Un papa ca trompe énormement [Kerath]

Le palais d'argent,
1er jour de la premiere énnéade Karfias, an 18, XIeme cycle

Il était venu à Thaar.
Il était venu à Thaar et il était allé rencontré le conseil des princes marchands.
Il était venu à Thaar, il était allé rencontré le conseil des princes marchands ET ces nains des milles caves.
Il était venu à Thaar, il était allé rencontré le conseil des princes marchands, ces nains des milles caves MAIS il n'était pas venu la voir elle.

Ayez des papas qu'ils disaient. Enfin, personne n'avait probablement  jamais dit une chose pareil, car on ne choisissait pas d'avoir un papa ou d'en être privé. Shyn'tae soupçonnait que si elle n'en avait pas eu, elle aurait été déçue. Au moins, lorsqu'on en avait un, on pouvait toujours l'éliminer. Malheureusement, et ce même si elle devait bien reconnaitre que l'idée lui était venue une ou deux fois, la jeune daedhelle s'était rendue à l'évidence. Elle n'en avait pas vraiment envie.

Ainsi, étendue  sur le grand bureau de pierre polie comme un miroir, une plume à la main, des documents couverts d'écriture, de schémas et de chiffres étalés tout autour d'elle, Shyn'tae réfléchissait.  Kerath n'était pas venu la voir, et elle ne savait pas si elle devait le détester pour cela ou lui en être reconnaissant. C'était un problème.

Si au moins il avait fait l'effort de tenter d'être discret. Une douzaine de gardes draconiques, deux félins à pointe. Au point où il en était, elle ne comprenait pas pourquoi il n'était pas venu avec une centaine de chameaux, une chorale et des danseuses.

De sur le ventre elle passa sur le dos, son regard posé sur le plafond de pierre illuminé faiblement par les orbes bleutés. Sa main massa doucement un de ses seins, puis l'autre. Ils étaient douloureux, ce qui devait signifier que le traitement de Na'ri fonctionnait. A moins que ce ne soit le seul effet qu'il aurait, ce qui l'attristerait un peu.

La drow se redressa, et retomba à quatre pattes sur la table pour chercher une feuille vierge. Elle avait son lot de problèmes, mais celui là pouvait se régler facilement.

La lettre qui invitait le Karliik Glenn à lui rendre visite au palais d'argent arriverait entre les mains de l'auguste individu à peine quelques heures après qu'elle y aurait apposé sa griffe. Elle avait choisi un style aussi simple que direct car son père était un drow aux goûts simples. Mieux valait gagner du temps.

Papa,
Je t'invite à me rencontrer au Palais d'argent demain en début de matinée.

Shyn'tae

PS: L'établissement face au Palais d'argent est ouvert tôt, et pourra accueillir tes hommes et leurs montures. Ils ne sont pas necessaires au sein de l'enceinte du Palais, ses gardes méritent ta confiance, ils ont été jusqu'à donner leur vie pour notre ancienne reine.

***

Le lendemain

C'était une grande pièce aux murs couverts de tentures chatoyantes au cœur des sous sols du Palais d'argent, la lumière du jour n'y parvenait qu'étouffée par le biais d'un jeu de miroir semblable à ceux que les drows avaient déployé dans leur ville natale du Puy d'Elda. On s'y serait cru.

Un grand bureau de pierre noire polie dominait la pièce, entouré par quelques piles de livres aux tranches épaisses desquelles dépassaient ca et là quelques feuilles volantes. A demi caché par les tentures, une porte occupait le coté gauche du mur derrière le bureau, ce dernier décalé vers la droite pour en laisser libre le passage.

Lorsque l'esclave l'introduisit dans la pièce, Shyn'tae examinait un document posé sur le bureau. Accoudée sur le bureau, la sorcière portait une courte robe blanche retenue à son cou par un large collier d'argent fin qui laissait son dos nus Sa main droite portait des griffes du même métal et un ouroboros d'or blanc ornait son bras blessé. Ainsi concentrée sur le document, penchée en avant, pieds nus, elle gardait une jambe droite, l'autre pliée souplement, son dos arqué. Aux attaches de sa robe pendait le fourreau d'une épée qu'il connaissait.

- Parfait, Je souhaite t'accompagner aux prochaines négociations. Tu m'expliqueras tout. L'esclave à ses cotés hocha la tête et alors qu'elle se redressait pour accueillir le Karliik Gleen. L'humain regroupa un ensemble de documents et, sans un mot s'esquiva avec celle qui avait accompagné le drow jusque dans les profondeurs de la demeure, les laissant seuls.

L'occupante des lieux s'était placée devant le bureau, et avec nonchalance s'y appuya en y posant une main sur la pierre. Elle se sentait tendu, et elle n'aurait pas du. Les rubis de ses yeux jaugèrent le chef des armées drow comme si elle désirait savoir à quel point il avait changé. Elle se demandé ce qu'il pensait d'elle. Beaucoup de mal, supposa-t-elle aussitôt. Le mouton noir de la famille ne faisait jamais ce qu'elle aurait du faire.

-Bonjour Papa. Que pourrait-elle dire ? "Que fiches-tu ici?", "Tu n'es pas censé préparer l'attaque sur Naelis?", "Ca me fait plaisir de te voir."
- Je ne m'attendais pas à te voir à Thaar.

Maintenant c’est toi qui décides et les osts vont devoir attendre. Vous êtes bientôt aux portes de Thaar et tu écoutes d’une oreille distraite Lirdnol’Sorn chantonner sur son cheval.

« Elle danse avec les héros du passé
Car ce matin, la capitale est tombée
Et Rinya, solitaire, se sait condamnée… »
« Pour l’amour d’Isten ferme-là. » Tes oreilles se dressent mais tu ne tournes pas la tête vers Phyxdorl, tu t’attends à ce que Lid’ poursuives sa chanson comme si de rien n’était, après tout ce n’est pas la première fois qu’il assiste la fausse indignation de son camarade, mais à la place il lui répond.
« Ce n’est pas ce que tu disais ce matin. » Une réponse qui arrache un ricanement à Shi’niira.
« Non, ce matin c’était moi. » Tu n’as pas à tourner la tête pour la voir, l’étalon de l’eldéenne avance à côté de Murrpau, tournée sur sa selle elle regarde les deux amants et même si tu ne peux pas le voir à cause des mèches blanches qui encadrent son visage, tu imagines sans mal son sourire.
« T’aurais pu nous rejoindre au lieu de te plaindre. »
« Elle apprends de ses erreurs. »

Vous entrez dans la ville, et rejoignez l’auberge dans laquelle vous aviez passé quelques jours la dernière fois, où une lettre t’attends. C’est Taz’Endrar, le seul à parler un peu d’oliyan dans votre groupe, qui te l’apporte à ton retour du temple de Meingal. Tu l’ouvres et tu dois admettre que tu t’attendais à ce qu’il y ait davantage de texte mais ce n’est pas plus mal, ça fait gagner du temps.

« C’est donc là que tu te caches. » Dis-tu dans un souffle en lisant la seconde ligne ce qui fait hausser un sourcil au garde draconnique devant toi.
« Pardon ? »
« Rien, merci, tu peux disposer. » Le soldat hoches la tête et après un salut s’en va.

Le lendemain, lorsque à nouveau vint le moment de mettre ton armure, tu te dis que tu aurais dû prendre tes esclaves pour vous accompagner mais ils ne savent pas monter un cheval, et encore moins un morgal ou un félin à pointe, et tu préfères voyager rapidement. Dans ton armure noire tu avances dans le palais d’argent, suivant l’esclave qui te mène, ou du moins qui est supposé te mener, jusqu’à ta fille. En entrant dans le bureau, tes yeux rouges et jaunes se posent sur Shyn’tae et un sourire amusé se dessine lentement sur tes lèvres en l’entendant te saluer.

« Bonjour. » Tes oreilles se dressent en entendant les pas des deux esclaves s’éloigner. Les tiens, par contre, t’approchent de ta progéniture et t’arrêtent devant le bureau que tu parcours des yeux. Tu ne t’attends pas à reconnaître quoi que ce soit, ou même à pouvoir lire quoi que ce soit, mais par simple curiosité tu regardes tout de même, ta main gauche se pose sur ledit bureau avant que tu ne relèves tes yeux flamboyants sur ta fille. « Et je ne m’attendais pas à te voir au service de la princesse de Geresh. »

A nouveau tes oreilles se dressent en entendant des éclats de voix trop lointains pour être compris, tu soupçonnes que c’est Tiu’kor qui fait encore des siennes.

« Mais les choses changent. » Tu ne restes pas longtemps devant le bureau, tu passes sur le côté droit, laissant ta main glisser sur ledit bureau, tu fais tout de même attention à ce que les griffes de ton gantelet ne laisse pas de marque « J’ai appris que Natha t’as accordé sa bénédiction, félicitation. »

Tu t’arrêtes devant ta fille où ta voix, que tu as jusque-là gardée basse, du moins aussi basse qu’il t’es possible, meurt dans un dernier murmure.

« Bonjour. »

Un sourire énigmatique et un hochement de la tête, la fille du Kharliik reste appuyée sur le bureau, presqu'assise sur le meuble de pierre massive. Au milieu des documents, il remarque plusieurs ouvrages ésotériques entourés de notes et de dessins étranges, mais aussi une statuette et une dague cérémonielle associée au culte de Kiel qu'il connait déjà. Dans un coin, à moitié recouverte de feuilles volantes, est négligemment posée une affiche de spectacle mettant au premier plan le portrait de la jeune drow aux cotés du prince marchand Vega.

La demoiselle le suit des yeux, hausse d'abord une oreille étonnée puis fronce les sourcils aux mots qui viennent un instant combler le silence.

Puis il revient et semble prendre ses aises. Shyn'tae reste immobile, un long instant, intriguée, prise entre la pierre froide du bureau et l'immensité de son paternel. Puis elle hoche la tête en faisant la moue.

- Tu n'as pas eu l'occasion de lire le contrat j'imagine. Il était dans son bureau de l'état major. Elle a cédé la corporation. ça...

La drow se dégagea souplement et fit quelques pas dans la pièces en tendit le bras pour montrer ce qui les entourait de sa main qui portait les griffes d'argent.

- Ca elle l'a gardé. Le palais d'argent n'appartient pas à la princesse de Geresh. Je le fais vivre je suppose. Tout le monde semble l'accepter. Je n'ai pas encore senti l'intérêt de sacrifier un peu de ma liberté pour me mettre aux service d'une humaine. J'imagine que tout peu arriver, mais pas cette fois.

Les mots de la jeune drow s'achèvent sur un ton de défi, et son regard suit le même chemin alors qu'elle se retourne vers lui, le port droit.  Elle porte les griffes d'argent, les esclaves et les gardes lui obéissent. Des rumeurs, des croyances, des espoirs abondent, naissent et meurent dans la foule Thaari. Elle a commencé, à petit pas, à construire quelque chose.

Griffargent ne peut pas mourir.

- Les choses changent toujours, papa.... Par contre... Je ne crois pas avoir reçu la bénédiction de Natha. Je suis assez peu sujette aux bénédictions je le crains. ajoute-t-elle aussitôt, ses yeux rubis dans les siens. Pourtant, il y a cette odeur à peine perceptible qu'il reconnait, celle du lait, et peut-être une tâche légère sur le tissu de sa robe blanche ornée de métal précieux, au niveau de sa poitrine.

- Mais toi, qu'est-ce tu fais dans cette cité ? Que la reine aimait tant, ajoute-t-elle interieurement. Tu n'as pas une guerre à préparer et une armée à cajoler ?

Tu confirmes d’un mouvement de tête que tu n’as pas lu ce contrat mais tu dois admettre que c’était davantage par manque d’intérêt que par manque de temps ou d’occasion. En réalité bien peu de choses avaient de l’importance pour toi suite à la mort de Krish et évidemment un bout de papier, que tu imaginais d’une certaine qualité, n’avait pas sa place dans ton esprit. Tu suis ta fille du regard et ne le détache pas, pas même pour observer la pièce alors que son bras te la désigne pourtant. A quoi bon ? Tu l’as déjà fait en arrivant et bien que tu aies probablement, certainement même, loupé des détails, tu doutes fortement que ces derniers se révèlent utiles à un moment ou un autre. Le yon de défi te fait sourire mais tu ne sais pas si c’est ledit ton ou la phrase en elle-même qui t’amuses le plus.

« Dans mes souvenirs une esclave n’a pas de liberté à sacrifier. »

Mais ce n’est de toute façon pas pour parler de ça que tu es venu jusqu’ici. Tu places tes deux mains gantelées sur le bureau pour t’y appuyer, tu te penches légèrement en avant et ton regard descends sur ladite table ; par habitude plus qu’autre chose, ces temps-ci tu as passé tant de temps autour d’une table, qu’elle soit de pierre ou de bois, couvertes de documents, les mains placés dessus à discuter, réfléchir, choisir, que lorsque tu en vois une qui ressemble vaguement à celles que tu peux croiser dans le Palais des Trois, tu reprends ta position habituelle. Et aussi parce que tu aimes le son du métal raclant légèrement contre la pierre. D’un claquement de langue tu sors de ton habitude naissante et tu te redresses pour observer directement ta fille.

« On m’aurait donc mentis? » Tu restes de marbre même si tes yeux passent de ceux de ta progéniture au ventre de cette dernière avant de remonter à leur position originelle. « Ce qui veut dire qu’on m’a aussi mentis à propos du père. »

Une moue pensive se dessine sur tes traits ravagés par des siècles de combats et tu tapotes le bureau du bout de la griffe de ton index droit. Mais tu n’as pas vraiment le temps d’y réfléchir plus que ça, ou l’envie en réalité.

« Oui et non... » tes muscles commencent à se tendre légèrement alors que tu luttes contre l’envie de bouger. « Je fais le tour des temples. Je fais des sacrifices. Je discute théologie avec les prêtres, parfois sans me battre avec. C’est… bizarre de voir, ou du moins d’entendre, les divergences d’opinion du clergé thaari. Mais tant que j’y suis : que penses-tu d’Uriz et de l’Eda Vengeur ? »

Les oreilles de la jeune sorcière ne trompaient que rarement, et ainsi, au fil des quelques phrases de son père, elles étaient parvenues miraculeusement à traduire de l'agacement, de la curiosité jusqu'à la plus profonde incrédulité.

Lorsqu'il eut terminé, Shyn'tae hocha la tête puis frotta pensivement ses doigts contre son arcade comme si elle avait été sujette à une migraine soudaine.

- Ca n'a pas l'air d'aller... admit-elle finalement. Elle s'était attendu à un peu plus de répartie du vieux drow, à un peu plus de colère aussi. Alors soit Kerath était passé au delà de n'attendre plus rien d'elle, soit il avait été particulièrement affecté par les derniers développements de la situation. Lesquels, il fallait bien l'admettre, avaient été difficiles. Malheureusement l'Eldéenne ne s'attendait pas à ce que cela s'arrange.

- Une esclave ne choisi pas non plus son maitre. Quelqu'un a écrit mon nom sur les registres? Si c'est le cas, il faudrait me mettre au courant… Bref, passons. L'Renor sait que je suis ici. Elle pourra me ramener par la peau du cou quand elle le désirera.

La drow soupira et, d'un bond, s'assit sur le rebord du bureau pour mieux l'écouter. Elle n'avait pas à se justifier. Quelles étaient les chances qu'L'Renor, aussi instable et obsédée qu'elle était par l'ancienne reine, survive à l'année dans le climat actuel ? Personne qui ne compta vraiment au Puy ne la tenait dans son cœur. Rester dans son sillage direct ressemblait à attendre la mort, ou demander à se faire inscrire dans les registres d'esclaves justement.

Mais tout cela était hypothétique vu qu'elle avait choisi d'éviter de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Plus interessant était la suite du discours du paternel. Pas forcément ces élucubrations à propos de mensonges, car les mensonges des uns étaient souvent la vérité des autres.


- D'accord ?   Elle avait dressé les oreilles aux derniers mots de son père. Et elle avait mal aux seins. Toujours au pire moment. Que pensait-elle d'Uriz et de l'Eda vengeur ?

- Je ne suis pas certaine de jouir de la légitimité necessaire pour penser à ce sujet, papa. répondit-elle prudemment avant que la suite ne s'impose si vite qu'elle ne se rende compte du double sens seulement après coup.
- C'est le père.... Il y eut une brève pause avant qu'elle ne s'empresse de continuer en regardant ailleurs. "... J'ignorais que les milles caves et le conseil abritaient des prêtres Sombriens."

Sa réponse te fait rire. La première partie en tout cas, la suite, elle t’amuse beaucoup moins.

« Tu ne te sens pas légitime… » dis-tu d’un air presque pensif pendant que tu fais à nouveau le tour du bureau. « Depuis quand ça t’arrêtes, Shyn’tae? »

Tu croises les bras en t’appuyant contre ledit bureau à côté d’elle et tu tournes la tête pour la regarder directement.

« Tu serais surprise de ce qu’on peut trouver pour peu qu’on fasse l’effort de chercher. Après tout il y’en avait bien une, prêtresse d’Uriz, dans les frondaisons d’Anaëh il y a de cela huit cycles et il y en avait une autre ici jusqu’à récemment. » Tu es certain que ta fille connaît les deux, même si, comme toi, elle ne connait la première que de nom. Mais tu n’as pas fini, ton regard se durcit, tes sourcils se froncent. « A ta place j’arrêterais de me faire suivre, ça m’étonnerait que tes sbires survivent aux agents de la Doth’ka. On peut voir s’ils y arrivent ou non, au moins ça sera amusant. »

En réalité tu imaginais sans mal que vous ne verriez rien étant donné que ça ne risquait pas d’être un combat mené au grand jour, aux yeux de tous, mais les rapports, eux, seraient intéressants. Bien que tu ne sois pas certain de pouvoir les partager avec elle. Ta poigne sur tes bras, croisés sur ton torse, se durcit.

« Ou je peux ordonner à L’Renor de te renvoyer au Puy, je n’ai pas vraiment envie de le faire mais ça aurait le mérite de faire gagner du temps à tout le monde, surtout à nos amis de l’ombre, qui ont d’autres préoccupations. » Tu te décolles du bureau pour faire quelques pas dans la pièce, détachant au passage ton regard de ta fille pour le laisser vagabonder sans but. Tu ne doutes pas qu’elle sera assez intelligente pour faire le bon choix. « En parlant de ta maîtresse, tu as tort, les esclaves choisissent leur maître. J’ai d’abord pensé que j’avais été affranchis, libéré, lorsque les prêtres de Natha décidèrent que la progéniture d’une croyante avait droit à la liberté et lorsqu’ils ont retiré mes chaînes j’ai cru que j’étais libre. Puis je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas. J’ai cru être libre lorsque les tatouages commémorant ma montée en grade dans le second ost recouvrirent la marque d’esclave que j’ai reçu à ma naissance. Et puis je me rends compte que ce n’est pas le cas. »

Tu marches lentement en parlant d’une voix calme, contemplative, entamant un tour de la pièce alors que tes mains passent dans ton dos, la gauche attrapant le poignet droit.

« De ma naissance à aujourd’hui je n’ai jamais été libre mais personne ne l’est. » Le souvenir de ton Clor d’Beannaighil durant lequel tu as choisi Zhak’Bar te fait sourire, tu croyais qu’il ne pouvait pas y avoir plus libre que le Maître des Cataclysmes, mis à part Uriz évidement. Qui d’autre qu’un dragon qui peut se permettre de détruire ce que bon lui semble, qui est assez fort pour ça et qui peut donc assurer la pérennité de sa liberté pourrait faire un meilleur parrain aux yeux d’un adolescent perdu au moment de passer à l’âge adulte dans une société qui ne laissait guère de place aux erreurs ? Dire qu’il t’a fallu un peu plus de cinq siècles pour te rendre compte de ton erreur. Tu te retournes pour faire face à ta fille. « Un esclave choisit son maître. »

Tu t’arrêtes-là, jugeant, probablement à raison, qu’il est préférable de ne pas aller plus loin ; du moins pas pour le moment.

« Qu’il le veuille ou non. » Ajoutes-tu dans un murmure.

Assise sur le coin du bureau, la main fermement posée sur l'obsidienne, la fille suivait du regard les pas de son père au travers de la pièce.

« Depuis quand ça t’arrêtes, Shyn’tae? »

La réponse avait fusé sans attendre, nourrie de sarcasme.

- Depuis qu'on m'a demandé de me retirer moi-même deux côtes, papa."

Puis le Karliik Glenn avait poursuivi en esquivant sa question avant de… Était-il vraiment en train de la menacer ? Les jambes nues de la sorcière avaient cessé de battre, ses pieds tendus, son regard brillant. Ses oreilles s'étaient dirigées vers le général: Celui-ci  avait manifestement gagné toute son attention.

- Plusieurs choses d'abord. La drow  se releva prestement, souple sur ses jambes, après s'être approchée sans crainte d'un mâle qui la dépassait de toute sa carrure, leva la main, son poing refermé. Sa tête se dressa pour pouvoir le regarder dans les yeux, et, devant son père, elle tendit le pouce.

- Premièrement, tu te déplaces dans Thaar avec une escorte de gardes draconiques et ton félin à pointe. Ce n'est pas un problème, tu n'as pas besoin d'être discret. Mais les Thaari ont ceci de commun avec les Eldéens qu'ils adorent les rumeurs. Je pourrais littéralement me pencher à ma fenêtre pour entendre des crieurs publics spéculer sur tes moindres mouvements. Je n'ai pas besoin de sbires à capuche pour ca.

Son index se tendit alors à son tour.

- Deuxièmement, si je suis ici à Thaar, c'est parce que les Triumvirs m'y ont envoyé, avec le prima Char'rath. Donc jusqu'à preuve du contraire ou que mes actions leur déplaise, je suis toujours leur envoyée. En conséquence, tu peux en effet demander à L'Renor de me faire revenir, mais tu la mettrais dans une situation politiquement difficile, à devoir choisir entre sa fidélité à toi ou sa fidélité à eux. A ta place j'éviterais de me lancer dans ce genre de pari. Cela explique aussi pourquoi je veux savoir ce que tu prévois, car ce serait dommage pour nous deux d'agir en sens contraire.

Puis finalement, elle acheva par son majeur

- Enfin, j'espère que tu ne fais pas vraiment confiance à la Doth'ka? Ils roulent pour les triumvirs, pas pour toi. Tu voudrais vérifier s'ils préfèrent s'en prendre à un Karliik Gleen nommé par la reine déchue ou une envoyée nommée par le nouveau pouvoir ? Toi qui poses des question sur Uriz et l'Eda vengeur à des prêtres Doeb, tu veux vraiment qu'ils regardent dans tes affaires ?

Sa voix était montée. Ce bureau, au cœur du palais d'argent, avait un avantage, que l'ancienne maitresse des lieux avait du prévoir dans son aménagement: Il était impossible que quiconque les écoute en dehors d'un cercle réduit d'hommes et de femmes de confiance. Elle recula d'un pas et soupira profondément, sa voix douce.

- Je crois.. j'espère qu'on est dans le même camp, papa... Mais je ne suis pas d'accord avec toi. Elle lui adressa un petit sourire tendre.
- Nous ne sommes tous que des étincelles dans les flammes de l'Eda vengeur. Si la flamme a une forme qui lui est propre, chaque étincelle est libre de choisir ses ambitions et ses luttes. Tu me suis?  La liberté est là, tu peux la prendre. Rien ne t'oblige à faire ce qu'on attend de toi, tu peux défricher ta voie. Tu risques de tout perdre, mais tu vois... Demande-toi juste à quel point ce que tu as aujourd'hui est important pour toi. Ne te vois pas comme un outil d'un dessein divin dont tu devrais à tout prix te montrer digne. Mon encrier n'est pas libre, il n'a jamais choisi son Maitre. Mais tu vois, c'est un bel encrier, il est pratique, on sent qu'il est à l'aise dans sa fonction. Je m'en occupe bien en échange, je le respecte, je suppose qu'il est heureux. Alors c'est un bon encrier, non pas parce que je le force à l'être, mais parce qu'il y a adéquation entre mes attentes et les siennes.

Que cherchais tu quand tu as ainsi escaladé la hiérarchie? Pourquoi l'as tu fais? Et pourquoi désires-tu continuer? Pensais-tu que tu serais libre lorsque tu serais en haut? Mais c'est le dernier endroit où trouver la liberté, papa. Pensais-tu que c'était ce qu'il fallait pour prouver ta valeur ? Elle secoua la tête doucement... "Et tu sais bien qu'il n'y a pas d'être providentiel. Si tu choisissais de prendre cette liberté parce que tu penses ne pas être la meilleure personne pour mener la lutte que tu mènes aujourd'hui, quelqu'un d'autre te remplacera."

Un petit rire sarcastique franchit ses lévres.

- Enfin... Maintenant ne serait peut-être pas le meilleur moment je l'admet, il faut aller jusqu'au bout des combats qu'on a entamé.

- Ce que je veux dire... La drow avait été surprise lorsqu'il l'avait étreinte. Alors, lentement, alors qu'il la serrait contre elle, la fille avait écarté son bras pour maladroitement le laisser faire sans ajouter un mot.  Son cœur avait battu plus fort, elle avait voulu se laisser aller contre lui, malgré le metal froid et dur de son armure.

Evidemment qu'elle comprenait ce qu'il voulait lui signifier. Seulement...  Elle persistait à trouver ses mots idiots. Qu'il ne comprenne manifestement pas ce qu'elle voulait lui dire l'agaçait prodigieusement, mais au fond, que pourrait-elle y changer ?

Etaient-ils à ce point différents ?  Pouvait-il imaginer ce qu'était vivre sa vie ? Quel combat il avait fallut qu'elle mène, aussi contre elle même pour gagner cette liberté ? Elle se croquait à pleine dent, car il était si facile de la perdre. Libre, elle avait besoin de l'être, comme un besoin viscéral ancré au creux de son ventre, et s'il y avait une chose que L'Renor lui avait appris, c'était qu'elle ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour que celui qui voudrait lui la retirer doive consentir à en payer le prix.

- Tu ne me fais pas perdre mon temps... Et.. contrairement à mon encrier, tu n'es pas une possession. Tu n'appartiens à personne, même pas à Elle.

Krish les avait tous marqué, par sa force, sa volonté, son courage, sa malice aussi. Pourtant d'entre eux tous, Shyn'tae pensait maintenant que c'était elle qui avait du le plus se battre pour sa liberté. Elle était formidable. La demoiselle caressa le visage de son père puis recula, la sensation de ses lévres s'attardait son front. Elle inclina la tête de coté, malicieuse. Son regard se fit carnassier alors qu'il quittait la pièce.

- Ce n'est pas toujours évident à voir, mais… merci. Je te laisse tranquille, mais s'il y avait quelque chose que je puisse faire pour toi, tu sais comment me trouver.

Elle posa sa main sur le bureau et resta ainsi un long moment, déhanchée, un sourire en coin rivé au visage, ses griffes tapotait l'obsidienne, ses oreilles frémissaient au même rythme.

Puis la nouvelle maitresse du palais d'argent se redressa avant de s'étirer félinement.

- Je boirais bien quelque chose.