Ceux qui viennent tard ne trouvent que des os.

Durant la seconde moitié de la quatrième ennéade de verimios 17 : XI.
Aux alentours d’Oësgard.

Alors que le bateau s’approchait du port d’Oësgard, Lilyanna regardait la forêt passer devant elle avec un regard enflammé. Elle n’avait que peu parlé durant les deux jours et quelques qu’ils avaient passé à descendre l’Oliya et lorsque Khosro avait tenté il s’était heurté à la mauvaise humeur de la prêtresse.

« Vous êtes certaine que c’est une bonne idée? » Demanda-t-il, deux pas derrière l’hybride. Après plusieurs secondes de silence il voulu répéter sa quesiton, craignant que pour une raison ou une autre elle ne l’ait pas entendu. Toutefois elle l’interrompit sur un ton cassant au milieu de sa phrase.
« Pour la troisième fois: oui je suis sûre que je veux m’arrêter une heure ou deux ici. »
« C’est que l’endroit n’est pas vraiment accueillant et puis le capitaine n’avait pas l’air de vouloir perdre du temps alors... »
« Vu ce que je l’ai payé, le capitaine attendra. »

Le bateau accosta les quais oësgardiens et Lilyanna mit sa capuche avant de débarquer sans répondre au capitaine qui lui disait qu’il attendrait deux heures comme convenu et pas une minute de plus. Alors elle se dépêcha de quitter la ville pour aller dans la forêt. Elle retrouva bien vite les cadavres qu’elle avait vu à l’allé, conservés par la neige. Elle les sortit et commença le rituel. Lorsque les corps étaient enfin prêts elle sortit sa dague et égorgea le poulet qui attendait anxieusement dans sa cage puis, assise en tailleur, la nécromancienne fragmenta l’esprit de l’animal pour le faire prendre possession des cadavres. Pour finir elle envoya les goules se perdre dans les bois. Avec un peu de chance elles trouveraient bien des voyageurs à massacrer ou un village à terroriser. Après ça la nécromancienne ramassa la cage, c’eut été dommage de ne pas manger le poulet mort, et se dépêcha de retourner au bateau qui l’attendait pour repartir.

De nouveau à bord, le capitaine n’attendit pas le reste des deux heures pour repartir, ce qui allait très bien à Khosro et Lilyanna. Cette dernière, malgré sa vengeance mesquine dirigé vers les mauvaises personnes, restait de mauvaise humeur, peut-être parce qu’elle ne serait pas là pour observer les dégâts causés par ses créations.

***

Au début de la cinquième ennéade de verimios 17 : XI.
Le matin sur les docks de Thaar.

Les deux comparses écumaient les quais dans l’espoir d’y voir le Katrian mais il devint vite évident que le navire n’y était, de toute évidence, pas. Alors ils entrèrent dans le premier débit de boisson qu’ils virent à la fin de leurs recherches. L’endroit méritait largement l’appellation de bouge. Rien n’allait, l’odeur, la décoration, ou du moins le manque de décoration, les lieux qui étaient dans un état pitoyable… sans parler de la clientèle. Toutefois la fatigue avait pris le dessus sur le bon goût et même s’ils ne comptaient pas rester bien longtemps, ils allaient tout de même boire quelque chose ici. La prêtresse s’étira en regardant le propriétaire des lieux arriver avec leurs commandes.

« On pourra peut-être tenter d’aller voir à Celimë une fois que les eldéens ne seront plus à Sol’Dorn. »
« En plus on sait où est le fort maintenant. » Les deux sourirent bien malgré eux à la remarque mais il valait mieux rire de leurs mésaventures qu’en pleurer. « Plus sérieusement, ça m’étonnerait que ça arrive de sitôt. Vous avez vu comme moi l’armée qu’ils y ont amassé. » L’intéressé poussa un soupir fatigué.
« Oui… je comprends mieux la méfiance des elfes. J’imagine que j’aurais réagis pareillement à leur place. » Elle avala une gorgée de bière qui lui arracha une grimace. « Bon, on ne peut pas aller sur l’Île du Sanctuaire mais il doit bien y avoir quelque chose qu’on puisse faire. »
« Demander aux autres dragons de nous y amener? » L’idée fit rire Lilyanna qui imaginait la scène.
« A condition de pas finir dans l’estomac du dragon à qui on le demande mais quitte à attendre autant faire quelque chose qui pourrait nous aider ; nous sommes de retour en Ithri’Vaan, on peut en profiter pour en apprendre plus sur les dragons. »
« Comment? » L’idée lui avait fait hausser un sourcil.
« J’en sais rien. » Répondit-elle en haussant les épaules. « Les nissétiens en savaient visiblement un paquet à leur sujet, on peut commencer par là. En plus ça me permettrait de mettre à profit ce que j’ai appris. »
« Bon du coup ça exclut d’aller voir du côté de Qirya, y’a beaucoup trop de drows là-bas. Geresh peut-être ? »
« Ça m’étonnerait que y’ait quoi que ce soit d’intéressant là-bas, la ville est bien à l’ouest, loin du cœur de l’empire. Je préfère éviter d’aller chercher à Baaz’Hima, il paraît que le prince est fricote avec les eldéens. »
« Les cités de la Côte Brulée alors? Elles sont pas très loin de Nisétis, doit encore y avoir des trucs là-bas. »
« Bien vu mais je pense qu’on peut commencer par la ville juste avant. Si les habitants n’ont pas tout détruit, on trouvera peut-être quelque chose à Ys, sur la rive est de l’Oliya. »

***

Au début de la cinquième ennéade de verimios 17 : XI.
A midi, sur l’agora d’Ys.

« Vous vous demandez jamais où se trouve le Katrian ? »
« LE Katrian ? A Nisétis. » Répondit-elle en gloussant puis elle mangea le bout de pain qui avait la malchance de trainer non loin de sa main. « Plus sérieusement, si, je me pose souvent la question mais je n’en sais rien. Il est peut-être rentré à Mecca ou peut-être qu’Azzelio est passé à Pharembourg voir son ancienne épouse. Dans tous les cas je sais qu’ils vont se débrouiller. Mais à ta place je finirais mon assiette et je réfléchirais à la réunion avec le conseil d’Ys qui nous attend. »

Il hocha la tête et se dépêcha d’avaler ce qui restait de son repas. Pendant ce temps la prêtresse se leva et sortit quelques écus pour aller payer ce qu’ils devaient au tenancier de la taverne dans laquelle ils s’étaient arrêtés pour manger. Ensuite ils sortirent et après quelques minutes à marcher dans les rues Lilyanna regarda le soleil bien haut dans le ciel.

« On devrait avoir le temps d’aller voir ces ruines, au moins de loin, avant notre rendez-vous. »

Khosro haussa les épaules et ils se mirent en quête de trouver un chemin jusqu’auxdites ruines ce qui leur prit une partie non négligeable de leur temps si bien qu’ils ne purent s’arrêter bien longtemps sur la berge de l’Oliya pour les observer avant de devoir faire demi-tour pour cette fois aller du côté du palais de la ville. Lorsqu’ils y arrivèrent le soleil avait bien descendu. Khosro s’arrêta devant l’étale d’une vieille femme qui vendait des petits gobelets d’un liquide ambré, accompagné d’un cornichon. Amusé il donna les deux écus demandés et l’avala d’un coup comme recommandé. Un acte qu’il regretta bien vite, lui qui ne s’était pas attendu à ce que ce soit de l’alcool et encore moins qu’il soit si fort. Il en recracha une partie, sous le rire de la vieille femme et de Lilyanna.

« Aller viens, on va être en retard. »

Pour éviter de l’être, justement, ils se hâtèrent d’aller se présenter au palais et d’attendre que les notables de la ville veuillent bien les recevoir.

La grande salle accueillant les réunions des Treize – autrefois Quinze – était bien dépeuplée lorsque l’hiver venait. Les représentants des grandes guildes et corporations d’Ys préféraient de loin la chaleur de leurs tours dans l’Agora ou de leurs quartiers généraux dans le cœur de la cité, plutôt que de passer du temps dans les salles de marbre du palais d’Ys. L’hiver frappait dur dans la cité, bien plus que les années précédentes, et les chefs de guildes luttaient au quotidien pour faire en sorte que l’hiver se passe au mieux, de sorte que la reprise de l’activité au printemps n’en soit que plus rapide.

Les séances des Treize avaient été reportées au printemps. Entre temps, chaque conseiller se devait d’avancer ses propres dossiers.  Engoncé dans son siège, le Douzième était en train de s’affairer à signer de nombreux papiers pour lancer les différents travaux et projets de la cité pour la fin de l’hiver. Bien au chaud près du feu ronronnant de la salle du conseil, Douze s’était réfugié ici en sachant pertinemment que personne ne viendrait l’emmerder. Le maître de la guilde des lettrés était un homme qui appréciait par-dessus tout le silence pour travailler. Les locaux de sa guilde étaient trop petits : la plupart des membres venaient travailler dans les immeubles qu’il possédait durant l’hiver, ce qui faisait que l’on manquait cruellement de place … sans compter que c’était durant cette période que l’on rangeait les archives. En un mot comme en cent, ce n’était pas le meilleur endroit pour travailler … contrairement à la salle du conseil du palais.

Attablé sur la grande table de bois, divers ouvrages et papiers empilés soigneusement, Douze faisait crisser la plume sur le parchemin, à la lueur du feu de cheminée et de la lumière hivernale qui pénétrait dans la pièce. La bouteille de vin qui lui tenait compagnie était à moitié vide et la miche de pain qu’il avait apporté déjà bien entamée. Un vieux vice de vieux briscard : on ne travaille jamais sans un bon verre de vin pour s’éveiller les sens, surtout en plein hiver.

Il n’était cependant pas le seul à avoir élu temporairement domicile dans la salle du conseil. La Neuvième était présente, silencieuse comme à son habitude … ce qui n’était pas pour lui déplaire. S’ils conversaient peu au quotidien, cela lui convenait amplement : cela évitait de se disperser en palabres inutiles et de se concentrer sur les tâches en cours. Un « bonjour » le matin, un « bon appétit » à midi et un « bonne soirée » la nuit tombée : si tous ses collaborateurs pouvaient avoir la même retenue, il n’en vivrait que plus heureux !

Neuf était le surnom que l’on avait attribué à la maîtresse de la guilde des artistes. C’étaient eux qui avaient le plus souffert des représailles de la famille de Kahina et des loyalistes. La jeune femme portait dans sa chair les marques des sévices que lui avaient fait subir les aristocrates yssois. Gravement brûlée et mutilée, elle portait désormais un masque qui lui couvrait la partie supérieure de son visage. Ses longues robes ne laissaient plus rien paraître des marques de brûlures, mais tous les habitants d’Ys savaient qu’elle était probablement celle qui avait le plus perdu durant le soulèvement.

La patronne des artistes d’Ys s’affairait depuis quelques jours sur les affaires liées au mécénat d’Ys. C’était un travail de longue haleine que de trouver les bons établissements et les bons talents à financer et à faire venir dans l’escarcelle de la cité portuaire. Neuf travaillait comme elle pouvait pour redonner à sa guilde son lustre d’antan, bien qu’une grande partie de ses employés soient morts durant l’incident de la Tour Calcinée en l’an 8/XI.

Neuf et Douze furent dérangés sur les coups de midi par le capitaine des Heaumes de Bronze qui veillait sur le palais cet hiver. Visiblement, des invités surprise s’étaient présentés aux portes du palais. Un capitaine de navire visiblement. Très bien … Les Treize n’étaient que deux, mais cela suffirait pour une petite entrevue. Douze recala ses lunettes rondes sur son nez et s’essuya le visage avec un léger tissu avant de balayer du revers de sa main les documents qui trônaient sur son morceau de table. Neuf, quant à elle, replia délicatement le papier qu’elle venait de terminer et le scella à la cire avant de le ranger dans un étui de cuir tanné. Douze fit signe au capitaine de les faire venir :

« Faites les entrer. Dites-leur que nous pouvons leur accorder une petite heure. »

Le capitaine des Heaumes de Bronze ne se fit pas prier pour exécuter les ordres. Quelques instants plus tard, lesdits invités pénétrèrent dans la salle des Treize. Neuf et Douze se levèrent et prononcèrent les politesses d’usage.

"Monsieur, madame … Prenez place autour de la table je vous prie. Je suis le douzième membre du conseil, Joshua Bentham, maître de la guilde des Lettres. Vous pouvez m’appeler Douze.

- Et je suis Madalina Hillesum, maîtresse de la guilde des artistes. Vous pouvez m’appeler Neuf."

Les présentations faites, les deux membres du conseil firent signe à leurs invités de s’asseoir et firent de même. Douze croisa les doigts et bien caché derrière ses lunettes rondes, commença la discussion :

« Ys ne reçoit pas beaucoup de visiteurs durant l’hiver et celui-ci se montre particulièrement rigoureux cette année. Nous avons un peu de temps à vous consacrer capitaine. Que pouvons-nous pour vous ? »

C’était avec regret que Lilyanna tendit son arme au capitaine des gardes lorsque ce dernier la demanda. Si on pouvait appeler ça une arme d’ailleurs : une dague qui était plus ornée que tranchante mais sans doute pouvait-on tuer quelqu’un avec, elle avait rencontré des gens qui avaient tués avec des objets bien plus anodins et, parfois, bien plus ridicules. Khosro lança un coup d’œil à l’endroit dans lequel ils attendaient pendant que la prêtresse priait, assise en tailleur sur le sol, les mains liées, les yeux fermés. Toutefois, lui comme sa professeur, n’eurent pas le temps de mener leurs inspection à terme, bien que pour l’hybride ce soit une introspection car, contrairement à ce qu’ils pensaient, ils n’eurent pas à attendre bien longtemps.

Ce fut avec un claquement de langue qu’elle accueillit le capitaine des gardes lorsqu’il arriva, elle se demanda s’il n’avait rien d’autre à faire mais elle se ravisa lorsqu’il lui dit que les conseillers étaient prêts à les recevoir.

« Ne vous inquiétez pas, une heure suffira amplement. »

Khosro se disait que ça ne servait pas à grand-chose de dire à ça au capitaine de la garde qui, sans doute, s’en moquait éperdument. Quoi que, moins les deux invités restaient longtemps dans le palais et mieux c’était pour lui, il pourrait reprendre ses autres activités, peu importe ce que cela pouvait bien être. Lilyanna suivit donc ledit capitaine, son apprenti se tenant un pas derrière elle, sur sa droite et après les politesses de circonstance la prêtresse alla s’asseoir.

« Je m’appelle Lilyanna, je suis la capitaine du Katrian. »

Khosro haussa un sourcil en entendant ça. Il n’avait pas passé beaucoup de temps sur le navire mentionné, à peine une poignée de jours, trois pour être précis, mais il savait parfaitement qu’elle n’était pas capitaine. Toutefois ce n’était pas la première fois qu’elle se présentait ainsi, c’était plus pratique pour paraître plus important bien que ce soit à double tranchant ; en effet le Katrian n’avait pas une réputation des plus reluisantes bien qu’il ne soit pas le bâtiment le plus connu de la mer olienne. Après les présentations la capitaine d’une heure alla s’asseoir comme proposé et suggéré. Le titre que c’était donné Lilyanna avait surpris Khosro mais ce qui le surprit fut de voir que la chance était enfin de leur côté car s’il comprenait bien, les conseillers qu’ils avaient en face d’eux étaient…

« En effet l’hiver n’est pas si clément qu’il le fut l’année dernière mais comme vous pouvez vous en douter je ne suis pas là pour parler de la météo et ça tombe bien car vous êtes justement les deux conseillers qu’il me fallait voir, nous allons donc gagner du temps. Ys, comme les autres cités d’Ithri’Vaan, ont été fondées par l’empire nissétien mais Ys a la particularité de n’avoir pas touché, ou du moins beaucoup moins que les autres, à sa vieille ville. » Elle savait bien que ce n’était pas par choix mais ça elle s’en moquait bien, que ce soit voulu ou non n’y changeait rien. « C’est justement cette dernière qui m’intéresse car il se trouve que je fais justement des recherches sur l’empire nissétien. Voici donc ce que je vous propose : financez mes recherches et je partagerais mes trouvailles avec vous. »

Douze recala ses lunettes rondes sur son nez, interloqué. Il jeta un regard à Neuf. Difficile de savoir ce qu’elle pensait derrière son masque et son air impassible. Il regarda successivement la capitaine de la Katrian et son compagnon et se lança :

“ La clarté de vos propos vous honore capitaine Lilyanna et ils ne sont pas tombés dans les oreilles de deux sourds. Néanmoins, c’est un peu court …”

Le maître de la guilde des Lettres but une gorgée de vin, non sans avoir pris le temps de le faire tourner dans son verre.

“ Nous ne sommes pas des confiseurs distribuant des bonbons capitaine. Que vous vous intéressiez à la culture nisétienne, cela vous honore et nous sommes ravis de pouvoir rencontrer des chercheurs venus de loin pour cela. Toutefois … avant même que nous ne puissions parler d’un quelconque financement et d’un quelconque partenariat, il va falloir nous en dire plus sur vos compétences.

- En effet … Qu’êtes-vous en mesure de nous apporter capitaine ? Comprenez que nous ne pouvons pas vous accorder un blanc sein sans quelques garanties. "

Les Treize ne pouvaient en effet pas se permettre de faire l’aumône à toute la gueuserie de l’Ithri’Vaan qui venait toquer à sa porte. De plus, des fouilles étaient déjà en cours dans l’antique cité calcinée. Si l’aide d’un expert pouvait s’avérer utile, il fallait néanmoins s’assurer de sa compétence. Or de question de financer des charlatans et surtout de voir les découvertes récupérées par d’autres puissances.

Les recherches menées dans l'ancienne cité avaient permis de mettre à jour de vieilles caches et des sites enfouis dont les trésors restaient à découvrir. Si les travaux d'excavation étaient mis entre parenthèses durant l'hiver, les sites restaient protégés par les Heaumes de Bronze et la discrétion restait de mise. Les Treize ne pouvaient se permettre de laisser vagabonder les curieux autour des sites de fouilles.

Elle s’était attendue à cette question et ce fut donc avec un sourire qu’elle l’accueillit. Qu’ils la posent était après tout bien normal.

« Je comprends cependant je vous retourne la question. Comprenez que je n’ai pas un temps illimité, bien que je sois immortelle. » Elle tira sur un de ses gants pour le remettre en place et elle posa ensuite une jambe en travers de son autre cuisse. « Un temps limité, donc, que je préférerais ne pas gaspiller. Je ne doute pas que vous trouverez sans mal de nombreux érudits capables de lire un oliyan vieillit, j’imagine même que vous pouvez le faire, monsieur Bentham, mais combien allez-vous trouver de savants capable de lire le nissétien ? »

Elle secoua lentement la tête, une réponse non verbale à sa question rhétorique. Elle était tentée de dire qu’elle pouvait aussi le parler mais au vu de ses dernières leçons, et de son accent, elle avait préféré ne pas tenter le coup. Cela dit elle ne se doutait bien qu’aucun de ses deux interlocuteurs n’ait jamais entendu quelqu’un parler cette belle langue qui ait vécu du temps de l’empire et qui aurait pu l’entendre de vive voix par un vrai nissétien. Contrairement à elle. Du moins si elle en croyait ce que disait son ancien maître quant à ses origines. Toutefois il s’agissait là, à l’heure actuelle, de considérations bien secondaires qu’elle chassa d’une pensée.

« C’est pourquoi je ne m’inquiéterais que des vestiges nissétiens, et ce surtout si l’on peut trouver des inscriptions dans cette langue à l’agonie. De ce fait j’ai besoin d’assurances de votre part que je ne vais pas perdre mon temps avec vous et que vous avez effectivement ce qui m’intéresse, ce que je recherche. Vous n’êtes pas la seule cité qui gagnerait à faire traduire ses vestiges et sans doute n’êtes-vous pas la seule cité qui pairait une fortune pour que quelqu’un s’en charge. »

Neuf se pinça les lèvres. Ce n’était jamais bon quand la demoiselle des arts était irritée ... Elle qui était d’une patience à toute épreuve.  

« J’ai bien peur que l’immortalité ne vous ai malheureusement pas donné la sagesse de savoir choisir vos mots avec soin capitaine Lilyanna. Il va me falloir vous expliquer quelques principes de la négociation commerciale et de la bonne tenue en société. Je suis certaine que vous saurez nous accorder quelques secondes de votre temps apparemment ô combien précieux. »

Neuf croisa ses doigts gantés de soie noire. Le Douzième resta impassible.

« Je pense que vous avez mal évalué la situation capitaine. Qu’est-ce qui vous permet de croire que nous avons besoin de vous ? Vous venez dans notre cité réclamer un argent et un accès à des biens que nous ne vous devons en rien et quand, par curiosité, nous nous intéressons à vos compétences, vous vous permettez de nous insulter. Croyez-vous sincèrement qu’avec une telle attitude, nous pourrions avoir envie d’établir un partenariat avec vous ? Vous êtes-vous un seul instant demandé de quoi nous avions réellement besoin ? Vous êtes-vous un seul instant mise à notre place avant de vouloir satisfaire votre égoïsme d’immortelle ?

Le ton de la Neuvième était froid comme la glace. Elle n’avait cependant pas tort aux yeux du Douxième. L’attitude de la capitaine n’encourageait pas à la création d’un quelconque partenariat. Qui aurait envie de travailler avec des gens qui pourraient être certes compétents, mais dont l’attitude était impossible au quotidien. Ys n’avait pas besoin de ce genre de personnes. Douze se redressa sur son fauteuil et reprit la parole.

« Capitaine Lilyanna, je crois que nous avons assez perdu de temps avec vous comme cela. Je vais vous demander de bien vouloir sortir de ce palais et de quitter au plus vite la ville. Revenez quand vous aurez acquis assez de sagesse pour savoir comment négocier avec des mortels. Et remerciez les dieux que nous ne saisissions pas votre navire et votre équipage. »

Le capitaine des Heaumes de Bronze entra dans la salle à ce moment-là. Douze lui fit un signe pour qu’il fasse évacuer ces invités. La capitaine de la Katrian pouvait s’estimer heureuse de pouvoir repartir vivante et avec son navire après avoir commis un tel impair avec les membres du Conseil. Si la discussion avait été plus courtoise et Lilyanna plus humble, nul doute qu’ils seraient parvenus à un arrangement. Douze et Neuf n’étaient pas de mauvaises gens : ils n’appréciaient simplement pas, comme tous bons êtres humain qui se respectaient, d’être pris pour des imbéciles.

« Veuillez ramener la capitaine et son compagnon à son navire. Nous en avons terminé. »