La nouvelle promise | Solo

4ème ennéade
Printemps, Barkios 18:XI

Natael se retourne dans un soupir. La lumière du jour perce enfin à travers ses rideaux. Cela fait des heures qu'il est réveillé et qu'il tourne en rond. Il a rêvé de Zofia... Ils étaient allongés sur le sable. Les vagues venaient leur lécher les pieds. L'eau collait la chemise de nuit de la prêtresse -devenue transparente- sur sa peau. Elle gémissait à son oreille... C'est l'écoute de son nom qui l'a réveillé avant l'aube. Cela avait l'air si vrai qu'il avait cru l'entendre dans le monde réel. Evidemment, il n'en était rien et, frustré de se retrouver seul dans sa chambre, il n'avait pas été capable de se rendormir.

Le vitaliste se lève et commence à se préparer pour descendre déjeuner. Cela ne fait moins longtemps que la dernière fois qu'il n'a pas vu Zofia mais elle lui manque déjà beaucoup. Il a à peine pu l'apercevoir à l'occasion d'une messe ou deux et ils n'ont pas organisé de nouveau petit déjeuner. Il le faudra bien pourtant car, même s'ils auront la déception de ne pas pouvoir s'approcher, ils doivent donner l'impression que leur relation est toujours la même. Ils doivent donc continuer leur petit rituel.
Tandis qu'il s'apprête à sortir, il passe devant sa veste de voyage accroché à une patère. Il s'arrête et glisse une main à l'intérieur. Personne n'y touche jamais, c'est pourquoi il a laissé le mouchoir de Zofia à cet endroit. Il l'extirpe de sa cachette et le porte à son nez. Aussitôt, il se revoit sur cette plage imaginaire et entend sa voix à son oreille...

A son retour de Missède, il lui a fait porter un petit colis à son attention. Emballé dans un épais papier et entouré de ficelle, il avait la forme et la taille d'un livre. Cependant, l'ouvrage qu'il contenait n'avait rien à voir avec de la littérature. C'était une boîte bien trop grande pour son contenu. En l'ouvrant, Zofia a dû trouver un amas de feuilles de papier en boule placées là pour insonoriser l'objet qui se cachait au milieu. Elle y a probablement trouvé ce collier pourvu d'une longue chaîne au bout de laquelle pendait la tête d'une rose en argent. Le pendentif est assez petit pour être discret et doit venir se dissimuler entre ses seins. Il espère qu'elle aura aussi trouvé son mot dépourvu de signature.

"Pour combler l'espace laissé suite au départ de ton mouchoir."

Le motif du collier, il l'a choisir en référence aux motifs qu'elle a brodé. Le métal, il l'a voulu peu raffiné afin que cela ne fasse pas penser au présent d'un galant. Quant à la longueur de la chaîne, elle doit lui permettre de cacher son cadeau aisément tout en le conservant dans un endroit intime et proche de son cœur... De la même manière que son mouchoir est proche du sien.

Natael descend finalement et trouve sa mère déjà attablée, quelques parchemins posés près d'elle attirent son regard plus que le mouvement à la porte de la pièce.

-Bonjour, Mère. Fait-il pour capter son attention. Mais il s'en mordra bien vite les doigts.
-Oh. Bonjour mon fils. Pardonne-moi, j'étais captivée par ma lecture.
-Vraiment ? Continue-t-il en s'asseyant tandis qu'un serviteur s'approche déjà pour lui servir du thé. Je me demande ce que ces lettres peuvent avoir de si passionnantes. Sa tasse remplie, il la porte à ses lèvres.
-Eh bien, je suis toujours à la recherche de ta fiancée et j'ai là quelques candidates très prometteuses.

A peine sa mère a-t-elle commencé à aborder le sujet que la tasse a retrouvé sa place dans sa soucoupe et son dos le dossier de son siège. Il pose ses coudes sur les accoudoirs et croise les doigts devant lui. Elle allait commencer son manège à peine le jour levé ?... Il aurait mieux fait de rester dans son lit à ressasser son rêve. Cela lui aurait été moins pénible de songer à faire l'amour à Zofia sans pouvoir la voir que de mener la conversation qui va suivre.

-Vous me semblez bien pressée de me voir marié.
-Tu vas avoir vingt-huit ans. Tu devrais déjà l'être. Répond-elle en saisissant une nouvelle missive comme si sa raison était suffisante.
-Si l'arrangement avec les Termer tenait toujours, je ne serais même pas encore en train de préparer mes noces à l'heure qu'il est. Lui fait-il remarquer, démontant ses arguments en une seule phrase.

Eulalie se sait vaincue mais elle continue de lire comme si de rien était, ignorant l'argument de son fils.

-Les parents de celle-ci ont joint un portrait dessiné. Elle est très jolie.

A ses mots, elle tend la seconde page à l'un de ses serviteurs qui s'en va aussitôt la poser près du jeune homme à l'autre bout de la table. Natael n'y jette même pas un coup d’œil. Son regard reste fixé sur sa mère qui continue à l'ignorer.

-Vous ne me cherchez plus un mariage d'affaire ?
-C'est déjà fait avec tes frères. Tu peux donc t'offrir le luxe d'en choisir une qui te plaît parmi celles qui disposent seulement d'une jolie dot.
-Vous essayez de m'amadouer.
-Oh, elle pourrait te rencontrer dès demain.
-Et de me forcer la main.

Eulalie se lève subitement. Son visage est passé de la douceur à la colère noire. Elle ne l'ignore plus, c'est inutile. Son fils s'entête et elle craint de savoir pourquoi. Il n'était pas aussi réfractaire au mariage avec les Termer, ce qui la laisse de plus en plus convaincue qu'il a une aventure avec la prêtresse bourgeoise.

-Tu as toujours été destiné à une union que nous aurions voulu. Cette fois, tu as un panel de nobles jeunes filles pour faire ton choix et tu as intérêt à y porter plus d'attention que cela ou nous le ferons à ta place. Elle se dirige vers la porte d'un pas furieux, non sans donner la lettre qu'elle tient au majordome. Dites-leur que c'est d'accord pour demain.

Elle quitte finalement la salle à manger, laissant Natael seul, entouré de serviteurs, un petit déjeuner plus que copieux sur la table devant lui et un portrait qu'il n'aura même pas regardé une seconde avant de quitter la pièce à son tour quelques minutes plus tard.

Le lendemain

C’est un assez bel après-midi. La température extérieure est très confortable. L’air est adouci par une légère brise qui remue les feuillages. Le soleil brille sans agresser les sens. Le cadre est parfait. Natael a donc choisi de s’installer à l’extérieur pour lire un ouvrage en olyian. Sous le couvert des arbres, il se sent plutôt paisible dans ce recoin de la propriété. Les jardins du domaine sont agréables à cette période de l'année et il retrouve une sérénité qu'il ne connaît plus tant depuis plusieurs ennéades, tant à cause de ses nuits que de l'humeur à la maison.

-Que lisez-vous ?

Le noble lève les yeux et aperçoit une jeune femme aux cheveux blonds qui lui adresse un doux sourire. En la découvrant, tout ce qu'il voit, c'est une étrangère qui le dérange dans sa lecture. Une étrangère qui n'a rien à faire là... Alors il fronce les sourcils en la dévisageant, cherchant manifestement à comprendre comment elle est arrivée jusque là. Il ne voit ni sa silhouette gracile ni sa beauté indéniable, seulement quelqu'un qui l'importune.

-Je peux vous aider ?
-C'est votre mère qui m'envoie vous chercher. Devant l'air interloqué et méfiant de son interlocuteur, la demoiselle continue. Elle... nous a invité pour le thé. Mes parents lui ont envoyé une lettre accompagnée d'un portrait et elle y a répondu favorablement.

Soudain, tout s'éclaire et Natael laisse sa tête tomber en arrière. Eulalie s'est bien gardée d'aborder à nouveau le sujet et il a totalement oublié. C'est celle qu'elle a sélectionné dans la pile de missives qu'elle consultait la veille. Mais pense-t-elle réellement que sa petit manigance suffira à lui faire accepter cette rencontre ? Il se redresse et la regarde de nouveau.

-Je suis désolé que l'on vous ai fait déplacé pour rien mais je ne suis pas disposé à rencontrer qui que ce soit. Merci.

Il replonge alors dans son livre, faisant mine de l'ignorer totalement pour mieux s'en aller en pestant lorsqu'elle sera partie. Il a beau ne pas être le plus parfait des nobles, il sait malgré tout se contenir pour préserver quelqu'un qui ne mérite pas de tâter de sa mauvaise humeur. Cette jeune femme, qui qu'elle soit, n'a pas à subir sa réaction. Cependant, la demoiselle ne semble pas s'éloigner. Elle reste et poursuit la conversation.

-Il n'y a pas de mal. J'imagine que vous n'appréciez pas ces rencontres arrangées.
-C'est une idée de ma mère. Répond-il sèchement. Et, si vous êtes la première, j'entends bien lui faire comprendre qu'elle ferait mieux d'y renoncer rapidement.

S'il faisait l'effort de bien se tenir avec elle, Eulalie irait en chercher d'autres et ce n'est pas ce qu'il veut. Elle a pour projet d'organiser son coup de foudre comme si les choses pouvaient se concevoir ainsi mais il est hors de question qu'il la laisse faire. Alors certes, il chahute un peu cette prétendante-ci mais c'est pour en malmener moins dans l'avenir. Mais la jeune femme ne se démonte pas...

-Dame d'Orman m'a dit que vous aviez de nombreux livres. J'aime beaucoup lire, moi aussi.

Agacé par l'insistance de son interlocutrice, Natael referme subitement son ouvrage et se lève pour s'éloigner aussi vite que possible de cette importune. Elle le regarde passer près d'elle sans même poser les yeux sur elle, elle hésite, et puis, finalement, elle le suit.

-Est-ce vrai ce que l'on dit ?
-On dit tellement de chose, Mademoiselle...
-Je parle de votre amie. La prêtresse.

Elle ne peut le voir mais le vitaliste roule des yeux. Encore quelqu'un qui prête l'oreille aux ragots. Alors certes, les rumeurs disent vrai pour une fois, mais personne n'a la moindre preuve. Cela part de rien... Une complicité, une amitié aux liens forts, quelques regards échangés... Du vent, en résumé. Il presse le pas et sa poursuivante lui réclame de l'attendre, ce qu'il ne fait évidemment pas. Elle finit par soulever légèrement sa robe pour le rattraper et le stopper en se postant devant lui.

-Je n'ai pas plus envie que vous d'un mariage arrangé. Lui glisse-t-elle à mi-voix et à toute vitesse.

Natael la regarde, interloqué et cherchant à comprendre son manège. La jeune femme, de son côté, est fière d'avoir su capter son attention qui lui a été bien difficile à obtenir jusque là mais elle a conscience qu'il ne lui confiera rien du tout si elle ne se lance pas la première. Elle joue gros car, si les on-dit ont tort, le troisième fils des d'Orman pourrait ruiner sa réputation à tout jamais.

-J'aime un homme. Un veuf. Il doit finir sa période de deuil avant de pouvoir montrer son affection en public et demander ma main lorsque la bienséance le lui permettra. Cependant, je ne peux en parler à quiconque, pas même à mes parents qui projettent de me marier et prospectent tous les nobles célibataires de la région.
-Pourquoi me le dire à moi dans ce cas ?
-Parce que si ce que j'ai entendu est vrai, alors nous avons un problème commun... Nous ne pouvons pas nous permettre d'être vu avec la personne qui est chère à notre cœur, ni nous permettre que les rumeurs réduisent à néant tous nos projets.

En l'occurrence, Natael n'a pas de projet... Zofia et lui vivent une relation qui ne devrait même pas être possible, à moins d'une aventure sans lendemain, mais ce n'est pas ce qu'il se passe. Cependant, c'est encore tout récent... Cela ne fait pas un mois qu'ils se sont jetés à corps perdu dans cette histoire et ils n'ont partagé que quelques jours d'intimité... Les doigts d'une seule main suffisent à les compter. S'il leur faudra prendre une décision un jour, ils ont besoin de plus de temps pour savoir ce qu'ils attendent réellement de cette relation.
Tandis qu'il n'ouvre plus la bouche, plongé dans ses réflexions, la demoiselle le regarde et a le pressentiment qu'elle a touché juste. L'intuition lui fait étirer un sourire qu'elle essaie de contenir. Elle est jeune et enthousiaste. Elle rêve de son noble amant et du jour où il pourra enfin lui offrir tout ce bonheur, non plus dans l'ombre mais au grand jour. Natael est sa meilleure chance d'y parvenir.

-Vous avez besoin de temps. Répond-il finalement. Et nous aussi.

Les lèvres de la jeune femme s'étirent de plus belle. Cela fonctionne ! Il a toujours l'air bougon et contrarié mais il coopère.

-Comment vous appelez-vous ?
-Agathe. Fait-elle promptement.
-Eh bien Agathe, il vaut mieux que j'ai l'air de vous éconduire pour le moment. Ma mère trouverait cela suspect que je me prête au jeu. Faisons en sorte de nous recroiser de manière impromptue dans quelques jours et de sympathiser. A partir de là, nous pourrons entamer notre subterfuge.
-D'accord. Acquiesce-t-elle devant ses explications. Mais quand ?
-Dame de Mirille organise un pique-nique dans deux jours. Êtes-vous invitée ?
-J'ai déjà répondu oui.
-Parfait. La jeune fille semble toute excitée de voir émerger une solution à sa situation et il hausse un sourcil. Tâchez de contenir votre enthousiasme. Je viens de vous repousser. Lui rappelle-t-elle tel un souffleur qui redonne la réplique à un acteur ayant oublié son texte.

Natael jette un œil vers la maison. Il distingue la silhouette de sa mère qui les épie depuis la terrasse. Heureusement, Agathe est cachée par un arbre depuis qu'elle lui a coupé la route. Elle ne peut donc pas avoir vu l'attitude de la jeune fille. Il entreprend alors de la contourner et profite de l'abri du tronc pour lui glisser quelques derniers mots en passant près d'elle.

-Ayez l'air déçue.

Il retourne ensuite à l'intérieur, lançant un regard à Eulalie en traversant la terrasse à quelques dizaines de mètres d'elle. Il regagne sa chambre en prenant soin de claquer la porte. Il n'est pas tout à fait sûr de ce qu'il vient de faire mais il a deux jours devant lui pour y réfléchir. Il aimerait pouvoir en toucher deux mots à Zofia mais il ne peut lui parler discrètement et lui écrire devient un projet risqué. S'il se décide à embarquer dans cette aventure, il ne faut pas que la prêtresse montre le moindre signe d'inquiétude ou de jalousie. Il va devoir trouver un moyen de lui faire passer le message sans qu'on les surprenne...

Deux jours plus tard

Le monastère est égal à lui-même. Paisible, chaleureux et froid à la fois. Entre les épais murs de la bâtisse, il fait désormais plus frais qu’à l’extérieur. Et pourtant, il n’est encore que le milieu de la matinée. Natael est un homme pieux qui vient régulièrement prier, même en dehors des jours dédiés à la DameDieu. Sa visite n’a donc rien de surprenante mais il entend aisément les gens chuchoter dans ce temple silencieux. Les yeux qu’il sent posés sur lui ne sont certainement pas ceux de la Déesse. Les doutes sur sa relation avec l’une des prêtresses qui n’est pas d’aussi noble lignage que lui le poursuit, même dans ce lieu sacré. Tous se demandent si c’est vrai. Beaucoup se disent que cela ne peut être que sérieux entre eux étant donné sa réputation avec les femmes. Certains s’interrogent sur qui il blessera à la fin : son amante ou sa famille. Les plus terre à terre répondent : son amante. Les plus romantiques : sa famille. Mais personne ne sait qui à raison ou tort. Pas même le principal intéressé.

Mais tout ce que l’on dit va bientôt changer. Et c’est pour cette raison qu’il est venu ce matin. Les bruits courent si vite… Il ne peut se permettre d’en laisser la moindre bribe atteindre les oreilles de Zofia sans l’avoir prévenue au préalable. Elle lui a accordé sa confiance pleine et entière et il sait qu’il en est chanceux étant donné son passif avec les hommes. Au moindre faux pas, il la perdra. Et même s’il parvient à la récupérer, leur relation en sera affectée, tel un verre tombé au sol mais pas brisé… La deuxième chute sera fatalement la dernière.

Après avoir prié comme il se le devait, Natael se lève et donne ses derniers respects à la Déesse avant de s’éloigner. Il sort et, dans la cour, il aperçoit une silhouette bien connue qu’il n’a pas vue en arrivant. Comme à chaque fois depuis leur première rencontre, il s’avance vers elle. Une fois à sa hauteur, il prend délicatement sa main et la porte à ses lèvres sans pour autant l’embrasser. Pourtant, il en meurt d’envie… Puis il se redresse, lui adresse un sourire amical et repart comme il est venu.

Enfin… Pas tout à fait.

Entre leurs doigts respectifs, une sensation n’était pas comme d’habitude. Un petit morceau de parchemin empêchait leurs peaux de se caresser tout à fait. Un morceau de parchemin que le vitaliste lui a laissé en retirant sa main. C’était cela son objectif de la matinée. Désormais, il doit se rendre à un pique-nique afin d’honorer le deuxième.

« J’ai trouvé la solution.

Quoi que tu entendes sur moi, n’y croit pas.
Quoi qu’on te raconte, continue de sourire.

Et surtout, garde confiance en moi. »

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