Le chaton et l'assassin [Dante]

7e jour de la 8ieme ennéade de Favrius, an 17

Existe-t-il du savoir inutile? Du savoir dont on préfèrerait ne pas encombrer une flamme devenue trop étroite. D'ailleurs, était-il possible de ne plus pouvoir engranger de nouvelles connaissances, de nouvelles experiences, ou la flamme ne faisait-elle que briller plus fort à chacune d'elles?

Couchée de coté au milieu du petit lit de la chambre d'auberge, la drow avait les yeux bandés. Sa tête posée sur un bras était immobile, sa poitrine montait et descendait doucement, au gré d'une respiration lente. Son bras d'ébène, à demi étendu sur le lit, se mouvait à peine.

Entre ses doigts fins, une épingle à cheveux des plus quelconque remuait doucement, en un lent mouvement de va et vient qui la faisait effleurer l'acier.

Son extrémité était logée dans le mécanisme d'un petit verrou. La sombre regardait, La sombre écoutait. Non pas les sons, non pas la lumière, mais une toute autre gamme de perceptions, celle qu'elle pensait faire partie des fondations de la réalité. Des perceptions qui semblaient venir d'un autre monde d'une complexité dont l'étendue même lui échappait. Alors elle s'y abîmait complétement, à l'écoute de motifs qui fusionnaient tous ses sens. Lorsqu'elle se concentrait sur un détail, il dévoilait à son tour une infinité de nouveau possibles sur lesquels poser son attention.

Lorsqu'elle avait commencé, l'astre du jour s'apprêtait à descendre sous l'horizon.

Il faisait nuit. Elle savait que quelque part elle pourrait sentir les mouvements du mécanisme que l'épingle à cheveux poussait imperceptiblement. Elle l'avait trouvé à un moment. Peut-être vite, ou bien trop lentement. Mais elle peinait maintenant. Le mouvement était fin. Il se superposait à tant d'autres, de son corps, du vent, du lit, de l'épingle, des poussières probablement soulevées par une rongeur caché derriere le mur à sa gauche, et tous les autres, au delà de sa petite chambre.

Le mouvement se superposait à celui, lent, du pêne de la porte qui se levait, du battant qui se déplaçait sans un bruit avant qu’une grande silhouette ne se glisse silencieusement dans la chambre. En simple chemise, pantalon et ceinturon d’armes, Dante reste immobile sur le côté de la porte. La drow sent les motifs changer, peut-être quelqu'un passe-t-il dans le couloir. Elle est si proche de trouver ce qu'elle cherche. Elle reste concentrée sur la recursion de motifs, et ignore le reste. L'outil effleure l'acier à nouveau. Elle sourit, bloque sa respiration.

Premier constat elle ne tenait pas son aiguille comme il faut. Immobile, il la regarda quand même faire un moment, silencieux et curieux. La tête penchée de côté.

-Pourquoi tu te bande les yeux?

La sombre sursaute, sa concentration rompue, et se redresse sur le lit en tirant ledit bandeau pour le retirer, ses yeux rouges se posent sur Dante, pupilles aussi dilatées que si elle avait été droguée.

Un silence, quelques secondes à peine avant qu'elle reprenne le fil de la réalité. Alors les yeux de la demoiselle se plissent, elle penche la tête, une oreille tendue, le sourire narquois.

- Pour mieux voir, bien sûr! Quelle heure est-il?

Toujours immobile, relaxe, Dante ne hausse même pas les sourcils. Se contente de regarder petit chat sans émotion.

- Tu peux pas brider un sens pour développer les autres ... il doit être a peu près deux heures à vue de pif.... T’essaye de faire quoi là?
Le sourire de la sombre s'évanouit un peu, son regard vague.
- Six heures... déjà. Elle hausse les épaule, la gauche suivant difficilement la droite. C'est un mouvement apparamment toujours un peu inhabituel pour elle, et la tension de ses oreilles pointues au même instant apporterait un coté potentiellement comique à l'ensemble, s'il y était sensible.

- J'essayais.. de savoir si mes sens magiques pouvaient servir à percevoir les vibrations que provoque l'épingle à cheveux dans le mécanisme. Il va me falloir beaucoup de travail avant de pouvoir à nouveau... Elle pousse un soupir. Des années peut-être. Et cela lui manque déjà. - Je devrais peut-être essayer... sans passer par la magie. Mais avec une seule main... La sombre, le verrou à la main, fait la révérence, l'air narquoise, la voix mélodieuse."Peut-être faudrait-il que j'apprenne à arrêter de me jeter contre des murs, à mieux choisir mes combats."

Dante ne répond pas tout de suite, semblant réfléchir sérieusement à la question. Il la laisserait bien seule, mais Cécilie y tient à celle-là, pour une raison obscure.

-Tasse-toi, fait moi de la place.

Dit l’homme en s’appropriant le bas du lit sur lequel il s’asseye. La fixant toujours froidement, sans émotions. Il y av largement de la place pour deux, et elle ne l'en empêche pas, malgré sa méfiance. Un instant passe et il continuait de la fixer de sa façon si particulière.

-T’es capable de faire quoi avec ta gauche?
Un haussement de sourcil est la première réponse de Shyn'tae auquel ne répond que les froides prunelles dépareillées. Il a parfaitement la réponse depuis le temps qu’il la regardait faire, on ne parle pas d’heures mais d’ennéades…

Elle soulève son bras gauche pour le lui présenter. Sa peau d'ébène porte plus de cicatrices que le droit, dont au moins une témoigne d'une ancienne grave blessure. Le membre monte presqu'à l'horizontale et elle fait bouger ses doigts maladroitement avant d'être pris de spasmes apparemment incontrôlables, et qu'elle le laisse retomber.

- La main? Attraper, soulever. Mais je n'ai pas de précision ni de force, et je ne sens rien. Enfin parfois j'ai des sensations, mais elles ne sont ni réelles ni agréables. Comme des fourmillements impossibles à soulager. C'est difficile à expliquer. Tu es docteur? conclut-elle, narquoise.

Il plisse les yeux, attentif aux mouvements et aux paroles de la Sombre. Elle peut attraper et soulever, mais elle n'a ni force ni endurance apparemment. Le manque de sensation peut poser un problème comme être un avantage, dépendamment des circonstances. Parfois, il aimerait bien ne rien sentir, ne serait ce que quelques instants.

-Non je suis pas docteur, je m'esquinte juste à gogo et j'ai pas toujours un mage de la vie sous la patte pour me retaper. Tu peux lever ton bras, prendre quelque chose même si tu as l'air d'avoir les doigts dans le miel. C'est déjà pas mal plus que pas mal de monde… Je sais que tu veux pas mon avis, mais je vais te le donner quand même. Ya de quoi faire, mais faut travailler autrement de ce que tu as l'habitude. Par exemple, bien appuyée pour pas que tu tremble, ta main peut stabiliser ce putain de cadenas, mais tu t'obstine à travailler juste de la droite. Je sais pas ce que t'essayais de voir les yeux bandés, mais tu aurais pu le "voir" aussi avec tes doigts, avec la paume de ta main.

Il marque une pause, dévisageant Shyn'Tae avec une lueur prédatrice dans le regard. Elle est maintenant chez les loups, de l'autre côté de la barrière. Il faut s'adapter pour survivre. L'autre le regarde en retour, son visage l'expression du flegme le plus parfait. Elle n'est pas absolument certaine qu'il ait saisit ce qu'elle tentait d'accomplir, mais cela n'a guère d'importance, car il ne comprendrait probablement pas. Il se demande si elle ait saisit ce qu'il essaye d'accomplir.

Je te dis ca pas par bonté d'âme, oublie ça... Plus tu es autonome et capable, moins on a à te sauver le cul. Arrête de penser en mage, t'a oublié ton corps. Irulan peut te montrer à écouter mieux que moi, mais pour le reste…

Arrêter de penser en mage... La drow le regarde droit dans les yeux. Se rend-il compte? Probablement pas, pour ce qu'elle a appris de lui au cours de ces dernières ennéades. Son corps, c'était justement la manière qu'elle utilisait pour exprimer sa magie. Magie dont elle est amputée, tout comme elle s'est privée de ce membre qui n'en fait plus qu'à la sienne. Mais l'idée même de donner l'impression de se plaindre la dégoûte. Il la voit serrer des dents. Faire avec ce qu'elle a et avancer ont toujours été sa devise, si fermement ancrée en elle qu'elle se sent faible et déméritant juste en en discutant.

La sombre finit par hocher la tête et enchaine d'une voix profondément calme.

- Admettons. Je ne compte pas me faire sauver le cul comme tu dis, et je n'ai plus d'accès à la magie pour l'instant. Elle avait insisté sur le dernier point. Ce n'était qu'un contretemps fâcheux. Il lui faudrait peut-être dix ans de travail avant de parvenir à entrer en résonnance de manière satisfaisante avec un nouveau focalisateur. D'ici là il faudrait bien continuer à vivre, elle n'était plus une enfant. Un sourire tout aussi carnassier que celui du mâle illuminait son visage.

- Alors on commence par quoi?

Tu veux apprendre à crocheter ce putain de cadenas... Donne moi ton aiguille et ton cadenas. C’est pas le bon outil mais ca peut faire…

En trois secondes et quart, Dante déverrouille l’engin. Mais il ne lui rend pas les trucs. Plutôt il lui montre la dite épingle sise entre le bout de deux grands doigts agiles. La sombre l'avait observé attentivement dans sa tâche. Ce n'était absolument pas le but qu'elle s'était fixée. Au fond le verrou n'avait été qu'un prétexte comme un autre de sonder passivement l'inconnu à l'aide de l'épingle plutôt que de magie, laquelle ne pouvait lui servir présentement que dans le cadre d'une offrande à Kiel. La sombre espérait parvenir à la satisfaire sans cela.

Mais il était vrai qu'elle ne savait pas crocheter, et elle n'était pas du genre à rechigner mise face à un savoir inconnu, qu'il soit utile ou non. Cerise sur le gateau, étant donné qu'elle n'imaginait pas retrouver l'usage de sa magie de sitôt, il valait mieux qu'elle apprenne de nouvelles choses utiles à leur petit groupe avant d'en devenir folle. Savoir tenir une épée ne lui suffirait pas. Et manifestement, son vis à vis en avait lui aussi conscience.

-Tu dois t’exercer à tenir ton épingle sinon tu sentira rien. Prends.... Ton toucher est important. Elle avait prit l'épingle entre deux doigts fins. Sans se démonter, Dante corrigea la position. Le contact était étrange. Il se forçait manifestement pour ne pas être brutal. Le contact était étrange, comme si elle le rebutait.

-Tu peux sentir la chaleur de l’aiguille... Quand tu sera prête, fout là dans le trou. Porte attention aux sensations qui te parviennent, ce que ça fait quand elle racle sur le métal, le toc de quand elle s’engage dans le pêne. Ca donne une sensation particulière... Accotte toi pour stabiliser ce foutu cadenas. Utilise ta gauche, cest pas parce que c’est mal foutu qu’il faut que tu fasse comme s’il existait pas.

Alors qu'il expliquait, la drow s'était déjà mis à l'oeuvre. Elle écoutait probablement, mais s'était concentrée sur sa tâche sous l’œil vigilant de l’humain. Certaines de ses suggestions, les plus évidentes, la petite noiraude les avait mises en oeuvre alors même qu'il les énonçait. Elle avait ainsi calé le verrou dans sa main gauche pour fouiller avec la droite. Le résultat évoquait un chaton maladroit, car à plusieurs moment ses doigts ou son poignet s'étaient révélés trop instables et avaient provoqué l'agacement de leur propriétaire, mais elle semblait s'en tirer pas trop mal au final. Intérieurement, elle ressassait un peu trop les mots de l'assassin à son goût, car ils reflétaient des réflexions qu'elle avait elle-même décidé de mettre sur le coté. Se débrouiller sans magie...Elle avait fini par reconnaitre (l'avait-elle vraiment?) que son bras gauche était à peu prés perdu. Mais sa magie... C'était une amputation qu'elle ne parvenait à accepter. Qu'elle ne pouvait PAS ne pas surmonter, d'une façon ou d'une autre. Elle retrouverait Eveil? Imaginer qu'elle puisse être détruite, ou définitivement perdue.. Jetée au fond de L'Oliya.. Suffisait à lui donner la nausée. Elle n'osait pas se raccrocher à l'espoir qu'elle soit quelque part à l'attendre, et peut-être cela faisait-il partie des raisons pour lesquelles elle n'osait pas non plus imaginer rentrer. Elle n'était pas familiere avec cette peur chronique, lancinante, insidieuse...

Pour oublier tout ca, elle se concentra sur l'aiguille et le verrou, sur l'intuition qu'elle avait construit à force d'exercer sa perception, pendant ces heures qui étaient passées si vite.

Le verrou cliqueta, s'ouvrit. Pour sa defense, il n'avait jamais été de grande qualité. Mais la sombre redressa un regard amusé vers Dante. Non, elle n'était pas totalement niaise, semblait-elle dire.

-Irulan m’a dit que tu étais dynamiste, cest le même principe je pense, mais sans magie, en tout cas de ce que j’ai lu . C’est bien les sens, ils forment un tout, et la magie est un sixième que j’ai pas. Il te manque?

Toujours immobile, attentif, Dante attend la réponse de la sombre.

-Je ne l'ai pas vraiment perdu s'empresse-t-elle de répondre d'une voix douce, un sourire en coin orne ses lèvres. Tu peux développer les autres pour quand tu pourra t'en servir, après, ca devrait te rendre plus efficace..."

Il montre Shyn du doigt. Dante pourrait faire un compliment, mais ce n’est pas dans sa nature. Il souligne plutôt la faiblesse observée. Elle ne l'a pas quitté des yeux en retour, l'atmosphère est étrange. Non pas tendue, mais pleine de questionnement. Elle le laisse continuer après avoir hoché la tête, pas certaine qu'il peut la comprendre.

-Comment vous pouvez tant vous reposer sur un unique sens et oublier le reste? Tu viens avec moi demain, on a à faire… Garde toujours cette aiguille sur toi. Ceux qui te connaissaient s’attendront pas à ca s'ils recommencent, ils te penseront pas capable de fuir seule et ils penseront pas à l'épingle... Ton défi pour demain c'est de la cacher pour pas que je la trouve tout en t'étant facilement accessible. T'es ni la plus grande ni la plus forte et moi non plus... pourtant on est vivants encore là où y'en a d’autres, des plus forts, des plus malins… de morts… Réfléchis y.

- J'y réfléchirai. Mais vous savez chef, je le connais par cœur ce verrou là, alors ce n'est pas très dur. Elle sourit avec malice. Intérieurement, c'est le doute qui l'habite. Que cherche-t-il exactement? S'est-il attaché à elle? La sombre n'en montre rien, mais se méfie. Mais après tout, qu'a-t-elle donc à perdre à jouer le jeu. Ca a l'air distrayant, et il y a des choses à apprendre.

Tu as raison de vouloir penser à autre chose La pensée est douce. Parfois la fuite est préférable.


Je t'en trouverai une autre… Étouffant un bâillement, il s'étire voluptueusement.

Dante se lève et franchit la porte entrebâillée. Il vient de décider qu’il l’a prend comme apprentie. Elle a du potentiel... beaucoup.

Dans la petite chambre, la sombre se débarrasse de la chemise, puis des bandages. Sa petite poitrine respire enfin. Un soupire de contentement franchit ses lèvres mi closes. Puis suit le pantalon ample. Seul un bracelet d'argent orne sa cheville gracile. Elle n'est plus Kalanree, mais à nouveau elle-même, et ca fait du bien. Brusquement, elle se laisse tomber en arrière sur le lit, yeux clos. Elle a un peu de temps avant de s'endormir, et sait déjà ce qu'elle va en faire. Son sourire grandit.

Les premiers rayons du soleil caressent le visage de la drow endormie, qui entrouvre bientôt un œil somnolent. L'heure de se lever approche, déjà... La demoiselle se dégage avec difficulté de la couverture dans laquelle elle s'est emmêlée dans son sommeil, et, se faisant, tombe du lit dans une manœuvre d'une finesse et d'une élégance rare.

Un long instant s'écoule, pendant lequel la drow contemple les détails du plancher usé. Ses yeux parviennent peu à peu à s'éveiller, à parcourir la pièce des yeux, à contempler les étagères vides, puis l'armoire, seuls meubles de la petite chambre de l'auberge. Elle soulève la tête, sa joue garde une petite impression des rainures du plancher.

Finalement elle pose la main au sol et se redresse. L'instant d'après, nue comme une nymphe sortie de l'eau, elle est debout et s'étire, un des deux bras beaucoup plus haut que l'autre, ses longues oreilles tendues.

Une nouvelle et enthousiasmante journée s'annonce, sourit-elle, satisfaite. Du moins meilleure que ses rêves, ca elle en est certaine. L'aiguille posée sur la petite table de chevet attire son œil, elle la ramasse.. hésite un long instant, puis hausse les épaules.

Une fois débarbouillée dans la bassine d'eau froide, la sombre s'habille prestement, puis abandonne promptement la chambre anonyme, satisfaite de sa propre apparence.

En bas, Irulan est déjà partie avec une caravane. La drow se dirige aussitôt vers Dante, lequel l'attend déjà, un sourire aux lèvres. Un oeil marron se pose sur elle sans qu’il ne lui rende son sourire. L'homme est en train de remplir les fontes de Ténèbres qui toise d'un œil torve l'arrivante, inhabituellement silencieux. .

Arrivée devant lui, elle s'arrête, et le salue, malicieuse.

- bonjour chef ! A votre disposition !"
- Enfourche ton canasson… On se barre.

Dit il en déviant d'un geste expert la tête de son étalon qui semble porter un intérêt trop soudain au Pommelé. La sombre hausse les épaules et grimpe sur la monture à son tour. Cela fait des ennéades qu'elle ne se formalise plus des manières de l'excentrique compagnon de son amie.

Avec un petit sourire en coin, il laissa Ténèbres caracoler un peu, et emmena Shyn'Tae au trot, avant de laisser l'orgueilleuse monture partir en plein galop, piquant en plein par les champs, sautant par dessus les clôtures des pâturages, quittant la route. Shyn'tae le suit aussitôt, du moins autant que ses compétences d'équitation le lui permettent. Le vent caresse sa peau. Il se retourne, la gratifie d'un de ses vrais sourires. Un authentique sourire, quoique pas celui de Cécilie. Un sourire qui l'encourage et l'incite à faire plus, à faire mieux à la fois. Il veut faire dépenser la sale énergie de sa monture trop fringante en ce matin, avant de s'arrêter pour passer aux choses plus sérieuses. Les rênes dans ses mains, il en sent le grain du cuir, les mouvements du cheval de combat sous ses cuisses, chaque frottement de tissus, il le sent et le ressent. Dante souffre dans une certaine mesure mais ca ne l'empêche pas d'apprécier la chevauchée.

Le Pommelé et sa cavalière peinent à suivre l'étalon puissant. C'est une brave bête, que Shyn'tae a rapidement apprécié, qui ne rechigne jamais à la tâche, douce, reposante. Alors lorsque la sombre sent sa monture au flegme si apaisant commencer à fatiguer, elle ralentit l'allure et laisse Dante creuser son avance, sa main droite sur les rênes.

Voyant qu'il est le seul à galoper, Dante ralentit et arrête, avant de revenir vers Shyn'Tae… au petit trot. Ténèbres, l'écume au mors, est docile.

-T'es pas marrante… Viens,on va se choper un coin peinard.
- Si. Mais le Pommelé ne mérite pas que je le tue à la tâche." Un petit sourire en coin ornait son visage. " Il n'est peut-être pas aussi rapide que Ténèbres, mais lui ne fait jamais de mauvais coup."

Ténèbres encense vigoureusement tandis que Dante se penche pour lui flatter l'encolure d'un air bourru. Ils se ressemblent tout les deux. Maitre et étalon. Ils s'apprécient aussi beaucoup, mais ont une étrange façon de se le montrer. .

-wais il est un cas

Bien vite se présente un bosquet dégarni où ils peuvent attacher leur montures. Rigolard, il cache quelques chose un peu partout sur le fougueux quadripède avant de s'adosser sur un tronc maigrelet, les prunelles luisant d'amusement. La sombre l'observe, adossée à un mur en ruine, bras croisés. Dante pointe Ténèbres du menton, donnant ses instructions.

-Ya cinq clochettes. Ta mission c'est de me les choper sans que cet enfoiré te pile dessus ni que je les entende.

"Sans que Ténèbres lui pile dessus"? La drow hausse une oreille. Dante est coutumier d'étranges expressions Oliyanes dont Shyn'tae ignore tout, mais pour cette fois le contexte parlait de lui-même. Pour toute réponse, un large sourire étire la grande bouche de l'homme.

Sous son regard acéré, Shyn'tae s'approche nonchalamment du fougueux animal. Ténèbres n'est pas la créature la plus amicale d'Ithri'vaan, loin de là mais au moins il n'a pas la fourberie de Noisette, on sait toujours exactement à quoi s'en tenir avec lui. Présentement, le concerné observe l'apprentie, les oreilles dans le crin, d'un regard qui en dit long, même pour un cheval.

-T'attends le prochain Voile?
- Oh. C'est une idée. J'espère que les clochettes n'auront pas trop rouillées d'ici là.

Et sur ces mots, la sombre se lance à l'assaut d'une tâche bien plus difficile qu'elle en avait l'air. De longues minutes plus tard, elle a obtenu deux clochettes et esquivé une ruade, mais, apparemment prise au jeu, elle sourie et flatte maintenant le bel étalon, alanguie… Et discrètement subtilise la troisième.

Pendant ce temps Dante l’observe toujours, attentif. La capacité d’adaptation et d’observation de la drow est bon, elle a un certain talent naturel. Et elle a un style particulier. Même Ténèbres, cette enflure, se laisse prendre au jeu, s'adoucissant devant les caresses et l'admiration si habilement prodiguées. Mais plus que cela, pendant qu'il la regarde faire, il l'analyse, l'évalue. La technique qu'elle a choisie, la façon de parvenir à ses fins. C'est indicateur du tempérament de l'Eldéenne.

Dante apprend autant que Shyn'Tae, pour avoir un coup d'avance le jour où elle deviendra l'ennemie.

Tout sourire, cette dernière complimentait l'animal avec entrain, le regard pétillant. Ténèbres semblait apprécier, et se laissait volontiers flatter, lorsque soudain, il s'aperçut que quelque chose clochait. Son regard chevalin se posa sur elle, attentif, et il la renifla avec méfiance. Tant de bonté cachait forcément quelque chose, et ce cheval en particulier n'était pas du genre à s'en laisser compter. La tête du canasson s'approcha plus près  et il la fixait.

La drow sourit jusqu'aux oreilles avec innocence, se déhancha sensuellement... et ouvrit soudain la main pour présenter une friandise. Le cheval  hésita un long instant, comme pour signifier qu'il n'était pas dupe, puis se jeta dessus.

Discrètement, la noiraude en profita.

Pendant ce temps, les prunelles de Dante, plissées, incisives, avaient entamé  un tout autre genre d'examen. Ils passèrent des courts cheveux de neige, descendent le long du col, cherchant quelque chose, un changement, un repli, un mouvement inhabituel du tissus, les manches, les pantalons. Chaque centimètre visible des vêtements fut examiné de loin pour essayer d'y découvrir une anomalie dans le pli ou dans la matière. Il fallait bien admettre qu'il n'y avait rien d'inhabituel chez la demoiselle, laquelle avait repris son entreprise de séduction. L'animal mangeait gaiement, apparemment conquis. Alors la drow gagna en audace, peu à peu. Sa peau décorée des motifs changeants que produisaient les rayons de soleil filtrés par le feuillage, elle vint chercher la derniere clochette.

Tel un serpent frappant sa proie, le cheval se retourna et se jeta sur la petite main tendue, que la drow retira prestement. Les mâchoires claquèrent dans le vide, puis un hennissement retentit dans la campagne.

Comme un chat surpris et hérissé, la sombre venait de faire un bond de bien deux mètres en arrière.

- Shu.., murmura-t-elle, fort marrie par la réaction somme toute un peu excessive de ce satané canasson.

Un éclat de rire traversa la campagne, tandis que, bras croisé, Dante arborait son sourire en coin de foutage de gueule.

-C'est pas parce que le plumé te laisse faire qu'il sait pas ce que tu fais. Il y en a qui te laisseront faire jusqu'à la dernière minute, comme lui, pour être certain de te coincer... Il faut savoir reconnaitre les signes... Techniquement, une erreur comme celle là et il y a beaucoup de tire laine qui se retrouvent en taule, morts ou esclaves.  Tu subtilise vite et un truc ou deux seulement. Plus tu étire la sauce et plus t'es à risque de te faire prendre. La technique est bonne, reste à la peaufiner.

- C'est toi qui m'a demandé de récupérer les cinq. Si j'avais pris le temps de m'occuper convenablement de lui, je pense qu'il ne s'en serait pas rendu compte." Le ton qu'elle avait mis derriere le mot "convenablement" sonnait étrangement. Pensait-elle vraiment à ca ou était-ce de la pure provocation? On parlait tout de même d'un cheval.

La main de la drow s'ouvrit en un geste fluide et elle lui présenta les clochettes qu'elle avait pu récupérer, le regard malin auquel répond les prunelles amusées de l'assassin. La main aux grands doigts agiles se referme dessus, caressant mine de rien le revers de la manche de la chemise, les doigts sentant chaque fibre de tissus, cherchant la légère bosse que pourrait faire l'épingle.

-Ce cheval a été entrainé à être vicieux par nécessité. Je l'ai pris comme trophée parce que, de toute façon, personne en aurait voulu, il aurait finit en ragoût.

- La vie suit de bien étranges voies... Je devrais porter des grelots lorsque je danse. Ca pourrait agacer mon entourage. Ca a l'air bien. Une fois les clochettes reprises, Dante replace une mèche rebelle des cheveux de la sombre derrière l'oreille, les doigts sensibles passant sur le col du vêtement, mine de rien. La danseuse s'étira en se dandinant et il s'écarta pour aller les ranger de nouveau dans ses fontes. "Comment es-tu devenu Maitre de cette activité ? continua-t-elle avec toute l'innocence que permettait une curiosité insatiable.

Shyn'tae hausse un sourcil, puis lui offre un sourire amusé. Ces mots semblent venus du coeurs. "Ils", dit-il... Mais bien sûr, les dieux ont bon dos.

Les doigts agiles effleurent au niveau des bandelettes, juste assez pour en ressentir chaque pli. La drow se cambre souplement, lui présentant fièrement son absence de poitrine, son sourire peu à peu plus grand. Non, il est peu probable que l'épingle soit là, à moins qu'elle ne soit la reine du bluff.

Indifférent, l’humain n’entre pas dans son jeu . Il continue son examen méthodiquement, qu’elle bluff ou non ce n’est pas important, outre le fait qu’il cherche cette épingle, ce qui n’est pas plus important, l’homme évalue et analyse le comportement de la sombre devant lui. Shyn se doute t’elle de combien ce contact lui coûte ? Sûrement pas. En tout cas, elle agit comme si de rien n'était, et si ses mouvements pouvaient laisser croire à un flirt, il n'en est rien de ses mots ni de son ton.

- Foutaises. Si les dieux avaient le moindre contrôle sur ce qui se passait, le monde serait bien différent de ce qu'il est, Dante. La seule qui tente encore d'y parvenir, c'est Kerhel. L'homme continuait à la tâter. C'était une sensation étrange. Elle continua. "Et pourtant il faut lutter pour la liberté. Tu sais pourquoi? Parce que tous ensemble, on ne pense qu'à se passer nos propres chaines."

Liberté, combat, chaînes.

Les mains descendent pour se mettre à explorer méthodiquement la taille, puis les hanches. Il pourrait avoir l’air de la tripoter, s’il ne le faisait pas le plus éloigné possible d’elle. Quant-à la drow, si elle en retirait un quelconque plaisir, ses mots, le rythme de ses phrases n'en montre rien. Par contre, peut-être par jeu, elle roule souplement du ventre puis des hanches au passage de ses mains.
Extérieurement il reste impassible, intérieurement il en grimace de dégoût.

-Les dieux s’en foutent. Et je ne parlais pas de ceux là. Je parlais des autres... De ceux qui ont choisis pour toi, a ta place.
- L'un est mort, et aucun n'auraient jamais imaginé que je me retrouverais ici. C'est pas parce qu'on n'a pas toujours toutes les cartes en main qu'on ne peut pas saisir sa liberté. Elle se tut un instant avant de poursuivre, aussi indifférente que si elle faisait une liste de course, et le gratifia d'un sensuel déhanchement au passage. "Je suis un échec. Ma mère me méprisait, mon père me méprise. Le seul truc que je n'ai pas foiré dans ma vie m'a pris un bras en représailles et indiffère tout le monde. Succès mitigé donc. Ceci dit en parlant d'échec, tu peux laisser tomber, tu la trouveras pas cette aiguille. Et toi, plus satisfait de tes accomplissements?"

Ce n’est pas à lui de lui mettre du baume sur le coeur. Pauvre petite, raille La Bête, donnant un éclat animal et malsain à l’œil vert. Eclat qui s’allume aussi dans le marron. Les doigts s’éloignent un peu de la peau noire.

"-Tu porte pas l’aiguille? "

Demande t’il d’un ton bas et neutre, ignorant la question sur ses accomplissements

- Si, évidemment. Tu donnes ta langue à la drow?" La demoiselle se déhanche, posant son poing droit sur sa hanche. L'autre reste amorphe, oscillant à peine. Ca fait belle lurette qu'elle a renoncé à y faire appel sans jeter un oeil sur ses agissements souvent traîtres.