Les fragrences de l'alcool, appellent les mots du négoce.

3ème jour, de la 3ème ennéade de Favrius.
Premier mois du Printemps – XVIIIème année du XIème cycle.
Dans les Halls des Mille-Caves, en surface.

Deux ennéades. Voilà deux ennéades que j’avais été nommé Prince-Marchand de Thaar et conseiller siégeant au conseil de la cité. Un mois après avoir hérité des Mille-Caves, après que Salfaryl le Sombre ait abdiqué pour faire de moi, le nouveau souverain des Nains des Dunes, je devenais un personnage politique, reprenant pleinement, et complètement, les rennes du monopôle du commerce des denrées et biens manufacturés par le Grand-Nord. Un monopôle séculaire, doublé d’une puissance économique et politique qui, auparavant, appartenait entièrement à Salfaryl. Aujourd’hui, cloitré dans sa cave aux runes, j’étais le nouveau maître. Et déjà, cette nomination commençait à produire ses fruits, des fruits qui, en temps et en heure, sauraient être cueillis par nulle autre pogne que la mienne.

Les prévisions étaient toutes au beau fixe. J’avais tout calculé : les taxes et impôts levés par les Mille-Caves, l’état de nos finances, plusieurs ennéades après l’incroyable amende imposée par le conseil, les commandes, les retraits, les prêts-sur-gages, les collecteurs de dettes, les flux, et les prédictions statistiques basées sur l’analyse des marchés, sur le premier mois après l’ouverture de mes deux établissements de jeux de hasards. Nul doute que Maralina sera heureuse lorsqu’elle recevra le coffre qui contiendrait ses dividendes pour les 40% d’actions que je lui ai gracieusement offerte, dans le Mighdalkronk, ce second établissement, bien moins luxueux que le [i]Heidumazgal,] le joyau de mon futur empire.

Aujourd’hui, il était temps de boucler une autre étape de mon plan : négocier et entériner des accords avec Ethirëlon Nas’Olen, Prince Marchand de Baaz'Hima, Membre du Conseil de Thaar et un des conseillers ayant participés au vote de ma nomination. Si, encore une fois, la loge possède un certain nombre d’informations concernant le fameux Prince-Marchand des alcools et des épices, elles sont bien pauvres par rapport à certains autres collaborateurs. Cela devra trouver une solution aussi, mais plus tard, bien-sûr.

Le Prince-Marchand de Baaz’Hima avait reçu et échangé par le biais de missives, et un rendez-vous était convenu. Aussi avais-je préparé les Halls, et les alentours des Mille-Caves. Des Barbesables, ces soldats des Dunes, étaient armés de hallebardes pavoisées des fanions des Mille-Caves. Les Halls avaient été embellis, d’autres Barbesables s’étaient apprêtés, l’Eclaverne avait été réservée pour nous, et nous seuls. Moi, j’étais là, debout, au milieu des Halls, attendant la délégation d’Ethirëlon, drapé dans une sublime toge de soie brodée d’or et parée d’une cape de velours, le tout, maintenu ça et là par des broches en or pur, serties de diamants blancs. De mes oreilles pendaient mes traditionnels bols en or gravés de runes. Sur mes doigts, trônent d’épaisses chevalières et autres bagues faites en or purs, réhaussés de diamants, d’améthystes, de rubis et d’émeraudes, ainsi qu’une magnifique, ornée d’une kyanite, une magnifique gemme d’un bleu marin.

J’étais de fort bonne humeur ce jour-là.Pourtant mon visage affichait une superbe neutralité tandis qu’accompagné de quelques hommes de confiance, mon chemin me menait vers un singulier lieu de rendez-vous.

Je n’avais pas été si étonné que ça de recevoir des missives du nouveau maitre des milles caves. Quoi de plus normal ? Il venait d’obtenir une place ô combien instable et quand bien même avait-il Maralina de son côté, le petit homme avait besoin de prises. De mon côté j’avais probablement été l’un montrant le plus de réticence à son encontre. Il voulait probablement effacer ses derniers obstacles.

En tout cas cette pensée m’amusait bien et j’avais décidé de jouer le jeu et de voir où cela nous mènerait alors au fil des quelques missives j’avais accepté son invitation. 

Une chose m’apparut tandis que nous arrivions dans les halls : les nains aimaient le clinquant. Bien entendu tous les princes avaient leur lot d’affection pour l’ostentatoire mais un peu de raffinement au milieu ne faisait jamais de mal… Enfin avant de continuer mes réflexions sur le sens esthétique du petit peuple vaani, celui qui serait mon interlocuteur du jour apparu à mes yeux.

-Très cher Marzaban fit-je, mes yeux se plissant et le coin droit de mes lèvres se relevant, c’est un plaisir de vous revoir sous des jours je l'espère plus favorables que lors de nos précédentes rencontres. Ma main se porta sur ma poitrine , d'un geste presque cérémonieux.

Le Prince-Marchand de Baaz’Hima était aussi mystérieux qu’il était unique. Sa façon de se mouvoir, sa façon d’être… Il possédait, ce me semble, les atouts des peuples Vaanies, et les défauts du peuple du Puy. Notamment un air – faussement ou non – suffisante. Mais j’avais pris l’habitude de faire face à de tels comportements, et de telles postures. Les puissants de ces lieux peuvent absolument tout se permettre. La justice, le commerce, le pouvoir… Tout leur appartient. Tout le reste n’est que subterfuge, fait de marionnettes animées par les longs doigts crochés des Princes et Princesse de ces lieux. Mais moi aussi, j’ai les doigts longs, et crochus, et moi aussi, je sais percevoir l’avenir, surtout l’avenir diplomatique et économique.

Ethirëlon avait été présent, évidemment, lorsque je fu nommé Prince-Marchand de Thaar, et membre de cet honorable – et puissant – conseil. J’avais deviné dans son regard critique aussi aiguisé que le fil d’un rasoir, qu’il cherchait en moi, ce petite quelque chose qui me rendait unique, et moi-même, et ce petit autre chose… Qui découlerait du règne de Salfaryl le Sombre. S’attendait-il à retrouver l’opiniâtreté du Sombre ? Son goût des palanquins ? Son addiction aux hooks ? Sa manière d’être à la fois le roc et le fer, en étant dur et tranchant ?

Quelle devait être sa surprise, lorsqu’il n’y trouva pas la moindre trace. Oui, j’avais été le second officieux, et le larbin de Salfaryl. Son émissaire. Mais tout ceci avait été planifié et calculé. Être dans le sillage de Salfaryl, m’aura été profitable. Et surtout, j’ai pu apprendre énormément de choses. Notamment quel dirigeant je voulais être. Oh, je n’oublierais jamais ses enseignements, notamment la ferveur avec laquelle il souhaiter collecter nombre de secrets, et quantité de ragots, de rumeurs, de cachoteries et de complots. Mais je ne comptais pas seulement les garder, et attendre. Je comptais agir, le plus souvent dans l’ombre, mais parfois, dans la lumière… Ou drapé d’un masque.

- Cher Ethirëlon. J’incline mon buste de 28°, quatre de moins que d’ordinaire, car nous étions égaux désormais. Mes mains demeurent enfouies dans les manches de ma longue toge de soie et de velours. Ce jour, et les prochains, se tiendront sous un ardent soleil, et un ciel dégagé. Car voici que viens mon règne, et celui-ci s’accompagne de grandes choses, soyez-en certains. Et par votre présence, je suis certain, moi aussi, de votre envie de jours meilleurs. Suivez-moi, je vous prie. J’ai fait préparer pour vous, une des facettes du joyau des Mille-Caves : l’Eclaverne.

Je me tourne donc, et la garde fait de même. Un garde se détache, et ouvre la voie. Ethirëlon allait bien-sûr ressentir l’éternelle gêne de ceux qui dépassent la taille des Dawis. Mais cette gêne serait récompensée. Car nous nous rendions bien vite au sein de l’Eclaverne, plus de cent mètres sous la surface. Je parlais d’une des facettes du joyau des Mille-Caves… Mais en réalité, l’Eclaverne est un diamant à part entière. Tout est recouvert d’or : les accoudoirs, les couverts, les lustres et les tout ce qui, d’ordinaire, serait fait d’acier, comme les barres autour du comptoir. Partout, de grandes tapisseries brodées d’or, et des joyaux qui trônent ça et là. Chaque verre est en cristal, et les cuirs sont parmi les plus luxueux, tout comme les tapisseries. Le sol, les colonnes, et le toit, sont fait en marbre blanc. Le cœur des couverts, est taillé dans de l’ivoire, tandis que des boutons d’or blanc remplacent les coutures des tapisseries. D’un signe de la main, j’indique une assise, sur un long et confortable sofa, et je me place devant le Prince-Marchand.

- Commandez ce qui vous ferait plaisir. Nous possédons les élixirs et les alcools les plus fins de ce monde, ainsi que d’aliments frais, cuisinés par quelques-uns des meilleurs cuisiniers parmi les Humains, les Elfes et les Nains. D’un geste de la main, j’indique à un serviteur de nous rejoindre. Il s’empresse, car bien que de marbre, le serviteur connait mon caractère, et le fait que tout doit être calibré au millimètre prêt. Je prendrais ce whisky des tourbes du Nord maturé en fût de Palissandre. Servez à mon homologue tout ce qui lui plaira. Le serviteur se déplace, passant aux côtés d’Ethirëlon, puis disparaît lorsque celui-ci s’est exprimé. Mon cher, je vous ai fait venir ici, car j’ai besoin de vous. Je compte ouvrir très prochainement, deux établissements, qui feront parti des nouveaux joyaux de ma couronne : des établissements de jeux de hasard, et de paris. L’un de ces établissements, sera aussi exceptionnel que ce lieux-ci, l’Eclaverne. Et endroit d’exception, il faut de la nourriture, mais surtout, des alcools d’exception. Et vous, mon cher, êtes le mieux placé pour pouvoir satisfaire à mes besoins. Si cela vous intéresse.

Inutile de le faire trop attendre.