait qui était ce drow mais sa folie l'avait poussé à attaquer sans raison apparente le convoi de celle qu'il aimait. Prenant sur lui pour éteindre la colère que cet homme lui inspirait, il tâcha de se montrer aussi agréable que possible avec la jeune femme. Si elle semblait plus calme alors qu'elle venait de trouver la force de lui conter toute l'histoire, il savait qu'elle était encore fragile malgré tout. Il s'efforça de lui rendre son sourire avant de la prendre à nouveau dans ses bras avec tendresse.

-Oui, je suis là. Il déposa un baiser sur ses cheveux et l'étreignit avec une force mesurée. Je suis là et tu es en sécurité maintenant.

De ce qu'il avait compris, Aerianna devait une fière chandelle à l'argenté. Mais Sauveur était bien placé pour savoir les dégâts que la magie du feu pouvait faire et la sensation des flammes sur les chairs. Lui-même avait eu un bras brûlé de la pointe des doigts jusqu'au coude lors de son unique affrontement avec le Gobelin. Ce n'était pas celui qui avait manqué de le tuer mais c'était sans doute la sensation qu'il avait gardé le plus longtemps, sa peau se retrouvant particulièrement sensible au moindre contact des jours durant. La grimace que l'héritière avait eu, il la reconnaissait pour l'avoir trop souvent faite lui-même.

Après un moment, il desserra son emprise sur la belle et plongea dans son regard. Il lui adressa un sourire rassurant tandis qu'il venait caresser sa joue de sa main, non sans avoir au préalable chassé les dernières traces des larmes qu'elle avait versé.

-La prochaine fois, trouve plus simple pour te défaire de moi. Puis ses lèvres s'ornèrent d'un demi-sourire espiègle, cherchant visiblement à alléger un peu l'atmosphère, avant d'ajouter. Même si ce n'est pas demain la veille que tu y arriveras...

Son regard se teinta de cet amour qu'il lui avait déjà témoigné avec tant de ferveur avant leur séparation. Un amour tendre, passionné et inconditionnel. Cet amour qui -il l'avait compris- lui faisait tant de bien et la rassurait.

J’osai un petit rire cristallin alors qu’il n’y avait plus rien pour m’empêcher de m’exprimer, plus de pleurs, plus de hoquets, plus de doutes, et cette pointe d’humour qui ne pouvait que tout résoudre, ou presque. Je me penchai vers lui, posai une main sur son torse et lui déposai un petit baiser sur les lèvres avant d’y répondre à peu près sur le même ton. « Tu es trop intéressant pour que je cherche à me débarrasser de toi, et puis, tu ne viens pas avec assez de contraintes… » C’était aussi vrai que c’était faux, car à la liberté que ses valeurs m’octroyaient on pouvait opposer ce partage qui conditionnait toute relation avec lui. Mais à cet instant là c’était plus vrai que faux, et c’était tout ce qui comptait à mes yeux. Et ces pensées me donnaient très envie de célébrer ces retrouvailles comme nous avions célébré son départ. Il fallait que je me fasse violence et trouve quelque chose pour retarder le moment ou rien de ce que nous avions à faire pendant mon séjour à Thaar ne serait jamais fait.

Maladroite à cause de l’urgence de la nécessité de me changer les idées, je ne laissai rien retomber avant de parler directement des affaires qui m’amenaient. « Sauveur. » Je prononçai son nom avec le plus d’amour possible, dans un murmure, pour attirer une attention que j’avais déjà. « Je vais avoir besoin des noms des créanciers si on veut régler cette affaire rapidement, le plus tôt on les placera derrière nous le plus tôt vous pourrez les oublier, et le mieux ce sera pour tout le monde. » Je ne me rendis compte que maintenant à quel point j’avais réfléchi à la question et à quel point je voulais la régler. Le monstre avait réussi à tout me faire oublier mais Sauveur ravivait cette flamme. « Tu peux m’accompagner, si tu le souhaites, mais si tu penses que c’est trop pour toi je peux tout assumer moi-même. » C’était là une des plus grandes décisions à prendre, et je n’avais pu la prendre seule, aussi devais-je lui laisser l’ouverture.

« Et je veux rencontrer… » Sanaa… mais le nom ne sortit pas. J’avais conscience d’aller beaucoup trop vite, j’avais conscience de me précipiter pour éviter de lui avouer à quel point j’avais encore besoin de lui, pour cacher que je ne pouvais vraiment me passer de lui, pour cacher que j’avais dû me débrouiller seule, avec… Je reportai mon regard sur mes pieds avant de m’exprimer beaucoup trop vite. « J’ai envie de toi, j’ai très envie de toi, j’ai eu envie de toi depuis que tu es parti… » S’il avait pensé que je m’étais précipitée jusque là, que répondrait-il à ça ? Je fermai les yeux, me sentant particulièrement idiote. Ça valait le coup d’avoir changé de sujet, vraiment… « Je suis désolée, je voulais être plus… subtile, peut-être ? » J’étais on ne peut plus sérieuse, même si ma maladresse m’aurait fait rire en temps normal, si elle n’avait pas été de la maladresse.

Sauveur fut soulagé de voir à Aerianna répondre à sa plaisanterie. Bien que la suite le surprit plus qu'autre chose. A la façon dont elle l'appela, il s'attendait à tout ou presque, mais certainement pas à ce qu'elle lui demande les noms des créanciers qui tenaient la dette de ses terres. Il eut une seconde de blanc avant de lui répondre.

-Hm, oui. Il chercha dans sa poche et en sortit un parchemin plié en quatre. Je te les ai noté et j'ai profité des derniers jours pour trouver où ils habitent. Tout est là-dessus.

Plutôt que de lui donner le papier, il le posa sur la table basse devant eux. Si elle voulait régler cette affaire au plus vite pour des raisons compréhensibles, il n'avait pas envie d'écourter leurs retrouvailles pour autant. Il aurait l'impression de profiter d'elle, ce qui n'était aucunement son intention. S'il attendait quelque chose d'elle au départ -avec contrepartie, évidemment- ce n'était plus le cas aujourd'hui. Le cœur s'était trop bien mêlée à l'affaire depuis.

-Tout dépend si je serais une aide ou pas pour toi pendant les négociations. Je m'y connais peut-être plus en agriculture que toi mais je ne suis pas sûr que j'arriverai à contrôler mes émotions. Que ce soit au sujet de mes terres ou de toi. Et à la fois, je n'ai pas envie de te laisser gérer ça toute seule, surtout après ce qu'il vient de se passer... La solution serait peut-être qu'Aimé vienne avec toi ?

Sauveur avait longuement discuté de sa petite excursion dans les plaines de Valmar avec son aîné. Il avait aidé leur père durant un temps à gérer la propriété, à cultiver les champs, à négocier avec les marchands Toute la famille était d'accord pour dire que c'était lui le plus à même de reprendre la tête de l'affaire familiale, sans compter qu'il était le seul disponible. Courtois et Sauveur étaient bloqués avec Maralina et Digne voulait demeurer avec Aislinn dont le commerce l'obligeait à demeurer à Thaar.
Mais, sans transition, Aerianna évoqua un tout autre sujet en émettant le souhait de rencontrer -sans la nommer- celle qui occupait l'autre moitié de son cœur et de ses pensées. Le mercenaire s'efforça de ne rien montrer de son embarras tandis que la Princesse passait une nouvelle fois du coq à l'âne. Il plissa les yeux, fronçant brièvement les sourcils devant cette attitude plutôt étrange, ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Sans doute était-elle encore sous le choc de l'attaque du pyromancien.

Calmement, il passa un doigt sous son menton et l'invita à relever la tête. Lorsqu'elle croisa son regard, il lui adressa un sourire en coin.

-Parce que j'ai été subtile dans les bains peut-être ? Lui rappela-t-il gentiment.

Puis il se pencha et l'embrassa avec envie. Lui aussi avait hâte de lui montrer à quel point il l'aimait et à quel point elle lui avait manqué. S'il était connu pour avoir un appétit difficile à rassasier en la matière, il ne s'exprimait qu'avec l'affection qu'il portait à ses partenaires. Et c'était un homme aussi aimant que passionné... Cependant, il arrêta son baiser après quelques instants. Son désir était là mais il y avait une chose qu'il voulait partager avec elle dès maintenant sans quoi il aurait l'impression de la trahir en taisant cette information.

-Avant ça, il faut que je t'avoue une chose : Sanaa ne sait pas encore. Et crois-moi, ce n'est pas l'envie qui me manque pour lui en parler. Je n'aime pas l'idée de te voir sans qu'elle sache ce qu'il y a entre nous, autant pour toi que pour elle. Mais voilà... En mon absence, Aimé et Digne sont revenus de Péninsule où ils cherchaient Clémence. En rentrant chez lui, Digne a découvert qu'Aislinn, sa compagne et la sœur de Sanaa, se faisait empoisonner à la drogue du traître par son associé. Quand je suis arrivé, Aimé était chez moi et s'occupait des filles -avec Patience qui a pu quitter le Puy et qui a débarqué entre-temps aussi- pour que Sanaa puisse reprendre les affaires familiales le temps qu'Aislinn se fasse désintoxiquer avec le soutien de Digne...

Sauveur marqua une pause, conscient que s'il était clair qu'il n'aurait pas pu inventer une telle histoire, cela n'en restait pas moins un sacré pack de nœuds... Comme c'est souvent le cas dans les grandes familles. Cela faisait beaucoup de protagonistes en seulement quelques phrases et il espérait qu'Aerianna ne se sentirait pas trop perdu au milieu de tout cela. Elle connaissait les noms de chaque membre de la fratrie mais elle n'avait pas encore pu mettre un visage sur chacun d'eux, ce qui compliquait un peu les choses.
Il soupira.

-En clair, Sanaa en voulait à sa sœur de l'avoir mise à l'écart ces derniers mois mais elle vient de réaliser que c'était à cause de la drogue et de cet associé. Du coup, elle se sent coupable de ne pas avoir été là pour elle et de ne pas avoir vu plus tôt ce qu'il se tramait. Elle passe ses journées à tenir leur commerce toute seule, ce qui est assez éprouvant. Sans compter que les filles lui manquent. Pour l'instant, elle a besoin que je la soutienne et pas que je vienne lui agiter mon nouveau bonheur sous le nez. Il marqua une pause, la regardant d'un air contrit. Je suis désolé. J'aurais voulu que ce soit fait avant que tu n'arrives.

Sauveur ne pouvait pas s'empêcher de craindre la réaction de la Princesse. Il ne voulait pas qu'elle croit qu'il se moquait d'elle. Il avait tenu à lui dire la vérité tout de suite plutôt que de sauter sur l'occasion qu'elle lui offrait de partager un moment d'intimité tous les deux. Il était sincère lorsqu'il disait qu'il voulait l'annoncer à Sanaa, et lorsqu'il s'excusait.

Prise dans le fil de ma pensée et le flot de mes paroles je n’avais pas pu répondre à son offre que je me rende auprès des créancier avec Aimé plutôt que lui. Mais je l’avais bel et bien intégré dans ma réflexion, même si j’avais toujours quelques doutes. Les mêmes que si Sauveur m’avait accompagné en fait, même s’il ne perdait pas son sang froid et parvenait à contrôler ses émotions, avoir quelqu’un de personnellement impliqué ne risquait-il pas d’envoyer le mauvais message à ceux qui verraient leurs terres comme des otages qu’ils pouvaient vendre à prix d’or ? Surtout si la Princesse de Geresh amenait la confirmation que même des demandes irraisonnables pouvaient être acceptées. Si c’était la Princesse de Geresh seule et sans investissement émotionnel, il restait toujours le risque qu’elle s’en aille sans qu’ils ne soient libérés de leurs terres inutiles. Si le sujet venait à revenir sur le tapis, c’était ce que je lui répondrais, que j’avais envie de faire ça seule. A moins qu’on puisse me promettre de ne rien dévoiler sur les intentions derrière cet achat.

Mais il y avait plus… important… à cet instant précis. Si lui m’embrassa avec envie après un commentaire qui ne fit que m’exciter plus avant, je lui répondis par une avidité fébrile. Mais à peine le temps de retrouver certaines sensations que quelques jours plus tôt je pensais avoir perdu pour toujours qu’il s’arrêta et força nos lèvres à se séparer. Il avait quelque chose à me dire et je l’écoutai, me faisant violence pour ne pas me jeter sur lui. Après tout, lui avait bien supporté un récit particulièrement éprouvant, c’était la moindre des choses. Une moindre des choses compliquée à lui octroyer, mais la moindre des choses quand même. Je l’écoutai, et au fur et à mesure deux discours s’imposèrent à moi, et parmi les deux discours, il y en eut un qui me fit craindre plus que l’autre la suite des événements auxquels j’étais directement liée, l’autre me confirma que la situation des Hadjaoui semblait aller en s’améliorant tant qu’ils œuvraient chacun pour le bien-être des autres.

Les noms défilaient en tout cas, et il n’y en eut qu’un que je n’étais pas sûre d’avoir jamais entendu, celui d’Aislinn, à priori la sœur de Sanaa, qui à priori prenait une charge assez importante de travail sur elle-même. Je ne comprenais rien car ce n’était pas mon univers mais je hochai la tête, pensive. Mes affaires familiales ne nécessitaient que peu d’entretien en dehors de quelques décisions prises et de quelques mobilisations d’hommes, gardes ou autres agents, et l’objectif était exactement celui de se libérer des contraintes physiques pour s’adonner à autre chose. A la place de la jeune femme j’aurais simplement trouvé quelqu’un pour remplacer sa sœur, et le problème ne se serait même pas posé car les deux sœurs n’auraient pas eu à s’en occuper elles-mêmes en premier lieu. Mais comme je le pensais, c’était un autre monde totalement, un où la seule chose qui me parlait et m’emplissait de joie – pour Sauveur plus que pour l’intéressée – était la libération de sa sœur au Puy. L’histoire devait être complexe…

L’autre lecture de ses mots était moins agréable et générait quelques émotions négatives. Sanaa ne savait pas, et il était inconfortable dans la position qui était sienne. Ses mots étaient presque trop durs pour moi, surtout quand il parlait ne pas aimer l’idée d’être avec moi alors que celle qui avait porté ses enfants l’ignorait. Ce n’était pas de la jalousie, alors que j’en savais finalement plus qu’elle n’en savait, mais sa façon de la protéger… J’imaginais le genre de soutien qu’il pouvait lui apporter, et l’idée que… sans qu’elle ne sache que j’existais… l’esprit libre… J’aurais bien voulu avoir droit à ça, moi aussi, mais dès le début j’avais été la deuxième, celle qui savait que l’autre existait, celle qui avait comme un nuage au dessus d’elle qui n’avait d’autre but qu’assombrir son bonheur. J’espérais simplement pouvoir passer à la prochaine étape… Mais ce serait pour plus tard, si je parvenais à résister jusque là. Ce qui m’inquiétait vraiment à cet instant là, c’était sur la suite de la journée, ces prochains instants qui allaient peut-être être trop inconfortables pour lui pour qu’il puisse me les offrir.

« Tu veux dire que je vais devoir encore t’attendre ? » Ma petite voix donna sur une moue en ramenant mon regard vers mes pieds, le terrain devenait légèrement glissant.

Sauveur fronça légèrement les sourcils devant la réaction d'Aerianna. Il était soulagé de voir qu'elle ne lui en voulait pas de ne pas avoir pu parler d'elle à Sanaa, soulagé de voir qu'elle lui faisait suffisamment confiance pour croire en ses intentions, soulagé de constater qu'elle trouvait ses raisons tout à fait justifiées. Cependant, une fois de plus, il s'était attendu à toutes les réactions sauf celle-ci.

-M'attendre ? Répéta-t-il d'un air interloqué. Et puis, comme si le simple fait de prononcer ce mot avait provoqué un déclic chez lui, il ferma les yeux puis étira un sourire amusé. Il releva la tête vers la jeune femme et l'embrassa avec une passion qu'elle lui rendit bien vite. Pour l'instant, l'esprit de la belle ne semblait préoccupé que par une seule chose et il n'allait certainement pas s'en plaindre... Lui aussi voulait rattraper le temps perdu et combler le vide laissé par son absence. Il marqua une courte pause dans ses baisers pour lui susurrer quelques mots. Si j'avais dû attendre, je l'aurais fait plus tôt, tu ne crois pas ?

Il lui adressa un sourire rassurant avant de se pencher à nouveau vers elle. Il n'y avait pas de concept de fidélité dans le couple qu'il formait avec Sanaa. Ni l'un ni l'autre n'était tenu de n'avoir des rapports qu'entre eux. Et puis, même si c'était le cas, le mal était déjà fait de toute façon. Le sujet sensible n'était pas tellement qu'il couche avec une autre mais le fait qu'il soit engagé dans une seconde relation amoureuse des plus sérieuses. Car il l'aimait sincèrement, comme il se plut à le lui dire alors qu'il la faisait s'allonger sur le canapé en se penchant de plus en plus sur elle, l'embrassant avec la même passion qu'elle.

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Allongés sur le divan, les deux amoureux se serraient nus l'un contre l'autre. Sauveur avait adapté ses ardeurs afin de ne pas toucher aux cicatrices de la Princesse, l'invitant même à prendre les rennes en venant au-dessus de lui. Il avait redécouvert avec bonheur le goût de sa peau et de son sexe ainsi que le son de sa voix lorsqu'elle prenait du plaisir à chacun de ses gestes. Cela lui avait tant manqué... Lui qui avait modéré ses ardeurs en arrivant pour ne pas lui sauter dessus, il n'imaginait pas qu'elle avait les mêmes envies que lui. A présent, il se sentait bien plus rassasié par sa présence et son corps. Ils avait probablement dérangé le voisinage mais il s'en moquait toujours autant.
Le corps recouvert d'une fine pellicule de sueur à cause de la chaleur et de l'intensité de ce qu'ils venaient de faire, il laissait ses mains vagabonder sur le corps de la jeune femme sans la moindre pudeur. Par moment, il s'arrêtait pour l'étreindre et lui murmurer quelques mots. Autour d'eux, c'était un beau bazar. Les coussins du divan avaient finis sur le sol, par dessus leurs vêtements enlevés à la hâte. Quant à la table basse, elle avait légèrement changée de place et ce qui se trouvait dessus était soit tombé soit éparpillé un peu partout.

Dans un soupir de bien-être, il prit la belle dans ses bras une énième fois.

-Je t'aime tellement... Laissa-t-il échapper du fond de son cœur.

J’avais été surprise par la facilité avec laquelle il m’avait rassurée, par la facilité avec laquelle il avait compris et corrigé ma confusion, comment pouvais-je ne pas être en confiance avec un tel homme ?

Ce fut intense, et exactement ce que j’avais en tête quand je lui avais finalement vouloir à ce point de lui. C’était aussi pour éviter ça que j’avais tenté de précipiter nos retrouvailles un peu plus tôt, mais j’étais bien heureuse d’avoir craqué et d’être sorti de ce discours orienté vers les affaires en cours. Il y avait une chose à laquelle je n’avais pas pensé, cependant, et c’était sa promesse de ne jamais me faire de mal, alors qu’il avait consciemment évité d’interagir avec mes cicatrices même quand j’avais essayé de rediriger certaines de ses attentions vers elles. C’était un peu frustrant mais largement noyé par tout ce qui ne l’était pas et après une ou deux tentatives où je ne le forçai pas vraiment je l’avais laissé respecter son souhait. Si j’avais essayé de réfléchir rationnellement peut-être aurais-je considéré ça comme un défaut que j’aurais dû trouver insurmontable, mais au final, avec l’amour pour redistribuer les cartes, ce n’était plus si important.

Et puis, pendant l’acte, cicatrices ou pas, ma voix s’était quand même rappelée au bon souvenir de Thaar.

Je ne savais pas trop combien de temps tout cela avait duré mais j’étais bien, là, dans ses bras, et je ne voulais encore une fois pas que ça s’arrête. Mais forcément, ça s’arrêterait, et je n’avais pas envie d’être celle qui subirait la sép… Ces mots, encore, et mon sourire s’élargit alors que je ne pouvais qu’y répondre avec le même amour. « Je t’aime tellement aussi… » Puis je l’embrassai avec assez de fougue et d’avidité pour qu’on se demande un instant si je n’avais pas prévu d’y retourner et de demander encore plus de lui, mais je ne le fis pas. Malgré toute l’excitation j’avais cette fois réussi à garder un peu de lucidité, et l’idée qu’il y avait bien des choses à régler avant que je puisse me débarrasser de toutes sortes d’arrières pensées. Pas pendant, heureusement, mais j’avais même pensé à Sanaa, à un moment. C’était fou comment les affaires non résolues pouvaient vous empoisonner la vie, même quand il n’y avait aucune raison qu’elles le fassent, que nous avions tous le temps. Je me dégageai de son étreinte peut-être un peu trop vite avant de me tirer vers le bord du divan.

Une fois assise sur le bord du lit je me penchai en avant pour chercher mes vêtements. Mais après avoir repoussé un coussin qui la dissimulait je me rendis compte que la robe était juste un peu trop loin et je dus me lever vraiment. Sans trop m’éloigner du lit, restant à portée d’un éventuel bras, je me penchai tout à fait vers l’avant, offrant une vue des plus merveilleuses à mon amant. Je restai là volontairement un instant, sans trop savoir ce que je cherchais à accomplir.

Soit Aerianna ne le faisait pas exprès, soit elle ignorait l'effet qu'elle faisait à Sauveur...

Son baiser enflammé avait déjà réveillé les ardeurs de l'ancien gladiateur et il fut assez surpris de la voir s'extirper de leur étreinte de la sorte. La transition était violente mais il la plaça sur le compte de la maladresse mue par l'inexpérience plutôt que sur une véritable intention de sa part. Il l'observa ensuite d'un œil curieux tandis qu'elle se penchait pour récupérer sa robe, allant même jusqu'à lui offrir une vue imprenable. Mais, au lieu de se rasseoir rapidement, elle garda cette position inutilement ce qui ne manqua pas de le faire réagir.
Sauveur étira un bras dans sa direction et glissa une main à l'intérieur du genou droit de la belle. Puis, dans une lente caresse, il remonta le long de sa cuisse. Il monta tant si bien qu'il frôla l'intimité de la jeune femme. Il fit mine de vouloir la caresser puis retira ses doigts. Il savait que son geste serait sûrement frustrant mais c'était voulu. Cependant, plutôt que de la laisser comme ça, il passa son bras autour de la taille de la belle et la tira en arrière, ne lui donnant pas d'autre choix que de se rallonger tandis qu'il se redressait. Lorsque le dos d'Aerianna fut contre l'assise, elle put trouver Sauveur au-dessus d'elle, lui adressant un regard faussement contrarié.

-Tu vois ce que ça fait ?

Il faisait évidemment allusion à son baiser fougueux brutalement arrêté alors que les choses commençaient à devenir intéressantes. C'était une vengeance bien maigre comparé à la passion qu'elle avait mis dans son dernier contact durant de bien longs instants. L'expression mécontente de Sauveur s'effaça bien vite au profit d'un visage plus doux.

-Où cours-tu comme ça ? Demanda-t-il paisiblement.

J’avais failli me mouvoir à nouveau mais il était intervenu au bon moment et j’étais restée pour sentir sa main glisser sur ma peau. Oui, c’était clairement ça que je cherchais à accomplir, et je ne me l’avouai que maintenant que le mouvement était lancé. Il alla assez haut pour déclencher quelques frissons avant de m’emporter vers lui un instant après avoir arrêté. Je ne résistai pas, bien évidemment, même en me rendant compte qu’il manquait quelque chose à mi-chemin du divan. Sauveur était au dessus de moi, et il m’interrogeait maintenant, faussement sérieux. Je ne savais pas ce qui faisait quoi, mais je savais que quelques unes des choses qui s’étaient passées pouvaient être concernées par sa remarque. Mais j’ignorai sa question en lui répondant sur le même ton avec une petite moue. « A cause de toi je n’ai pas eu le temps de récupérer ma robe, tu veux me garder nue, c’est ça ? »

Je ris légèrement alors que son visage s’adoucit. La question était raisonnable, voire sensible, et je me mordillai la lèvre inférieure pour chercher comment lui répondre. Mais à chaque fois qu’une explication venait elle était insensée, à chaque fois qu’une explication venait je lui trouvais quelque chose pour la contredire. « Je n’en sais rien. » Comme souvent, c’était ça, l’explication la plus raisonnable. « Je pensais que nous avons tous deux beaucoup de choses à faire et que parfois on ne peut pas se permettre d’étirer le bonheur jusqu’à l’infini. » M’entendre prononcer ces mots me faisait penser que j’étais peut-être devenue une toute autre personne. « Je pensais que quelqu’un a besoin de toi plus que je n’ai besoin de toi à cet instant… » Mais malgré les mots des plus sérieux, une fois la phrase finie je lui souris d’un air plus malicieux. « Mais quand j’étais penchée au dessus de ma robe je pensais aussi que tout ça était idiot et que je pouvais me permettre de changer d’avis. » Alors que j’avais fini de parler mon bras gauche s’enveloppait autour de sa taille, et ma main droite se dirigeait directement vers la zone la plus sensible du corps de mon amant.

Dans un sourire en coin, Sauveur adressa un regard de défi à Aerianna alors que l'une de ses mains descendait vers son entrejambe. Elle y trouva son membre en partie déjà tendu, excité qu'il avait été par ses petits jeux plus ou moins volontaires. Il la laissa le saisir et soutint son regard tandis qu'elle lui prodiguait quelques attentions destinées à lui redonner toujours plus de vigueur. Sous ses doigts, son sexe se tendit et gonfla de manière plus que palpable. Son visage exprimait son honte le plaisir qu'elle lui procurait alors qu'il se contentait d'en profiter, pour une fois. Son souffle devint peu à peu plus fort et plus rapide. Finalement, elle lui arracha un gémissement et ce fut le moment qu'il choisit pour entrer en action à son tour.

Alors qu'il restait en appui sur un coude, il usa de sa seconde main pour aller à son tour droit au but. Ses doigts s'insinuèrent entre les jambes de la belle et trouvèrent son intimité qu'il gratifia aussitôt de multiples caresses. Il s'attacha tout d'abord à émoustiller son bouton des plaisirs avant d'entamer de lents allers et retours entre lui et l'intérieur de son sexe, s'avançant progressivement. Après un moment, ses mouvements l'amenèrent à entrer en elle. D'abord à peine, puis de plus en plus, jusqu'à ce qu'il soit incapable d'aller plus loin. Pendant ce temps, sa bouche embrassait ses lèvres, son cou, ses seins, jusqu'à la goûter de sa langue et lui faire sentir ses dents sur sa peau sans lui faire mal.
Alors qu'ils étaient tous deux plus que mûrs, il retira sa main de son intimité -non sans l'avoir gratifié d'une caresse d'adieu- avant de passer son bras sous elle et de les faire basculer tous deux sur le côté et d'intervertir leurs positions. Puis il se redressa pour s'asseoir et lui vola un baiser passionné et essoufflé, l'invitant à s'asseoir sur lui et venir se faire rencontrer leurs sexes. A elle de décider si elle voulait entrer directement dans le vif du sujet ou les faire languir encore un peu. Quoi qu'elle décide, pendant leurs ébats, il finirait par laisser échapper quelques mots dans un souffle...

-Je ne me lasserais jamais de te faire l'amour...

Nos attentions mutuelles avaient permis d’entretenir une flamme qui semblait ne jamais s’éteindre quand j’étais avec lui, et qui quand elle le faisait se rallumait assez vite pour que les interruptions soient des plus courtes. Nos gémissements respectifs plus ou moins assumés permettaient aussi de faire comprendre à l’autre qu’aucun de nous deux n’avait envie d’être à un seul autre endroit, et nous entendre m’emplissait en même temps de désir et de bonheur. Puis quand il m’invita à prendre des initiatives je ne résistai pas à toutes ces émotions et vint assouvir probablement un peu rapidement mes pulsions, comme sauvage, dans mon référentiel restreint en tout cas. Il m’aida évidemment comme toujours à ne pas aller trop vite, me rattrapant quelques fois, toujours avec cette intention de tout faire plus durer que mon instinct ne le pensait bon. J’avais bien usé de ma bouche, avant, mais une fois que je m’étais mêlée à lui il n’y avait pas eu grand-chose pour me faire dévier de mon but.

…et éventuellement à sa déclaration la réponse viendrait dans un souffle chaud glissé à son oreille. « Et je ne me lasserais jamais de te l’entendre me le dire. »

Une fois cet amour consommé je ne m’enfuis pas chercher à me rhabiller, je restai là de longues minutes dans ses bras, le caressant doucement, l’embrassant langoureusement. Des minutes qui s’agglutinèrent pour donner des heures, des heures durant lesquelles je ne pouvais le quitter, durant lesquelles je voulais qu’il reste pour éviter de penser à tout ce qui arrivait dans les prochains jours, à tout ce qui devait être réglé avant-même de penser à racheter la propriété de sa famille. La forme assoupie à l’abri au dessous de nous, le géant qui viendrait éventuellement chercher son dû, deux choses qui pouvaient être décrites si facilement mais qui pouvaient mener à tellement d’issues… Non, j’étais bien là, et ces pensées plus obscures qu’elles n’auraient dû l’être me poussèrent à chercher ses lèvres des miennes, à chercher sa langue de la mienne, et à chercher de nouvelles caresses. Et comme le monde avait une sorte de perfection quand j’étais avec lui, il répondit à chaque fois.

« Quand tu m’auras quitté, quand j’aurais décidé pour Aimé, quand je me sentirais prête, je t’enverrais un nouveau message… mais… je vais avoir besoin d’un peu de temps je pense. » Etais-ce là un regret que j’exprimais d’une bien petite voix ? Je n’en savais trop rien, mais je savais que pendant les jours qui suivraient je ne voulais pas l’exposer à ce qui risquait d’arriver, et lui demander du temps pour ce qui le concernait était ma seule façon de m’approcher d’un semblant d’honnêteté.