La politique, toujours... Et encore. [Aerianna]

Au courant de la 4ème ennéade, un messager Nain traverse Thaar et se présente dans le quartier des soieries, aux devants du palais d’Aerianna. En s’annonçant comme messager de l’émissaire des Mille-Caves, il dépose la missive entre les mains d’un serviteur de la Princesse-Marchande de Geresh, puis prend congé, s’en retournant dans les entrailles des Caves.

4ème ennéade de Vérimios – Premier mois de l’Hiver
Dix-septième année du onzième cycle.

A la Princesse-Marchande de Geresh,

Salutations, respect et honneurs de la part des Mille-Caves.

Les récents évènements qui ont troublé la paisible cité de Thaar, vous auront impactée de plein fouet. Il est de notoriété publique que vous êtes une femme respectable, et promise à un grand avenir. Il apparaît alors logique que l’empire dont vous avez hérité, puisse prospérer par vos soins.

En tant qu’émissaire du Prince-Marchand Salfaryl le Sombre, et des Mille-Caves, principale force commerciale relayant le Grand-Nord à la charmante Ithri’Vaan, je souhaiterais m’entretenir avec vous dans les plus brefs délais, afin de vous fournir toute l’aide que les Nains du Sud pourront offrir.

Il apparaît qu’en ses temps de troubles, l’entraide, la discussion et la négociation, sont force d’union et de paix.

Présentez-vous aux portes des Mille-Caves avec cette missive et son sceau ainsi que la signature. Les portes vous seront ouvertes, et je vous y accueillerai.

Chaleureuses salutations.

Marzaban Ambreroc.
Emissaire des Mille-Caves

Ça ressemblait à un piège, ça ressemblait à un piège et pourtant j’y fonçais tête baissée, y entraînant avec moi Kamis, y entraînant avec moi Ehni, et surtout, y entraînant avec moi Sauveur. Le monde pouvait s’écrouler à tout instant comme j’avais cru qu’il le ferait une poignée d’ennéades plus tôt, mais je prenais le risque, surtout parce que je ne pourrais ignorer les Mille-Caves pour toujours. Je ne pouvais les ignorer même si l’on ne m’avait pas encore invitée dans ce Conseil qui était l’objectif assumé de la cité que je n’avais encore réussi à mener à sa gloire. Mais je n’étais pas ici pour Geresh et toutes ses qualités, j’étais ici pour un autre empire, comme ce Marzaban le décrivait si bien, un empire qui avait été pris d’assaut par trois Princes dont le sien, un empire qui avait perdu la majorité de ses mains et qui s’était vu obligé de les remplacer comme il avait remplacé sa tête…

Il restait une maigre chance qu’il m’ait invitée parce que cette tête n’était plus sombre.

Aux abords des Mille-Caves, là où la population commençait à se faire de plus en plus Naine, il fallut que je prenne de nouvelles marques, que j’exerce mon regard et mon cou pour m’habituer à ces nouvelles hauteurs. Quand un représentant de ce peuple que je connaissais particulièrement mal attirait l’œil, je me permettais comme pour tout autre de l’observer, mais une fois qu’il se rapprochait de trop je me sentais obligée de trouver un autre sujet pour mon attention, histoire d’éviter de trop les regarder de haut. J’aurais peut-être dû me poser cette question plus tôt, mais on ne pensait pas à tout et il me semblait que c’était bien trop tard pour simplement le demander au premier nain qui viendrait. La situation ne se posa bientôt plus, parce que les Mille-Caves venaient d’apparaître et que la tendance qui allait prendre le dessus était de lever la tête. Ce n’était pas exactement raffiné, même si le blanc rendait toujours bien – et la Princesse de la Cité Blanche ne pouvait vraiment avoir une autre opinion – mais c’était assez massif pour forcément attirer l’attention.

A la présentation du courrier on me laissa passer la première muraille de l’édifice alors qu’un barbu s’élança vers le bâtiment au centre pour vraisemblablement trouver Marzaban. J’y étais, et l’oasis qui m’accueillit était une petite surprise, alors que je n’attendais pas autant d’eau et de verdure de ceux qui vivaient sous le sol, même si le tapis de neige qui le recouvrait par endroit ne mettait pas cet oasis en valeur. Je suivis avec ceux qui m’accompagnaient le sentier vers la palais, en me demandant ce que son émissaire entendait par « portes des Mille-Caves », étaient-ce celles que j’avais déjà passées ou étaient-ce celles vers lesquelles je progressais tranquillement. Sauveur dut se rendre compte que j’étais relativement perdue, ou bien avait-il trouvé le moment juste pour enlever un peu de cette tension que j’éprouvais, dans tous les cas je ne pus que sourire à cette main furtive qui me passait dans le dos même si je n’y répondis pas.

Marzaban pouvait surgir à tout instant.

Comme ces antres, ces cavernes, ces caves, étaient agréables. Comme la quasi-totalité de mes semblables des dunes, je n’ai jamais mis un seul pied sur les terres du royaume de mes ancêtres, et pourtant, vivre sous terre semble aussi agréable qu’inné, et d’un naturel… Tout à fait naturel. Sans doute que cette prédisposition pour l’amour des demeures souterraines, pourrait s’expliquer mathématiquement. Pour ma part, j’en suis 100% certains.

J’étais donc dans mon antre personnel, dans les niveaux les plus profonds du monde, lorsqu’un serviteur vint me chercher. J’y dégustais une liqueur tout à fait unique, provenant directement des terres du Nord. Et par Girdon qu’elle était forte ! L’alcool représentait un fort pourcentage, en comparaison aux autres épices et composants naturels ou de fermentation. J’ouïe dire par le représentant du brasseur, que la maturation de cette liqueur avait prit 6 mois, 5 ennéades et 7 jours, que le fut, fait d’un bois mixé à 77% de palissandre et à 23% de sapin, dans lequel on aura plongé tous les 29 jours, une quantité correspondant à 123 grammes d’épices par litre de liqueur brassée.

Je dégustais ce liquide dans un verre de ma collection personnelle. J’avais fait construire, dans un renfoncement de la pièce, un meuble de marbre dans lequel se trouve toute ma collection : verres à pieds, verres à vins, verres à champagnes, verres à whiskys, verres à rhums, verres à bières, flutes diverses, tout était là, pour boire n’importe quel breuvage de ce monde. Chaque contenant, avait un contenu spécifique, qu’il fallait respecter. Sinon ce serait sacrilège !

L’armoire avait ceci d’exceptionnel, qu’elle était gravée de runes, maintenant les verres à une température froide, pour les verres à liquides se buvant frais, les autres demeurant sur des étages sans runes.

Au milieu de la pièce, un large espace fait de confort. Canapés de cuir, fauteuils, tables basses, fourrures, tout avait été pensé et mesuré pour que je puisse m’y sentir parfaitement à mon aise. Et d’un autre côté de la cave, la voici, la fameuse Izrilgorog, le joyau des liqueurs. Des milliers de bouteilles des meilleures liqueurs, des plus fins élixirs du continent.

Ainsi disais-je, un serviteur vint me chercher. Comprenant qu’il s’agissait de la dame Aerianna, qui avait si rapidement répondue à ma missive, je laissais là le verre et la liqueur encore à l’intérieur, et prit la direction des hauteurs. Je m’étais, évidemment, correctement vêtu de soie et de velours, aux fils tissés d’or et aux tissus de couleur d’un blanc de nacre, et d’or doux.

J’arrivais enfin dans la partie des Mille-Caves se trouvant à la surface du monde, et reconnaissait Aerianna, la nouvelle héritière de la Corporation d’Argent. Je me plaçais devant elle et devant ses trois acolytes. Evidemment, il était normal qu’elle se déplace avec une escorte, ou des individus de confiance. Les évènements des Semailles auront sans aucun doute entaché notre réputation auprès de Geresh, aussi m’étais-je attendu à une escorte, mais bien plus grande que celle-ci. Ainsi l’héritière de la corporation d’argent était très différente de celle qui en fut fondatrice. Nul doute que l’infâme Al’Serath serait venue avec pléthore de soldats et autres mercenaires, ainsi qu’une ou deux armes de sièges. Je pris la parole :

- Princesse Aerianna, bienvenue aux Mille-Caves, et merci pour votre rapidité. C’est un honneur de vous recevoir. Je suis Marzaban Ambreroc, émissaire des Mille-Caves. Je m’incline. Etant donné la situation, et l’individu, l’inclinaison à 39° est nécessaire, en signe de respect. Et j’inclinais ensuite seulement mon visage à 15° en direction des trois acolytes. Puis, je me tournais vers le serviteur qui avait été me chercher dans le tréfond de ce monde. Ur thranguzdal bryngol Le serviteur s’exécute. Si vous voulez bien me suivre.

Faisant volte-face, je pris la direction des escaliers descendant jusque dans l’antre du monde. Les gardes s’écartèrent devant nous, laissant ainsi passer la demoiselle de Geresh et ses compagnons. Nous dévalâmes les couloirs et les passages, tous plus tortueux les uns que les autres, qui auront tôt fait de perdre Aerianna et sa suite. Il faut dire que ce labyrinthe avait de quoi faire perdre tous les repères. Et enfin, au terme de couloirs au plafond se rapetissant de plus en plus pour rendre le passage aisé uniquement pour un Nain, forçant quiconque serait plus grand que moi à se recroqueviller, nous arrivâmes à l’Eclaverne.

Une salle de l’Eclaverne avait été préparée pour nous accueillir sans que quiconque ne vienne nous gêner d’aucune manière. L’établissement était de faible hauteur, évidemment, et mes invités devaient s’en sentir gênés. Je leur indiquais alors la salle, et tout le confort qui s’y trouvait, afin qu’ils puissent s’installer. L’Eclaverne était magnifique, je le pensais à chaque fois que je m’y retrouvais. Une telle présence de luxe et de matériaux précieux, d’or, de diamants, de joyaux, m’inspirait pour mon futur projet d’établissements de jeux. Un serviteur arriva une fois que nous fûmes tous installés.

- Un whisky des tourbes des marais pour moi. Que désirez vous princesse, ainsi que vos acolytes ?

En attendant Marzaban j’avais compris certaines choses. Il y avait quelques détails qui ne faisaient aucune sorte d’importance mais il y avait surtout une compréhension un peu plus poussée de cette impression que m’avait fait le Maître des Caves. Il ne pouvait que se sentir intouchable quand sa cité était son palais, un palais rempli de plus des siens que je n’en avais jamais vu dans une vie. Il restait tout de même un certain nombre de points d’interrogation mais la démesure de cet endroit aidait en tout cas. Peut-être le comprenais-je, d’une certaine façon ? Cela ne changeait rien à tout ce qui s’était passé en tout cas, et si j’étais accompagnée je ne me sentais pas pour autant en sécurité. Le risque existait toujours, mais le risque, c’était ce qui faisait tourner Aerianna Hiisi de Geresh, car elle recherchait parfois autant le succès que les échecs les plus douloureux. Ou bien étais-ce simplement parce que tous les précédents échecs ne m’avaient jamais fait toucher le fond ?

Puis Marzaban surgit et se présenta avant de me saluer comme il se devait.

« Emissaire Marzaban, c’est un plaisir d’être reçue pour la première fois en ce lieu. »

Est-ce que j’avais besoin de lui souligner ce détail ? Salfaryl n’avait ni jugé bon de me rencontrer avant leur sordide coup, ni jugé bon de me recevoir lui-même, mais à quel point le nain qui se présentait devant moi avait-il eu contrôle sur ce fait ? Il me faudrait plus, en tout cas, pour perdre mes bonnes habitudes. La courbette que je lui servis fut dans tous les cas moins exagérée que je n’en avais l’habitude sans pour autant perdre la moindre goutte de respect. C’était tout justifié par l’image que je me faisais de cet étrange peuple, une image qui était peut-être injuste mais qui me poussait à ne pas vouloir abuser de mes charmes. Si je devais être tout à fait honnête, l’éventualité qu’ils fonctionnent m’effrayait peut-être encore plus que son contraire. Mais l’honnêteté était parfois bonne à ignorer, et je pouvais mettre ça sur le compte de cette présence au-dessus de mon épaule. Son esprit était ouvert, mais l’était-il à ce point ?

Ma robe blanche était aussi plus sage qu’à l’accoutumée, mais elle restait assez aérée pour que je n’étouffe pas.

Lui n’attendit pas longtemps et il nous poussa tous à le suivre on ne savait où. Sauveur devait reconnaître cette appréhension, il devait sentir que tout mon être œuvrait pour me rendre plus calme, il devait sentir mon souffle être de plus en plus profond, il devait savoir que si je suivais encore le nain dans les profondeurs de la terre, c’était que j’étais assez forte pour surmonter la peur d’être trahie par ce court peuple. Forte, mais aussi rassurée par ma puissance. Et je continuai d’être forte même au travers des boyaux de la terre, même quand je dus me plier vers l’avant pour simplement pouvoir progresser. Je souris en tournant la tête et en voyant Ehni à peine penchée mais les deux hommes contorsionnés pour que leur taille semble se rapprocher de celle des petits êtres. Je ralentis pour qu’il ne soit pas question de rendre leur voyage plus compliqué encore. Les têtes se relevèrent légèrement une fois une pièce découverte mais l’inconfort resta important jusqu’à ce que l’on prenne place.

Mon regard assuré était vrillé dans le sien, je faisais semblant de ne pas voir la richesse alentour.

« Un whisky des tourbes des marais également. »

Je n’écoutai pas les réponses des autres, imaginant que seule Ehni ne prendrait pas de risque…

« Parlez-moi de cet endroit, s’il-vous-plaît. J’ai entendu des histoires, mais jamais d’un habitant. »

Je ponctuai ma demande d’un sourire calme, j’avais dévoilé beaucoup en venant ici, c’était à son tour.

La salle de l’éclaverne était dotée de toutes les commodités du peuple Nain, ainsi que de toute la débauche de moyens, de richesse, d’or, de diamants, de joyaux, de dorures, de cristaux, de marbre, si communs en Ithri’Vaan, et pourtant portés à leur paroxysme ici-bas. A chaque fois que je venais ici, je tentais de mesurer le montant de toute cette richesse. En partant du principe que le cours de l’or à l’once était connu et maîtrisé, j’en déduisais la quantité de souverains et d’écus investis ici juste pour l’or et les dorures. A cela, il fallait ajouter les différentes estimations de tailles et de poids et de pureté des différentes pierres précieuses, et calculer l’estimation via les différents cours de toutes ces pièces. A chaque fois, je parvenais à un résultat différent, car, bien que je sois l’héritier de Salfaryl, le maître des Caves, je n’avais point encore accès à toutes ses informations, ni à tous ses secrets.

Toujours est-il que la richesse et la débauche de moyens en ces lieux, doivent crier aux oreilles de tous Vaanis présents ici, car qui ne se douterait point de l’immense prix de cet ameublement en bois de palissandre, aux poignées en or pur et au plan en marbre ?

La princesse de Geresh fit sa commande, et je fus complètement étonné de la voir me suivre sur mon choix de boissons. Un whisky des tourbes des marais, était une boisson forte, amère, à la tourbe puissante caractérisée par cette couleur ambrée très appuyée. Aimerait-elle cette boisson réellement ? Ou est-ce un moyen de se rapprocher de moi ? Ou de m’impressionner ? Malheureusement, mes informations concernant cette demoiselle sont bien maigres, étant donné le temps qu’il faut pour mettre en place un réseau de surveillance efficace, relayé en permanence, et qui soit suffisamment rapide pour traiter ces informations en un maximum de temps.

« Parlez-moi de cet endroit, s’il-vous-plaît. J’ai entendu des histoires, mais jamais d’un habitant. »
- Bien-sûr ! Que vous n’ayez entendue que des rumeurs est plus que logique. Rares sont ceux qui entrent en ce lieu, sinon des amis, des partenaires de confiance, ou des gens d’importance. Nous l’appelons « l’Eclaverne » puisqu’elle regorge des meilleurs métaux et des meilleures attentions de nos meilleurs artisans. C’est un lieu d’élite, que nous pensions adapter pour vous recevoir. Pardonnez-moi si cela pose sur vos épaules une pression inutile, vous êtes notre hôte, et je suis heureux de vous dire que mon maître Salfaryl et moi-même sommes honorés de votre présence en nos lieux..

Le serveur arrive enfin. Alors que nous sommes tous assis sur de confortables petits canapés de velours rembourrés de plumes, nos lombaires confortablement rembourrés de coussins de plumes, le serveur de l’Eclaverne pose sur la petite table basse faite en or et en marbre, un plateau d’argent étincelant, aux reflets luisants. Sur ce plateau, plusieurs verres en cristal. Toutes les boissons commandées sont là, et servies avec ponctualité sur une petite tablette en marbre attachée à l’accoudoir du côté de la main dominante. Ainsi, à ma droite, sur la fameuse petite tablette, le serveur posa mon verre en cristal qui contenait ce fameux whisky à plusieurs souverains la bouteille.

Je pris le verre en main, et décrivit un léger mouvement circulaire afin d’aérer ce précieux liquide. Les mouvements de convexion réalisés par le liquide ambré, rendaient d’incroyables reflets de couleurs chaudes, véritablement hypnotisant pour quiconque, comme moi, saurait apprécier de telles liqueurs et élixirs. Je tendais alors mon bras au milieu de cette assemblée, en signe de respect et d’amitié à cette délégation de Geresh. Et une fois cette politesse rendue, je pris une nouvelle fois la parole :

- Dites-moi, je suis curieux. Qu’avez-vous entendue sur cet endroit auparavant ?

Une curiosité bien placée, car il est toujours intéressant de savoir ce que les autres savent de vous. Un moyen de sonder l’insondable, avec un visage angélique pleinement calculé.